La libération des média-serveurs

Au cœur de la Madrix, épisode 1

Bien sûr il y a les médias serveurs. C’est vrai les Catalyst, Pandora, Resolume, Arkaos, VPU, A.I. et autres n’ont jamais été autant d’actualité. Pas une tournée, pas un festival sans eux. Ils sont là pour nourrir nos matrices de leds, les MagicPanel ou les B-Eye en sont friands par leur appétit démesuré de DMX et nos moyens limités de pupitreurs quand trop d’univers nous envahissent.

Et puis Madrix aussi… surtout Madrix en fait…

Inoage Madrix

C’était une journée en conserve, une de plus. Une moiteur de ferraille me collait à la bouche tandis que je m’affairais à mon délicat ouvrage, sans envie ni courage. Je m’activais, un énième sursaut non pas de volonté, ni d’espoir d’une fin rapide, je connaissais la distance infinie qui me séparait encore du repos de l’esprit, mais poussé par la peur des représailles hiérarchiques je m’aiguillonnais en repensant aux punitions à venir. J’avais du mal à compter ces jours de besogne, ce temps perdu à répéter les mêmes gestes, semblables au point de se confondre, avec juste assez de différences pour facilement se tromper et devoir tout recommencer.
Sélectionner un média. L’encoder avec des codecs raccommodés. Le présenter à son mapping. Le mettre dans sa cuelist. Le projeter sur son assemblage de leds, cet agglomérat de projecteurs, de matrices RVB et d’écrans divers que les scénographes et directeurs photo imposent au peuple des techniciens. Essayer de le transformer dans tous les sens pour y voir autre chose qu’un escargot passé à la moulinette dans un bain de sable. Scruter, l’œil hagard, la réaction de l’éclairagiste et y lire encore une fois du dédain… Bon, j’essaie une autre vidéo alors, si ça ne marche pas, je ferai peut-être un effet bitmap, j’espère réussir à contrôler mes nerfs rendus fragiles.

Mes doigts s’entrechoquaient sur le clavier, cliquetant aussi fort que le Layher de la régie. C’était le soir ou la nuit, le ventre vide, un moment suspendu dans une bulle éphémère, quand brusquement atterrit, avec un fracas et une grâce impossible, un grand costaud en costume à côté de mon média-serveur. Ça y est, pensais-je à moitié pétrifié, la sécu c’est aperçue que mon badge avait une tache de café et va me ramener à la prod manu militari.
“Reste tranquille et pose cet extincteur, je suis venu te faire une proposition” m’intima l’armoire à glace. Son accent, l’autorité de sa voix, la rigueur de sa silhouette, qui devait sans doute l’empêcher de danser toute forme de Sirtaki… Pas de doute, l’homme était étranger, allemand sans doute.
Je haussai un sourcil d’un geste accorte et déposai (sans la lâcher) ma bonbonne rouge.
“Une proposition pour te sauver de ce média-serveur, cette machine qui t‘empêche de penser par toi-même et te détourne de la réalité.”

Il tonna :
« Alors maintenant écoute moi attentivement ! »
J’aimerais bien, hurlai-je en retour dans ce qui ressemblait en fait à un murmure, mais les sondiers ont mis leur compile de bruit rose en boucle et leurs faders dans le rouge ! »
Il leur balança un curieux engin et brusquement tout cessa.
« Un transmetteur wifi en Dante, ça devrait les calmer pendant un long moment. »
Il regarda la régie lumière et les opérateurs se battant avec leurs câbles DMX :
«  J’ai le même en ArtNet, mais pour eux cela provoquerait trop de dégâts… »

« Maintenant je vais te raconter une histoire, elle bouleversera tes idées, ça sans aucun doute, mais pour cela tu dois être prêt. »
Il tendit ses deux poings fermés en avant.
« Je dois tester ton engagement, savoir si tu es prêt à recevoir mon enseignement et à regarder de l’autre côté du miroir ».
Pendant qu’il me parlait je regardais, hypnotisé, sa cravate verte se balancer doucement. Je me remémorais mes journées d’encodage remplies de poussière, une impression de déjà-vu flottait devant mes yeux. Au fond de moi j’avais conscience de côtoyer une réalité enfouie sous un masque grimaçant.
J’acquiesçai.
« Fais ton choix alors, pilule bleue ou pilule rouge ? »

Red Pill (La genèse)

Au cœur de la Madrix red pill« Tu as pris la pilule des temps passés. Dans ta nouvelle mémoire, notre véritable histoire s’écrira enfin. »

Septembre 2001, des étudiants en informatique de l’Université de sciences appliquées de Dresde (HTW Dresden) fondent Inoage, spécialisé dans le développement de logiciels de service.
Après quelques années passées sur des projets remarqués, autant dans la pré-impression que dans l’automobile ou les sites internet de vente, Inoage lance un logiciel de reconnaissance musicale en MIDI, le MAD. Ce dernier, d’une importance cruciale, sera le départ d’un tout nouveau projet.

inoage team

L’équipe Inoage

Trois développeurs ont le génie de combiner leur expertise de la programmation et l’analyse audio, dans un système de gestion de canaux DMX, au moment même où les leds font une entrée fracassante dans le monde du spectacle. Ils viennent sans le savoir de donner un grand coup de pied dans le Système : pouvoir prendre le contrôle de centaines de points lumineux, de façon complètement intuitive et ludique, en s’affranchissant de toute console,.

Les images défilent devant mes yeux, je m’assois pour prendre le temps de tout observer.

Mai 2005. Après un travail acharné, le logiciel Madrix débarque en version 1.0. Christian Hertel, directeur des ventes ; Sébastien Pinzer, directeur comptable et Sebastian Wissmann, responsable du développement forment depuis lors le Triumvirat historique d’Inoage en charge de Madrix.
Avril 2006. Première entrée dans la cour des grands au Prolight + Sound de Francfort, suivi en septembre du Plasa de Londres. Le logiciel pose déjà les bases d’utilisation avec une interface si particulière et bien pensée qu’elle sera encore là 10 ans après.

Madrix P&S 2006L’accent donné à l’analyse audio en vue d’automatiser les jeux de lumières en fonction de la musique cantonne alors le Madrix dans les night-clubs ; image qui lui collera à la peau de façon permanente, et lui vouera le dédain des Nobles de la Lumière, les éclairagistes et directeurs photo ne voulant guère s’intéresser à un produit de discothèque.

Mais ce qui déstabilise le plus c’est son extrême facilité et son prix. Difficile pour beaucoup de croire qu’un logiciel tournant sur un modeste PC pour moins de 2000 € puisse être plus puissant que les consoles de l’époque ou les gros média-serveurs ronronnant dans leur tour d’aluminium.

madrix reloadedSeptembre 2007. Madrix passe à la version 2.0 et donne toute son importance au pixel mapping. En donnant la possibilité aux utilisateurs de patcher librement des matrices de projecteurs, avec des librairies de marques constamment mises à jour ou ses propres créations, Madrix transforme n’importe quelle implantation lumière en un gigantesque canevas sur lequel l’éclairagiste projettera des images, du texte ou des vidéos.

Mais la plus grande réussite réside dans la mise au point de dizaines (centaines maintenant) d’effets graphiques intégrés directement dans le logiciel, aux réglages infinis, que l’utilisateur peut modeler et combiner à sa guise sans devoir posséder des milliers de clips vidéo qui se révèlent souvent trop peut paramétrables pour fonctionner correctement.

MadrixTout cela avec une interface utilisateur des plus intuitives, qui permet une prise en main si rapide et si efficace que mon vrai nom surgit enfin, je suis Neo, je suis libre. Je n’ai plus besoin de remplir mon disque dur de milliers de loops vidéo volées à l’establishment.

Pour parfaire le tout, Madrix passe alors d’un protocole exclusivement en DVI au DMX et à l’ArtNet, qu’elle laisse en licence libre pour ne pas pousser ses clients à racheter une interface DMX spécifique. La seule protection nécessaire est une simple clé USB, un Dongle que l’on peut insérer dans le PC de son choix.

Il y a 8 ans, déjà, leur stand au Prolight + Sound de Francfort :

Juin 2008. En s’attaquant au Bayoke Tower II, le plus grand hôtel de Thaïlande, Inoage démontre son savoir-faire dans une installation gigantesque pour l’époque. Avec un Dongle, l’Ultimate USB Key, permettant de gérer alors 64 univers DMX, le Madrix se positionne très loin devant nos modestes consoles de lumière et leur 8 univers à bout de souffle.

2008 est aussi une année particulièrement riche en updates, car Inoage passe son temps à parfaire son Madrix en y incorporant petit à petit toutes les fonctions à la croisée de la vidéo, du graphisme et de la lumière : cue-list, DMX & MIDI remote, patch graphique, multiples layers et interactions, contrôle étendu du Master, banques d’effets visuels en action directe, freeze buttons… La liste est longue et les équipes d’Inoage passent alors leurs semaines à arpenter tous les grands salons professionnels pour présenter leur création.

madrix neo headerAvril 2009, Inoage présente Neo, le bien nommé, une interface USB DMX tout compris (le Dongle y est intégré) à prix serré, plugable à chaud ; la version 2.6 de Madrix débarque aussi, pouvant piloter jusqu’à 60 convertisseurs Neo.

De plus en plus présente sur des gigs et des festivals électro, l’équipe profite de cette année charnière pour développer un maximum d’effets dynamiques internes, des générateurs de particules et des scripts particulièrement poussés, tout en assurant sa compatibilité avec le peu fameux Windows 7.

madrix usbone headerMars 2010, et Madrix passe à la version 2.8. Suivra la même année la 2.9 et enfin la 2.10 pour décembre. Nouveaux outils DMX et MIDI, streaming ACN, optimisation des effets et du flux de données et plus encore, les développeurs poursuivent leur quête sans relâche.
Un petit accessoire fort utile, le USBone fait son apparition, le minimaliste convertisseur USB/DMX trouve sa place dans de nombreux petits clubs. Cependant malgré tous ses efforts, Madrix n’arrive toujours pas à dépasser ses origines de clubber, et la France ignore superbement ce logiciel, malgré certaines vidéos époustouflantes faites par des geeks fous qui travaillent la lumière en 3D.

madrix plexus header3Avril 2011, nouvelle version (2.12), nouvel hardware (Plexus), nouvelles fonctionnalités, la roue du temps ne s’arrête pas pour Madrix.

Le Plexus est cette interface dédiée, dans un simple boîtier, qui permet de contrôler 2 univers en USB ou ArtNet en “live”, ou d’y enregistrer des séquences pour le rendre autonome.
Il est aussi entièrement configurable depuis son petit écran et possède plusieurs outils de test DMX

Au rang des nouveautés annuelles, un DVI-mapper pour pouvoir travailler sur différents écrans en sortie, agencés comme bon nous semble ; une remote DMX-IN entièrement configurable pour piloter toute l’interface du Madrix depuis une console lumière, un contrôle déporté sur Ipad, des scripts pour travailler les patchs sur 3 dimensions et un inédit mode d’enregistrement. Mais le plus frappant est la quantité astronomique de fabricants, passionnés par ce logiciel, dont les librairies de projecteurs viennent enrichir continuellement l’interface.

De quoi répandre la bonne parole sur toute planète

2012 est plus calme en innovations. L’accent est mis sur la continuité du Plexus et son hardware qui demande à Inoage une attention particulière. Le logiciel, maintenant stabilisé, se peaufine et s’affine continuellement, face aux demandes de clients qui en veulent toujours plus et exploitent Madrix au maximum. La distribution mondiale s’intensifie, des projets spectaculaires s’amorcent, finalement pas le temps de souffler.

LunaAvril 2013, lancement de la Luna, leur premier convertisseur ArtNet/DMX universel. Disponible en 3 versions de 4, 8 ou 16 univers DMX, ces nodes présentent l’avantage d’une extrême simplicité tout en préservant les options les plus courantes : gestion par ArtNet via Ethernet ou USB, une entrée physique DMX-IN, prises Neutrik, administration par serveur web, un merge http automatique sur 2 univers etc.

La qualité de fabrication est au rendez-vous, le tarif toujours séduisant. Par contre, compte tenu du prix, ce node n’offre ni streaming ACN, ni softpatch ArtNet, ni débit supérieur à 100 Mo. Rassurez-vous, tout ceci n’empêche pas de les utiliser en nombre sur des configurations impressionnantes.

Juillet 2013, un pas de géant est franchi, Madrix passe en version 3.0. Dans cette nouvelle mouture, tout a augmenté : le nombre et le type d’effets, les capacités d’enregistrement et de restitution, les options de programmation, les connections en ArtNet, KiNET, sACN.

Release 3.0L’interface utilisateur est revue de fond en comble, aussi bien dans les réglages que pour la manipulation et le preview. Dernière avancée spectaculaire et non des moindres : une gestion inédite des installations de leds dans l’espace avec des fonctions et des effets spécifiques pour la 3D.
Dans l’année qui suit, les librairies de projecteurs internes explosent, incorporant de grandes marques comme SGM, Robe, Clay Paky, Martin, preuve supplémentaire de l’intérêt croissant que lui portent nombre de professionnels à travers le monde. Madrix en profite aussi pour dévoiler son mini web-site d’aide et de tutoriaux en ligne, une véritable mine d’informations pour les utilisateurs : http://help.madrix.com/

Témoin de cette évolution, le Colosseum Club en Indonésie part dans la démesure la plus complète pour la nouvelle année 2014.

2014, la reconnaissance arrive. Après des mois de développement de la version 3, les équipes d’Inoage passent leur temps sur les routes pour prêcher la bonne parole, et glaner ici et là de nombreuses récompenses, tandis que les programmeurs améliorent encore et encore leur produit. Le support de la V 2 ne s’est pas arrêté avec la 3, ils doivent alors gérer en parallèle les 2 versions. De grandes marques d’éclairage s’associent maintenant à Madrix, comme un élan spontané porté par la mode des projecteurs multi-leds. Les concepteurs lumière de tournée et de show-biz s’orientent de plus en plus vers ce média-serveur adapté à leurs nouveaux besoins.

Qui sait, 2015 sera peut-être l’année des concerts live pour Madrix ? Après les festivals Sensations d’Amsterdam, Ultra Music de Miami ou les prochaines tournées de Krewella et du DJ Hardwell, cela semble bien parti.
Je ferme les yeux, l’histoire s’arrête. Le futur est dans mes mains. Il me manque juste les bons outils. Devant moi se dresse l’envoyé de Madrix. Il me tend son autre main et l’ouvre en souriant de toutes ses dents.

To be continued…

Crédits - Tristan Szylobryt

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