Tout commence à l’Européen, un théâtre né en 1872, niché juste derrière la place Clichy à Paris et hébergeant aussi l’école Hourdé dont la spécialité est de dispenser une année de prépa avant d’attaquer les écoles d’art ou bien d’offrir un cycle complet. Cette école a eu un rôle essentiel en 1987, celui de sauver l’Européen d’une reconversion en parking en s’y implantant.
Spectacle et apprentissages se partagent depuis les lieux et tout le monde se plie de bon aloi aux horaires et silence qu’impliquent les élèves qui s’y pressent avec, en contrepartie pour ces derniers, le contact direct avec le métier et les artistes, et surtout une salle de 350 places avec ses dépendances pour apprendre le spectacle vivant. Il y a une vraie dynamique entre les deux.
Studio Novum
Studio Novum quant à lui conçoit et développe des solutions interactives et innovantes comme des lutheries numériques afin d’offrir aux artistes des passerelles créatives avec la technique.
Gros avantage de cette agence, elle effectue de la Recherche & Développement de façon indépendante et on lui doit déjà la création de SpotMe pour Robert Juliat qu’on ne va pas vous décrire tant nous l’avons déjà fait dans ces colonnes.
Bicéphale, elle repose sur les idées et la compétence de Bernard Garabédian à la conception et au développement technique et Sébastien Beslon à la définition du projet et sa gestion. Tous deux sont jeunes, mais pas trop car déjà vieux de la vieille dans le spectacle vivant, ce qui est rassurant.
SLU : Comment fonctionne ce triptyque l’Européen, l’école Hourdé et Novum…
Sébastien Beslon : Toute l’activité spectacle et école ainsi que les murs appartiennent à l’école Hourdé. Depuis qu’ils ont repris les lieux, ils ont mené en parallèle la gestion de l’école et de l’activité salle de spectacle. Lorsque le fondateur Philippe Hourdé est décédé, ses deux fils Thomas et Julien ont repris le flambeau et confié la partie spectacle à Beslon Management.
C’est ainsi que depuis 2009 j’ai en charge la gestion et la programmation de l’Européen avec mon associé Bertrand Yde. Une sorte de délégation de service. Studio Novum existe par ailleurs, a ses locaux propres et vient en quelque sorte tester ses produits et inventions ici à l’Européen et aussi au Théâtre de Longjumeau qui dispose d’une surface supérieure. Bernard passe donc nous voir assez souvent mais n’est en rien résident ici.
SLU : vendredi 13…
Sébastien Beslon : A midi, j’apprends comme tout le monde qu’on ne peut pas jouer le soir. Naïvement je me dis, ça ne va durer que quelques semaines le temps de voir qui l’a et qui ne l’a pas… On n’a rouvert en petite jauge que le 22. De 350 on est passé à 240 mais ça va évoluer à la fin des vacances si tout va bien.
SLU : Vous avez donc 350 assis…
Sébastien Beslon : Et 400 maxi quand on retire les bancs et on crée une fosse. Les sièges entourent à 210° la scène et il n’y a pas de mauvaises places ou d’angles morts. On tourne entre 350 et 400 représentations par an en double horaire et à 95 % de taux de remplissage.
Sauf cette année… On n’avait pas anticipé un virus. On joue beaucoup d’humour One Man, de l’impro et un peu de musique mais pas trop bruyante. On a des émergences et on a trouvé le bon mix de shows musicaux, le style et la pression acceptable pour nos voisins (rires).
SLU : Vous avez un système quasi vintage…
Bernard Garabédian : En quelque sorte, mais on a changé les dômes des moteurs et il est en parfait état. Il nous permet de maîtriser les niveaux. Même des artistes comme Yannick Noah ou Calo ont joué avec nos MTD115a. On a calé le SB218 avec quelques points d’EQ savants inspirés par un certain Alain Français avec qui j’ai eu la chance de travailler chez De Pref et franchement, ça sonne encore bien.
SLU : Arrive donc le 13 mars. Vous fermez mais, contrairement à d’autres producteurs et gestionnaires de salles, vous ne baissez pas les bras.
Sébastien Beslon : Si, les premières semaines on est comme tout le monde, c’est le coup de bambou, et puis on commence à réfléchir et la première idée qui nous vient c’est l’aérosol bien chimique.
Bernard Garabédian : Notre salle a la particularité d’y voir défiler jusqu’à 1 000 personnes par jour entre étudiants et spectateurs, il fallait donc qu’on puisse la « nettoyer » et garantir à chaque groupe de ne pas risquer de contaminer l’autre.
Mais l’aérosol plusieurs fois par jour est onéreux, écologiquement c’est un désastre et cela veut aussi dire exposer l’équipe de permanents et les étudiants à de fortes doses d’agents nocifs. On a donc vite abandonné l’idée.
Je me suis souvenu à ce moment-là d’une petite boîte à lumière bleue où ma sœur coiffeuse mettait pour la nuit ses peignes et ciseaux afin de les désinfecter et je suis tombé sur la pub d’Osram qui avec Philips et Sylvania, fabrique des tubes émettant des UV-C germicides.
SLU : De là est née l’idée d’en déployer dans les salles pour les traiter.
Bernard Garabédian : C’est ça. On s’est intéressé de très près à cette technologie tout en acceptant ses mauvais côtés à savoir la forte nocivité pour la peau et les yeux, mais aussi pour certaines autres matières ce qui nous a poussés à immédiatement réfléchir à une mise en œuvre très sécurisée et automatisée.
SLU : Quel est le principe germicide de cette source lumineuse ?
Bernard Garabédian : Ses rayons très spécifiques, on parle d’un spectre très serré et centré autour des 254 nanomètres, dégradent tous les germes et évitent leur prolifération.
On travaille avec deux valeurs, la puissance d’émission par surface et un temps d’émission nécessaire afin de détériorer les germes et on se base sur les abaques donnés par les fabricants. Il faut savoir que c’est une technologie déjà employée avec succès depuis de nombreuses années dans le domaine médical.
SLU : A quelle hauteur doivent se situer les tubes pour être efficaces ?
Bernard Garabédian : Entre deux et quatre mètres et demi du sol. Nous attendons notre radiomètre UV-C d’ici la fin juillet pour pouvoir vérifier précisément l’exactitude des abaques et la dosimétrie des rayons à chaque endroit de la salle.
SLU : Pour une salle plus haute il faudrait équiper des perches afin de placer les sources à la bonne distance?
Bernard Garabédian : Oui par exemple, ou multiplier les sources. Nous allons étudier précisément tous ces cas de figure. On connaît le temps nécessaire et la puissance par surface, avec le radiomètre et un peu de maths on trouvera des solutions.
Pour la circulation de l’air il existe aussi des sources lumineuses qui se placent dans la climatisation et garantissent la destruction des germes. Cela existe aussi depuis pas mal de temps.
L’avantage de notre solution comparée à un aérosol où il faut tout fermer est de pouvoir « nettoyer » la salle tout en assurant le renouvellement de l’air. Quand on sait qu’à cause de la circulation du SARS-CoV-2, nous devons couper la ventilation durant chaque show, c’est intéressant de savoir qu’on peut traiter et renouveler l’air en même temps. Pour les spectateurs qui rentrent, c’est une garantie d’avoir de l’air frais et une salle saine.
SLU : Quelle est la durée de vie d’un tube ?
Bernard Garabédian : 8 000 heures avec une perte de luminosité dans le temps dont on tient compte pour garantir son action virucide. Nous avons aussi fait le choix d’en employer deux dans des réglettes grillagées afin de les protéger lors du montage des éclairages d’un spectacle. Cela n’obère pas la qualité du rayonnement.
On protège plus d’un choc qui peut intervenir dans nos métiers plus que d’une rupture en fonctionnement qui de toute manière n’interviendrait qu’en l’absence de toute personne.
SLU : Pourquoi deux tubes ?
Bernard Garabédian : Pour gagner du temps en augmentant la puissance du rayonnement par unité de surface. Dans notre cas on passe de 30 à 15 minutes pour une désinfection.
SLU : Vous avez choisi des tubes Philips.
Bernard Garabédian : Les trois marques offrent des produits similaires en efficacité et durée de vie. Nous avions choisi des sources Osram pour bénéficier aussi de leurs réglettes équipées d’un capteur de mouvement qui coupe immédiatement le fonctionnement en cas de présence.
Malheureusement la marque a été en rupture de stock (Désormais Dimatec livre sans problème NDR). Nous avons donc basculé sur Philips et continué la conception et la construction d’un système complet de gestion de présence via des capteurs, des contacts et nous y avons ajouté des caméras pour sécuriser le personnel pendant la désinfection.
SLU : Le système est automatique ? Il n’y a pas de commande manuelle des tubes ?
Bernard Garabédian : Le système est automatique et l’alimentation des tubes n’intervient qu’après avoir tapé l’un des codes utilisateur sur les pupitres de commande tactiles et surtout une fois un nombre important de vérifications générées par une centrale à laquelle aboutissent divers senseurs.
A l’Européen par exemple nous avons 9 battants de portes qui donnent accès à la salle et tous disposent d’un capteur. Nous avons aussi 6 détecteurs volumétriques couvrant toute la salle et un dernier dans un volume additionnel auquel on accède via une échelle de pompier qui donne dans la salle.
A chaque accès de la salle se trouve un écran affichant l’état du système et lorsqu’on lance le processus, chacun d’entre eux affiche un message écrit interdisant l’accès avec un décompte, et un message préenregistré d’évacuation pour désinfection est diffusé par le système son dans la salle durant tout le cycle.
On ajoutera probablement un gyrophare pour que d’éventuels techniciens au casque ou de visiteurs mal entendants disposent d’une alerte visuelle. Des arrêts d’urgence sont prévus à chaque porte qui, bien entendu, ne se verrouille pas.
En cas d’intrusion, les tubes sont coupés avec une latence d’un centième de seconde. Centrale, détecteurs, capteurs, boutons d’arrêt, tout est en réseau gigabit et testé constamment, switch gigabit programmable inclus. En cas de défaillance, les tubes ne peuvent pas s’allumer.
Enfin l’ensemble de ces étapes, mise en marche, fin, interruption etc, est mémorisé sur un log et donne lieu à un envoi de SMS à l’administrateur par la centrale. Les différents codes personnels employés pour démarrer un cycle sont aussi exploités pour assurer la traçabilité.
Un écran est enfin prévu pour le public qui accède à la salle afin de l’informer de la bonne tenue d’une désinfection, un gage de sérieux très utile pour le rassurer.
SLU : Comment chaque module et les différents capteurs sont-ils alimentés ?
Bernard Garabédian : En POE par le switch. Le système dispose d’un système d’exploitation volontairement très petit et en Linux. Deux logiciels tournent en même temps et un surveille que l’autre fonctionne. En cas de défaillance, tout est arrêté. Il en va de même avec l’alerte incendie de la salle. Si elle est percutée, cela rend impossible l’allumage des néons pour d’évidentes raisons de sécurité.
SLU : J’imagine qu’on ne peut pas programmer de cycles.
Bernard Garabédian : Non absolument, la présence d’un humain pour le lancer sur site après un contrôle visuel dans la salle est indispensable. Après cette première vérification, on lance un premier message audio d’évacuation immédiate, on revérifie dans la salle que personne ne s’y trouve et seulement après on enclenche le processus de mise en route des tubes.
SLU : A-t-on une idée de la dangerosité pour une personne en temps d’exposition ?
Bernard Garabédian : Bien sûr. Sans équipement spécifique en termes de vêtements pour couvrir entièrement la peau et de lunettes, la norme de référence est la NF EN ISO 15858 du 14 octobre 2016 : APPAREIL UV-C – Information sur la sécurité – Limites admissibles pour l’exposition humaine.
Avec nos tubes qui ont une irradiance à 1 mètre de 145 µW par cm², en tenant compte de leur hauteur la plus basse et de leur nombre, on obtient 1 minute d’exposition maxi sans protections. Mais cela est bien entendu déconseillé et on s’oppose formellement à la présence de quiconque durant chaque désinfection à l’Européen.
SLU : Quels sont les effets des UV-C sur les matériaux ?
Bernard Garabédian : Nous avons effectué un échantillonnage des matériaux présents à l’Européen y compris un SM58 et les avons placés à une distance des tubes et à un temps de rayonnement calculé pour simuler l’équivalent de 5 000 doses nécessaires à une désinfection.
Seuls les matériaux blancs sont visuellement impactés. Un léger voile jaune apparaît sur du papier classique 80 grammes et sur papier glacé blanc 450 grammes. Sur du plastique blanc, c’est plus subtil et le flash a permis de faire ressortir une très légère teinte des zones exposées. Il semble aussi que le plastique soit un peu plus rigide, plus cassant. On va effectuer des mesures pour bien cerner cela.
Sur les tissus (noir et rouge), le bois verni (dos de siège), les gélatines, les mousses acoustiques, les micros et les capots de flight, rien à signaler au niveau visuel. Le micro ne présente pas de différences sensibles dans sa réponse en fréquence en dehors des variations propres aux tolérances admises par son fabricant.
SLU : Il est donc prévu de désinfecter aussi toute la régie, les câbles, les micros…
Bernard Garabédian : C’est l’idée. Il suffit de sortir les émetteurs, les récepteurs ceinture et l’ensemble des appareils qui seront employés y compris les douchettes des gens de l’accueil ou les talkies, et de les placer idéalement debout sous un tube, d’où nos tests d’impact. On va aussi cet été équiper en tubes UV-C les couloirs et les loges artistes pour rassurer au maximum ces derniers et on projette d’en faire de même avec les locaux de l’école.
SLU : Qui a investi pour cette première installation de votre système ? Et au fait, il s’appelle comment ?
Bernard Garabédian : Studio Novum va le commercialiser sur le nom de Pur et c’est l’Européen qui a choisi de s’équiper et ainsi devenir la première salle de spectacle et à la fois amphithéâtre pour les élèves de l’école Hourdé à garantir une désinfection sans produits chimiques et en 15 minutes. Au lieu de renouveler notre vénérable système son, nous avons préféré la sécurité.
Sébastien Beslon : Annoncer qu’on a une salle désinfectée peut s’avérer un bon choix et on pourra dire au public – vous avez plus de garanties chez nous que dans le métro !
SLU : Pur peut être commercialisé en l’état ?
Bernard Garabédian : Le système fonctionne et est sûr. Il nécessite d’être adapté à chaque lieu et est complètement sur mesure, mais il dispose de modules qui ont été créés et programmés spécifiquement pour lui, donc la réponse à ta question est oui. Nous avons un certain nombre de démos programmées et l’intérêt est certain et risque de déborder du simple spectacle. L’événementiel et quelques grandes marques cherchent des solutions.
Sébastien Beslon : Pour un directeur de salle, pouvoir offrir une climatisation mais aussi une désinfection performante est un plus. Il faut rassurer les spectateurs et faire repartir le marché. Notre métier c’est le live. Il est en revanche vrai que certaines architectures et tailles de salles rendront notre système difficile à mettre en œuvre tel quel, ou avec les mêmes temps très courts de désinfection. On pense à d’autres solutions plus mobiles.
SLU : Qui dit commercialisation dit prix…
Sébastien Beslon : Il est tellement dépendant de la nature de la salle, de son câblage et de sa taille que c’est difficile à établir sans avoir un plan sous les yeux. On travaille en tout cas à cette question pour pouvoir être en mesure de donner une fourchette rapidement.
Et ça marche ?
La démo qui nous est faite ne souffre d’aucune critique. Pur, c’est ceinture et bretelles et quelle que soit la tentative de prendre à défaut le système, le résultat est toujours le même. Les tubes sont coupés, le défaut est tracé et un SMS est envoyé pour signaler l’interruption et la raison de cette dernière. Nous n’avons pas aperçu de lumière durant la désinfection, le spectre visible étant particulièrement faible en taille et puissance, mais une très légère odeur d’ozone prouve le bon fonctionnement du système.
Sa rapidité est aussi un atout, de même que sa traçabilité et la sécurité de son emploi, sans oublier que la technique de l’émission d’UV-C à 254 nm est parfaitement efficace et communément employée depuis des années pour désinfecter l’eau, l’air et des lieux aussi sensibles que des blocs opératoires pour les virus existants et à venir. Enfin des certifications garantiront sous peu l’ensemble du process de Pur. Bravo à Novum, gageons que leur prochaine trouvaille marque la fin de cette période noire du spectacle vivant.
Et une petite dernière pour accompagner la mise en vente de nombre de salles parisiennes et soufflée par Seb Beslon : tu sais comment tu deviens millionnaire dans le spectacle ? Tu commences milliardaire !
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