Patrick Fromentin, Philippe Abergel et Jean-François Jacquemin

Le Synpase s’exprime sur des sujets d’actualité

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La plaquette du Synpase – Cliquez sur l’image pour accéder au pdf.

Notre profession est en ébullition. Elle pétille de mille rachats, fusions, bruits de couloirs et subit une stagnation voire une baisse de son CA et de ses marges.

Ajoutons des doutes sur l’intermittence, de la concurrence déloyale, du portage de personnel, un potentiel nouveau décret sur le niveau sonore et des progrès nécessaires sur la sécurité, le menu est copieux pour le Synpase (SYndicat National des Prestataires de l’Audiovisuel Scénique et Evénementiel) qui nous a reçus. Morceaux choisis.

Nous avons été reçus par Patrick Fromentin le président du Synpase et Philippe Abergel son délégué général au sein des locaux du syndicat pour une longue discussion à bâtons rompus et sans langue de bois.

Nous avons aussi joint Jean-François Jacquemin en charge du suivi du dépoussiérage du décret de 98 pour savoir si l’expression « envoyer le bois » était toujours d’actualité ou pas.
Nous reviendrons prochainement sur ce sujet épineux car mêlant technique et santé publique, Zéniths, plein air et petites salles.
Signalons enfin que depuis la réalisation de cette interview, une sanctuarisation du statut d’intermittent a été décidée par la ministre de la culture Fleur Pellerin.

CA et marges en réduction sur le marché de la prestation

SLU : Notre première question concerne la concentration des sociétés de notre branche et la vague de rachats qui la frappe. Rien de négatif dans nos propos, il semble que de part et d’autre on y trouve son compte.

Patrick Fromentin

Patrick Fromentin

Patrick Fromentin (président du Synpase) : Si on reste dans le domaine du son pur et dur, on se rend compte qu’avec le problème de la pyramide des âges que beaucoup d’entre elles vont être effectivement à vendre, parce que certaines ont su embaucher quand elles ont eu besoin de nouveaux talents mais peu ont su s’associer, ouvrir le capital des centres de décisions de leurs entreprises.
On est vraiment dans une tendance qui va aller en s’accentuant, dans les quatre cinq prochaines années.

SLU : Donc il y a des affaires à faire sur le marché français ?

Patrick Fromentin : Je ne sais pas. Le marché de la prestation est difficile et absolument pas en expansion. Nos entreprises ne vont donc pas forcément très bien. Depuis 2009, on a subi la crise très sérieusement, Notre rapport annuel de branche 2015 sur les chiffres 2013 le pointe clairement.

SLU : Vous constatez une basse sur quels chiffres. CA, marge, des deux ?

Philippe Abergel

Philippe Abergel

Philippe Abergel (délégué général Synpase) : Les deux

Patrick Fromentin : (Silence) Les deux sont liés. Si on prend la réalité de ce que peut être le devis d’un prestataire technique, globalement aujourd’hui c’est 40% de matériel et 60% de personnel. Comme le personnel n’est jamais une variable d’ajustement et pas un poste sur lequel on peut négocier, d’autant plus qu’on a des grilles et une convention collective, cela signifie que la baisse du CA a lieu côté matériel. Comme on ne peut pas non plus ne pas renouveler nos parcs, cela veut dire que nos marges s’érodent d’une manière dramatique.

Philippe Abergel : Il ne faut pas non plus oublier qu’étant sous-traitant, quand nos donneurs d’ordres ont des petits problèmes de marge, à qui on demande de se serrer la ceinture ? Forcément en grande partie aux prestataires !

Patrick Fromentin : Nous sommes en première ligne et ça fait cinq ans que ça dure. On prend la crise doucement mais sûrement.

SLU : Vous qui connaissez les chiffres, est-ce qu’on assiste à un infléchissement d’une baisse préexistante à la crise de 2009 ?

Patrick Fromentin : Non. Jusqu’en 2009 on était dans une phase de progression des marges, économiquement tout allait bien.

SLU : Cette hausse était portée plutôt par quelle branche ? Le son, la vidéo, la lumière ? Certes on constate une baisse du prix des équipements, mais cela n’explique pas tout.

Philippe Abergel : Il est possible que la vidéo qui a explosé ait tiré le tout vers le haut. Ce qui est assez intéressant dans les chiffres, c’est que jusqu’à 2008, tous les indicateurs sont plutôt à la hausse, qu’il s’agisse du CA, des marges, du nombre de permanents ou de celui des intermittents. 2009 est la première année où l’on constate que tous ces chiffres s’inversent.
Nous avons été frappés durement par la crise mondiale. De 2010 à 2012 on observe une sorte de stagnation. Le problème est qu’en 2013 on revoit un scenario comparable à 2009 avec tous les indicateurs qui repartent à la baisse. Cela veut dire que l’activité se restreint un petit peu mais aussi que la crise économique favorise sans doute des phénomènes de concurrence déloyale ou l’entrée en jeu d’entreprises qui ne sont pas forcément dans notre champs d’activité, et qui prennent une part du marché à des sociétés labellisées.

Le Synpase met à la disposition de ses adhérents une collection de fiches techniques, textes légaux, documents obligatoires, contrats type de prestation, de travail... pour les accompagner et les aider dans leurs démarches administratives.

Le Synpase met à la disposition de ses adhérents une collection de fiches techniques, textes légaux, documents obligatoires, contrats type de prestation, de travail… pour les accompagner et les aider dans leurs démarches administratives.

Pour identifier la concurrence déloyale

SLU : Comment analysez-vous cette concurrence déloyale ?

Philippe Abergel : Elle est étrangère sur certains secteurs très particuliers comme les décors ou les costumes. Sur le reste comme le son, la lumière ou la vidéo, c’est beaucoup plus de la concurrence franco-française. Cela peut être par exemple un DJ ou un technicien qui va se mettre à concurrencer les prestataires sur des opérations plus grosses que celles auxquelles il répond habituellement.
Il peut avoir recours à des entreprises qui mettent à disposition des personnels de façon illégale en faisant du portage illégal d’intermittent, une pratique qui était en baisse mais qui revient en force, sans doute à cause de la crise et des budgets en baisse constante. Il existe aussi une certaine dérive des parcs départementaux.

SLU : Les parcs départementaux ?

Philippe Abergel : Ce sont des parcs de matériel subventionnés. Ils servent en région à soutenir les projets associatifs, et cela ne nous pose aucun problème philosophique. En revanche, quand on voit des flyers publicitaires disant « vous êtes entrepreneur de spectacles, passez par nous » on ne peut l’accepter car cela revient à subir la concurrence d’une entreprise subventionnée, souvent sans TVA.

SLU : Vous arrivez à quel pourcentage ? Avez-vous avez une idée de l’influence de ce “second marché” ?

Patrick Fromentin : C’est vraiment le terme exact, “second marché. Selon les régions, ça peut être assez terrible. Une simulation a été faite sur le département du Loiret, et certains estiment que près de la moitié du chiffre d’affaires échappe aux entreprises Labellisées. L’importance de cette somme est à rapprocher de la difficulté qu’ont les DJ et les magasins de musique à exister. Cette dérive s’explique.
Au-delà du Loiret, il y a aussi des agences d’événements. Au lieu de louer le matériel dont elles ont besoin, elles investissent petit à petit. Fatalement elles finissent par devenir une sorte de prestataire technique pour une partie non négligeable de leur activité, et bien sûr ne s’adressent plus au prestataire qui était leur partenaire initial. Il en va de même avec des orchestres qui s’équipent en matériel et, la nature ayant horreur du vide, l’utilisent et essaient de le rentabiliser…

Philippe Abergel : Un de nos gros chantiers est de mesurer le poids réel à travers la France de ce qui échappe. On a une démarche qui se veut d’aller au fond des choses. On a donc envoyé à tous nos adhérents le tableau de leur région où nous avons identifié les entreprises qui semblent contourner un peu la réglementation. Notre but n’est pas de stimuler la délation et ensuite de passer en mode répressif, mais bien de mesurer les problèmes et les différents biais qui permettent de contourner un fonctionnement normal, afin d’avoir par la suite une action plus globale au niveau des donneurs d’ordres.

SLU : Les demandeurs publics aussi ?

Philippe Abergel : Oui bien évidemment. Les demandeurs publics sont une grosse partie de nos donneurs d’ordres. Donc c’est pour ça que nous avons réalisé un projet de plaquette avec les 7-8 points que nous rencontrons tous les jours et qui posent problème. Une fois collectée et analysée cette remontée d’informations du terrain, on pourra agir plus efficacement. C’est l’un des gros chantiers que nous allons mener tout au long de l’année 2015.

SLU : Reconnaissez aussi que le marché est en train d’évoluer et que des mastodontes de la vente par Internet mettent à genoux bien des magasins et des intermédiaires.

Patrick Fromentin : Je pense que c’est conjoncturel. La crise fait qu’à un moment ou à un autre, les gens ont besoin de trouver d’autres marchés pour pouvoir s’en sortir, des marchés qui sont connexes, annexes, les plus proches de leur savoir-faire. Je pense qu’il y en a un certain nombre qui ignore que nos professions sont organisées, structurées et qu’il n’est pas possible de faire n’importe quoi, n’importe comment.
La majeure partie sait très bien ce qu’elle fait et n’ignore pas qu’elle fraude, mais c’est un moyen d’aller développer du business ou d’aller récupérer une partie du chiffre d’affaires perdu. Elle va y parvenir parce que n’ayant pas les mêmes contraintes que nos entreprises, tout est plus simple et rapide. On ne peut pas l’accepter car laisser prospérer ces mauvaises pratiques enverrait le signal qu’il est possible de piller les entreprises de notre secteur.

SLU : Est-ce que ces nouveaux arrivants ont vocation à rentrer dans le rang ? Est-ce que vous constatez qu’un certain nombre finit par dire “je veux avoir moi aussi mon label”, tout en ayant été historiquement un brillant bricoleur à ses débuts ?

Philippe Abergel : J’aimerais que ça soit plus volontaire comme démarche mais ce n’est malheureusement pas souvent le cas. Le label commence aussi à être bien connu par les collectivités locales. Certains décident de ne pas s’en occuper mais la plupart sont maintenant conscients de l’existence de cette réglementation et il faut malgré tout trop souvent attendre que ces entreprises se retrouvent bloquées sur les appels d’offres pour qu’elles nous appellent. Certains ont reçu pendant 5 ans des courriers de ma part pour leur rappeler la réglementation, sans jamais y répondre. C’est donc plus souvent comme ça que ça se passe même si certains rentrent dans le rang tout à fait spontanément.

La concurrence étrangère

SLU : En termes de concurrence étrangère, où en est-on ? Est-ce que nos entreprises ont des atouts et sont, par exemple, assez productives pour compenser d’éventuels écarts dans les coûts de main-d’œuvre ?

Patrick Fromentin : Je ne suis pas bien persuadé qu’on soit moins rentable, productif que nos voisins belges, allemands, espagnols ou italiens, voire anglais. Autant il y a une quinzaine d’années, nous avions une très forte concurrence d’entreprises belges, italiennes, espagnoles qui venaient chez nous effectuer des prestations techniques, autant aujourd’hui cela s’est calmé parce que les tarifs se sont nivelés et le différentiel qui les rendait compétitif s’est érodé. Et s’ils viennent chez nous, nous sommes aussi capables de passer la frontière et d’aller travailler chez eux, parce que les frontières ne sont plus des murs infranchissables. L’Europe existe aussi dans notre métier.
On est capable de passer des accords avec des entreprises transfrontalières. Pour certaines prestations bien particulières, dans des technologies bien précises, on peut compléter ponctuellement son parc. Il est temps d’arrêter de râler en disant : « qu’est-ce qu’ils viennent nous faire suer chez nous. » Il est vrai aussi qu’on constate parfois un certain dumping social qui peut être nuisible.

SLU : Est-ce qu’on n’est pas simplement en train de « rentrer dans le dur » au niveau de notre profession ?

Philippe Abergel : Je le crois oui. J’ai l’impression qu’il y a eu un âge d’or qu’on ne retrouvera pas. Tous les prestataires avec qui je parle m’affirment qu’il y a 10-15 ans, on ne négociait pas les prix, ou très peu. Aujourd’hui on négocie à tous les niveaux. On est un métier jeune, qui a vécu un peu hors de la réalité économique pour diverses raisons. L’intermittence en fait partie mais pas que. Je pense qu’on rentre de plus en plus dans le monde normal et dans les marges normales.

Patrick Fromentin : C’est vrai, on ne reverra pas les affaires en or que l’on pouvait faire y a 15 ou 20 ans, mais qu’est-ce qui peut ré-attirer les gens vers nos entreprises en France ? Autant on avait l’image de saltimbanques, de rigolos, de mecs qui travaillaient 20 heures par jour et qui arrivaient dans des camions pourris, autant aujourd’hui nous avons su structurer la profession. Aujourd’hui on peut travailler 20 heures par jour, mais en deux équipes.
Le Label nous y a bien aidés. Il est essentiel de faire en sorte que nos entreprises soient vertueuses. On s’en rend compte sur les appels d’offres et dans les relations avec les acheteurs qui veulent être certains d’avoir face à eux de vrais professionnels. Le Synpase agit et aide ses entreprises afin qu’elles s’organisent dans tous les domaines comme le social, la sécurité ou même la communication. Il y a, à ce sujet, encore du boulot quand on voit certains sites web…

Les progrès collatéraux du Label

Dans les documents obligatoires, la fiche technique consacrée au document unique

Dans les documents obligatoires, la fiche technique consacrée au document unique.

SLU : Mais ça progresse !

Patrick Fromentin : Bien sûr. On a gagné énormément en termes de crédibilité et nous travaillons afin d’insuffler une logique d’accompagnement, d’anticipation, d’ouverture d’esprit dans nos entreprises, même si c’est difficile quand dans certaines ils sont à trois, le nez dans le guidon pour gérer le quotidien. Quand on est chef d’entreprise, technicien, directeur commercial en même temps, il est parfois difficile de tout concilier. C’est pour ça qu’on a des fiches techniques très simples, pratico-pratiques, sur le site pour aider les entreprises. On essaie vraiment de faire de la pédagogie, de prendre les gens par la main pour tirer la profession vers le haut.

Philippe Abergel : Pour revenir un peu au label, c’est vrai qu’il y a des entreprises qui veulent contourner les choses, mais il en existe pas mal de petites qu’on voit déposer des dossiers de label et c’est plutôt bien qu’elles commencent en appliquant à peu près les règles. Le label va au-delà de l’intermittence. Il contrôle les habilitations des salariés, vérifie que le matériel soit contrôlé. Aujourd’hui, on oblige aussi toutes les entreprises labélisées à avoir un document unique. Quand on a introduit cette nouveauté dans le dossier, une boîte sur deux, voire deux boîtes sur trois m’appelaient pour me demander ce qu’est ce document unique.
On rappelait que ça faisait juste 15 ans que c’était obligatoire dans toutes les entreprises de France, ce n’est pas lié à nos métiers. Du coup, ça les oblige à se mettre dans les clous. On a fait un document unique type, adapté à nos métiers, qu’on envoie pour que chaque boîte puisse l’appréhender et comprendre comment il fonctionne. Encore une fois on revient sur cette stratégie d’accompagnement des entreprises.

SLU : Ce qui en fait des sociétés plus attirantes pour des investisseurs…

Patrick Fromentin : Absolument. Si on regarde nos voisins proches, l’Allemagne a quelques très grosses boîtes très structurées qui regardaient les entreprises françaises un peu de haut. Je pense qu’aujourd’hui on ne prête plus à sourire. Au niveau de la concurrence européenne on n’a plus à rougir. Du coup certaines de nos entreprises peuvent être tout à fait intéressantes. La vraie question c’est de savoir si en Europe ou dans le monde, il y a encore suffisamment de cash pour acheter des boîtes comme les nôtres. Des sociétés se regroupent et structurent leurs parcs, des groupes ont une stratégie lisible et continuent leur marche en avant et leur consolidation.

Une fiche technique santé sur la prévention de la pénibilité.

Une fiche technique santé sur la prévention de la pénibilité.

SLU : Et on a aussi des boîtes plus jeunes et qui avancent vite, on pense par exemple à MPM. Ce n’est peut-être pas très évident de s’y retrouver pour un investisseur…

Patrick Fromentin : C’est compliqué. On a un mélange entre des gens qui arrivent avec des idées nouvelles et ceux qui partent et qui ont créé ce métier. N’oublions pas que les anciens sont partis de rien, ils ont tout appris, tout inventé, créé un nouveau métier, celui de prestataire technique pour le spectacle vivant. Pour certains, cela a fonctionné, pour d’autres un peu moins. Aujourd’hui on a de belles entreprises qui existent grâce à ces pionniers qui ont réussi à traverser les années. Je pense que certains ont fait le tour du métier ou n’ont plus forcément l’énergie pour continuer. Il faut du sang neuf et aujourd’hui y a des idées nouvelles qui se font jour. Mais ça arrive timidement.

SLU : Les nouveaux investisseurs en font partie, mais ils paraissent très éloignés de notre univers…

Patrick Fromentin : C’est peut-être ça qu’il faut à ce métier, des gens qui viennent d’autres horizons. Parce que les gens qui savent faire, les techniciens, ils sont là, ils existent, dans nos entreprises, Les directeurs techniques, des spécialistes du son, de la lumière, de la vidéo, on en a plein.

SLU : Est-ce qu’on ne peut pas trouver la relève directement dans ses équipes ?

Patrick Fromentin : Non, et c’est peut-être bien qu’il en soit ainsi. La profession se rend compte que les chefs d’entreprise sont souvent d’anciens techniciens, et je pense que demain les chefs d’entreprise n’en seront plus. Ce seront des gens qui auront une vision, une perception de ce métier, une façon de l’envisager, de le faire avec des ouvertures nouvelles sur le marché. Il faut envisager qu’il n’y a peut-être pas que le spectacle, y a peut-être aussi d’autres domaines dans lesquels on peut travailler avec nos savoirs faire, en exportant notre savoir-faire.
C’est l’enjeu à venir, et on commence à le voir. Notre marché est en pleine mutation, et il faut que cette période se stabilise un peu pour que les gens comprennent un peu mieux ce qu’est la réalité de la prestation technique en France. Comment cela va-t-il évoluer ? Personne n’est capable de le dire. Pendant un moment on a pensé que la profession allait se concentrer en maisons mères et filiales un peu partout en France et à l’étranger. On voit également des entreprises mono-activité s’associer pour offrir des savoir faire et services pointus.

Intermittence : propositions d’évolution

SLU : Et est-ce vous ne pensez pas que la France soutient et finance sa politique culturelle, son exception, avec les intermittents et le déficit de sa caisse ? Vous ne vous sentez pas un peu subventionnés ?

Patrick Fromentin : Pas une seconde. On ne revendique pas d’être des entreprises financées ou assistées. Si on a décidé de monter des entreprises privées, c’est pour être libre dans nos choix et dans nos décisions. Vous le savez, c’est une profession dans laquelle les gens tiennent à cette liberté d’action et de pensée. Nous ne souhaitons pas être les bénéficiaires, voire les profiteurs d’un système qui, on le sait, est imparfait. Il ne fonctionne plus bien puisque les caisses sont dramatiquement vides. Il faut malgré tout différencier deux choses : les annexes 8 et 10, ainsi que privé et public. Nous ne sommes pas concernés par la 10 qui est celle des artistes. Les actions et prises de positions que nous prenons ne concernent que l’annexe 8, celle des techniciens.

SLU : (silence) Je fais de la provoque exprès…

Philippe Abergel : Aujourd’hui, en tant qu’employeur, nous avons des problèmes avec le côté très attractif de l’intermittence. C’est pour ça que dans le cadre de la mission intermittence initiée par le Premier Ministre, nous avons pris des positions qui étaient un peu originales, voire détonantes parmi les différentes voix qui ont pu s’exprimer. On part du constat que la situation économique des artistes et des techniciens n’est clairement pas la même. Les techniciens sont mieux lotis que les artistes, les chiffres UNEDIC le montrent. Nous avons en plus des difficultés à trouver des techniciens. Quand on recrute des jeunes qu’on forme dans nos entreprises, au bout de 3-4 ans ils constatent qu’ils pourraient travailler moins et gagner plus en étant intermittent. Du coup certains prennent ce statut, ce qui pose de vrais problèmes d’employeur, de gestion d’entreprise…

SLU : Que proposez-vous ?

Philippe Abergel : Pour nous l’intermittence c’est un peu comme les retraites, il n’y a pas 40,000 curseurs. On est plutôt favorable à l’augmentation du nombre d’heures nécessaires pour les techniciens et uniquement pour les techniciens, parce que cela nous faciliterait la vie et que les CDI deviendraient plus attractifs. On ne fait pas l’unanimité avec cette proposition mais je pense que les personnels qui font aujourd’hui 540 heures pourraient passer demain à 700 sans gros problèmes, en tous cas pour ce qui concerne les vrais professionnels.

Patrick Fromentin : Et c’est pire que ça. Tout à l’heure on a dit qu’on souhaitait avoir des entreprises vertueuses mais aussi responsables. Comment peut-on dire à des gens qui bossent à plein temps dans le bâtiment, la restauration ou encore les hôpitaux, qui font des métiers pénibles, postés ou décalés gagnant 1.100 euros par mois, qu’il est possible en travaillant un gros tiers temps, d’en gagner 30.000 par an en cumulant salaire et indemnisation chômage. C’est assez inaudible, surtout dans une période de crise intense et socialement difficile. Ce qu’on peut regretter sur la mission intermittence, sur les propositions qui ont été faites, les échanges qu’il y a eu entre les différents syndicats, fédérations, c’est souvent d’être hors sol, d’oublier ce qui se passe en France.
L’annexe 10, comme vous le disiez tout à l’heure, peut être une manière de participer au financement et au développement de la culture. En ce qui concerne l’annexe 8, votre définition me pose un problème. Ce n’est pas le but des annexes de répondre à cette problématique. La responsabilité de certaines dérives doit être partagée. Il ne faut pas oublier les donneurs d’ordres. Parce que c’est facile de tirer sur les intermittents ou sur les prestataires mais c’est une chaîne. On vend des prestations, on a des personnels permanents qu’on renforce avec des personnels intermittents mais il y a un client au bout avec certaines exigences, donc la responsabilité est partagée et le problème est transversal. Je pense qu’il faut que chacun prenne ses responsabilités car on ne peut plus continuer à creuser ce trou. Il faut forcément trouver les solutions qui risquent d’être radicales.

La plaquette du Label des prestataires de service du spectacle vivant.

La plaquette du Label des prestataires de service du spectacle vivant. – Cliquez sur l’image pour accéder au pdf.

SLU : Certaines paraissent assez évidentes. Une standardiste peut-elle être une intermittente du spectacle ?

Patrick Fromentin : Et pourtant elle l’est toujours, tout comme on trouve encore des placeurs et des barmans dans les listes de métiers de certaines conventions collectives !

Philippe Abergel : Nous, prestataires techniques, sommes plus à l’aise sur ces questions puisque la mission va appeler les branches professionnelles à réfléchir à l’intermittence et éventuellement diminuer le nombre de fonctions, et on a anticipé ces questions avec le Label dont le credo est de ne pas avoir plus d’intermittents que de permanents. Et nous contrôlons évidemment les salaires. Ces problèmes de personnel qui ne devraient pas être intermittents et pourtant le sont, sont désormais assez à la marge chez nous. On a plutôt bien fait ce travail.

Il est en revanche regrettable que dans le cadre de la mission intermittence, tout le monde se cache derrière son petit doigt alors que tous connaissent les nombreuses dérives. Dès qu’on sort de réunion, on peut tous se donner 10000 exemples. En Commission Nationale du Label, on voit des CDI à 3.500- 4.000 euros par mois refusés. Quand on nous parle de précarité, est-ce que quelqu’un qui refuse un CDI à 4000 euros est un précaire ? La question mérite quand même d’être posée.

SLU : Mais l’intermittence reste la pierre angulaire de nos métiers…

Patrick Fromentin : Nous ne sommes pas attachés au régime indemnitaire. Il ne faut pas confondre. Nos entreprises ont de grandes variations dans leur plan de charge. C’est la raison pour laquelle on a besoin de pouvoir embaucher de manière temporaire, d’avoir recours à un contrat à durée déterminée, le CDD d’usage, adapté à notre profession. Nous sommes attachés à la flexibilité du contrat, attachés à trouver une solution juridique qui nous permette d’embaucher régulièrement des personnels pour des périodes plus ou moins longues, donc il faut mettre tous les paramètres en phase.
On ne veut pas défendre le régime indemnitaire de l’annexe 8 pour les intermittents du spectacle, on veut pérenniser nos entreprises en développant l’emploi permanent. En plus il faut faire la différence entre public et privé. Ce sont, là encore, deux mondes bien éloignés les uns des autres. On doit trouver des solutions mais pas à la manière du MEDEF qui semble ne pas avoir une connaissance pleine et entière de ce que sont les problèmes de nos métiers.

SLU : Quelle est votre position sur la « permittence » ?

Philippe Abergel : Evidemment ça nous pose un problème. Et on sait qu’il y en a pas mal, et c’est un sujet qui a été largement traité par la Commission du Label dans notre secteur. Le fond du sujet, qui n’a jamais été évoqué pendant la mission, c’est la confusion entre revenu de remplacement et revenu de complément. Pour beaucoup, c’est un revenu de complément. On a dévoyé l’esprit de l’intermittence. Elle doit être là pour des périodes chômées, afin d’éviter que les gens soient dans l’embarras, et on est tous d’accord pour ça.

SLU : Pensez-vous que le statut d’intermittent crée une sorte d’effet d’aubaine ?

Patrick Fromentin : Notre secteur est en crise, on ne vit pas si bien que ça. Je pense qu’il faut être raisonnable, il faut cesser de faire rêver les gens, là je parle des techniciens. Il n’y a pas forcément matière à ce que tous les ans il y en ait des nouveaux qui rentrent dans ce métier pour finir précaires. Quand ils n’arrivent pas à faire leur nombre d’heures, comment peuvent-ils vivre ?

Philippe Abergel : Pour compléter les propos de Patrick, on voit dans les chiffres que les périodes travaillées par individu réduisent. Ca veut dire qu’on partage un gâteau de plus en plus petit. Cela créé de la précarité. On se posait la question avec nos mandants : pourquoi ne pas par exemple proposer une entrée dans le régime portée à deux ans ?

SLU : Est-ce que vous avez une idée du nombre de personnes qui quittent l’intermittence par rapport au nombre de personnes qui veulent y rentrer ? On parle assez régulièrement avec des techniciens qui vont quitter le statut de l’intermittent pour passer en société

Philippe Abergel : On en voit, ça se fait mais c’est difficile de parler chiffres parce que les intermittents qui bossent chez nous, travaillent aussi ailleurs. En gros, 7 intermittents sur 10 qui travaillent chez nous le font aussi dans au moins une autre convention collective du secteur. Les chiffres d’Audiens montrent qu’en 5 ans, le nombre d’intermittents n’a augmenté que de 150 individus dans notre secteur. Donc on peut considérer que la bascule que vous évoquez est faible, même quasiment nulle.
Lors du 2e semestre 2014, nous avons assisté à un frémissement, des inquiétudes quant à l’évolution du régime indemnitaire, mais depuis janvier et les dernières annonces très rassurantes d’une certaine forme de sanctuarisation, on nous remonte des informations un peu contraires. Les gens sont très au fait de ce qui se passe et adaptent leur comportement, c’est humain.

Patrick Fromentin : L’urgence gouvernementale était d’éteindre l’incendie, c’est chose faite.

La prévention des risques

Une session de formation à la prévention des risques en entreprise organisée à Nantes le 29 avril dernier par le Synpase

Une session de formation à la prévention des risques en entreprise organisée à Nantes le 29 avril dernier par le Synpase

SLU : Vous faites un gros travail sur la sécurité au Synpase. On trouve quand même le français très allergiques au casque (rires) !

Patrick Fromentin : Si on veut parler de sécurité et de prévention des risques des salariés au travail, les premières mesures les plus essentielles sont celles collectives. Les mesures individuelles, dont les EPI, ne sont que des mesures compensatoires. C’est ce que dit la loi, et c’est ce que dit la prévention des risques en France. Maintenant plus sérieusement, nos entreprises ont aussi progressé dans la sécurité grâce au label, et quand on regarde le taux d’accidents du travail chez nous, il est très, très faible.

La prévention des risques en entreprise est l’un des gros chantiers que nous allons mener en 2015-2016 à plusieurs niveaux. Nous avons fait créer un module très court, une session de 3-4 heures au maximum. Elle s’adresse aux prestataires techniques du spectacle en France et prend la forme de deux modules séparés, une partie un peu magistrale pendant deux heures et les deux autres heures sous la forme d’un échange.

Quelques formations obligatoires dans le spectacle et l'événement.

Quelques formations obligatoires dans le spectacle et l’événementiel.

L’objectif est d’aller au plus proche de nos entreprises en France pour que les gens n’aient pas une journée bloquée, qu’ils ne soient pas obligés de faire 300 kilomètres et partir la veille pour un truc qui se passe le matin. Les deux premières sessions ont eu lieu récemment à Paris et à Nantes et ont réuni près de 40 participants. Enfin, nous avons souhaité que ce module soit gratuit pour l’ensemble des entreprises du champ, grâce notamment au soutien d’Audiens.

On pense aussi à la prévention des risques sur les chantiers. Comme on s’est rendu compte qu’ils n’étaient pas toujours pris en compte par les donneurs d’ordres et pour éviter que nos entreprises et leurs salariés en fassent les frais, nous aborderons donc naturellement le Plan de Prévention, son objet, son contenu, et ses buts. Nous allons sensibiliser et informer les prestataires en tant qu’entreprises extérieures.

Les donneurs d’ordres ne se rendent pas compte qu’en cas de problème, ce n’est pas parce qu’ils auront fait signer à la va-vite un pseudo plan de prévention aux entreprises, qu’ils seront dégagés de toute responsabilité, bien au contraire.
Les responsabilités sont lourdes parce qu’elles sont pénales et qu’on n’a pas le droit de mettre en danger la vie des salariés, ce qui paraît être une évidence.

SLU : Cela paraît être un chantier titanesque.

Patrick Fromentin : Oui d’autant qu’on s’intéresse aussi aux grands donneurs d’ordres publics que sont les régions et les municipalités. Nous allons mener des réunions avec l’association des régions de France et l’association des maires de France pour pouvoir leur expliquer les prérequis du donneur d’ordre à respecter face à un prestataire quand ils font travailler nos entreprises. S’ils subventionnent ou organisent une manifestation ou un festival, ils doivent prendre en charge la prévention des risques. Et le Synpase peut leur conseiller des professionnels qui sauront les conseiller et les aider pour les mettre en œuvre.

Un dernier point sur la sécurité nous tient très à cœur. Jusqu’à 2014, il y avait une commission centrale de sécurité qui dépendait du ministère de l’intérieur. Elle a été supprimée en juin 2014 officiellement dans le cadre du pacte de simplification administrative. Pendant près de 7 ans, cette commission a travaillé sur des réglementations pour les poutres, les podiums, les scènes et les tribunes, autant de matériels que nous utilisons quotidiennement. Et tout ce travail est passé à la trappe, ce qui est fort dommage. On a repris ce travail en février dernier, en réunissant autour de la table, à raison d’une réunion par semaine, les différentes parties prenantes, prestataires, fabricants, et organismes agréés de contrôle. Notre objectif, ambitieux, est d’aboutir pour avril 2016.

Philippe Abergel : On souhaite aussi embaucher un stagiaire en master 2 prévention des risques pour nous accompagner et avancer plus vite et mieux.

SLU : Et pour ce qui est des mesures individuelles ?

Patrick Fromentin : Tout d’abord il faut savoir que la prévention des risques ne passe jamais par la coercition, uniquement par l’adhésion. Si les gens adhèrent, acceptent et comprennent, ça marche. Il faut effectivement faire prendre conscience des risques. Prenons le cas des personnes au sol. Ce n’est pas tant ce que se prennent les gens sur la tête qui est l’accident le plus fréquent mais bien la chute de plein pied à cause de tout ce qui traine au sol. Or l’éviter ça n’est pas très compliqué. Maintenir un chantier dégagé et rangé permet de ne pas faire chuter un autre technicien qui arrive avec les bras chargés et ne voit pas bien devant lui. Il y a un problème de prise de conscience en France qui n’existe pas chez certains de nos voisins très proches.

Par ailleurs, au cours de nos travaux au sein de la CMP (Commission Mixte Paritaire) nous avons créé deux postes dans la grille des personnels permanents : le préventeur qui est la personne chargée de la gestion des risques professionnels des travailleurs et le préventionniste qui lui travaille à la prévention des risques incendie dans les ERP. Je pense qu’on est la première grille parmi les 9 du spectacle à avoir ces postes clairement identifiés et existants. Il n’y a pas encore de préventeurs ni de préventionnistes dans nos entreprises, et ce ne seront que les plus grosses qui pourront en avoir en interne mais peu importe. Une boîte moyenne ou petite peut très bien prendre les services d’un préventionniste ou d’un préventeur, extérieur, une entreprise privée qui vient faire un diagnostic chez elle, qui vient une fois par mois, tout est possible. Il est pour nous important que ces métiers existent, qu’ils s’inscrivent dans le quotidien de nos entreprises.

La limitation des niveaux sonores

SLU : Peut-on aborder le présent et surtout le futur du décret 105 dB. Des voix semblent dire qu’on se dirige vers une baisse de ce niveau qui par ailleurs avait été décidé en son temps, plus pour éviter les émergences que pour faire de la prévention auditive…

Patrick Fromentin : Nous en discutons au Synpase, par exemple réduire les niveaux sonores de concerts accueillant des enfants ne nous parait pas aberrant, parce que c’est de la santé publique et c’est du bon sens. On peut diminuer de 5 ou 10%, il n’y a rien de grave pour la survie des concerts ou le fait que les gens continuent à y venir. Ca ne nous pose pas de vrais problèmes. Nous avons malgré tout pris comme bras armé Agi Son, car cette association est interbranche. Il faut qu’il y ait aussi nos amis du Prodiss, les producteurs et le reste des acteurs concernés.
Le Synpase n’a pas vocation à partir seul dans cette négociation, car le risque est de porter préjudice à toute la filière si on ne parle pas d’une seule voix. Nous avons associé des sonorisateurs, patrons ou salariés de nos entreprises, reconnus dans la profession pour réfléchir à ce problème et proposer des solutions pertinentes. Tout est un peu mélangé dans cette affaire entre les niveaux, les fréquences, les pondérations et le temps d’intégration des mesures. Il faut que l’on se mette autour de la table afin que nos propositions soient pertinentes. C’est vrai qu’il y a un risque, cette fois encore, que l’on mélange des réglementations différentes. La nuisance sonore n’a rien à voir avec les mesures prophylactiques.

SLU : On parle bien ici de la prise en compte des problèmes ORL et pas des émergences !

Patrick Fromentin : Exactement. Il faut pour cela déterminer la méthode de calcul, la pondération, où est-ce qu’on fait les prises de son moyennes, à la console, devant les stacks, en plusieurs points, c’est quand même un grand flou. Donc il faut que tout ça passe à la moulinette de la raison, et que les gens qui ont lancé cette initiative, sans trop savoir où ils mettaient les pieds, soient informés. Et j’espère qu’on va arriver à des mesures ou des décisions peut-être un peu plus logiques, un peu plus raisonnables.

SLU : Qui est en charge de cette négociation au sein du Synpase ?

Patrick Fromentin : C’est Jean-François Jacquemin.

Interview de Jean-François Jacquemin en charge de la négociation

SLU : Peux-tu nous préciser un peu ce qui se prépare, les modalités, le calendrier, les préconisations autour de cette réduction de la pression sonore dans les lieux de loisir et de spectacle ?

Jean-François Jacquemin (gérant de Scène de nuit) : Des discussions sont en cours pour abaisser le niveau de pression sonore maximum qui est actuellement de 105 dB. On parle pas mal de 100dB avec certains militant pour 103…

SLU : Parle-t-on de dBA, avec une intégration LEQ ?

Jean-François Jacquemin : En utilisant les mêmes modes de calcul et de mesure que le décret de 1998.

SLU : Qui est à l’origine de cette potentielle réforme du décret de 98 ?

Jean-François Jacquemin : C’est l’association Agi Son qui a l’oreille du ministère de la santé et milite pour une réduction.

SLU : Tu agis pour le compte de qui lors de ces discussions ?

Jean-François Jacquemin : Je représente le Synpase et Agi Son. Agi Son est très actif et partie prenante de toutes ces discussion en tant que consultant.

SLU : Comment fonctionne Agi Son ?

Jean-François Jacquemin : Il y a une partie associative constituée de membres de différents syndicats employeurs comme salariés et il y a un comité scientifique qui a été créé pour s’occuper des questions plus techniques dans lequel interviennent des membres du Synpase comme Madje (Malki, fine oreille de Potar Hurlant) ou des gens de chez Dushow, des acousticiens et des médecins ORL. Le panel est assez vaste pour bien balayer tous les aspects de cette négociation.

SLU : Sur quelles données va être basée la réflexion ?

Jean-François Jacquemin : Les données sont fournies par des personnes de l’ARS, l’Agence Régionale de Santé. Elles ont pris des mesures très sérieuses lors de 4 festivals l’été dernier, le Hellfest, Musilac, Rock en Seine et les Eurockéennes pour avoir une base de travail et surtout faire un état des lieux en extérieur, là où il n’y a aucune législation.

SLU : Ils ont eu des surprises ?

Jean-François Jacquemin : Non, ils ont constaté que grosso modo on n’était pas très loin de la norme. Sur l’ensemble des mesures, seuls trois concerts ont dépassé la norme et six ont dépassé 103 dBA. Des gens se plaignent mais ça va quand même !

SLU : Les mesures ont été effectuées avec des artistes et donc des mixeurs étrangers ou bien des techniciens français ?

Jean-François Jacquemin : Les deux. C’était une volonté, et des groupes réputés pour faire du bruit ont été ciblés au Hellfest sans constater plus de problèmes qu’ailleurs.

SLU : Quelle est la position du Synpase par rapport à cette baisse programmée ?

Jean-François Jacquemin : On n’y est pas opposé. On trouve la démarche raisonnable et mixer avec un niveau compris en 100 et 103 dBA ne nous poserait aucun problème car on peut absolument faire du bon travail à ce niveau-là.

SLU : Est-ce que l’emplacement et le nombre des micros de mesure est établi ?

Jean-François Jacquemin : Non et il faut que l’on fasse attention car ce que dit jusqu’à présent le décret existant est que 105 dBA doivent être mesurés en tous points de la salle et cela est juste impossible. Nous souhaitons que le point de mesure soit à la régie ou en tout cas à un point viable. Nous sommes aussi par exemple ouverts à allonger le temps d’intégration LEQ actuellement d’un quart d’heure vers une heure si le niveau de 100 dBA est retenu pour avoir quelque chose pour mieux lissé. Agi Son gère aussi le problème des petites salles qui est encore plus complexe car 100 dB c’est hélas très vite atteint rien qu’avec le backline des artistes, sans parler du problème des émergences…

SLU : Aïe, je n’aime pas entendre parler d’émergence, c’est un peu l’amalgame du décret de 98 où en fin de compte on ne sait plus trop si on parlait de santé publique ou de gêne au voisinage.

Jean-François Jacquemin : Non, nous parlons bien cette fois-ci de santé, la partie environnementale sera traitée autrement.

SLU : On a entendu parler de dBC en lieu et place de dBA pour cette éventuelle réforme du décret. Qu’en est-il ? Cela poserait quand même quelques difficultés supplémentaires…

Jean-François Jacquemin : Non, pas tant que ça. Des mesures ont été aussi faites en dBC et notamment dans le grave. A part deux ou trois concerts où l’on était au-dessus de la norme, le reste était plutôt bien. L’idée d’associer le dBC au dBA pour avoir une information dans le grave est tout de même dans l’air.

SLU : On partirait donc sur un LEQ dBA et un niveau crête dBC ?

Jean-François Jacquemin : Oui, quelque chose comme-ca.

SLU : Est-ce que à ton avis on prend assez en compte la complexité de l’homme et de son hygiène de vie pour travailler sur ces nouvelles normes ? Un concert à 105 dBA de deux heures deux fois par mois fait-il plus de dégât que des heures de MP3 au casque tous les jours que Dieu fait ?

Jean-François Jacquemin : C’est sans aucun doute le temps d’exposition qui est le plus dangereux et c’est vrai que rien n’est plus difficile que d’établir si un acouphène chez quelqu’un est dû à l’exposition à un concert ou bien au surdosage au quotidien. Je pense qu’on ne va pas faire d’amalgame entre ce qui est de notre responsabilité et ce qui est du ressort de la santé publique. Agi Son fait depuis très longtemps de la prévention et de la pédagogie autour de tout ça et il n’est pas question d’aller dans le punitif car on sait que ça ne marche pas.

SLU : Où en est-on de cette négociation. On est plus proches de la fin ou du début ?

Jean-François Jacquemin : On discute et rien n’est décidé. On a beaucoup de contributions dont certaines assez peu vraisemblables comme de descendre à 95 et même moins donc ça discute. Rien n’est fait.

SLU : 95 pourquoi pas, mais c’est très difficile de garder de l’impact et le côté puissant propre à un concert à 95, surtout si le LEQ reste à 15 minutes. Je connais peu de mixeurs qui y parviendraient tout en bluffant le public. Ce ferait sacrément la tête question artistes comme prestataires…

Jean-François Jacquemin : C’est certain (rires !)

Les chiffres du Synpase

Le Synpase propose depuis 2011 le label Prestadd pour valoriser le comportement environnemental, social et économique des sociétés de prestation. Aujourd'hui, 34 sociétés sont labellisées. Cliquez sur l'image pour accéder au pdf.

Le Synpase propose depuis 2011 le label Prestadd pour valoriser le comportement environnemental, social et économique des sociétés de prestation. Aujourd’hui, 34 sociétés sont labellisées. Cliquez sur l’image pour accéder au pdf.

SLU : Combien êtes-vous au Synpase et comment se portent les chiffres du syndicat ?

Philippe Abergel : Nous sommes 3. Bientôt nous allons salarier un 4e permanent et les chiffres sont bons. Malgré des cotisations faibles, nous apportons le service que la profession attend. Pour vous donner une idée, une entreprise qui fait 300.000 euros de chiffre d’affaires va nous payer 300 euros par an d’adhésion. Les plus gros acteurs de la filière sont à 3.600 par an.

SLU : Très en dessous de ce que demande la plupart des organisations d’employeurs ?

Philippe Abergel : C’est une volonté à la fois de faire que le plus d’entreprises possible soient adhérentes, que le prix ne soit pas un blocage. C’est aussi une volonté de ne pas avoir, par rapport à d’autres syndicats, en gros 3 adhérents qui financent 50% du syndicat, ça limite la liberté d’action.

La représentation du CA est cohérente avec la sociologie de nos entreprises. On a à peu près 7 administrateurs sur 10 qui viennent de province, d’entreprises petites ou moyennes. On tient à ce que toute la diversité de nos entreprises soit représentée. Nous essayons vraiment d’être aux prises avec le terrain. D’ailleurs notre démarche sur la concurrence déloyale est une demande qui émane de toutes les régions.

Encore une fiche technique, dans la série Assedic sur l'incidence de la fin du “forfait” sur l'allocation journalière

Encore une fiche technique, dans la série Assedic sur l’incidence de la fin du “forfait” sur l’allocation journalière

SLU : Combien d’adhérents avez-vous ?

Philippe Abergel : On en a à peu près 200, sachant qu’il y a 450 labélisés. Un réservoir d’adhérents existe. Un grand nombre de sociétés sont ravies de l’existence du Label, d’autres se disent que, “comme la commission du label nous embête, on n’adhèrera pas au Synpase” par principe. Il y a toujours quelques petites résistances.

SLU : Par rapport au chiffre d’affaires de la profession, que représente celui de vos adhérents ?

Philippe Abergel : Une bonne partie, de 60 à 70%. Nous sommes représentatifs. On sent en plus que depuis un an ou deux, ça bouge. Nous avons de plus en plus de monde dans les AG. C’est un signe assez intéressant.

SLU : Vos mini cotisations ne représentent-elles pas un frein à votre efficacité ?

Patrick Fromentin : Mais justement, nous n’avons pas que les 3 et bientôt 4 permanents. Notre richesse ce sont aussi les administrateurs qui s’investissent de leur mieux. Il y en a qui donnent beaucoup. Il m’arrive de ne plus avoir le temps pour lire les choses qui sortent. Ca nous arrive d’être dans le rush, mais pour le moment nous répondons à tout. Le but c’est de pouvoir prendre un peu plus de recul, d’où l’embauche à venir. Ca nous fait parfois de grosses journées (sourire).

Les adhérents du Synpase bénéficient d'un service de protection juridique - Cliquez sur la photo pour accéder au pdf.

Les adhérents du Synpase bénéficient d’un service de protection juridique – Cliquez sur l’image pour accéder au pdf.

Ca nous arrive d’être dans le rush, mais pour le moment nous répondons à tout. Le but c’est de pouvoir prendre un peu plus de recul, d’où l’embauche à venir. Ca nous fait parfois de grosses journées (sourire).

SLU : Pas d’augmentation des cotisations ? La hausse des charges c’est très à la mode (rires) !

Philippe Abergel : Si, on a créé une tranche supplémentaire pour répondre au phénomène de regroupement qui fait que 4 entreprises qui ont adhéré au Synpase et deviennent une grosse structure, ne restent pas avec leurs 4 petites cotisations.
Cette nouvelle tranche est prévue pour les sociétés de plus de 15 millions d’euros de CA et la cotisation sera de 6.000 euros. Cela concerne 4 ou 5 entreprises.

Sans vouloir critiquer qui que ce soit, quand je vois ce qu’on produit à 3, je pense qu’on ne s’en sort pas mal par rapport à d’autres. Je pense que les gens qui nous côtoient au quotidien ont plutôt l’impression que le Synpase est un syndicat actif.


Le guide du Synpase, un outil destiné aux acheteurs de prestations techniques, publics et privés réunissant une mine d'informations sur les prestataires de services labellisés, fournisseurs de matériel, organismes institutionnels, centres de formation, le Label... Cliquez sur l'image pour le consulter

Le guide du Synpase – Cliquez sur l’image pour le consulter

Nous avons aussi mis en place, depuis deux ou trois ans, un service de protection juridique avec la Matmut, c’est-à-dire qu’il y a des juristes qui sont à disposition et un numéro spécial prestataire technique.

Tous les adhérents ont un code d’accès compris dans leur cotisation qui leur permet d’avoir accès à des juristes de façon illimitée, de poser des questions au quotidien.

En cas de contentieux, une protection juridique existe et ses frais sont pris en charge par l’assurance. Enfin nous avons aussi d’autres sources de revenu comme le paritarisme.

Nous éditons aussi un guide qui nous rapporte un peu de sous. On essaie de développer des initiatives pour asseoir la situation économique du syndicat sans pour autant taper le portefeuille des adhérents.
(Le guide du Synpase est un outil destiné aux acheteurs de prestations techniques, publics et privés réunissant une mine d’informations sur les prestataires de services labellisés, fournisseurs de matériel, organismes institutionnels, centres de formation, le Label…) 

Les problèmes récurrents

SLU : Quelle est votre position par rapport à l’existence de loueurs de matériel sans qu’il y ait de prestation technique ?

Patrick Fromentin : C’est à priori un service au service de nos entreprises en complément de parc pour des projets ponctuels. Le travers serait que nos entrepreneurs réduisent leurs investissements et se retrouvent dépendants des quelques sociétés spécialisées en location comptoir. C’est un risque dont notre milieu est conscient. C’est également un problème vis-à-vis d’individuels, de free lance ou d’intermittents qui peuvent ponctuellement monter des coups en louant du matériel facilement disponible et de qualité.

Philippe Abergel : On le constate, ça existe, tout comme le problème des parcs très largement subventionnés. On a des cas de parcs subventionnés à hauteur de 700-800 mille euros par an qui font 200.000 euros de chiffre d’affaires. Nous avons aussi quelques soucis avec des intermittents. J’ai eu un coup de fil ce matin justement sur ce sujet-là ; des techniciens qui ont créé un GIE et qui restent quand même intermittents alors qu’ils touchent des dividendes.

SLU : L’auto entreprenariat a aussi pris son envol.

Philippe Abergel : Tout à fait. Nous avons dès le départ alerté tous nos adhérents et tous les labélisés pour leur dire de faire attention au salariat déguisé, ce qui est patent dans 95% des cas. Le jour où vous ne voulez plus de cette personne ayant changé de statut, il attaque aux prud’hommes et est immédiatement réintégré. Et c’est vous qui devrez payer. Que dans 5% des cas un technicien son fasse un mixage de disque chez lui sur son PC et qu’il le facture en tant qu’auto-entreprise, c’est possible, mais si c’était un intermittent assez régulier et qu’après il se retrouve dans une équipe de techniciens en tant qu’auto-entrepreneur, on peut prouver très facilement que c’est un salarié. Nous tirons vraiment le signal d’alarme sur cet aspect.

Une fiche technique contrat de travail : le CDDU type

Une fiche technique contrat de travail : le CDDU type

SLU : Est-ce qu’il existe un retour d’expérience anonyme au Synpase, un peu comme cela est pratiqué dans l’aviation, où l’on peut raconter sa mauvaise aventure qui se termine bien ou pas trop mal afin que cela serve de leçon pour tous les autres pilotes ?

Patrick Fromentin : Le retour d’expérience existe lorsque des gens appellent et signalent des problèmes qu’ils ont rencontrés, et d’autres appellent pour savoir si des solutions existent pour régler des problèmes similaires. Ce retour se fait aussi ici au sein du conseil d’administration. Nous sommes tous bien insérés dans notre tissu professionnel et donc quand nous sommes 10 autour de la table, nous sommes représentatifs. Parfois on discute de problèmes pour savoir si d’autres les ont rencontrés, comment ça s’est passé, est-ce que c’est fini, comment. Cela peut être dans tous les domaines : technique, inspection du travail, contrôles fiscaux. C’est très large. Et c’est ce qui fait et ce qui nourrit le syndicat qui ensuite fait redescendre ces informations en disant “attention” !

SLU : Quels sont les sujets type qui reviennent souvent ?

Philippe Abergel : C’est à peu près toujours les mêmes sujets qui remontent : la non application du Label, l’application ou pas de la convention collective, la question des parcs, des responsabilités du donneur d’ordre qui parfois oublie qu’en sous-traitant, il est bien évidemment impliqué et co-responsable. Il y a la question aussi, plus délicate, de la boîte qui a la licence et croit qu’elle peut embaucher des intermittents pour faire de la prestation, alors que non. La convention collective est très claire sur le sujet. Une entreprise qui fait les deux doit avoir les deux : licence et Label. Quand on creuse les grilles de minima de salaire et qu’on voit que nos clients ont des grilles moyennes inférieures à 15% par rapport aux nôtres, on comprend que ce soit intéressant de ne pas prendre le Label et de ne pas appliquer notre convention collective pour faire de la prestation parce que c’est moins cher, tout simplement. Cela génère de la concurrence déloyale.

SLU : Est-ce que, pour l’ensemble de la profession, la chaîne des responsabilités est claire et lisible ? Est-ce que la loi elle-même l’est ?

Philippe Abergel : Oui, je pense que c’est plutôt cadré. Mais cette chaîne est souvent méconnue, et il n’y a pas forcément une vision globale. L’exemple qui revient souvent et qui est bien connu c’est le panier de basket qui tombe dans l’école. Le maire est responsable, mais globalement il y a toujours cette fausse impression qu’en sous-traitant on a moins de responsabilités, que c’est le sous-traitant qui va assumer la responsabilité, ce qui est faux.

SLU : Les prestataires selon vous sont au courant…

Philippe Abergel : On le leur rappelle souvent, et pour le coup, je pense qu’ils le savent. Et nos courriers types, qui sont d’ailleurs disponibles sur le site du label pour sensibiliser les donneurs d’ordres, rappellent bien qu’ils sont co-responsables de ce qui se passe. Et que prendre un prestataire sans Label et avoir des intermittents prêtés par une autre structure, c’est illégal. Dans ce cas, le donneur d’ordre est co-responsable des agissements de ses prestataires. Ca, on le rappelle souvent.

SLU : La société qui fournit de la main d’œuvre se rémunère comment ?

Philippe Abergel : Sur la main d’œuvre, en la vendant plus cher à des gens qui ne peuvent pas en disposer, ce qui permet d’avoir accès à l’intermittence hors champ, sans application des conventions collectives spécifiques. Le GUSO n’est pas aussi exempt de défauts comme le respect des minimas, des charges réduites ou encore l’embauche de techniciens sans présence d’artistes. On a suivi une employée du GUSO qui a répondu au téléphone à une demande hélas trop habituelle : « Bonjour, j’ai besoin d’un électricien intermittent du spectacle pour faire l’électricité de mon restaurant… ». Il y a des contrôles, mais pas assez, et 50% des déclarations qu’ils reçoivent ne sont pas dématérialisées. Cela facilite la fraude, fraude qui existe aussi quand on passe par une entreprise qui a la licence et qui se met à disposition des intermittents.

SLU : Est-ce que vous parvenez à garder au Synpase une bonne représentativité entre Paris et la province, entre les jeunes et les moins jeunes, entre les hommes et les femmes ?

Patrick Fromentin : Un président de région ce serait important bien sûr, plus de femmes à l’intérieur du Synpase ce serait important aussi parce que la profession se féminise. Pour le moment on en a une. Enfin pour ce qui est des jeunes, il y a encore du travail à faire. La profession est en train de se métamorphoser, est en train de rajeunir et de changer. Il faut donc qu’il y ait autour de cette table la juste représentation de ce qu’est la réalité de notre métier, par filière mais aussi par façon de voir les choses, sinon le syndicat va se retrouver en porte-à-faux assez rapidement, ce qu’il faut éviter à tout prix.
Ce qui compte c’est qu’il y ait une pérennité de ce syndicat au-delà des différents présidents et cela passe par les gens qui sont autour de la table et qui lui donnent son souffle. Il faut aussi maintenir quelques traditions comme celle d’une cotisation abordable et accessible qui ne soit pas un frein à l’adhésion. Enfin il faut aussi être capable d’ouvrir le conseil d’administration à d’autres horizons professionnels annexes ou connexes. Ce sera l’un des enjeux lors de la prochaine élection du conseil d’administration et le passage de flambeau de la Présidence.

 

 

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