Skalar métamorphose Kraftwerk avec un éclairage de Pointe

L’anticipation, la colère, le dégoût, la peur, la joie, la tristesse, la surprise, la confiance, voilà les huit émotions primitives* qui sont exprimées et vécues au cours de Skalar, une singulière et fascinante œuvre d’art créée par l’artiste designer Christopher Bauder et le musicien compositeur Kangding Ray.
*Ce sont les 8 émotions de base selon la classification de La théorie psycho-évolutionniste des émotions de Robert Plutchik. Il pensait qu’elles étaient primitives sur le plan biologique, et qu’elles avaient évolué pour faciliter l’adaptation de l’animal sur le plan de la reproduction. Il a défendu leur primauté en montrant que chacune d’elles déclenchait un comportement d’une grande valeur de survivance : par exemple, la peur inspirait la réaction de fuite ou de combat.
Quatre-vingt-dix Robe Pointe, 65 miroirs à double face accrochés à 195 moteurs spéciaux, bordés chacun d’un cercle de 180 pixels adressables… dans un bâtiment industriel historique massif comme une cathédrale.

L’aspect audacieux de ce décor plutôt cool est Kraftwerk «l’usine» à Berlin, l’écrin encore resplendissant d’une centrale électrique désaffectée qui alimentait jadis le centre de Berlin-Est, à l’époque où la ville était divisée par la politique de la guerre froide… impressionnant par sa taille et magnifique par sa sévérité. Skalar juxtapose la technologie et la fantaisie dans une dichotomie cérébrale pour inciter l’imagination et l’esprit à provoquer les réactions très humaines, les émotions les plus profondes.
Au niveau conceptuel, le point de départ de Christopher était la « roue des émotions » du célèbre psychologue américain Robert Plutchik, mais au niveau physique, c’était Kraftwerk lui-même. Le fait d’avoir travaillé là il y a quelques années a suscité l’ambition de faire quelque chose de gigantesque et passionnant avec la lumière et l’espace. Il a pressenti que l’environnement se prêtait naturellement à être glorifié par un travail d’une dimension épique.

Skalar occupe l’ancienne salle des turbines au troisième étage, qui offre un espace de présentation gigantesque de 100 mètres de long sur 40 mètres de large… avec 25 mètres de hauteur sous plafond. C’est presque par hasard que l’occasion s’est présentée lorsque l’équipe de Kraftwerk a pris contact pour annoncer que le lieu était disponible pour le mois de février. Le délai était court à ce moment (c’était en novembre), et cela a galvanisé Christopher dans un plan d’action : Skalar était né.

L’idée était également d’impulser des projets d’ingénierie innovants, à savoir un système de treuil sur mesure et un logiciel de contrôle de spectacles, sur lesquels il travaillait avec sa société Kinetic Lights. C’est son autre société, l’atelier de design WHITEvoid, qui a produit l’événement, alors que la coordination technique et la fourniture du matériel passait par Kinetic Lights.

Dès le démarrage effectif du projet, Christopher savait déjà qu’il voulait utiliser les Robe Pointe comme LA source du faisceau qui allait s’associer et fonctionner avec le système de miroirs. C’était donc parfaitement logique pour lui de rencontrer Robe qui était par ailleurs extrêmement désireux de devenir un partenaire technique, et était ravi de cette occasion de s’aligner sur un projet passionnant et innovant. Ce travail autonome s’est aussi associé à l’édition 2018 du Festival CTM de la musique et de l’art d’aventure de Berlin pour sa première semaine, mais il s’est poursuivi durant trois semaines supplémentaires par la suite.

Christopher et David Letellier (Kangding Ray) savaient qu’ils devraient adapter leur travail avec précision pour s’intégrer parfaitement dans le bâtiment. « Ce n’est pas un endroit où l’on peut négocier », a expliqué Christopher. « L’affaire, c’est qu’il faut s’embarquer et le traiter avec tout le respect qu’il mérite, trouver des solutions aux problèmes comme les temps de réverbération et le montage particulier qu’il demande ». Être capable d’y travailler, c’était plutôt une sorte de privilège.
Dans Skalar, Christopher souhaitait que le public s’immerge dans l’univers sonore et visuel créé par l’installation et ressente les émotions en réaction directe à l’œuvre, sans perdre de vue que chacune serait complètement unique selon le décor et l’environnement, chaque individualité portant dans l’équation les caractéristiques essentielles de sa propre personnalité.

Le système de miroirs est fixé au plafond de l’espace et les projecteurs sont disposés tout autour sur trois côtés : 75 Pointe sont fixés aux murs sur des échelles et 15 sont montés sur trois poutrelles verticales au sol au milieu. Cette installation dynamique permettait à Christopher de mélanger et de plier les lumières dans de nombreuses directions.
Ce qui l’intéressait particulièrement, c’était la relation entre les faisceaux directs, provenant directement des projecteurs vers les miroirs et les faisceaux secondaires, réfléchis par les miroirs. La différence de résonance et de qualité des faisceaux modifie la perception et donc les réactions de chacun, et les expériences sensorielles qui en résultent.
Chaque miroir est contrôlé par trois treuils qui fournissent un débattement vertical de 7 mètres plus une orientation en pan et en tilt. Ils peuvent ainsi se déplacer d’une manière étonnamment douce suivant les axes X, Y et Z avec des mouvements tridimensionnels fluides. Le déplacement des miroirs est contrôlé par ArtNet via la plate-forme logicielle propriétaire KLC de Kinetic Lights et l’ensemble du système entier est connecté en réseau.

Pour le choix de la source lumineuse, Christopher voulait quelque chose qui soit brillant, précis et lumineux. Il voulait également un projecteur dynamique doté de nombreuses options pour modifier le faisceau, mais qui soit aussi petit et précis en termes de répétabilité de repérage dans un grand espace. « En plus de la précision des signaux d’éclairage, il nous fallait un projecteur avec des couleurs parfaitement calibrées qui s’accordent parfaitement. Il fallait qu’il soit rapide, facile à manipuler et à programmer… et disponible immédiatement. Si on ajoute la netteté et la clarté de la lumière émise par le Pointe, tout cela le rendait parfait pour cette installation ».

Dans Skalar, on utilise aussi le Frost et la fonction stroboscope à fréquence réglable. En fait, la plupart des fonctions des Pointe sont utilisées tout au long du spectacle Skalar quoi tourne en boucle en plus des quatre concerts spéciaux. On peut même y apercevoir des gobos, utilisés pour créer du volume dans l’espace.
Les données DMX sont converties à partir du réseau ArtNet puis intégrés dans l’ordinateur KLC, où Christopher et son équipe ont programmé une série de traitements, depuis la joie ludique qui ouvre les cœurs à un bout de l’échelle jusqu’à la colère noire et obscure à l’autre, qui sont restitués en temps réels sous forme de cues durant la lecture, déclenchés par les touches MIDI du système Ableton Live qui exécute la piste principale.

Un scénario pour le spectacle principal en boucle de 45 minutes évolue à travers plusieurs textures et les niveaux d’engagement émotionnel. Seules quatre des huit émotions sont réellement impliquées dans ce spectacle à un moment donné, et elles s’expriment dans la mélodie sous forme de changements, de montées, de descentes, de variations d’intensité, etc. Christopher et David réalisent également quatre spectacles spéciaux Skalar où ils manipulent les sons et les visuels en live. Ces représentations sont plus intenses et utilisent toute la gamme des huit émotions et les traitements d’éclairage et de son qui leur sont associés. Les résultats ont été pesants.

Les actualités de l’installation se sont d’abord répandues sur les réseaux sociaux et par le bouche-à-oreille au niveau international comme à l’échelon local autour de la ville (une communication qui a beaucoup attiré l’attention sur les racines de Christopher dans le spectacle underground). Puis elles ont attiré l’attention des médias traditionnels. Pendant ce temps, les gens affluaient à Kraftwerk pour faire l’expérience du spectacle qui tournait tous les jours. Tous les concerts étaient complets. Skalar est une autre expression de la façon dont on peut utiliser la lumière pour communiquer positivement avec les gens d’une manière divertissante, bien que légèrement abstraite. Tout ne doit pas être évident ou linéaire !

Les 90 Pointe ont été fournies en location sèche à Kinetic Lights par la société de location Motion de Feurth. Les générateurs de brouillard ont été fournis par Look Germany, et le puissant système audio Kara/Arcs de L-Acoustics venait de chez Complete Audio. Le système d’accrochage au plafond a été réalisé par les installateurs de Kraftwerk Satis & Fy, et la structure supportant le système de treuils a été fournie par Lichtblick à Berlin.

Skalar a remporté un succès tel que Christopher aimerait bien en faire une tournée internationale… L’idée d’écumer le monde pour trouver des espaces industriels imposants pour le présenter n’est qu’une des nombreuses choses qu’il se délecterait de partager avec un plus large public.
Et plus d’infos sur le site Robe

A propos de Christopher Bauder
Christopher Bauder a étudié le design visuel à l’Université des Arts de Berlin. Artiste prolixe, c’est un concepteur et un ingénieur qui travaille dans les domaines de l’art de l’éclairage et de l’installation, de la conception des médias et de la scénographie. Il se concentre sur la conversion des bits et des octets en objets et environnements, et vice versa. L’espace, les objets, le son, la lumière et l’interaction sont des éléments majeurs de son travail. En 2004, il fonde le studio d’art et de design multidisciplinaire WHITEvoid, spécialisé dans l’interactivité, les médias, l’architecture d’intérieur et l’ingénierie électronique.

Le travail de Christopher a été présenté dans de nombreux événements et espaces internationaux, notamment au Centre Pompidou à Paris, au MUTEK à Montréal, à la Fête des Lumières à Lyon, au Musée national des Beaux-Arts de Taiwan et au Centre national des arts du spectacle de Pékin. Il est connu pour son inoubliable installation « LICHTGRENZE » [frontière lumineuse] de la ville de Berlin, comprenant 8 000 ballons lumineux, qu’il a créée en 2014 avec son frère Marc pour célébrer le 25e anniversaire de la chute du mur de Berlin. Les ballons lumineux remplis à l’hélium ont tracé les 15 kilomètres de l’empreinte du mur dans le centre-ville, et ont été lâchés dans une séquence chorégraphiée pour célébrer la liberté, l’unité et la puissance de l’esprit humain.

Plus d’infos sur le site Christopher Bauder et sur le site Whitevoid

Crédits - Texte : Robe – - Traduction : Jean-Pierre Landragin - Photos : © Louise Stickland

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