Yamaha System Designers Conference : L’immersif à pas de géant

La dernière édition du System Designers Conference, cet indispensable rendez-vous annuel organisé par Yamaha cette fois-ci à Prague, a laissé percevoir ce que pourrait être le son en salle de demain. Ça nous a donné envie de rêver à l’outil improbable, imparable et inutilisable !

Ce qui n’a démarré en 2008 qu’avec moins d’une vingtaine de designers à Wiehl en Allemagne s’est transformé au fil des années en référence audio annuelle.

Le thème de la dernière édition qui s’est tenue durant deux jours à Prague en Tchécoslovaquie face à la crème des gens de l’audio a été le son immersif, sous toutes ses formes et aspects, un sujet presque à la mode tant l’emploi de multidiffusions avec positionnement des sources par objet prend de l’ampleur. Les grands fabricants de systèmes de diffusion y trouvent leur compte et proposent des matrices et des designs qui permettent de fournir un rendu convaincant qui commence à séduire artistes comme producteurs et tourneurs.

Des fabricants plus spécialisés proposent des matrices immersives « ouvertes » qui font le bonheurs de certains théâtres et créateurs. Le public sans être encore conquis, découvre l’apparition d’une spatialisation frontale et parfois au-delà, construisant infiniment mieux le paysage sonore de sources complexes comme un symphonique. Les pros saluent la quasi disparition des interférences, une définition très supérieure à toutes les fréquences, un grave précis et mieux distribué et la possibilité de jouer à un SPL moindre tout en obtenant des sensations égales.

Le très joli complexe O2 universum de Prague abritant deux salles, une moyenne et une très grande jauge, toutes deux équipées en NEXO.

Au cours des 48 heures de conférences et de démos, nous avons retrouvé tout ceci, mais bien plus encore. On a pu imaginer, extrapoler ce que pourrait être une sorte d’outil total, ce terme englobant la mise en forme du signal via le couple console + matrice, l’amélioration électroacoustique du son de la salle elle même, la gestion des mouvements dans cette dernière et enfin la diffusion de puissance pour atteindre le niveau de pression requis pour basculer en mode « spectacle ». On nous a donné les ingrédients de l’audio de demain qu’il a été impossible de ne pas associer dans une sorte d’outil complexe, modulaire et n’existant pas, mais qu’on s’est fait un malin plaisir d’imaginer.

Le but des Sound Designers Conferences expliqué par Nils-Peter Keller, Directeur Pro-Audio & AV Groupe de Yamaha Music Europe. Lors de la prochaine édition, il sera ajouté à la fin « but don’t make dumb projects »

Verra-t-il le jour, présente-t-il le moindre intérêt technique et encore plus commercial, rien n’est moins sûr, mais rendons à César ce qui est à Yamaha, année après année les System Designers Conferences donnent des ailes au cerveau et une folle envie de penser au coup d’après. On s’y risque.

Pour schématiser, on dispose aujourd’hui d’un écosystème immersif assez standard et basé sur la mise en forme et le mélange des sources en clair la bonne vieille console, puis la spatialisation via des objets à l’aide d’une matrice externe ou bien des plugs spécialisés et enfin la diffusion à l’aide d’un système renforcé en nombre de boîtes et répondant à une stratégie précise.

Tout a été donc fait pour que les prestataires comme les opérateurs puissent basculer le plus simplement possible du gauche/droite vers l’immersif, ce terme regroupant le frontal comme des configurations beaucoup plus complexes.

La salle ceinturée et couverte par 52 ID24 de Nexo, ici la ceinture basse.

On fait aussi en sorte de fournir un mixdown stéréo plus ou moins convaincant d’un travail par objets pour simplifier l’exploitation changeante de salle en salle.

En parallèle et depuis plus de 30 ans, Yamaha étudie le moyen de manipuler et améliorer à l’aide d’un système électronique, l’architecture sonore d’un espace, un procédé qu’elle appelle AFC pour Active Field Control. Arrivé à sa quatrième itération dite AFC4 et disposant d’une puissance de calcul et d’algorithmes inédits basés sur des filtres FIR, il a atteint une maturité et une plénitude sonore tout à fait saisissantes.

Une vue très simplifiée de ce qu’il est possible de faire avec AFC4 dans un stade où, pour permettre de rendre intelligibles les annonces, d’y donner des concerts, ou de mieux protéger le public des intempéries, la couverture des gradins a été modifiée, en atténuant les effets naturels d’amplification des tifos. Ces derniers sont donc captés et réinjectés pour partie avec ajout de premières réflexions et allongement du TR. Bien entendu, ce système doit être exploité à niveau égal dans les tribunes visiteurs ;0)

Des caractéristiques comme la construction de premières réflexions apportant une meilleure intelligibilité et densité au son d’une salle, la gestion séparée du rendu sur scène ou par exemple sous-balcon et plus encore la possibilité de ne pas cantonner l’ensemble de haut-parleurs nécessaires à la création d’une nouvelle acoustique à cette seule tâche, ouvrent de nouvelles perspectives. Il est désormais possible de se servir de la matrice aussi pour diffuser des voies de surround, des effets spéciaux ou encore pour renforcer l’ambiance de supporters et en améliorer l’expérience dans un stade.

Mais ce n’est pas tout et c’est la que ça devient intéressant. AFC4 peut aussi gérer, via la réception de coordonnées, le déplacement de ces sources dans l’espace. Une démo convaincante a été réalisée dans la salle équipée à cet effet dans la zone de réception de l’O2 universum qui nous a accueillis cette année.

La salle de démonstration d’AFC4. Les deux rangs de sièges sont volontairement décollés des côtés pour permettre un meilleur mélange entre les premières réflexions issues plus des ID24 latérales et la réverbération qui provient de celles du haut. Ça c’est la théorie. En pratique on baigne dans une autre salle.

500m2 matifiés par d’épais pendards et moquette au sol mais laissés libres de respirer en hauteur, ont été équipés de 12 micros omni et cardio pendus, les premiers pour générer la réverbération et les seconds pour les premières réflexions.
52 ID24 Nexo ont été accrochées en périphérie pour principalement restituer les early ref, et au plafond pour plus de réverbération. Enfin 8 subs S110 veillent sur les côtés, derrière les rideaux.

Les S110 alignés derrière les pendards car une belle réverbération descend et les ID24 pas trop. Gros avantage, ici elle peut être naturellement dosée.

Comme nous l’a expliqué Joe Rimstidt, AFC Systems Application Engineer, AFC4 utilise l’acoustique naturelle des lieux où il est déployé en l’enrichissant et en allongeant naturellement son TR (maximum le double du TR naturel de la salle) tout en respectant un dénominateur sonore commun quelque soit le preset programmé. Si l’on veut plus, un moteur de réverbération extrêmement puissant permet des temps plus longs encore.

On nous a donc proposé une ambiance de salle vivante et prolongeant en quelque sorte la voix pour le speech d’introduction, puis une salle plus proche d’une chapelle pour écouter un quatuor à cordes jouant en direct. Enfin le chef dudit groupe a été équipé d’un violon muet repiqué en HF et Tracker et s’est baladé dans la salle, parfaitement suivi par le son de son instrument.


Joe Rimstidt et Dai Ashimoto très sérieux juste avant de faire des lancers de basechicken.

La blague ultime a été de se lancer entre Joe Rimstidt et Dai Ashimoto, Acousticien du Spatial Audio Group de Yamaha, une peluche de poulet caquetant afin de démontrer les capacités et la fluidité du suivi d’un objet se déplaçant rapidement au dessus des têtes. Et ça marche sans bruits étranges autres qu’une salle qui se marre. Peut-être a-t’on remarqué un léger retard dans les mouvements, mais qui peut tout aussi bien être imputé au tracking.

L’effet visuel n’est pas dû au son !

Magnifique travail aussi dans la création d’une salle très crédible et permettant au Prague Music String Quartet de s’exprimer pleinement. Même le preset cathédrale passe bien les yeux fermés.
Quand on les ouvre, l’incohérence entre l’espace et le son gâche un peu le plaisir. On est quoi qu’il en soit à des années lumière des débuts d’AFC et de tout procédé d’enrichissement via une simple réverbération, aussi belle soit-elle.

Et ses développeurs parlent déjà de faire varier la nature des premières réflexions en fonction des déplacements de la source dans la salle. Signalons enfin que si la programmation d’AFC prend de 3 à 5 jours dans une salle, les équipes de Yamaha n’ont eu que 6 heures pour le faire à Prague…Et pourtant ça sonne. Chapeau les artistes !

Le Prague Music String Quartet qui aura égayé la conférence et aura donné pour les 300 invités un concert privé dans l’une des salles d’apparat de l’Opéra de Prague. On sait recevoir chez Yamaha. Remarquez aussi le micro placé devant le quatuor. Certains en ont profité pour effectuer quelques captations très larges…

Il est donc désormais possible d’utiliser ces nouvelles ressources de façon créative pour, non seulement mixer du son dans une salle, mais « faire » aussi une salle pour y mixer un son en lui donnant la meilleure légitimité et ambiance.

Revenons maintenant aux matrices hardware et aux plugs qui spatialisent par objets le son. Comme nous l’avons vu, ils s’insèrent en numérique dans des consoles standard récupérant les sources individuelles ou des groupes de sources pour en faire des objets qu’il sera possible ensuite de placer et même d’automatiser manuellement ou en suivant les instructions fournies en OSC via divers procédés.

4U très discrets mais capables de faire des merveilles. Les calculs d’AFC4 se passent dans ce rack.

Ces mêmes objets aboutissent in fine à un nombre de sorties défini et routé vers les contrôleurs amplifiés et les enceintes correspondants.
Certaines consoles disposent d’un plug permettant d’avoir la main sur la spatialisation qui sera appliquée dans la matrice ce qui évite de quitter la console des yeux pour bouger quelque chose, mais pour le moment il est plus fréquent de voir se constituer des binômes mixeur plus technicien immersif, ce dernier pouvant être l’ingé système ou l’assistant FOH sur une tournée.

Les matrices de son immersif de 1ère génération et celles de création d’une acoustique calculée qui en sont à la 4è pour Yamaha ont donc entamé une forme de rapprochement.
Là où les premières savent ajouter une part d’ambiance via des moteurs à convolution à leur travail de spatialisation des objets sonores, la seconde s’encanaille et ouvre la porte à l’insertion d’un certain nombre de canaux « directs » (jusqu’à 24) via des objets capables qui plus est, de suivre un mouvement, tout en fournissant une ambiance de très haute qualité.

Le mixage en gauche/droite ou rien

Le seul élément qui évolue mais de manière plus -tranquille- est la console de mélange. Quand on y pense, en dehors du passage au numérique, de la séparation entre les étages d’entrée/sortie et la surface de commande et de calcul et l’apparition de nombreux systèmes de transport de signal, le système est resté sensiblement le même.

Imaginez chacun de ces faders gérant un ou un groupe d’objets et qui, sur option, verrait le niveau de chaque envoi vers le système affiché sur les vumètres avoisinants en fonction du routing choisi.

On a beaucoup d’entrées, désormais beaucoup d’effets intégrés, mais le tout revient toujours à un mix standard stéréo parfois doublé et un mono, plus un nombre variable de bus de sortie et d’inserts. Quand on regarde les besoins propres à l’immersif, le format actuel des consoles de mélange ne peut y répondre de manière satisfaisante et conduit à travailler d’une façon hybride sans avoir la main sur les niveaux des objets et surtout sur les groupes d’objets afin de maîtriser leur dynamique très importante une fois en l’air et dans l’air.

La question se pose donc tout naturellement, pourquoi ne pas mixer directement dans un moteur qui cumulerait le travail de console et de matrice d’immersion en ayant sous les doigts les objets principaux ou les groupes d’objets…

De nombreux modèles de consoles sont bâtis sur le triptyque surface + moteur + stage i/o. Il serait donc possible de concevoir un nouveau système dédié à l’immersif et disposant d’un moteur plus puissant pouvant gérer aussi le calcul propre au travail par objet et, pourquoi pas, lui donner aussi la troisième capacité, celle de créer de manière encore plus convaincante l’acoustique de certaines salles en fonction des besoins.

Un des tout derniers et très gros moteurs du marché, le RX-EX de Yamaha. 288 voies d’entrée, 72 sorties, 36 matrices et 512 instances d’effets.

La surface de ce nouveau système devrait, à l’instar des consoles lumière, être entièrement programmable, des entrées aux sorties, avec la possibilité de travailler librement en ayant comme but de créer autant d’objets et de groupes d’objets que possible sur lesquels on aurait totalement la main. Après les VCA et les DCA, place aux DCO, Digital Controlled Objects.

Elle devrait naturellement raccorder sur des stages, des serveurs d’effets, des ordinateurs pour enregistrer et restituer pistes ou objets via des ports aux formats usuels (Dante/AES67, MADI…) accepter de l’OSC pour les mouvements, du Time Code pour être raccord avec des séquences ou des effets lumineux ou spéciaux, mais aussi émettre et recevoir du midi pour d’éventuels effets externes.
Ce système devrait être en mesure de façonner des sources prêtes à être gérées dans l’espace comme une console normale. Mais comme elle aurait la main sur la partie d’encodage des flux audio dans des objets, elle devrait pouvoir offrir une panoplie d’algorithmes variés voire sous licence de chaque fabricant (c’est ça, t’as qu’à croire le chat NDR).

Il s’est prêté au jeu de la balade avec deux packs sur lui, un émetteur et un trackeur TTA pour un résultat plus que crédible et exploitable.

Il serait ensuite aisé d’affecter des objects ou groupes d’objects à des faders et pourquoi pas des joysticks, pour retrouver son mix final, ses niveaux et, disons-le, ses habitudes, sans toucher au mix relatif entre les objets.
Retrouver le plaisir de mixer des groupes, le seul moyen de démouler du gros son sans se laisser déborder par la dynamique. Votre batterie est ouverte sur les 7 lignes principales et certaines réverbérations ouvrent sur d’autres enceintes dans la salle ? Un simple fader permettrait de la baisser.

L’idée serait d’apporter plus facilement du mouvement et du plaisir dans son mix et de « colorer » la salle si besoin est, notamment en classique, ou de créer des ambiances spécifiques à certains titres ou certaines comédies musicales infiniment plus facilement. Idéalement il faudrait pouvoir relier des effets sonores aux effets lumineux, des mouvements de son à ceux des faisceaux des motorisés.

Un vœu, rien qu’un seul. Que l’Entertainment Post-Covid ne se réduise pas à ça.

La gestion des effets audio pourrait aussi être repensée avec une partie de ressources importante dévolue aux objets ou groupes d’objets eux mêmes. Il faudrait donc qu’ils soient capables de gérer plusieurs entrées et sorties en standard avec la possibilité de se linker par objets pour ouvrir la porte à la création sonore et redonner un grain de folie aux mix.

Bien entendu tout pourrait être stocké, les mouvements de niveaux, les positionnements, les mutes, les groupes les effets etc. Des joysticks, des mollettes, un clavier, tout devrait pouvoir être incorporé au châssis modulaire qui disposerait de nombreux écrans tactiles et de la possibilité de déléguer une partie du boulot choisie librement à un assistant sur un second bac, le mixeur gardant comme il se doit la main sur ses DCO. Comme me l’a soufflé un technicien son qui se reconnaîtra, cela pourrait être la GrandMa du son. La redondance serait classiquement possible via un second moteur en mirroring et les limites du système seraient celles de son DSP et de ses stages i/o.

Faites-le taire

OK, le son n’est plus le bruyant parent pauvre d’un show, mais n’est pas encore l’égal de la lumière qui a quitté le strict cadre de scène depuis longtemps, ou de la vidéo qui a appris à se faire immense ou à s’éclater en une multitude de petits panneaux.

L’immersif par objets peut et va faire plus, mais manque d’un côté de moyens et le C-19 n’arrangera rien, et de l’autre d’expérience au niveau des mixeurs qui ne sont pas encore tout à fait sortis de leurs habitudes gauche/droitières et ne disposent pas encore d’outils leur donnant le pouvoir de s’amuser et d’accélérer l’évolution de leur savoir.

Christian « hiiihaaa » Crolle. On s’était fait sortir de la grande salle de l’Opéra où ça répétait quelques minutes avant. Un sondier ça fait du bruit. Imaginez 300…

Quand le cinéma est passé en sonore, en couleurs ou en Dolby, personne n’a pu dire ne pas s’en être rendu compte. Pareil pour le passage trad vers les lyres motorisées, ou tas de bois interférents vers les line arrays.
Le mix par objets doit vite évoluer pour qu’enfin les spectateurs puissent parler d’un show total dont le son aussi donne le tournis et les poils au garde à vous. Et si ça commençait par son moteur et quelques faders…

Aline !

Une chose est sûre. Il ne faut plus que j’aille aux System Designers Conferences hein Christian. Au fait, c’est quand la prochaine ? Promis je ne raterai plus l’avion !

Last but not least, le sourire d’Aline Meegens qui a terminé à quelques jours près à Prague, 40 ans de vie sous le sceau des trois diapasons, avec toujours la même redoutable efficacité. La retraite n’a qu’à bien se tenir !

Crédits - Texte et Photos : Ludovic Monchat

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