Zoli, un pionnier de l’audio Pro, est parti

ZoliZoli nous a quittés des suites d’un cancer. Il avait 80 ans. Il fut un pionnier de l’audio pro, un de ceux qui ont écrit l’histoire amplifiée du Rock n Roll en France avec l’équipe de Régiscène, en balisant la route pour les techniciens du binaire et du line-array.
On le retrouve impliqué dans l’arrivée en France de Midas et plus tard de d&b. C’est d’ailleurs Lulu (Didier Lubin) qui nous a annoncé la triste nouvelle et il en était tout chamboulé.

Cécile Dehlinger, Patrick Bokobsa et Jean-Louis Dagorno nous ont aidés à retracer des petites tranches de sa vie mouvementée de nomade. Zoli et son immense talent en électronique, son accent irrésistible et du rire plein les yeux, Zoli le trublion et ses excès normalisés, un personnage très attachant…

Zoli, diminutif de Zoltan Fékété est né en 1935 à Budapest. Enfant hongrois, juif orphelin pendant la seconde guerre mondiale, on lui fait quitter la Hongrie pour la Palestine à la création d’Israël afin de fuir le nazisme. On lui change aussi son nom pour qu’il puisse rejoindre l’Europe sans être suspecté d’avoir quitté la Hongrie. Il devient Yoël Schwarcz.
A Tel Aviv il fait Polytechnique et est enrôlé dans l’armée israélienne comme officier dans les télécommunications. Puis il choisit de vivre en Angleterre où il devient artiste peintre et où il obtient un Master en ingénierie.

C’est Jean-Louis Dagorno, qui le ramène en France dans les années 70. Il nous raconte leur rencontre.

Jean-Louis Dagorno : A l’époque, je travaillais avec un groupe qui s’appelait ZAO /Nefesch music fondé par deux ex musiciens de Magma, dont un saxophoniste hongrois, Yoschk’o (jeff) Seffer avec Dominique Bertram, Manu Katché et le quatuor Margand.

SLU : En quelle année ?

Jean-Louis Dagorno : C’était à une époque qui remonte loin, Régiscène n’avait même pas de local ! Et nous voilà partis à préparer cette tournée. Yoschk’o Seffer avait un ami, Zoltan pour nous aider. C’était Zoli, avec lequel nous avons fait des essais de concert vraiment épiques ponctués d’aventures pittoresques.

Après bien des péripéties, il a voulu travailler avec moi : “ Jean-Louis je te aime, moi travailler pour toi, vais te conseiller, fabriquer des trucs électroniques, des appareils tu connaît même pas qu’ils existent, un égaliseur paramétrique, te présenter des gens, Midas, et autres. Il faut que tu m’emmènes en Angleterre pour ramener mes électroniques, mes machins, mes trucs.”
Avec ma femme et Zoli, nous sommes partis en Angleterre dans ma R14 orange et on a chargé ses affaires dans une malle en fer. On est revenu chez moi à Bonneuil et il s’est mis à construire son fameux égaliseur paramétrique.

SLU : Il dormait chez toi ?

Jean-Louis Dagorno : Il dormait chez moi sur un matelas pneumatique. Tous les jours, je lui achetais les composants bout par bout pour qu’il construise son égaliseur paramétrique. J’apprenais des trucs avec lui, il avait des connaissances en technique et il m’ouvrait les portes d’un autre monde que je ne connaissais pas, des gens comme Charles Brooke qui avait construit la première Midas dont on avait d’ailleurs par hasard acheté un prototype chez Reditec qui en était le distributeur à l’époque.

SLU : Et il a fini par voir le jour le fameux paramétrique ?

Jean-Louis Dagorno : Oui, et à l’époque ça n’existait pas, il y avait juste trois boutons sur les consoles, grave, médium, aigu. Notre truc c’était la cerise sur le gâteau ! Voilà comment il est resté une bonne vingtaine d’années chez Régiscène.”

Zoli et sa chienne Indigo

Zoli et sa chienne Indigo

Quand Régiscène s’arrête, Zoli suit Midas chez Camac à Nantes, puis il rejoint Mark IV où Cécile Dehlinger est à cette époque directrice financière de la filiale française. Elle a gardé de bons souvenirs de Zoli, certains même impérissables.

Cécile Dehlinger : “Je savais qu’il était malade, et ça m’a fait de la peine d’apprendre son décès. Il était unique !
Zoli est arrivé chez Mark IV avec Midas en 93 au poste de directeur technique pour Midas et uniquement Midas ; les autres marques du groupe ne l’intéressaient pas et il le disait sans détour. A l’époque il était le seul cerveau de Midas.
Il est parti en 96 car il ne s’entendait pas avec les dirigeants de Mark IV, avant le rachat par Telex. A l’époque je n’avais pas le pouvoir que j’ai eu par la suite.

SLU : Qu’est ce qu’il a apporté à l’entreprise ?

Cécile Dehlinger : Quand Mark IV a racheté Midas, à l’époque de la XL4, il était le seul à la connaître, et il était le seul à avoir fait partie de l’équipe de Bob Doyle et Dave Webster.
Aujourd’hui on récolte encore les fruits de leur travail car ils connaissaient tous les ingés son avec lesquels ils développaient leurs consoles. Ils ont travaillé avec AC/DC, avec les Rolling Stones… Zoli avait le contact de tous les ingés son anglais et américains qui étaient des pointures et a contribué largement à l’image de la marque Midas dans le monde.
Zoli n’était pas un vendeur. C’était un homme d’une grande culture musicale, mené par la passion, qui savait convaincre, et techniquement il était très fort pour l’époque.

SLU : Quel souvenir garderas-tu de lui ?

Cécile Dehlinger : Il avait un respect des femmes, rarissime à l’époque dans notre métier peuplé de machos. Il les aimait et ne faisait jamais de mal à une femme. C’était un homme très doux. Avec moi, il n’a jamais élevé la voix, jamais dit un mot de travers ou déplacé. C’est le plus beau souvenir que je garde de Zoli et aussi de ses anecdotes qui commençaient toujours par : “Ah, java ta dire ceci, java ta dire cela…”

L'équipe de la filiale française de Mark IV en 1996

L’équipe de la filiale française de Mark IV en 1996 au cours de la fête de fin d’année. Zoli est assis sur l’estrade.

Patrick Bokobsa l’embauche ensuite à la direction technique de Diversity. Lui aussi se souvient de leur rencontre.

Patrick Bokobsa : “J’ai rencontré Zoli en 81-82 quand j’étais venu le remplacer au poste de directeur technique du Palais des Festivals de Cannes. C’était l’époque ou Régiscène avait refait le Palais. Il avait souhaité quitter Cannes et on m’avait proposé de le remplacer. La première fois que je l’ai vu, sans même me dire bonjour, il m’a demandé : “qu’est-ce qu’un décibel ? ” Je lui répondis : “ Quel décibel ? Elle ne veut rien dire ta question, un décibel c’est un rapport ! ” Il m’a regardé et m’a dit : “ Toi tu vas faire l’affaire ! ”

C’est à cette même époque que j’avais fait la connaissance de ma future épouse Corine. J’étais tellement copain avec lui à Cannes, que quand il est parti je me suis trouvé seul, Corine et lui étant à Paris, j’ai balancé ma démission. A 25 ans, j’étais nommé directeur technique du Festival mais je suis quand même rentré à Paris sans aucun regret.

Zoli au Satis

Au Satis

Il était super content, et il m’avait fait visiter Régiscène. Et c’est comme ça que j’ai rencontré des gens comme José Tudela et Patrick Clerc.

Il a pris la direction technique de Diversity en 2001. Il a été pour moi le vecteur de plein d’éléments positifs. C’est grâce à lui et à sa relation avec Peter Tongue (avant chez Midas) qu’a été faite la jonction avec d&b audiotechnik, et c’est avec lui en assistant à une démo d&b à Backnang, que j’ai rencontré Didier Lubin pour la première fois.

On a vécu une époque extraordinaire. C’était quelqu’un de complètement atypique, ultra modeste, et toujours humble malgré ses énormes connaissances dans l’audio. Il fabriquait des électroniques à Diversity. Quand on ne trouvait pas ce qui nous était nécessaire, il développait et fabriquait. C’était un électronicien hors pair.

Il a quitté Diversity pour des raisons de santé en 2006 ; il ne pouvait plus respirer l’air de Paris. Il a acheté un gite en Touraine avec sa femme pour l’exploiter en maison d’hôte et ils étaient sur le point de le vendre pour aller vivre en Ecosse.

SLU : Qu’est ce que tu aimais chez lui ?

Patrick Bokobsa : J’aimais tout chez lui, mais particulièrement son côté complètement atypique, son accent extraordinaire, sa bonté, sa modestie, la façon qu’il avait de parler…. Et ses yeux qui croquaient la vie, qui souriaient. Avec ma femme Corine, on l’adorait. Nous avions un lien affectif très intense…”

Les hommages 

ZOLI était un personnage extraordinaire comme on en rencontre dans les romans, avec une vie et riche et cabossée. Je suis allé le chercher à Londres dans les années 70, il voulait se joindre à notre famille de sérieux rêveurs balbutiant Régiscène. Peintre, guitariste, conteur ou ingénieur mais en Artiste, Zoli a traversé avec nous deux décennies comme un Prince, un Flibustier de la vie.
Ses créations, son regard, ses relations et son aura ont été indispensables à Régiscène et nous ont enrichis tous  (Gérard Martin, José Tudela, Jean-Jacques Perroy, Dan Beaudenuit, Patrick Clerc, Christophe Pitras, Marc San Phillipo…). Chacun en ces débuts avait bien sa place, et ce Zoli venu d’ailleurs en tenait une belle et dans la joie. Nous étions jeunes et fous et lui peut être encore un peu plus. Il était des hommes dont on espère toujours qu’il y en ait beaucoup d’autres comme lui.

Son histoire s’est écrite. Elle est belle.
Jean-Louis Dagorno

Je ne t’ai croisé qu’en de brèves et rares occasions a Audio Equipement puis la Boîte à Sons…. mais ce fut a chaque fois pour moi une leçon, un cours, un bon moment…Merci R.I.P
Patrice Cytrona

Zoli, je penses à toi là haut, toi qui m’a appris tant de choses dans ce métier ! Mes premières Fêtes du Lac à Annecy il y a 28 ans, où tu m’as appris comment jouer avec du bois et faire bouger de l’air et moi je t’ai appris à découvrir la Mondeuse, le Chignin Bergeron’… Nous étions à la maison avec une bouteille de Châteauneuf du Pape et un tableur de calcul acoustique.
C’était le bon temps…. Comme tu le disais toujours il faut être rock n roll…
Alors je te promets que nous allons continuer d’être rock n’roll !

Gilles Bouvard

On s’est fréquenté du temps de la Boîte à Sons. Zoli me faisait peur au début et après j’ai été trop charmé par son âme d’enfant. Un grand respect pour un grand homme.
André Serré

Hommage et respect à cet homme incroyable et à sa famille. J’ai connu Zoli, alors qu’il travaillait comme sonorisateur du groupe Henry Cow, avant qu’il ne rencontre Regiscène.1974/1975…
Evelyne Monier

Pour compléter le témoignage d’Evelyne et celui de Jean-Louis Dagorno, nous l’avons effectivement connu à Londres dans ces années-là , puisqu’on a fait plein de choses avec Henry Cow et Rock in Opposition quand j’organisais des concerts . A Londres, il nous a présenté tout ce petit monde qui lançait Midas, BSS (dont j’ai toujours les deux 1ères DI venues en France). On les a branchés sur Régiscène pour distribuer leurs produits, c’était le premier vrai prestataire pro moderne … On s’est beaucoup vus, revus, on a beaucoup bu et re-bu (!), des fois perdus de vue au fil des années, mais il n’est pas étranger à mon intérêt pour la sono. BSS, Midas, Klark-Teknik, Digico, d&b, …, vous pouvez lui dire merci ! Une vie digne d’un biopic ! Quelle fierté d’avoir fréquenté ce Monsieur.
Gilles Hugo (Silence!)

Rip Monsieur !
Jean-Marc Demange

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Les souhaits de Brenda
« Comme Zoli était orphelin en Israël, c’est là qu’il a appris à jouer de la musique (et jouer avec le seul orchestre de jeunesse qui existait en ce temps-là) je pense qu’il aurait aimé qu’on se souvienne de lui à l’aide d’un petit don à l’orchestre de jeunesse de Barenboïm pour aider les enfants d’aujourd’hui comme on était venu à son aide à l’époque.
http://www.daniel-barenboim-stiftung.org/index.php?id=43

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