Nous avons longuement détaillé les solutions techniques retenues par Laurent « Bellote » Delenclos pour mettre en son la tournée symphonique de Julien Clerc, place maintenant aux retours confiés à l’un des spécialistes français : Laurent Midas.

Première surprise, malgré le nombre de musiciens présents sur scène, c’est la technique du ear monitor qui a été retenue, de loin la plus simple et qualitative pour la façade mais parfois aussi mal acceptée par les artistes eux-mêmes, surtout les musiciens classiques.

Les retours en Ears
Une solution incontournable
SLU : Comment en es-tu venu aux ears. Ca été dur de tous les convaincre ?
LoMid (Laurent Midas NDC) : Au tout début, il y a peut-être un an, quand Bellote m’a mis dans la boucle, j’ai travaillé sur une option mix d’appoint avec des sides pour ajouter un peu de réverbération et mettre tout le monde dans une ambiance acoustique de salle ”classique”. Un mois et demi avant de partir en tournée, on m’a appelé pour me dire qu’il y aurait un click et des séquences ce qui a rendu mon choix initial non viable. En discutant avec le Chef d’orchestre et le chef des cordes, ce dernier étant un peu aussi le manager de l’orchestre, j’ai donc décidé de donner des ears à tout le monde.
SLU : C’est un choix très qualitatif…
LoMid : Oui mais c’est dans la droite ligne de ce qu’ils veulent : un son studio où il soit possible de faire passer des séquences…
Bellote (qui nous a rejoints aux retours) : Il ne faut pas oublier qu’au départ il y a eu un doute quant à l’épaisseur, la masse sonore d’un orchestre de quarante pièces et, en sécu, il a été prévu bon nombre de séquences pour gonfler le rendu final, par exemple des cordes. Au final il ne reste quasiment plus rien et le résultat est bon tel quel.

LoMid : Le choix de Bellote de la proximité dans la captation de l’orchestre remplit moins qu’un couple ou deux couples au-dessus des instruments mais si tu veux avoir du niveau dans le grave, il n’y a pas trop de solutions. J’ai donc chiffré le coût d’une option 100% ears sans être convaincu que la production nous suive. Je suis parti sur une solution médiane évitant de mobiliser plusieurs consoles, ce qui financièrement ne serait pas passé, et j’ai misé sur la technologie Garwood auprès de Da capo, une société néerlandaise spécialisée dans l’amplification des orchestres classiques. On aurait aussi pu choisir un système similaire chez Fischer Amps mais il ne dispose pas du même nombre d’entrées que le Garwood et cela aurait été très risqué de tout changer quelques jours avant de partir. On a testé durant les répétitions la solution Da capo avec huit pupitres, en pensant partir avec le double de boîtiers distributeurs pour mieux affiner le mix par pupitre mais en fin de compte on est resté, pour diverses raisons, avec cette solution plus basique. Je sors donc huit mix stéréo de ma console que j’adresse aux distributeurs qui eux alimentent autant de boîtiers amplificateurs que nécessaire.
SLU : Tu délègues donc une grosse partie du boulot aux musiciens eux-mêmes..
LoMid : En quelque sorte oui. Je commence par créer un mix par pupitre, comme par exemple les V1, V2, et aide les musiciens à trouver un équilibre qui les satisfasse entre eux. Ce qui marche par exemple bien sur les violons est plus délicat sur les pupitres de cuivres où les trompettes, les trombones et les cors ne jouent pas du tout pareil, et ne veulent pas s’entendre de la même manière. Cela génère au quotidien des demandes totalement opposées.

SLU : Effectivement pour satisfaire tout le monde…
LoMid : Il m’aurait fallu deux PM1D ou trois Vi pour disposer d’autant de départs , et sur ma Vi je n’en ai que trente deux. Même si j’avais eu une table avec plus de sorties, à un moment il faut se rendre à l’évidence, t’as qu’un cerveau et je n’aurais pas eu le budget pour en avoir deux. N’oublions pas non plus que faire des retours c’est savoir gérer un musicien en lui donnant ce dont il a besoin mais sans se laisser déborder. Quand ce dernier sait que tu fais un mix rien que pour lui, tu vas avoir du courrier ! (rires !). Dans notre kit, comme ils savent qu’ils ne sont pas seuls sur chaque mix, ils font avec, et ça se passe bien.
SLU : En dehors du budget, aurais-tu eu le temps de préparer les retours individuellement ?
LoMid : Non, je ne pense pas. Nous avons eu trois jours de répétitions, enfin, un de montage, deux de répétitions et un show. Je n’aurais pas eu le temps de tout caler.

SLU : Elle marche comment cette boiboîte Garwood ?
LoMid : Elle comporte trois entrées distinctes : une stéréo prévue pour le mix en provenance de la console retours, une seconde mono pour un click et enfin une entrée micro dans laquelle est injecté le capteur de chaque musicien en provenance du patch où il est dupliqué à cet effet. Il peut donc doser à sa guise la quantité d’orchestre, de click et enfin de son propre instrument dans les oreillettes.
SLU : Comment se fait-il qu’un orchestre classique ait un click ?
LoMid : Il est envoyé par le batteur qui est maître vers l’ensemble des musiciens, chef d’orchestre inclus. C’est important en classique afin que tout le monde soit bien dedans et c’est une demande que j’ai respectée car l’artiste n’aime pas quand ça ne joue pas carré.
SLU : Les musiciens s’en sortent bien avec autant de réglages sur leur boîtier individuel ?
LoMid : On leur explique comment ça marche et ça roule, sauf parfois où l’on trouve des amplis avec click et micro à fond et niveau général au mini pour compenser. Il en résulte que le signal stéréo de tout le pupitre est inaudible ! Certains touchent, d’autres pas. Quoi qu’il en soit, j’envoie très vite mes lieutenants écouter sur place ce qui rentre dans leurs oreilles car depuis ma console je ne peux rien faire ou presque. Un autre avantage de ce boîtier c’est qu’il y a deux prises casque. On peut donc écouter facilement sans déranger. Garwood a pensé à tout avec ce modèle mais qui est malheureusement assez vieux et du coup fragile, sujet à de nombreuses petites pannes.
SLU : Tu nous as dit faire huit mix filaires mais je vois que tu as huit autres mix HF..
LoMid : Oui, j’envoie mes 8 mix stéréo vers le système Da capo et les autres vers des émetteurs HF pour le patron, le percussionniste, le chef d’orchestre, le batteur, Alain Lanty au piano, un spare et le backline.

SLU : Est-ce que tout le monde porte les deux oreillettes à la fois ?
LoMid : Non pas tout le monde. Quelques cuivres et bois les mettent mais tu as raison, ils ne sont pas très nombreux en définitive, sur quarante ils doivent être une dizaine. Ils ont un rapport à l’instrument qui est trop fort pour s’en couper totalement.
SLU : Da Capo a fourni quoi exactement ?
Bellote : Ils ont fourni l’ensemble des boîtiers Garwood avec leurs petits pieds supportant deux boîtiers à la fois, les alimentations et les multipaires en Socapex qui permettent de tout ramener à un seul point placé derrière la batterie, au centre du plateau. Cela simplifie d’autant le câblage puisqu’il suffit d’alimenter ce rack spécifique avec les mix stéréo par pupitre, le click et les micros individuels splittés à cet effet, et tout repart avec l’alimentation vers chaque boîtier. Da Capo est une toute petite boîte néerlandaise très spécialisée et à laquelle j’ai personnellement déjà fait appel aussi pour les Victoires de la Musique.

SLU : J’ai vu avec Bellote que vous avez fait le choix de partager les préamplis de sa Studer en sacrifiant la redondance.
LoMid : Oui mais tu sais, il y a tellement d’autres choses qui peuvent tomber en panne qu’il faut accepter un petit risque qui par ailleurs nous apporte une qualité audio parfaite. On est tous les deux en MADI avec notre propre horloge ce qui ne pose en plus aucun problème, pas de click ou de dégradation du son, rien. Les problèmes surgissent toujours là où on ne les attend pas. J’ai un jour perdu un combineur HF dont le fusible a lâché sans raison apparente. Le temps de comprendre ce qui se passait, pourquoi certains faisaient de grands signes et d’autres pas, pourquoi nous-mêmes n’avions quasiment plus rien, c’était juste la guerre atomique ! J’ai vite basculé les émetteurs les plus importants sur le second combineur, en sacrifiant nous, le pfl, les choristes et en ne laissant que basse, batterie, guitares et chanteur, l’essentiel quoi !! Depuis, je ne remplis plus jamais un combineur et je pars toujours avec une unité en spare !!

Earsonics SM3 pour tous les musiciens : royal !
SLU : Je vois que les musiciens ont été gâtés ! Dans leurs oreilles ce sont des SM3 d’Earsonics..
Bellote : Oui absolument. Ça leur fait tout bizarre et c’est un grand luxe car habituellement ils ne disposent que des ears, certes universels, mais à une voie et pas des trois voies comme sur cette tournée. Ils sont très fidèles et restituent bien la qualité délivrée par les micros DPA.

SLU : Et ces fameux EM4 et EM6 ?
LoMid : C’est de la bombe. Il est vraiment fort ce Franck (Lopez, créateur des modèles et gérant d’Earsonics NDC). Il a en plus sorti d’excellents amplis casque en commençant par celui pour baladeur. Je lui ai alors demandé de m’en faire un pour la scène, capable de remplacer les vieux PSM600 XLR, et faire plaisir aux batteurs et autres musiciens statiques qui veulent avoir le gros son. Le résultat est très bien ! Je ne l’ai pas éprouvé encore sur scène pour tout ce qui est pannes, faux contacts et mauvais traitements, mais d’un point de vue du son, on est au niveau de mon Grace Design m904 (qui sonne très bien NDC). Ça reste un produit cher à 599€ TTC mais le rendu audio est ce que j’appelle du pur classe A avec des qualités intrinsèques comme la qualité du timbre ou la dynamique. Il a pris le temps mais il a réussi son coup.

SLU : Et les casques ?
LoMid : Ecoute, ce que j’ai là au bout des oreilles, ça fait quinze ans que je l’attendais.
SLU : Tu parles de l’EM4 ou de l’EM6 ?? On lit çà et là qu’ils sont en définitive assez différents.
LoMid : Ah bon ? Non, pas pour moi. L’EM6 a plus de drivers et délivre un headroom supérieur, c’est tout. Je n’ai peut-être pas les oreilles assez fines pour m’en rendre compte (C’est c’la oui, oui, oui…NDC) ou bien c’est une histoire de goût ou d’avis mais, en ce qui me concerne, les deux sont aussi bons. Pour te dire à quel point ils se ressemblent, j’ai une paire d’EM4 que j’utilise pour le plaisir et une paire d’EM6 pour le travail. Avant-hier j’ai passé un coup de fil avec du bruit et j’ai donc enfilé les EM4 pour entendre mon interlocuteur, inutile de te dire que j’ai complètement oublié ce que j’avais dans les oreilles et j’ai fait le show avec. Au moment de ranger mon matériel j’ai pris la boîte de l’EM6 qui était…pleine. Voilà ma réponse à ceux qui entendent des trucs radicalement différents.
SLU : Il semble pourtant que les doubles drivers de l’EM6 donnent un son différent dans le haut mais à la fois plus travaillable par la réserve dynamique supérieure…
LoMid : Je vais te donner l’historique tel que me l’a raconté Franck, tu comprendras. Il a commencé par faire l’EM4 en remplacement de l’EM3-Pro. C’est un trois voies avec quatre drivers. J’ai eu la chance de l’écouter et de partager avec lui son développement, et Nico d’Amato l’a testé quelque temps en tournée. C’est là qu’un léger manque de headroom s’est fait sentir au niveau du driver en charge du médium : un secteur crucial. On en a discuté avec Franck, et presque sur le ton de la boutade je lui ai dit ”..bin, fais l’EM6, double les drivers partout !” Deux jours après il m’a rappelé pour m’annoncer que l’EM6 était dans les tuyaux. Une fois qu’il a validé le montage, il a commencé le travail d’accord et de réglage sonore afin de faire en sorte que l’EM6 ait le même rendu que l’EM4 et ce n’est pas tout à fait pareil…
SLU : (rires !!) Ahhh raconte !!
LoMid : En fait l’EM4 est à mon sens un poil trop smooth. Le vrai son, celui que je retrouve quand j’enlève mes ears et que j’écoute mes enceintes, je l’ai avec l’EM6. Pour moi ce casque c’est la vérité. Il offre de plus un boost dans le bas aux alentours des 70Hz ce qui me convient parfaitement là où dans l’EM4 on le retrouve moins bien placé, vers 100-110Hz. A choisir je prends donc l’EM6 ce qui ne m’a pas empêché de mettre le « mauvais » casque et faire tout le show avec !! Du coup Franck dispose maintenant de deux références, une apte à reproduire la musique masterisée et une autre faite pour la scène et sans aucun compromis de niveau.
SLU : Ça prouve déjà que tu n’écoutes pas fort !
LoMid : C’est sûr que si je m’allumais la tête je l’aurais remarqué tout de suite car ça crunche.
SLU : Pour terminer tu nous as parlé d’une télécommande déportée pour ta table..

LoMid : Oui, je dispose en version beta d’un soft pour iPad qui prend la main en wifi sur la Vi6, et qui est déjà bien complet tel quel même s’il va évoluer dans le futur vers un contrôle total. Pour le moment on n’a pas accès à l’égaliseur d’entrée et au compresseur de chaque tranche mais quasiment tout le reste est modifiable à distance, notamment au niveau des sorties et des EQ 31 bandes ce qui me permet de travailler les wedges beaucoup plus facilement sur scène. Cette application a mis du temps à sortir puisque au départ elle avait été conçue pour un iPhone qui s’est révélé trop petit en termes d’écran, d’où la version iPad refaite à partir de zéro. Elle risque d’ailleurs d’être exclusive à l’univers mac. Autre détail important, le DSP n’accepte d’être piloté que par une seule surface de contrôle à la fois, si l’iPad est déclaré, c’est lui qui a la main. A terme cela aussi devrait évoluer.