C-19, retour vers le futur des prestataires avec le Synpase

A la veille du déconfinement et après deux mois d’arrêt brutal, nous vous offrons un retour vers le futur, le votre, en interrogeant les prestataires, intermittents, distributeurs, formateurs et tous les syndicats sur le présent et l’après C-19. Show must and will go on.

Philippe Abergel

Première partie de cette plongée au cœur de vos métiers, de vos difficultés mais aussi de vos espoirs et de vos idées pour relancer, voire réinventer nos métiers et regagner la confiance du public, nous sommes allés à la rencontre de Philippe Abergel, Délégué général du Synpase, en contact quotidien avec des prestataires du spectacle vivant et de l’événementiel.

SLU : Bonjour Philippe et merci de nous donner un peu de ton temps car on sait tes journées encore plus chargées que d’habitude. On te propose de faire un très large tour d’horizon de nos métiers post C-19 en débordant parfois légèrement pour évoquer trois autres composantes de notre écosystème que l’on interrogera longuement très prochainement.

SLU : Commençons par quelques chiffres. Combien de prestataires techniques avons-nous en France, combien sont labellisés et enfin combien sont adhérents du Synpase.

Philippe Abergel : Je dirais entre 600 et 700 entreprises de prestation technique dont l’activité principale est de travailler pour des professionnels. Les labellisés sont 550 et ils représentent 90 à 92 % du marché. Au Synpase nous avons 220 adhérents allant de 60 à 70 k€ à plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires.

Notre branche emploie environ 5 000 salariés permanents et un peu plus de 15 000 salariés intermittents à l’année qui représentent environ 3 000 salariés en équivalent temps plein.
Donc on est sur un nombre de salariés en ETP de 8 000 à 9 000 pour nos activités de prestation technique, sachant que la répartition du chiffre d’affaires entre spectacles et événements est assez équilibrée.

Quand le gouvernement me demande de faire des statistiques c’est assez facile pour moi. Grâce aux chiffres du label évidemment globalisés il n’y a pas de traitement de données individuelles, on a une vraie vision sur ce que représente par exemple l’exonération de charges patronales sur 6 mois dans notre secteur. Je le sais de façon précise.

SLU : Merci pour l’enchaînement. Depuis ton poste de vigie, comment vois-tu la situation actuelle ?

Philippe Abergel : Depuis le 13 mars toutes les sociétés de location et de prestation sont à l’arrêt. Celles plus portées sur l’intégration le sont aussi du fait du confinement. On peut imaginer que ces dernières vont malgré tout pouvoir redémarrer un peu plus vite grâce à leurs contrats en cours.
En général l’intégration est une branche de certains prestataires, mais cette activité ne représente qu’environ15 % du CA global des prestataires techniques. Les prestataires purs et durs et surtout ceux qui travaillent beaucoup pour les festivals vont souffrir énormément. On va bientôt refaire une enquête auprès des adhérents au Synpase, mais pour vous donner une idée, 93 à 95 % des salariés sont en chômage partiel.

SLU : Qu’en est-il des Intermittents, ils représentent les forces vives de notre métier.

Philippe Abergel : Absolument et ils ne sont pas oubliés mais il faudra aller plus loin que les mesures prises actuellement qui laisseront trop de techniciens en rade dans les mois à venir. Au sein des différentes organisations syndicales et avec un consensus entre employeurs et salariés, ce qui semble émerger est une demande de renouvellement des droits d’un an. (BONNE NOUVELLE, le Président de la République a proposé la prolongation des droits des Intermittents jusqu’à août 2021, on attend les détails )

SLU : Revenons aux prestataires techniques, quel est le CA de cette branche et l’effet de cette crise.

Philippe Abergel : L’ensemble du secteur de la prestation technique en France pour le spectacle vivant et l’événement c’est environ un milliard d’euros par an. D’après nos dernières analyses, on estime la perte en chiffre d’affaires pour le secteur à au moins 600 millions d’euros ce qui est considérable d’autant qu’une très grande partie de ce chiffre ne reviendra pas. Il faut maintenant espérer que le dernier quadrimestre permette un redémarrage de la prestation suffisant pour valider ces 60 % de perte. Si ce n’est pas le cas, on dépassera encore ce chiffre. La rentrée doit pouvoir changer la donne.

SLU : Ca ferait beaucoup de shows à compacter en peu de temps et peut-être avec des salles devant respecter de nouvelles normes…

Philippe Abergel : On réfléchit tous aux conditions sanitaires en vue de la reprise et les différentes organisations professionnelles font remonter leurs propositions au gouvernement. Il y a malheureusement aussi des lieux, des salles qui pour des raisons purement économiques risquent de ne pas rouvrir à perte. Si la jauge pour ne pas perdre d’argent est à 60 % et les normes obligent à n’accueillir que 40 ou 50 % du public habituel, à quoi bon le faire et cela va freiner la reprise.

SLU : On est bien d’accord, nous parlons d’une hypothèse où la pandémie s’éteint en France, ou bien reste sous contrôle !

Philippe Abergel : Absolument. Le Premier ministre a bien précisé que lors du déconfinement du 11 mai, l’évolution sanitaire va être surveillée et un point sera fait deux semaines plus tard, le 2 juin. Les mesures seront alors affinées.
Ce dont on est certain, c’est de l’interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes jusqu’au 1er septembre, mais quid de ceux de moins de 5 000 qui restent très intéressants ? C’est sur cette fourchette de 10 à 5 000 que des réponses doivent nous être données quant aux dates, lieux comme les théâtres et les salles de concert en fonction des zones et des nouvelles contraintes sanitaires comme l’idée des jauges réduites.
Enfin il faudra retrouver la confiance du public. Nul ne peut prévoir sa réaction même si on travaille aux moyens et dispositions afin de le rassurer.

SLU : Quel est le scénario qui mettrait tous les pros d’accord ?

Philippe Abergel : Un redémarrage long et progressif en septembre serait très positif, avec le soutien de l’Etat nécessaire pour éviter les licenciements et les dépôts de bilan.

SLU : On allait y venir. Comment s’organise la filière spectacle et événement vis-à-vis de cette quête vitale ?

Philippe Abergel : Les deux côtés se sont mobilisés pour analyser la situation, construire des plateformes de mesures concrètes pour soutenir les entreprises et ensuite les porter et les négocier auprès des cabinets ministériels compétents. Ces aides devront aussi permettre aux entreprises de passer 2021 car les trésoreries vont s’étioler et il ne faudrait pas qu’on imagine que les effets de cette crise ne se prolongeront pas les années suivantes. J’ai peur du premier semestre 2021 si rien n’est fait car on risque de perdre des sociétés et de mettre à mal des emplois.

SLU : Il ne faut pas confondre le plan de relance général de l’économie qui va être annoncé par Edouard Philippe en septembre et votre plan de soutien qui est spécifique et beaucoup plus urgent.

Philippe Abergel : C’est cela même. 4 secteurs sont ciblés pour ce plan de soutien car ils sont particulièrement impactés et risquent de l’être longtemps après le redémarrage de l’économie : le tourisme, l’hôtellerie / café / restauration, la culture et l’événementiel. Ces 4 secteurs sont en contact actuellement avec les pouvoirs publics pour remonter les difficultés et faire en sorte de bénéficier de toutes les aides nécessaires.
Le président de la République a exprimé le vœu qu’il n’y ait pas de dépôts de bilans et de licenciements. On s’inscrit donc totalement dans cette démarche. Par exemple la fin du chômage partiel au 1er juin ne peut pas s’appliquer dans nos métiers à l’arrêt jusqu’au 1er septembre. On négocie pour allonger cette période bien au-delà car, même si on espère que ça redémarre à la rentrée, on sait bien qu’on sera loin d’être à 100 % tout de suite.

SLU : Quelles sont les demandes formulées au-delà du chômage partiel et qu’est-ce qui semble être retenu ?

Philippe Abergel : Outre l’activité partielle, Bruno Le Maire a déjà communiqué sur Twitter le 27 avril quant à un soutien « renforcé » avec des exonérations de cotisation sociales (rien de défini à ce sujet NDR), le Fonds de solidarité prolongé au-delà du mois de mai et élargi aux sociétés ayant plus de 20 salariés et 2 millions de CA et le plafond des subventions porté à 10 000 euros.
Pour répondre plus précisément à votre question, le Synpase et les différentes organisations de la filière évènementielle (Coesio, Crealians, France Congrès et Evénements, Levenement, Les Traiteurs de France et Unimev) ont travaillé ensemble à la construction d’un plan de sauvegarde qui a été proposé au Ministre, allant de l’exonération de charges sociales et fiscales, à la prolongation du chômage partiel, en passant par des mesures dédiées au soutien des trésoreries des entreprises.
Ce plan est conçu pour accompagner les entreprises en 2020 mais aussi en 2021.

Le communiqué est disponible ici

Sur les grandes lignes nous avons été entendus et les ministères sont en phase d’arbitrage sur nos mesures, ce qui reste maintenant à établir ce sont surtout des effets de seuil, les critères de fléchage des mesures qui doivent être précisés, le calendrier de mise en place et enfin la durée. Nous allons être parmi les derniers à repartir en sortie d’épidémie et devons donc être accompagnés plus longuement pour pouvoir aborder plus sereinement 2021 et faire de cette année prochaine, la continuation de la reprise et non le terminus de nombreuses structures.
Nous avons fait part de la spécificité de nos sociétés, de notre cœur de métier qui est la fourniture des moyens techniques les plus modernes, ce qui implique un taux d’investissement très important rapporté au CA. Les échéances de crédit ont été reportées de 6 mois de façon quasi-automatique pour les entreprises françaises, mais si les prestataires techniques doivent reprendre leurs crédits et leasings au 1er octobre avec 0,00 € de facturé depuis mars et que cela vient s’ajouter aux charges incompressibles, on a peur d’assister à des dépôts de bilan.

SLU : Et s’endetter pour payer ses dettes…

Philippe Abergel : Justement pas, ce n’est pas l’idée. Les PGE (Prêts Garantis par l’Etat) existent et peuvent sauver ponctuellement des sociétés, mais il ne faut pas compromettre la reprise par un endettement trop important qui fera qu’au moindre mauvais mois, la pérennité d’une structure sera remise en cause. Il faudra laisser le temps à notre branche de reconstituer sa trésorerie.
J’espère que 2021 le permettra et qu’en 2022 on reviendra à une sorte de quasi-normalité. Il faudra aussi soutenir les entreprises qui ont la validation de leur PGE par la BPI (Banque Publique d’Investissement) mais que les banques ne suivent pas. C’est le sens de ce que l’on porte pour toute l’année 2021.

SLU : Y’a-t-il des différences dans la gestion et la sortie de crise en fonction de la taille des sociétés ?

Philippe Abergel : Petites moyennes ou grandes, toutes souffrent du fait de ne pas avoir d’activité. Une petite entreprise qui fait 70 % de son CA entre avril et septembre sans beaucoup de marchés le reste du temps, va être en situation de souffrance particulière mais avec des charges de structure un peu plus faibles. Une grosse entreprise dont les charges fixes sont plus importantes va avoir peut-être plus de facilité à pouvoir rebondir en fin d’année.
Il y a aussi un problème de solidité financière. Une petite structure peut-être tout à fait solide et inversement. Je connais bien ces aspects car j’ai en moyenne 5 à 6 chefs d’entreprise par jour au téléphone, de toutes tailles et de toutes régions. Plusieurs fois par semaine on leur envoie les points d’actu pour les informer et les aider dans cette mauvaise passe.

SLU : Est-ce que l’on t’a fait remonter d’éventuelles craintes sur les marges ou les prix au moment de la reprise du fait, par exemple, de la distanciation et donc d’une baisse de rentabilité des événements ? Est-ce que les sociétés craignent aussi une mise en concurrence encore plus dure ?

Philippe Abergel : La reprise soulève des inquiétudes en termes de conditions de travail et de prix. C’est certain que si par rapport aux contraintes sanitaires, encore une fois légitimes, les temps de montage et de démontage augmentent, ce ne sera pas le même coût pour le commanditaire, et il en va de même avec la salle.
Parmi les demandes des organisateurs dans le spectacle et dans l’événementiel il y a effectivement le fait de pouvoir disposer d’un fonds de soutien pour les surcoûts liés aux gestes indispensables. Pour en revenir au prix d’une prestation, la pression sera naturellement forte. Nous communiquerons en tant que syndicat afin que la profession se serre les coudes et que l’on soit tous ouverts aux contraintes des uns et des autres.
Il ne s’agira pas, et ça c’est très important, de tout à coup se mettre à casser les prix pour gratter des marchés car on sait ce qui se passe ensuite. Les prix peuvent vite baisser mais ne remontent jamais au niveau précédent ou en tout cas difficilement. Donc il faut aussi que nous prestataires, en tant que branche professionnelle, on se protège.

SLU : Au-delà des intermittents et des prestataires, une troisième composante de notre écosystème va être mise à rude épreuve, celle des distributeurs et des fabricants de matériel technique car ils seront les tout derniers à repartir.

Philippe Abergel : Je le comprends très bien car en fonction de l’état d’endettement des entreprises au cours de cette période 2020-2021, il faut s’attendre, si les encours sont déjà importants, à ce que les prestataires investissent moins sur les années de sortie de crise. C’est vrai aussi que c’est un secteur qui n’est pas regroupé en termes d’association ou de collectif. Je trouve tout à fait intéressant qu’ils puissent se parler.
Si quelques personnes consensuelles dans ce métier arrivent à porter quelque chose, je suis évidemment tout à fait disposé à aider, alimenter, voir dans quelle mesure on peut travailler ensemble. Nous sommes une branche professionnelle au sens strict, c’est-à-dire que l’on a une convention collective, un champ conventionnel. Mais évidemment on fait partie du même écosystème. On a parmi nos adhérents quelques sociétés qui ont aussi une activité de distributeur. En tout cas, s’il y a une volonté de se réunir et de fédérer, je suis disposé à mettre mon expérience au service de ces personnes en tant que proche et ami.

SLU : Qu’avez-vous mis en place au Synpase pour aider vos adhérents au quotidien ?

Philippe Abergel : Il y a une page Covid sur le site du Synpase qui est mise à jour plusieurs fois par semaine car les nouvelles vont vite et on veut être le plus raccord possible avec l’actualité. Les adhérents évidemment la consultent régulièrement. C’est une espèce de grande bibliothèque numérique de tous les liens utiles, documents et explications…
Il y a aussi des conseils qui sont adaptés à nos métiers. Nous proposons aussi des points d’actu assez complets sur la situation à tous les adhérents deux à trois fois par semaine. On a aussi des actions en cours pour la reprise sanitaire. On a monté « Prestataire Solidaire » dont vous avez parlé et qui permet d’avoir pas mal de petites actions concrètes sur le terrain. Je ferai un bilan à l’issue de tout ça.

SLU : Une dernière question. Vu la période pour le moins inédite et difficile, allez-vous adoucir les exigences du Label ?

Philippe Abergel : C’est évident. On ne va pas demander à une entreprise d’embaucher un CDI supplémentaire dans la situation actuelle. Dans la commission du Label il y a un collège constitué de chefs d’entreprise de la profession qui sont élus par l’ensemble des labellisés.
La plupart des personnes qui sont autour de la table sont issues plutôt d’entreprises de taille moyenne ou petite et plutôt en région, avec un collège de syndicats de salariés et un collège de donneurs d’ordres, donc la commission est parfaitement en phase avec les difficultés rencontrées par les entreprises sur le terrain.
Il ne s’agit pas d’un peu plus appuyer la tête sous l’eau des entreprises ce qui serait totalement incohérent avec la situation concrète des chefs d’entreprise dans le secteur. Si on observe des choses qui ne sont pas cohérentes il s’agira plutôt de recommandations que d’exigences. L’objectif de tous les membres de la commission y compris les syndicats de salariés c’est évidemment que les entreprises puissent survivre à la crise.

Crédits - Texte : Ludovic Monchat

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