Lionel Capouillez & Stromae Du Studio à la Scène Part 1

Depuis le tout premier EP “Alors On Danse”, Lionel Capouillez mixe les sons de Stromae. Nous le retrouvons à Bruxelles, dans son Air Studio pour un double reportage.
Avec Du Studio à la Scène, la 1ère partie, on va découvrir comment et avec quels outils nait un album. Avec De la Scène au Studio on apprendra comment est transposé sur scène le travail fait en studio.


C’est aussi grâce à ce premier sujet que l’on accueille au sein de notre rédaction Christophe Masson, un homme d’une expérience et d’une compétence rares. Sa plume et ses idées vont mettre en relief les ponts qui existent entre le monde de la création et celui du spectacle vivant et donner la parole à encore plus de techniciens. Même les Bruxellois. Non peut être !

Construit dans les années 90 par le groupe italien Wamblee à la suite de l’énorme succès en Belgique de son titre Anitouni, ce studio va être animé par Lionel durant 8 ans.
Il en deviendra l’ingénieur du son maison, avant de le quitter et de le racheter quelques années plus tard pour le consacrer entièrement à ses propres activités de mixage.

SLU : Quand tu as repris le studio, quelles ont été tes premières modifications ?

Lionel Capouillez : La reprise des lieux s’est accompagnée d’une remise à niveau de la cabine de mix. J’ai immédiatement fait opérer quelques améliorations de l’acoustique car j’avais des soucis entre 150 et 200 Hz. C’est la société FAR Audio qui s’en est chargée.

Les trois écoutes de Air Studio. Les grosses sont du sur mesure créé par FAR qui a aussi amélioré l’acoustique de la salle, la solution idéale avant d’investir dans des enceintes généralement très chères. Les petites à ruban sont des Adam et enfin les plus centrales des KH, devenues depuis le rachat du groupe Sennheiser, des Neumann.

Étant aussi fabricant d’enceintes, elle m’a conseillé de changer la grande écoute (qui datait d’une génération plus ancienne) par un système sur mesure. Face au résultat, j’ai flashé. A l’époque nous étions en tournée avec du Leo de Meyer, et quand j’ai écouté cette nouvelle grande écoute, je me suis dit : “Ouahh, j’ai l’impression d’être en live … même ressenti, même sensation, là, je suis vraiment à l’aise.”

Bien entendu, j’ai complété l’équipement existant avec l’intégralité de mes périphériques hardware qui me suivaient en free-lance et en live. La partie studio est restée identique et totalement adaptée à mes besoins de prises de son très occasionnelles, avec une zone brillante pour la voix, et une zone rendue mate par un plafond en basstrap pour les guitares amplifiées ou les percussions.

SLU : Un studio pas seulement pour Stromae ?

Lionel Capouillez : J’accompagne Stromae aussi bien en studio qu’en tournée. Quand il est actif, bien entendu, je lui dédie une grande partie de mon temps mais je travaille aussi pour beaucoup d’autres artistes. Ils me sollicitent essentiellement pour le mixage de titres destinés aux radios et aux médias actuels.

SLU : Des racks bien garnis…

Lionel Capouillez : Oui en effet. J’utilise les équipements hardware pour des besoins précis, qu’eux seuls peuvent me procurer, comme par exemple les réverbérations Bricasti M7 et TC Electronic M3000 (que j’emmène sur les live de Stromae). Il y a aussi beaucoup de préamplis dont mes préférés sont le Chandler Germ 500, les 512 API, les Avalon 737, et un JoeMeek que j’apprécie pour son côté un peu disto.

Le célèbre compresseur SSL dont j’adore le plug-in que j’utilise beaucoup, et que j’ai donc doublé en hardware. Je l’utilise beaucoup sur des bus de batterie. Les dbx 160SL et les gates Drawmer pour leur redoutable efficacité. Le compresseur Urei 1178 est un de mes favoris. Il a une saleté qu’on ne retrouve pas dans les machines et plug-ins de maintenant. Avec ce compresseur, je suis à l’aise pour obtenir de la cohésion.

En fait, je n’aime pas beaucoup les traitements trop propres. Dans beaucoup de productions d’aujourd’hui, tout est à sa place mais cela manque d’incisif.

Ahh oui, particulièrement bien garnis en qualité et quantité ces racks, un fait pas banal pour un utilisateur intensif de plug-ins ;0).

Autres favoris, le TLA100 de Summit Audio pour les voix françaises, douces, qui doivent encore vivre un peu après le traitement et le Distressor pour des voix qui ne doivent pas bouger du tout. J’aime beaucoup le caractère unique des multi-effets Alesis Quadraverb et Miniverb que j’utilise souvent sur les caisses claires. L’Eventide H3000S bien sûr. Sans oublier le compresseur stéréo Tegeler Audio que j’utilise parfois sur les masters.

Une grande partie de ces périphériques me suit aussi en live. Je teste beaucoup de matériel pendant les tournées. “Il n’y a pas grand danger à essayer des produits en live. C’est pour moi le meilleur endroit.” Quand le matériel est convaincant, je le ramène ensuite au studio.

SLU : Étonnement, il y a une console Mackie 32-8 ?

Lionel Capouillez : Oui, en ce moment il n’y a plus rien qui passe dedans ! (rires) Je mixe tout dans l’ordinateur. Je peux l’utiliser de temps en temps comme insert pour des bus de batterie sur lequel je vais insérer un correcteur ou un compresseur externe.

SLU : Venons-en au fait. Ta configuration de mixage c’est quoi ?

Lionel Capouillez : Je fais tout dans mon Pro Tools équipé d’interfaces audio RME FireFace 800. Nous avions utilisé ces interfaces sur le live “Racine Carrée” de Stromae, (en remplacement des interfaces de moins de 100 euros que nous avions sur la première tournée, si si, c’est vrai) et nous avons été bluffé par la qualité de conversion.
Le batteur était occupé sur sa grosse caisse quand j’ai changé l’interface. On a juste fait “Wouaaahhhh, mais la claque ! C’était tellement mieux, affolant.” On les a gardées. J’ai deux autres convertisseurs ADAT RME ADI-8 DS MKIII pour passer en 24 in/out.

Lionel devant sa console et…Non, le nerf de la guerre c’est son Pro Tools qu’il anime à la souris et au clavier, à l’ancienne.

SLU : Si je comprends bien, tu travailles tous tes mixes en natif ?

Lionel Capouillez : Oui c’est bien ça. Tout est fait en natif. Pour le mixage, la latence ne me gêne aucunement. Et de toute façon, des latences en dessous de 10 ms… Honnêtement, si on est perturbé par ça c’est qu’on est un robot, non ?

En revanche si je suis en mixage, que j’ai beaucoup de plugs en service qui augmentent la latence et que je veux refaire une voix, je fais un bounce de l’instru pour faire les prises et je les réintègre ensuite dans ma session de mixage. Tout simplement.
En plus je suis très nomade. Quand je suis en tournée, cela peut arriver qu’on me demande une modification de mix que j’ai fait dans la semaine, comme un simple réajustement de la voix ou de la caisse claire. En natif, je peux rouvrir ma session sur mon ordi portable et facilement régénérer une nouvelle version.

SLU : Mais je ne vois aucune surface de contrôle pour ton Pro Tools dans le studio…

Lionel Capouillez : Je n’en ai pas besoin. Quand j’ai commencé à utiliser Pro Tools, il y a de nombreuses années maintenant, je faisais toutes mes automations à l’écran et donc à la souris. Je n’ai pas changé. Je trouve cela beaucoup plus pratique et beaucoup plus précis.

Les écoutes conçues sur mesure par les belges de FAR, une marque fondée par Pierre Thomas qui s’est hélas éteint il y a quelques années.

SLU : Au niveau de l’écoute

Lionel Capouillez : La grande écoute FAR Audio a été construite sur mesure pour le studio et corrigée suivant mes goûts. Les tweeters ruban me conviennent bien car j’aime les aigus doux et précis.
Pour la proximité, ce sont des ADAM Audio A7X et des KH qui ne pardonnent pas s’il y a un problème entre 500 et 1000 Hz.
Je mixe principalement sur la grande écoute. 70% du temps. J’adore travailler là-dessus. C’est chaud, c’est agréable, ça ne fait pas mal aux oreilles. Les basses sont fabuleuses.

Je commence par les rythmiques et tout le travail sur le bas du spectre. Et ensuite les voix, les respirations. Elles me donnent l’extension en fréquence et les détails dont j’ai besoin pour ce travail. Il faut une grande écoute pour se rendre compte.
Parfois quand on travaille uniquement sur l’écoute de proximité, on a tendance à s’emballer un peu, à en faire un peu trop et quand on repasse sur la grande écoute, on dirait un pétard mouillé. Dans ce cas, il faut retravailler le bas. Donc j’alterne souvent entre les ADAM et la grande écoute, et vers la fin j’affine sur les KH.

De toute façon, je pense que se contenter d’une écoute de proximité pour mixer, même avec un caisson de basse en plus, me parait très, très restrictif, car en dessous de 50-60 Hz, tout traîne, tout est rempli sans être bien défini. Cela manque d’impact et de précision. Avoir une grande écoute est obligatoire pour faire de vrais mixes.

SLU : Le mastering ?

Lionel Capouillez : Je ne gère pas le mastering. En revanche je fais, en plus de mon mix final, une version “boost” qui permet à l’artiste d’avoir une épreuve comparable avec les normes de volume sonore utilisé en streaming et en radio. Au mastering, j’envoie la version “no boost” ainsi qu’une version Instru et Voix a cappella qui permet si nécessaire de gérer une problématique particulière sur la voix. Je le fais systématiquement pour tous mes mixes.

SLU : As-tu un rôle dans la production artistique de la musique de Stromae ?

Lionel Capouillez : A la base, Stromae assure entièrement toute la production musicale de ses titres. Il fait tout dans Reason. C’est son programme, qu’il maîtrise parfaitement. Pour l’album “Racine Carrée”, Reason n’était pas encore ouvert aux banques de sons externes. Les titres avaient donc été faits uniquement avec des sons Reason. C’était d’ailleurs très pratique car je pouvais tout retrouver en studio sans me soucier d’avoir les plug-ins annexes installés.
Maintenant Stromae utilise toujours Reason mais avec des VST additionnels comme Native Instruments, Serum, Keyscape, Omnisphere, Latin Urban, Repro… Quand un titre est terminé de son côté et prêt pour le mixage, il m’envoie la session Reason et j’exporte les pistes avec et sans traitement.
A ce moment, j’ai libre choix pour proposer des choses, des automations de réverbes ou d’effets, des édits particuliers. Je lui renvoie les mixes, il écoute, fait des remarques, on échange ainsi à distance et à la fin du processus sur l’ensemble des titres de l’album, on booke quinze jours de studio ensemble pendant lesquels on finalise tous les mixes.

SLU : La voix de Stromae ?

Lionel Capouillez : En studio, c’est un Neumann U87 sur un Avalon 737. Ça marche, ça fait ce qu’il faut comme il faut. Pourquoi chercher ailleurs ? Les classiques des studios sont là depuis longtemps et on les utilise toujours, il y a bien une raison.

Il y a beaucoup plus vieux, le 737 n’est né qu’en 1999, mais il mérite déjà son titre de « classique ».

On a beau inventer tous les nouveaux appareils possibles, les dbx 160 ça marche, les Avalon, ça marche. En studio j’adore le 737 car il fait tout, c’est chaleureux, le son est beau. Ça fonctionne, et je les utilise tout le temps. Ça me va très bien.

SLU : Et je suppose que vous refaites les voix dans ton studio ?

Lionel Capouillez : Non. Stromae enregistre toutes les voix chez lui. C’est très rare que nous réenregistrions une voix ici. Il a un très bon studio chez lui, qui lui permet de réaliser ses chansons. Il est équipé comme ici d’une interface RME Fireface 802, d’un microphone Neumann U87 et d’un préampli Avalon 737. En règle générale, j’évite de refaire des voix car cela peut poser des problèmes d’uniformité sonore.

SLU : Et les instruments ?

Lionel Capouillez : Il y a peu d’instruments dans les compositions de Stromae. On y retrouve juste des guitares, des charangos et une basse (pour le live uniquement). Ils sont enregistrés aussi dans le studio son personnel.

SLU : Au fait, comment tout a commencé avec Stromae ?

Lionel Capouillez : La sœur de Stromae fréquentait la même salle de sport de Bruxelles que moi. Nous avons sympathisé et quand elle a appris que j’étais ingénieur du son, elle m’a demandé ma carte pour la donner à son frère qui faisait de la musique.
Il m’a rappelé un mois plus tard. II avait des projets à mixer. Pour quelqu’un qui produisait tout seul chez lui, les titres étaient super bien réalisés, les idées étaient bonnes, les compos originales. Il savait vraiment ce qu’il voulait, ce qui était rare en studio à l’époque.

Pour l’anecdote, le premier jour de travail avec lui, j’ai oublié qu’il devait venir. Il me téléphone en me disant qu’il était devant la porte du studio… et là je réponds “aahh… suis calé dans les bouchons, j’arrive le plus vite possible.” Heureusement j’étais à trente kilomètres du studio et je suis arrivé avec 40 minutes de retard.

SLU : Vos choix techniques sur les albums ?

Lionel Capouillez : Pour tous les albums de Stromae, tout est mixé entièrement en interne dans Pro Tools, in the box. Nous n’avons utilisé aucun équipement externe, uniquement des plug-ins.

SLU : Et pourtant le son des albums Stromae est particulièrement chaud, puissant !

Lionel Capouillez : La chaleur provient souvent du bas. Grâce à ma grande écoute, je peux aller travailler vraiment sur le bas et c’est cela qui amène la chaleur, qui donne un petit côté « analogique ». Oui, avec le numérique, on peut faire des mixes de ce type. Le hardware, je l’utilise surtout pour le live (ndlr : nous verrons ça dans un prochain article). Je mixe en analogique avec une Midas H3000.

Le sommateur de Lionel. A une époque on appelait ça une console de mélange, et une bonne !

Je travaille donc sans mémoire. Je m’en sers comme un énorme sommateur et correcteur analogique. J’ai pu choisir une console analogique parce que toutes les sources, à l’exception de quelques guitares, sont numériques. On a passé trois semaines en studio, on a équilibré les titres et toutes les sources entre elles. Quand je place tous les faders des pistes de la console à zéro, j’ai normalement un mix parfait car tout est préparé en amont. C’est la seule manière de pouvoir reproduire toute la finesse des compositions et de la production sonore de Stromae.

SLU : Les espaces sonores, tu travailles beaucoup la spatialisation, les premiers et arrières plans autour de la voix de Stromae.

Lionel Capouillez : Oui, j’aime beaucoup faire des effets de réverbération. Par exemple dans “Fils de joie” quand il crie « C’est un héros » il y a ce type d’effet particulier. C’est mon initiative et je trouve que ça apporte une belle dimension. J’aime mettre ces effets en évidence. Dans d’autres chansons comme “L’enfer”, les breaks sont tous travaillés par Stromae et je les accompagne d’effets de réverbération pour que cela puisse être encore plus vivant.
Je travaille avec 4 bus. Les bus Voix, Basse, Drums et Reste d’instru. J’aime aussi beaucoup écarter la stéréo sur le bus instruments, pas sur les voix, pas sur la batterie ni la basse. Cela donne l’espace à la voix. Par contre, il y a une chose que je n’aime pas, c’est d’avoir un instrument uniquement d’un côté. Ca me rend fou. Si je veux faire ce genre d’effet, pas plus de 45° ou je rajoute un délai court sur l’autre versant. Si en live j’utilise des réverbérations hardware de TC et Bricasti, en studio sur les albums de Stromae, ce sont des plug-ins : Lexicon, D-Verb.

Inouï ça, on parle de Bricasti et hop, elle apparait. Saluons ici la seule marque qui a réussi à se glisser dans des racks (et en plug maintenant chez Yamaha) au nez et à la barbe de Lexicon.

SLU : La chanson “L’enfer” illustre bien ton travail de mixage pour Stromae… avec ces différences d’espaces, la présence de la voix, la richesse sonore.

Lionel Capouillez : Oui, c’est un titre très riche. Le son du piano est étonnant. C’est un simple plug de Reason. Au début je voulais couper le bas parce qu’on entend les pédales et tout un tas de bruits…et au final, non. Je l’ai laissé brut et il donne vraiment l’impression qu’on est dans la pièce. C’est une belle introduction au morceau. Il y a aussi des arrangements de cordes joués par l’Orchestre National de Belgique que nous avons enregistré dans un autre studio et qui a joué sur six autres titres. Les cordes ont été éditées, nous les faisons apparaître en fade.
Et il y a la percussion complètement dingue que Stromae a faite et qui donne l’impression de venir casser le mix. Il y a un grand contraste d’espace car les chœurs derrière sont extrêmement réverbérés. Et j’ai tellement élargi ce son que j’ai été obligé de refaire une deuxième piste identique en mono, que j’ai mixée pour compenser le milieu. Cela donne un effet très large tout en restant consistant.

SLU : L’équilibre de la voix de Stromae est particulièrement bien réussi dans cet univers musical pourtant assez riche. Jamais la voix ne semble être gênée !

Lionel Capouillez : J’essaye que cela n’arrive jamais. Je fais peu d’automation de niveau. Par exemple, si j’ai un synthé qui masque un peu la voix, je vais diminuer les fréquences gênantes. Et aussi j’aime bien utiliser un petit sidechain fréquentiel qui se déclenche avec sa voix pour compresser certaines fréquences, avec parcimonie et uniquement sur le reste de l’instru, celui dont j’ai écarté la stéréo. Quoi qu’il en soit, la musique de Stromae est merveilleusement bien pensée, et bien entendu, cela facilite grandement le mixage.

L’écran n’est pas immense mais il prend pile la place entre 3 paires d’enceintes.

SLU : L’originalité sonore de Stromae.

Lionel Capouillez : C’est Stromae qui bidouille énormément. Par exemple, sur “Racine Carrée”, il y avait un son terrible. Je me disais, mais ça sort d’où ce son de synthé. J’ai retiré tous les effets de Reason pour découvrir qu’à la base, c’était un orgue d’église.
Il avait mis une disto, qui repassait dans une disto, qui passait dans une réverbe qui repassait dans une autre disto puis un écarteur stéréo qui en plus faisait du chorus. C’est ce que les créateurs devraient faire le plus souvent. Aujourd’hui je remarque qu’on utilise surtout les presets de base et on superpose.

C’est souvent qu’un musicien me dit, pour ce son que je voulais incisif, j’ai rajouté un synthé qui avait du bas, et comme il me manquait de l’aigu, j’ai ensuite superposé un autre synthé avec de l’aigu, mais… souvent je réponds : dans ton synthé, tu peux prendre le preset de base et chipoter les corrections, modifier les formes d’ondes et fabriquer ton propre son. Les gens sont devenus un peu fainéants (rires). Stromae lui, il bidouille énormément. Et c’est encore plus agréable à mixer, car c’est toujours plus facile de retirer des choses quand on en a beaucoup…

SLU : Le groove est important chez Stromae ?

Lionel Capouillez : Oui très important. Dans le dernier album, il y a beaucoup de percussions. Il y a aussi parfois des grooves un peu étranges, comme sur le premier single “Santé”. Stromae a joué la grosse caisse et la caisse claire sans quantiser, comme il le sentait. Quand j’ai écouté, j’ai eu le réflexe de tout recaler. Je l’ai fait sur la grosse caisse ce qui me paraissait indispensable.

J’ai ensuite essayé sur la caisse claire et cela ne fonctionnait pas, on perdait quelque chose. On a donc laissé le groove comme ça, et juste joué sur les égalisations et le résultat est très original. Nous avons été critiqués pour ce groove particulier qui flotte un peu mais cela donne un truc génial au morceau, ce que voulait Stromae. D’ailleurs le batteur en live a dû beaucoup travailler ce morceau pour reproduire sur scène cette même sensation.

SLU : Dans sa musique, il y a beaucoup de breaks, d’éléments rythmiques en suspension…

Lionel Capouillez : Stromae compose beaucoup au feeling. Et je me retrouve devant un grand nombre d’éléments rythmiques parfois surprenants. Si je trouve que c’est handicapant dans le mix, je vais lui en parler et peut-être recaler l’affaire. Mais s’il me dit que non, c’est comme ça, que c’est voulu, dans ce cas je laisse comme c’est, c’est son projet. C’est toujours l’artiste qui a raison.

SLU : Et sur les batteries, as-tu une méthode particulière pour les mixer ?

Lionel Capouillez : Dans tous les titres, je commence toujours par mixer les batteries. En fait, j’adore ça. J’ai une méthode particulière. Systématiquement, je sature légèrement le son des caisses claires et des claps. J’utilise un petit plug-in gratuit de Softube qui s’appelle Saturator Knob. Ça rajoute un côté sympa que j’aime particulièrement bien.

J’aime aussi travailler la grosse caisse en n’ayant pas peur d’aller dans le bas. Tout part dans un bus dans lequel je place le SSL comp de Waves, avec un temps d’attaque le plus tard possible et un release le plus court possible. L’aiguille de compression frémit juste un peu. Ça lie l’ensemble de la batterie de manière très sympathique.

J’essaye aussi de mettre un sidechain sur la basse à partir de la grosse caisse. Quand les deux jouent ensemble, le compresseur libère l’attaque de la grosse caisse, ça permet de mettre la basse au fond et ça donne généralement un groove qui fait danser. Avec le classique C1 de Waves, ça fonctionne très bien. Pour terminer, je donne un peu d’air en corrigeant les aigus vers 10 kHz avec le correcteur Active EQ de Softube.

SLU : Quels sont tes favoris techniques ?

Lionel Capouillez : Beaucoup de mes favoris sont du software. Le hardware comme ma console, je ne l’utilise que sur une seule piste, et dans ce cas je l’enregistre directement dans Pro Tools. Dans mes plug-ins favoris, on trouve : l’égaliseur Plug-in Alliance Brainworx BX. Lui je l’adore ; dans toutes mes sessions c’est mon eq de base.

Les compresseurs CLA2A et CLA76 de Waves sont mes compresseurs favoris. Le Decapitator de Sound Toys est une saturation que j’affectionne particulièrement et avec son bouton Punish, ça marche d’enfer. Il en va de même du correcteur Active EQ de Softube que j’utilise énormément et pour terminer le SPL Iron de Plug-in Alliance que j’insère sur le bus master et qui donne une très belle couleur analogique.

Mais attention ! On a une tentation de dingue avec les plug-ins. Je rappellerai l’adage “le mieux est l’ennemi du bien”. On met un plug-in c’est bien… et là on se dit : est-ce que je ne pourrais pas faire mieux ? On risque de perdre le truc qu’on trouvait bien d’origine. Je me contente généralement de mes favoris. Je les connais très bien et je sais tout de suite quels plug-ins je vais utiliser en écoutant une piste.

SLU : Ta station de travail favorite, c’est Pro Tools ?

Lionel Capouillez : Oui pour les mixages je fais tout dans Pro Tools. C’est devenu le logiciel que je connais sur le bout des doigts. Pro Tools j’ai l’impression d’être né avec. Pour la composition, j’ai travaillé avec Cubase dont j’aime beaucoup le moteur audio qui, dans le domaine des séquenceurs dits musicaux, me semble le plus performant.

Il y a aussi maintenant Ableton Live. J’avoue connaître quelques producteurs qui font des mixes dessus et ils m’ont mis des claques. Ableton Live a des effets et des instruments propres qui permettent d’obtenir des couleurs originales, dans ce cas-là, c’est bien de composer dedans et d’extraire les pistes pour un mixage final dans Pro Tools.

SLU : As-tu des principes inconditionnels ?

Lionel Capouillez : Le bas de mes mixes, c’est ma marque de fabrique. Je ne crains pas de rentrer dans le sub, tout en faisant attention de ne jamais écrêter. La voix bien en évidence sans forcément la mettre trop fort. J’ai un principe inconditionnel sur toutes mes sessions, il faut un gain correct sur toutes les pistes.
Si la forme d’onde est trop faible, ça me gêne. Je ne normalise pas mais je réajuste les gains de toutes mes pistes vers – 4 ou – 5 dB de manière à ne pas aller chercher des gains trop bas avec les compresseurs pour commencer à voir l’aiguille bouger. Des vrais bons niveaux pour une vraie belle vision instantanée.

Le Pro Tools de Lionel et un plug développé par Brainworx offrant l’émulation d’un très bel égaliseur paramétrique Millenia, le NSEQ-2.

SLU : Pour le traitement des voix de Stromae, tu fais des edits ?

Lionel Capouillez : Oui, je coupe et je nettoie. Il y a aussi un peu de correction vocale. Sur un album il peut arriver que sur deux ou trois mots, il y ait un passage technique plus ou moins bien maîtrisé.

D’autre part j’édite systématiquement toutes les respirations. Je compresse fort les voix leads, comme ça je ressors toutes les saletés que je nettoie et à chaque respiration ; je fais un petit fade pour que ça soit doux.

Sur les chœurs qui chantent en même temps que les leads, je coupe toutes les respirations. Sur les voix, je rajoute souvent des réverbes assez longues, que j’automatise. Sur “Fils de joie”, il y a une réverbération très longue quand il chante “C’est un héros ». A la première écoute, je me suis dit : “là, il faut une grande réverbe qui fait comme ça.” Cela paraissait naturel. Elle donne bien, je suis content.

SLU : Et pour le Mastering

Lionel Capouillez : Je travaille pratiquement toujours avec Pieter de EQuus Mastering. On s’entend super bien depuis des années. J’ai 100% confiance en lui. Il a le respect de la musique, de ce qui a été fait dans le mix. Le niveau sonore est maîtrisé sans faire un boudin sonore inaudible. J’aime beaucoup son travail.

SLU : Est-ce qu’il te manque quelque chose ?

Lionel Capouillez : J’aimerais bien ajouter à mon setup un bus de compression API 2500. Un SSL Fusion qui a un bel écarteur stéréo… et passer mon ordinateur en Mac Studio qui a l’air vraiment extrêmement plus puissant. Je suis déjà pas mal équipé. Peut-être quelques petits compresseurs en plus, dont des 1176 originaux.

Tiens Lionel, c’est cadeau !

SLU : Pour clore cette partie studio ?

Ma technique de travail en studio pour Stromae est la même pour tout le monde. Mon travail avec mes 4 bus, mon traitement de mastering que je garde cohérent sur l’ensemble d’un album. De toute façon le mastering est refait en extérieur mais parfois les artistes préfèrent ma version “boost”.

Quelques dates trouvés à Air Studios et qui ne rajeunissent pas ceux qui, par exemple, à la naissance du CD travaillaient déjà…

Je travaille en 24 bit 44,1 kHz. je ne travaille pas en 96 kHz. Certains y trouveront un intérêt, dans mon cas je ne trouve pas ça suffisamment révolutionnaire pour saturer les disques durs, les sessions et les processeurs, le tout pour un gain de qualité sonore peu audible pour ma part.

Alors on conclut

Avec une approche technique rigoureuse mêlée d’une très belle créativité sonore, Lionel Capouillez gère à merveille l’univers sonore de Stromae. En témoignent les albums studio tous primés.

Cette originalité sonore se retrouve également sur scène, ce qui implique la mise en place de méthodes et de techniques audio toutes aussi originales. Je me ferai un plaisir de vous détailler ceci dans la deuxième partie de notre entretien : De la Scène au Studio.

Pour plus d’infos encore (c’est possible ça ?) sur Air Studio, cliquez ici

 

Crédits - Texte et Photos : C. Masson

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