Le Festival d’Aix passe en 2.0 avec Fohhn

Le Festival d’Aix a tenté et gagné un pari risqué, en offrant au Requiem de Mozart un écrin sonore virtuel splendide. Désormais, lyrique rime avec électronique. Vous doutez ? Confiez-nous vos idées reçues, on va arranger ça. 6 mois après, on est encore sous le charme.

Photo Vincent Beaume

Pourquoi un pari ? Imaginez un festival parmi les plus prestigieux au monde. Un lieu complexe car à ciel ouvert : le Théâtre de l’Archevêché. Une œuvre magistrale et exigeante. Un public sans concessions. Et pourtant, la décision est prise d’apporter à ce Requiem très original par sa mise en scène, un supplément d’âme via l’ajout d’une discrète réverbération afin de rappeler les églises où devrait se donner cette œuvre. On verra plus loin que l’électroacoustique va être plus sollicitée encore.

Philippe Delcroix

Une fois la décision prise par Pierre Audi le nouveau Directeur général du festival et Raphaël Pichon le Chef d’orchestre qui tous deux ont été moteurs de cette première technique, Josep Maria Folch Pons le Directeur technique et surtout Philippe Delcroix, le Directeur technique adjoint, ont arbitré des choix importants.
Ils ont donné leur confiance à Rémy Bréant, un consultant audio collaborant déjà avec les équipes du Festival, pour prendre en main ce dossier pour le moins iconoclaste et presque entièrement à défricher.

Nous avons eu la possibilité d’interroger longuement Rémy Bréant malheureusement absent le jour de notre passage à Aix, mais aussi eu la chance d’assister à une des représentations du Requiem et passé une journée sur place avec les équipes du Festival et un fournisseur, Fohhn, sans qui tout cela n’aurait peut-être pas été possible.

Merci à toutes et à tous pour l’accueil et la pédagogie dont il a fallu faire preuve pour détailler cette installation. Commençons par un très large tour d’horizon en compagnie de Rémy Bréant.

SLU : Comment est né ce Requiem de Mozart « augmenté »

Rémy Bréant : Il est l’œuvre de la nouvelle direction du Festival d’Aix qui a apporté pour cette première, un staff assez important dédié au son. Ils avaient déjà exploré un apport technique sur une autre œuvre, interprétée dans une usine désaffectée, et le Chef Raphaël Pichon était convaincu par un projet d’acoustique « augmentée » nécessaire pour le Requiem.

Une vue des gradins et du balcon. Il faut parvenir à apporter du SPL qui ne s’entend pas et de l’ambiance discrète à des endroits acoustiquement très dissemblables.

SLU : Il n’est question au départ que de compléter l’acoustique de l’Archevêché…

Rémy Bréant : C’est ça, de pousser les murs de sorte à tendre vers ce qu’on veut y jouer. La complication venait du fait que d’un côté la prod arrivait avec une solution déjà imaginée par un ingénieur du son hollandais, et que de l’autre, le Festival a un historique de fonctionnement, des budgets à tenir et une équipe d’exploitation bien au fait des contraintes que peut générer la cohabitation de deux spectacles en alternance.

Photo Pascal Victor

La proposition de l’ingé son hollandais était une infrastructure assez lourde concernant la prise de son et le mixage, disons de type comédie musicale, avec une diffusion répartie sur 20 enceintes omnidirectionnelles Omniwave, la reprise des chanteurs soit par l’intégration d’une trentaine de micros incrustés dans les éléments de décor soit par une quarantaine micros HF et une console de mixage de type A&H dLive S3000 ou DiGiCo SD7.
Pour des raisons de mise en scène et par manque de temps et de moyens, cette proposition n’a pas été pas retenue. La direction du Festival m’a alors proposé de concevoir un système qui puisse satisfaire l’équipe du Requiem tout en respectant ses contraintes chronologiques et financières.

Une CL3 très, très chargée aux mains de Fred Bielle en charge du mix du Requiem.

SLU : Tu collaborais déjà avec Aix ?

Rémy Bréant : Oui, notamment lors de Parades, le concert gratuit donné chaque année Cours Mirabeau en ouverture du Festival d’Aix avec du public sur plus de 300 mètres de long. Un spectacle forcément totalement amplifié, plus « populaire ».

Pour revenir à l’Archevêché, mon travail a été de réfléchir à une installation efficace sans ma présence mais facile à exploiter, qui tienne sur la CL3 Yamaha du Festival, avec des effectifs déjà prévus pour la saison et enfin avec les constantes du Chef d’orchestre et les contraintes du lieu.

SLU : Techniquement tu es libre de préconiser ce que tu veux ?

Rémy Bréant : C’est même ma manière de travailler. En phase d’étude, j’essaye toujours de garder l’autonomie sur le dossier et une certaine distance vis-à-vis des fabricants. J’ai dans un premier temps entièrement modélisé l’acoustique du lieu en 3D dans le but de pouvoir y implanter des points de diffusion sans m’arrêter sur une marque précise. J’avais déjà en tête de ne pas simplement « augmenter » l’acoustique, mais aussi d’apporter un complément notamment à l’orchestre.
Etant sonorisateur de métier, il m’a paru évident qu’il fallait pouvoir mixer les voix avec l’orchestre. A partir de ce cahier des charges, j’ai choisi d’augmenter considérablement le nombre de points de diffusion et réduire le nombre de micros sur scène. Le design sonore a consisté à densifier les points de diffusion latéraux et arrières en jouant en plus la carte de l’altimétrie, et surtout, de créer une diffusion de face afin de pouvoir restituer l’effet frontal propre à l’opéra, qui relie le chanteur au spectateur.

La matrice Astro Spatial Audio. Une grosse puissance de calcul, 128 canaux MADI ou Dante, une latence très faible et bien sûr la possibilité de travailler avec n’importe quelle marque d’enceintes.

SLU : Tu commences alors tes recherches en bois et en processing

Rémy Bréant : J’ai même commencé par le processeur avec dans l’idée de faire appel à Bjorn (Van Munster) afin de pouvoir travailler avec l’Astro Spatial Audio Sara II qui n’est inféodé à aucune marque d’enceintes. J’ai gardé en tout cas cette solution sous le coude et je me suis attaqué au bois. Certaines marques ont été trop chères, d’autres n’avaient pas les enceintes que je voulais, d’autres avaient processeur et enceintes mais les deux ne pouvaient pas être dépareillés. La discrétion était aussi un critère essentiel puisque le public classique se braque très vite dès qu’il voit un déploiement de matériel, sans oublier le fait qu’on squatte en latéral et à l’arrière les accroches lumière, pas question donc d’être encombrant.

SLU : Tu cherchais un produit qui…

Rémy Bréant : …soit discret, descende sans être volumineux, ouvre à mort et délivre un son de qualité. Comme plusieurs autres fabricants, Daniel Borreau, (Rock Audio et distributeur Fohhn en France), dont je savais qu’il disposait des produits qui pouvaient faire l’affaire, a été consulté. Il a donné immédiatement son accord y compris sur le partenariat.

J’ai donc pu présenter à la Direction Technique du Festival d’Aix quatre propositions et c’est Fohhn qui a été retenu par Philippe Delcroix. Mon design a ensuite été contrôlé par les ingénieurs de la marque au travers du logiciel AFMG Ease afin de vérifier la cohérence de la couverture.

Une des LX-61 pour les ambiances, accrochée sous le balcon et prenant le public à rebrousse-poil.

SLU : Quel type de produit t’a séduit chez Fohhn ?

Rémy Bréant : Par exemple le LX-61. Quatre transducteurs de 4” à longue excursion et un moteur de 1” dans un guide reprenant la polaire des petits graves et aligné avec eux pour créer une mini ligne pinçant bien verticalement la bande de 1 à 4 kHz qui tient en 30°. Ce type de produit me donne la générosité tonale suffisante pour mes ambiances et sa petite taille le rend ultra-facile à mettre en œuvre.

J’ai pu ainsi découper trois zones : le parterre, le dessous de balcon et le balcon et les immerger séparément. Pour certaines zones, j’ai ajouté des LX-11 et deux paires de LX-150. Une fois ajouté le gauche droite en LF-220 et double beam par côté, j’ai pu travailler mes synoptiques.
Au regard du volume des réseaux de câblage nécessaire, nous avons pris le parti de confier la fourniture de câble et les raccordements à Texen. Les équipements réseau ont été fournis neufs et non programmés.

SLU : Tu disposes d’une équipe ?

Rémy Bréant : Sur les opérations relativement complexes comme celles-ci, je m’entoure de compétences spécifiques qui interviennent à des moments clé du projet.

Jean-Baptiste Boitel

Pour le calage de tout le système en version frontale j’ai proposé à Jean-Baptiste Boitel, un technicien dont la réputation est plus que méritée, de travailler sur le projet de telle sorte à pouvoir jouer sereinement et en phase même en cas de panne de l’Astro. Rappelons que les fortes températures estivales compliquent la donne.

SLU :Le processeur sert de calage temporel « créatif » ?

Rémy Bréant : Pas que… Le lendemain du calage « de base » de Jean-Baptiste, Bjorn est arrivé avec son propre caleur et ils ont travaillé, à partir de nos valeurs, pour insérer l’Astro, « casser le frontal » et créer de l’immersif.


Voici ce qui est « visible » du système principal côté scène : le coffrage arrière dans lequel se trouvent des LF-220 Fohhn.

Il en a été de même avec les rappels sur les côtés. Une fois ce dernier travail effectué, nous avons œuvré avec Bjorn sur la réverbération inspirée d’un algorithme de la Bricasti M7. Et pour la première fois, on a branché un micro.
Les répétitions du Requiem se passant à l’Archevêché, Raphaël Pichon a souhaité entendre immédiatement le rendu final. Trois semaines avant la première, j’ai donc installé en urgence une réverbération M7 stéréo dans la régie.

SLU : Loin d’être la solution idéale…

Rémy Bréant : Oui, mais cela a permis de se familiariser avec l’algorithme, de rassurer le Chef d’orchestre et d’avoir une ébauche de ce que cela pourrait donner in situ avant de recevoir le processeur. Je me suis aussi engagé à ce que l’univers sonore ne change pas. On y est parvenu puisque l’Astro a gardé la « couleur » M7 mais modulée sur chaque sortie.

SLU : Qui a fait le premier mix et aussi la première « spatialisation » ?

Rémy Bréant : Moi, d’autant que j’avais spécifié 7 micros DPA en rampe au pied des chœurs, deux semi-canons Schoeps dans les draperies pour d’éventuels besoins d’ambiance en fond de scène.
A cela il fallait ajouter la microphonie de l’orchestre, des bandes de bruitage, et quelques HF. Pendant les 2 premières semaines de répétitions, n’a été diffusée que de la réverbération, pas de son « sec » avant d’avoir l’Astro.

Une image du Requiem et l’incroyable mise en scène de Romeo Castellucci. Regardez tout en bas à la limite du plateau. On voit 7 petites boules noires. Ce sont les micros. (Photo P. Victor Artcompress)

SLU : Donc le vrai mix final…

Rémy Bréant : …est né au moment où on a pu avoir la diffusion 3D, la matrice et la réverbération programmée, quelques jours avant la générale. On a donc enfin envoyé les voix et l’orchestre dans l’Astro tout en gardant la main sur les prémix dans la CL3 et en disposant de ses plugs et DCA, ce qui en facilite l’exploitation. Assez classiquement, les 7 micros voix ont été routés en direct out dans autant de paires de LX-10 en front fill ouvertes à 110°, via l’Astro en mode WFS qui a géré la localisation, y compris dans la ligne de délais sous le balcon ou d’autres groupes à la face jardin, face cour.

Les front fills, quatorze LX10 amplifiées et processées individuellement en train d’être montés.

Toute la diffusion frontale a reçu voix et orchestre. Mouillée aussi. Toute la diffusion latérale et arrière, uniquement la réverbération multi-moteurs de l’Astro. La position fixe des 7 micros de rampe m’a aussi évité tout système de tracking actif qui aurait été nécessaire avec des micros HF.
Une fois le mix dégrossi, j’ai passé la main à Fred Bielle pour me concentrer sur la partie programmation et pilotage. On a travaillé à 4 mains, me semble-t-il en bonne intelligence.

SLU : Et le Chef d’orchestre durant ces dernières répétitions ?

Rémy Bréant : Il a pris les informations nécessaires quant au rendu auprès de ses assistants et a fait une très belle synthèse de ce qui lui a été dit. Nous avons décidé de figer l’électronique afin que le Chef d’orchestre s’approprie la salle qu’on lui a livrée. Bien sûr on a gardé la main sur des équilibres tonals ou des écarts de dynamique trop importants. Deux compresseurs multi-bandes ont permis de régler rapidement ce type de problèmes.
Pour le reste, Raphael Pichon s’est réellement approprié le mix orchestre et voix avec sa baguette, les deux dernières répétitions s’étant déroulées sans qu’on ne touche à quoi que ce soit. Sébastien Noly s’est aussi révélé précieux par son rôle d’interface entre la technique et le Chef d’orchestre et aussi par sa grande compétence en physique acoustique.

SLU : Avec Bjorn d’Astro, vous avez créé une « salle ». Raphaël Pichon a été mis à contribution ?

Rémy Bréant : Une fois qu’il a accepté le principe de réverbération et la couleur de la M7 « recréée et améliorée » dans l’Astro, on a travaillé ensemble à établir le caractère de la salle qu’on a, en quelque sorte, fabriquée. On a défini son identité sonore par la quantité de réverbération par zone. On s’est donc baladé en tout point de l’Archevêché et sommes tombés d’accord sur le choix de jouer la carte de la sagesse ne souhaitant pas que le public puisse percevoir l’existence d’une assistance sonore.

SLU : Lors de la première en présence du public, as-tu fait des modifications sensibles ?

Rémy Bréant : Oui. Dès le début du Requiem, j’ai augmenté le niveau de l’amplification, mais au bout d’un quart d’heure je suis revenu au point de départ. La différence entre salle vide ou pleine s’est révélée peu perceptible. Il ne faut pas oublier qu’à Aix on joue à ciel ouvert.

L’Allée Gothique. Quand on dispose d’une telle surface réfléchissante, autant s’en servir…

SLU : Comment se comporte le balcon qui, outre le ciel, dispose d’encore moins de murs latéraux ?

Rémy Bréant : Pour moi encore mieux puisqu’on n’a quasiment plus de champ direct, uniquement ce que l’électroacoustique envoie et qui est plus équilibré et complet.
En revanche, en début et fin de l’œuvre, le Chef d’orchestre, qui est aussi un Chef de Chœur, a fait le choix de faire communier le site classé à l’Œuvre en faisant chanter une partie du Chœur dans la très belle réverbération naturelle de l’Allée gothique de l’Archevêché, située sous le gradin. Ce fut une sensation sonore inoubliable pour tous que de sentir cette énergie naturelle sortir de nulle part…
Cela inonde le public par en dessous et crée le doute pour le reste de l’œuvre. Naturel ou artificiel… On prend les spectateurs avec du naturel et on les redépose avec le même stratagème sonore. Enfin, cette réverbération nous a aussi servi de référence. Puisqu’elle « démarre » le Requiem, on a fait en sorte de ne pas avoir trop de différence avec celle générée par l’Astro.

SLU : Ce qui a été fait à Aix est osé

Rémy Bréant : C’est vrai, mais tous les jours j’ai entendu des gens dire : « il y a un spectacle qu’il faut que tu ailles voir, c’est le Requiem, ne serait-ce que pour le son. » Le but souhaité par Raphaël Pichon et moi-même était de ne surtout pas immerger le public dans quelque chose qui dénature l’œuvre.

Le son frontal à cour indiqué par deux flèches rouges. Les deux LF-220 sont cachées derrière le bord du cadre de scène dont le tissu est à peine plus clair. Les techniciens son installent les LF-10 au sol. Difficile de trouver une place pour caser un ou des subs…

Notre plus grande récompense a été que personne ou presque n’a entendu notre apport et là où j’ai compris qu’on avait réussi c’est, durant les répétitions, quand on m’a demandé d’en « mettre plus » alors que les amplis des petites boîtes modulaient déjà entre 80 et 90 % et surtout lorsque les applaudissements ont retenti et que la salle s’est révélée telle qu’elle est, au point de douter de la satisfaction des spectateurs.
Il n’en était heureusement rien. Le public était ému mais n’a pas pu exprimer sa joie complètement faute de vrais murs pour amplifier le son. Idéalement, il faudrait aussi lui dédier quelques micros pour que le doute perdure jusqu’à la fin.

SLU : Un renfort de grave aurait eu son utilité ?

Rémy Bréant : Si j’avais pu accrocher un sub central quelque part ou composer un arc sub avec des petits formats en 10” oui, mais je n’ai pas trouvé la place et les premiers rangs n’auraient pas forcément apprécié. Je n’en ai, cela dit, pas ressenti de manque et cela a facilité mon intégration sonore.

SLU : Tu penses que l’Archevêché pourrait bénéficier d’un système en fixe dans le futur ?

Rémy Bréant : Le Requiem a été conçu pour être joué dans une certaine acoustique donc la demande technique était légitime, mais on a aussi prouvé le bien-fondé d’un déploiement technique de ce type dans ce lieu. On n’a jamais détérioré le son direct et la direction du Festival a pu se forger son opinion. On a aussi prouvé qu’une fois la mise en place faite, l’exploitation quotidienne est faisable sans grande difficulté et le maillage redondé du réseau informatique garantit la sécurité du déploiement.

Le théâtre fermé par son rideau de fer pour permettre aux éclairagistes de travailler… On aperçoit au sol les barres de front fills en train d’être assemblées. La casquette métallique devant sert à protéger des intempéries la fosse durant l’hiver.

Cela fait longtemps que je sais qu’il est possible d’apporter quelque chose à l’univers classique. On a maintenant les outils pour faire ressortir toutes les subtilités qui existent et on peut s’aventurer au-delà de la simple sonorisation frontale. Aujourd’hui on est très humblement capable d’apporter nos compétences pour bonifier un rendu aussi dans des lieux qui n’ont pas besoin de son.

Allons maintenant à la rencontre des équipes qui s’activent dans le fameux Archevêché aixois. A défaut de violons, les cigales cymbalisent à tout va sous un soleil d’été.
Uli Haug, de Fohhn et Daniel Borreau qui distribue la marque allemande en France, nous accompagnent. Après la photo et devant l’entrée même du Théâtre de l’Archevêché, quelques questions fusent.

Accueillis comme des rois par le staff technique du Festival avec de gauche à droite Philippe Delcroix : Directeur technique du Festival d’Aix, Clément de Mazières : Technicien son, Aurélie Granier : régisseuse son, vidéo et sous-titrage, Uli Haug de Fohhn et enfin Daniel Borreau.

SLU : Un rapide historique du Festival ?

Philippe Delcroix : Il a été créé en 1948 et a lieu chaque été en juillet à la nuit tombante. Aix est devenu l’un des 5 plus grands festivals d’art lyrique au monde. Le lieu emblématique où a été donnée la première représentation et où nous nous trouvons est le Théâtre de l’Archevêché.

D’autres lieux et salles se sont ajoutés ce qui nous permet d’accueillir chaque année plus de 80 000 spectateurs. La jauge de l’Archevêché est de 1 350 places. Un premier petit théâtre y a été rapidement érigé et modifié en 1998 pour prendre l’apparence de celui actuel. On créé et construit nous-même tous les décors et on produit 5 opéras chaque année.

SLU : Le théâtre actuel est donc pérenne ?

Philippe Delcroix : Oui, il est petit et fait pour durer, mais il n’est profond que de 10 mètres, autant dire que quand on vend une de nos productions aux grands théâtres mondiaux comme celui de New York, elle retrouve de la place ! Cette année nous n’allons jouer ici en alternance que deux spectacles, La Tosca de Puccini et le Requiem de Mozart.

SLU : Le staff technique comporte combien de personnes ?

Philippe Delcroix : 11 en septembre, puis ça monte de mois en mois jusqu’à atteindre les 300 pendant la période du festival.

Philippe Delcroix appelé par d’autres rendez-vous, nous confie aux bons soins d’Aurélie Granier la régisseuse son, vidéo et sous-titrage de toutes les scènes du Festival pour une visite complète du site.

Chaque enceinte LX-10 a son adresse que l’on retrouve sur le logiciel maison Fohhn Net, et peut être contrôlée à distance en délai, niveau, égalisation. Elle se connecte avec sa base (AM10, 20, 40 ou 50 en fonction de ses besoins) qui l’alimente en data (son et ordres) et en énergie via un câble réseau se terminant par une prise EtherCON.

Les enceintes, sont toutes cachées derrière des tissus phoniques ou dans des caissons qui, une fois en place, deviennent parfaitement invisibles.
Il en va de même pour les micros qui seront placés en un second temps mais qu’on peinera à voir depuis la salle. Tout ce petit monde doit se partager le peu d’espace disponible avec les lumières, y compris au sol.

Aurélie Granier : Le choix de placer ces enceintes de rappel par paires sert aussi à masquer une petite dissymétrie de la salle et corrige un écart de niveau du public entre jardin et cour.

SLU : La mise en phase de l’ensemble « direct » donc orchestre et voix et ce qui est amplifié doit être parfaite.

Aurélie Granier : C’est le cas. Dès le premier rang on n’a aucune décorrélation entre le direct et le diffusé. Le calage a été fait en déplaçant les remotes au niveau du parterre pour affiner les choix.

On joue aussi avec le volume du son direct en démasquant ou pas des ouvertures de grande taille pratiquées dans la maçonnerie avant de la fosse à la demande de l’acousticien Sébastien Noly, afin que la quantité de direct voulue atteigne le public. Pour le Requiem ces ouvertures sont fermées.

La fosse, profonde 180 cm, avec par-derrière pour les plus observateurs, Uli Haug et Daniel Borreau en pleine discussion. Remarquez aussi à droite, le cache en bois qui masque une des ouvertures pratiquées.

SLU : Le fait que vous alterniez Tosca et Requiem ne vous complique pas trop la mise chaque jour ?

Aurélie Granier : Non, l’avantage de cette technologie Fohhn est que chaque enceinte active répond présente par informatique. On peut suivre nombre de paramètres dont la température de l’électronique qui souffre ici, et on a des procédures bien établies. On installe et câble à deux, on vérifie la mise et on la réécoute quand l’orchestre répète.

Le rappel à cour, identique à jardin, de vrais out fills idéalement placés pour redonner vie aux côtés et éviter que le mélange entre ambiance et direct ne soit trop déséquilibré.

SLU : Vous nous décrivez le système Fohhn déployé ?

Daniel Borreau : Il y a de part et d’autre de la scène et formant le cadre latéral droit et gauche de cette dernière, deux colonnes composées chacune de deux enceintes LF-220, soit 4,50 mètres de hauteur, exploitées en Beam Steering.

Toutes invisibles qu’elles sont derrière des tissus acoustiquement transparents, elles distribuent le son précisément là où c’est nécessaire en donnant l’impression qu’il provient du plateau.
On exploite 4 faisceaux différents. Toujours du plateau nous avons au sol, 14 LX-10 utilisées par paires, des petites enceintes coaxiales acoustiquement très droites et tout aussi cachées dans des bandeaux en bois.

Nous avons ensuite deux rappels pour déboucher les côtés proches à cour et jardin, d’où la présence des LX-150 à même les murs du théâtre.
Dans le théâtre lui-même, les retours aussi disposent d’enceintes Fohhn. Quatre LX-61 pour redonner aux chœurs un orchestre plus précis et deux LX-100 pour le backstage.

La machine à sustain

Daniel Borreau : Pour créer cet effet de sustain et faire en sorte d’éviter que le son ne provienne exclusivement du plateau, nous disposons de plusieurs points de diffusion arrangés pour couvrir sélectivement des zones du public et accrochés aux murs latéraux. Sous le balcon, le problème est différent d’un point de vue acoustique comme électronique.

Une vue de la très belle collaboration entre Fohhn France et le Festival d’Aix avec ces supports gardant bien les prises orientées vers le bas sur des modules AAX-2.300.

Bien entendu le son direct arrive, mais il faut plus jouer la carte de l’immersif car l’espace est moindre et les réflexions impossibles à déclencher.
D’autre part les enceintes n’étant protégées ni de la pluie, ni du public placé au-dessus, ni enfin des fientes de pigeon, on revient à des modèles passifs amplifiés par des modules AAX-2.300 insérés dans des boîtiers fabriqués sur place.

On a donc des petites LX-11 tout en haut et sous les gradins, qui sont des LX-10 sans ampli et processing, pour envelopper le public et enfin une paire de LX-61 en renfort pour simuler les murs latéraux, volontairement désaxées pour ne pas être perceptibles en champ direct.

Deux LX-11 entourant leur ampli et placées le plus en arrière possible contre le mur arrière de la cour de l’Archevêché.

Protégées par des filets anti resquilleurs ailés, deux LX-61. Pas de doute, c’est un tissu transparent !

Enfin sur le balcon on bénéficie de six LX-61 pour l’arrière et de deux LX-150 tirant depuis les murs latéraux, plus le système principal et les réflexions naturelles des lieux.

SLU : Comment pourrait-on définir le rôle de l’ensemble de la diffusion ?

Aurélie Granier : Comme un soutien non destructif de la source acoustique. On ne renforce pas, on vient soutenir ce qui naturellement est donné par les artistes.

Quelques éléments essentiels. En rouge, un Focusrite Rednet D16R en charge de véhiculer le Dante et l’encapsulage du Fohhn-Net et tout en haut de la pile à gauche, l’ABX-5 de Fohhn, une passerelle entre le Dante et soit l’AES, soit surtout le Fohhn-Net. Le paquet de câbles réseau provient des deux switchs Cisco A et B qui servent de pilier à l’installation et sont réunis par des rocades en fibre entre différents points comme la régie ou les Rio au plateau. Bien sûr les réseaux A et B ne se mélangent jamais et n’y passe qu’audio, remote et sous-titres dans trois VLan.

SLU : La régie est assez bien placée…

Clément de Mazières : Oui et cette année, du fait du rôle plus important du son, la console va rester pour la première fois en place sous le balcon.

La journée file et on entend de plus en plus de cuivres chauffer leurs pistons. Il sera bientôt temps de laisser les répétitions se dérouler tranquillement. On monte en régie poser quelques dernières questions à Fred Bielle.


Fred Bielle à la console du Requiem en plein line check devant sa CL3 Yamaha. Comme le dit Aurélie, elle est à full de chez full puisqu’elle délivre aussi les départs vers les retours et les diverses servitudes !

SLU : Tu suis aussi à la trace le système Fohhn

Fred Bielle : Absolument. Sur la liste des appareils, je retrouve toutes les électroniques qui apparaissent sur le réseau.

La visualisation de chaque ampli ou enceinte amplifiée. On ne peut pas rater la couleur orange…

Là par exemple on a coupé l’alimentation des LX-10 des front fills car leur température interne a atteint sous le soleil les 60°. Cela s’affiche en orange sur l’écran. On les remettra en route ce soir à la fraîche.

Par module on dispose du gain, délai, crossover, EQ 31 bandes et dynamiques, entre autres. Pour y voir plus clair, nous avons aussi un affichage « géographique » Cela permet de localiser plus facilement les points de diffusion, y compris les retours.

La colonne Linea Focus 220 basse couvre tout le parterre et rentre parfaitement sous le balcon sans toucher celui-ci.

La LF-220 du haut en charge du balcon.


SLU : Fred, tu tiens la CL3 ce soir. Tu me confirmes que le seul effet est généré par l’Astro…

Fred Bielle : Oui, on a juste quelques traitements de base dans la CL3 sur les bus. Je n’ai besoin de rien de plus. Ici c’est le son direct qui prime. On a deux objets sur l’Astro, un qui est l’objet spatialisation et un second qui est l’objet réverbération et c’est cet équilibre qui a été le plus long à trouver.

Conclusion

Il paraît qu’à SLU on a une bonne oreille et un sens critique qui pique un peu. Ce sera pour une autre fois. À Aix, nos cœurs ont mis en sourdine toute observation technique pointue et on s’est laissé emporter par la puissance de l’œuvre, de la mise en scène et fatalement du son d’un naturel que rien n’a trahi. Quel meilleur compliment faire au système et à ses créateurs et exploitants.

La régie toute en noir et le balcon vus depuis la fosse.

On n’y a quasiment vu que du feu, celui d’un spectacle de toute beauté avec une assistance sonore qui a apporté un supplément d’âme, de clarté, d’espace et un enveloppement propre à une acoustique de salle naturellement inexistante sans elle. Je serais incapable de donner un ratio entre direct et amplifié. Peut-être peut-on dire que l’absence d’un toit a rendu le registre grave malgré tout un poil en retrait.
Si à l’avenir il est possible de trouver la place pour un « sub » peut être sous les gradins et balcon, sans pour autant dénaturer la très bonne couverture ou la balance tonale, ce serait intéressant mais la barre est déjà très haute pour une première.

Sans doute la confiance s’installant et la mise en scène de plus en plus moderne aidant à l’ouverture des esprits, lors des prochaines éditions il sera possible de pousser le « supplément d’âme » un cran au-delà, le mixage des sources, le naturel du raccord direct/augmenté, le matriçage très réussi, la qualité des enceintes Fohhn et la dynamique étant déjà là…
Une chose est certaine. Il sera dur, voire impossible, de revenir en arrière au Théâtre de l’Archevêché et même les plus puristes devront l’admettre. Aix est rentré dans une nouvelle ère qui risque fort de faire des petits, celle du son qu’on n’entend pas, mais dont on ne peut se passer.

D’autres informations sur le site Festival Aix et sur le site Fohhn

 

Crédits -

Texte ludovic Monchat - Photos : SLU, Vincent Beaume, Pascal Victor

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