La FletcherMachine d’Adamson porte la Tosca au Zenith

C’est à Orléans en 2013, que la Fabrique Opéra Val de Loire dévoilait son concept d’opéra coopératif. En programmant un opéra par an dans une salle accessible au plus grand nombre, l’association rend l’opéra universel et populaire. Le spectacle offre, avec une scénographie adaptée et une mise en scène intégrant une narration en français, de nouvelles clés de compréhension et touche ainsi tous les publics.

Nous retrouvons la Fabrique Opéra cette année au Zénith d’Orléans pour une représentation de la Tosca, avec cette fois-ci une dimension supplémentaire. Sous l’impulsion de l’ingénieur système Franck Niederoest et l’accompagnement d’Adamson et de son distributeur DV2, la diffusion du spectacle est devenue spatialisée grâce à la FletcherMachine, une première pour la production et les équipes techniques.


© Alain Mauron

Le résultat a été la satisfaction d’une expérience sonore réussie et un public conscient de partager un moment d’exception. Il sera difficile de revenir en arrière. Pour comprendre ce que la sonorisation spatialisée a apporté, le mieux est d’écouter Séverine Gallou et Sylvain Béziat qui œuvraient au mixage et Franck Niederoest au calage système, nous en parler.

Pour Franck Niederoest, c’était une première. L’implantation du système son a été effectuée après plusieurs échanges avec Julien Poirot, Système Support et Education chez DV2, quant aux règles à respecter pour ce type de projet et les adaptations à effectuer liées à ses contraintes. Une journée de préparation avec l’équipe Adamson et DV2 a permis de définir l’approche de la spatialisation et de valider le bon système à déployer. Sa mise en œuvre s’est effectuée facilement avec un résultat conforme aux attentes et a été rapidement obtenu.

Vue globale du système spatialisé en place pour les gradins, les trois parterres et les retours.

SLU : Peux-tu nous décrire le système de sonorisation spatialisé qui a été installé pour cet opéra ?

Franck Niederoest : Le système Adamson comprenait 5 arrays de diffusion frontale Adamson composées chacun de 9 enceintes S10 accrochées sous un subwoofer S119. Au sol nous avions 3 lignes de 4 IS5C devant chaque groupe d’audience à l’orchestre. Et pour les retours, une ligne composée de 3 groupes de 4 enceintes amplifiées CS7P accrochés au manteau. Ce système était intégralement spatialisé par une FletcherMachine (AFM) Traveler 64/32 Dante.

SLU : Des retours spatialisés, ce n’est pas commun…

Franck Niederoest : Le gros avantage de ce retour spatialisé, c’est son efficacité et sa rapidité de travail. Avec cette option, les retours sont, à quelques détails près, un miroir du mix façade. Donc, dès que la balance était prête en façade, elle l’a été immédiatement aussi dans les retours et les chanteurs ont pu travailler immédiatement avec un rendu en correspondance avec le visuel de l’orchestre. Les mixeurs ont ensuite amélioré en choisissant dans le détail quels objets sonores ils y envoyaient. Nous avons juste rajouté quelques enceintes dans des zones d’ombre générées par les décors.


Tout en haut, accrochés à une perche, les trois ensembles de quatre CS7P Adamson en charge des retours. Spatialisés qui plus est ! © Denis Guichard.

SLU : D’où vient cette idée ?

Franck Niederoest : Pendant notre journée de préparation avec Adamson et DV2 sur la FletcherMachine, nous nous sommes demandé comment faire pour produire rapidement et avec efficacité le son des retours. Julien Poirot a soumis l’idée de cette ligne spatialisée. Nous avons tout simplement ajouté un layer dans la FletcherMachine.

SLU : Combien avions-nous de layers en tout ?

Franck Niederoest : La spatialisation complète de la diffusion a été gérée avec 6 layers. Un principal pour les cinq lignes, un pour les subs, et oui, on travaille aussi les subs en spatialisé, trois pour les fronts comme cela on dose comme on veut chaque parterre, et un dernier pour les retours.

SLU : Au niveau du calage système, comment as-tu procédé ?

Franck Niederoest : C’était la première fois que je calais un système spatialisé mais je ne peux pas dire que c’était complexe. Ça demande un peu plus de mise en œuvre parce que plus de points moteurs, plus de boîtes, un peu plus d’amplis, mais rien de dramatique. Cela reste des petits systèmes simples à déployer, C’est juste un processus différent.
Une fois en l’air, on va faire un premier routing pour faire le calage et effectuer nos mesures. Une fois le calage effectué, on passe au routing vers la FletcherMachine. Tout ceci se fait en Dante et tout se passe très bien.

Une belle couverture des gradins. Pour les trois parterres à l’orchestre, ne pas oublier l’incidence du son direct.

J’ai calé ligne par ligne, afin d’obtenir la même réponse sur chacune d’entre elles. Je fais de la multi-mesure sur 4 points, en l’air et au sol sur de la moyenne. C’est tout. Le reste est géré par la FletcherMachine.

Pour les fronts, c’était un peu différent. La difficulté posée ici dans un Zenith était de bien faire le lien avec la proximité de l’orchestre des premiers rangs et les lignes qui sonorisaient les gradins.

Sur le parterre, nous avons fait un mix entre le son direct de l’orchestre et les fronts avec les IS5C dans lesquels étaient juste envoyés des renforts d’instruments et les voix. C’était un très bon compromis et un petit challenge pour l’ingénieur du son.

SLU : Pour la distribution et l’amplification ?

Franck Niederoest : Toute la distribution des signaux était effectuée en Dante format 48 kHz puisque toutes les consoles, amplificateurs et processeurs étaient liés et donc limités par la CL5 à 48kHz et tout cela géré sur 6 layers de la FletcherMachine. L’amplification du système complet de diffusion spatialisé était assurée par 13 PLM20K44 et 3 PLM10000Q.

Une vue du réseau articulé autour de trois switches Ghost reliés en fibre et en charge de véhiculer le Dante, mais pas que !

SLU : Ce système spatialisé a été facile à installer ?

Franck Niederoest : C’est toujours un challenge de loger le kit son et le kit lumière. Avec toutes les contraintes du Zenith et celles de l’intégration de l’orchestre, ça a été de bons petits défis et pas mal d’AutoCAD et de 3D pour se rendre compte que tout allait bien fonctionner ensemble. Avec un système traditionnel, on aurait un peu plus ouvert et on aurait fait un central et un front, donc pas tant de différences.

SLU : Justement, par rapport à une sonorisation non spatialisée, quel ressenti ?

Franck Niederoest : L’énorme avantage que j’ai ressenti est que chaque boîte a plus de dynamique et de bande passante, ce qui donne au système beaucoup plus d’ampleur. Je pensais a priori que juste les cinq subwoofers en l’air ça serait un peu tendu… mais pour du symphonique, c’était impeccable. Cela m’a beaucoup fait réfléchir.


Un Zenith, 5 arrays de S10 Adamson parfaitement éclairés et 6 layers ; tout est prêt. © Denis Guichard

SLU : Et pour la suite ?

Franck Niederoest : Globalement c’était une superbe aventure. Maintenant j’ai envie d’en faire plus. On recommencera l’année prochaine. Le futur projet nous dira si l’on conserve la FletcherMachine Traveler 64/32 avec 6 layers de sortie ou s’il nous faudra passer sur la FletcherMachine Stage Standard qui en comporte 8 au format 64/64. Nous avions une très belle ouverture avec 22,80 mètres de scène et 5,80 mètres entre chaque array. J’en ajouterai peut-être deux petits aux extrémités.

Je placerai aussi bien volontiers quelques boîtes en salle pour apporter une dimension supplémentaire. Juste quelques boîtes au plafond pour donner plus d’enveloppe jusqu’au fond des gradins et, par exemple, diffuser un peu plus la réverbération. Avec une grande jauge comme un Zenith, je ne suis pas prêt à me lancer dans un 360° complet pour des soucis de cohérence de perception, mais un complément surround pour donner un peu plus de corps à la salle, me parait être un bon compromis.


Sylvain Thévenard (Adamson), Sylvain Béziat (Ingé voix), Denis Guichard (DV2), Séverine Gallou (Ingé orchestre), Franck Niederoest (ingé système), Julien Poirot (DV2), Martin Trinquart (Régisseur HF). © Alain Mauron


Maintenant que le système est installé, nous retrouvons les ingénieurs du son qui œuvraient sur les représentations, Séverine Gallou pour le mixage orchestre et Sylvain Béziat pour le mixage voix. Une première également pour eux et une énorme satisfaction comme vous allez pouvoir vous en rendre compte.

SLU : Pour commencer qui êtes-vous et quelles sont vos spécialités ?

Séverine Gallou : J’ai commencé à travailler dans le son live en 2003 après une expérience en acoustique industrielle et mon passage à l’ISB. Mes goûts personnels m’ont dirigée vers les musiques acoustiques, musiques du monde, jazz et classique, avec une activité polyvalente entre façade et retour.
J’ai rencontré l’équipe du “Violon sur le sable” qui organise des concerts avec orchestre symphonique sur la plage de Royan dans lesquels je tiens les retours. C’est eux qui, dès 2005, m’ont mis le pied à l’étrier en sonorisation de musique classique.

Si vous ne connaissez pas Un Violon sur le Sable, cliquez ici pour notre reportage sur ce festival tellement original et poussiéreux pour le matériel : Un violon, des potes et du STM dans le sable de Royan

Sylvain Béziat : Je fais beaucoup de musique live. J’ai grandi dans le jazz et la musique du monde avec un grand rapport à l’acoustique. Je suis arrivé sur la Fabrique Opéra dès la première année à Orléans et nous ne nous sommes plus quittés. C’est la neuvième cette année et la première fois que j’utilise un système spatialisé.
Donc une grosse inconnue sur un dossier important avec des habitudes, on les connaît, aussi appréciables que dangereuses dans ce métier. Il faut se remettre en question. Cela fait longtemps que je voulais essayer parce que totalement adapté au style de musique que je sonorise.

SLU : Sur cet opéra, vous êtes deux techniciens à travailler en commun

Séverine Gallou : Oui, le principe de la Fabrique Opéra est d’avoir deux régies. Une pour le mixage des voix gérée par Sylvain Béziat, et une pour le mixage orchestre dont je m’occupe. Il n’y a pas de régie retour.

SLU : Quel était le setup de mixage ?

Séverine Gallou : Nous avons mixé sur Yamaha. Moi sur une Rivage PM3 pour l’orchestre et Sylvain sur une CL5 pour les voix. J’avais deux racks de scène Rio D2 pour l’orchestre soit 64 canaux. La prise de son n’était pas en micro embarqué, cela restait de l’overhead avec quand même une volonté de rechercher de la proximité.


Tout Yamaha pour le FOH Voix et le FOH Orchestre. © Denis Guichard

J’avais une cinquantaine de sources, que j’ai envoyées individuellement en direct out vers la FletcherMachine. J’ai juste fait quelques groupes ponctuels pour rentrer dans le maximum des 64 objets permis par notre configuration. J’ai aussi gardé des objets de spare, pour pouvoir répondre à tout moment à des demandes imprévues pendant les répétitions.

Une tablette en remote de la FletcherMachine pour aller mixer les fronts. © Séverine Gallou

SLU : En réalité vous étiez deux à utiliser la FletcherMachine ?

Séverine Gallou : Oui. J’envoyais mes sorties directes dans la Fletcher et Sylvain envoyait aussi les siennes pour les voix. C’est la Fletcher qui mixait le tout. Nous avions chacun un ordinateur de remote avec un écran tactile pour intervenir sur la même FletcherMachine. J’avais aussi à dispo une tablette qui me permettait d’ajuster ma spatialisation en me déplaçant dans la salle. Je l’ai utilisée pour les mix des parterres.

SLU : Quels changements par rapport à votre configuration habituelle ?

Sylvain Béziat : D’habitude dans une configuration gauche/droite, comme l’ouverture de scène est très large, on rattrape avec un renfort central. Au niveau consoles, nous en avions une première qui gérait les voix plus les retours et une autre qui partait en façade et qui reprenait les premix voix pour les mélanger avec toute la base orchestre.

Ici, avec la FletcherMachine, tout ceci ne pouvait plus fonctionner. Nous avons donc dû tout oublier et utiliser du mixage objet. Avant la journée de préparation, cela me semblait complexe et rien que de l’imaginer tout prenait des proportions énormes.
Et en fait, j’ai découvert que la spatialisation simplifiait les choses et apportait beaucoup de logique. Ça s’est passé avec une simplicité et un naturel assez désarmants et je dois dire, délicieux. J’ai pris un énorme plaisir à travailler pendant ces dix jours.


La FletcherMachine Traveler, 64 objets spatialisés dans cette petite boîte ! © Denis Guichard

SLU : La journée de préparation dont tu parles était indispensable ?

Sylvain Béziat : La journée de prep a été plus qu’importante. Il faut tout repenser. On arrive plus avec son mixage stéréo pour écouter…il faut un multipiste. Cela nous a permis de tout préparer et c’était indispensable.

Séverine Gallou : Oui bien sûr pour appréhender la FletcherMachine que nous ne connaissions pas. En plus, il est possible d’avoir gratuitement une machine virtuelle de 24 entrées vers 12 sorties qui fonctionne sur ton propre ordinateur. Je m’en suis servie pour m’entraîner sur le soft avant d’arriver à Orléans.

J’avais la possibilité de mettre 5 petites enceintes dans mon salon avec une simple carte son, plus un virtual soundcheck via une carte son virtuelle interne Blackhole qui jouait des instruments d’orchestre. J’ai pu prendre en main le logiciel et faire quelques tests audio très intéressants.

SLU : Le choix technique d’un layer spatialisé pour les retours, c’était osé ?

Sylvain Béziat : Quand on m’a proposé les retours en spatialisé, ça a été compliqué dans mon cerveau. Initialement je mixais les retours, mais là avec la Fletcher, ce n’était plus possible. Généralement je reçois un premix de l’orchestre que je mélange avec les retours voix, et avec un iPad je vais sur scène ajuster. En plaçant cette ligne de retour spatialisée, les retours étalent comme la face, qu’importe l’endroit où on se situait, la perception de l’image sonore de l’orchestre était parfaite.
On s’est retrouvé avec un son très naturel et une couverture de plateau très homogène Le résultat était déroutant par rapport à des retours latéraux très directifs. J’avais l’impression que l’orchestre était énorme mais sans entendre les enceintes. Les chanteurs n’avaient pas le défaut de proximité des enceintes de retour classiques et c’était très confortable pour eux dans leurs déplacements. J’ai juste gardé sous le coude des enceintes de proximité pour un renfort ponctuel.

Séverine Gallou : Pour entrer dans le domaine du spatialisé, c’est un bon exemple. Les chanteurs d’opéra ont surtout besoin d’un retour orchestre et pas forcément de leur voix car ils développent une bonne puissance. D’habitude je fais des mix orchestre mono dans des enceintes latérales. Mais si passer d’un mix stéréo vers un mono cela reste cohérent, avec un mix spatialisé en point de départ, je me suis demandé comment j’allais faire.

Et en plus nous allons le voir, les traitements que je suis amenée à faire pour un mix spatialisé sont assez différents de ceux d’un mix stéréo, et encore plus d’un mix mono. Donc cela m’inquiétait beaucoup. L’idée de spatialiser les retours a suivi cette analyse et s’est avérée extrêmement efficace. Nous avons utilisé un layer pour les retours qui suivait naturellement le mixage objet, en miroir du mix de face.

SLU : Et pour les chanteurs ?

Séverine Gallou : Les chanteurs ont apprécié cette diffusion cohérente avec la position de l’orchestre. A la différence du latéral, il n’y avait pas d’effet de masque par les figurants sur scène. C’était une importante plus-value pour eux. D’habitude, les retours avec les chanteurs c’est compliqué. Plus fort…moins fort… Un sujet permanent qui revient toujours pendant toute la durée des répétitions.

Après la première journée de calage, c’était parti. Tous les chanteurs ont oublié qu’il y avait des retours. J’ai juste positionné les enceintes de retour dans l’espace de la FletcherMachine. Tout le calcul de mixage dans ces trois lignes d’enceintes était en réalité fait par la Fletcher. Je n’ai pratiquement rien touché et tout était parfait. Nous avions juste deux trois enceintes pour servir des endroits masqués par le décor dans lesquels j’envoyais une simple réduction mono de la Fletcher, idem dans d’autres enceintes pour les loges et en backstage.

Les 64 objets de la Fletcher sont utilisés entre les voix, chœurs et orchestre.

SLU : C’est ton premier mix objets ?

Séverine Gallou : C’est la première fois que je mixais objet en spatialisé. Nous avons découvert la FletcherMachine pendant notre journée de préparation. C’était assez utile car, au début, je pensais que j’allais gérer dans les objets des groupes d’instruments, par exemple violon 1, violon 2.
Mais en comparant entre la spatialisation d’un groupe d’instruments stéréo et celle d’un objet par instrument, je me suis rendu compte que c’était le jour et la nuit.
Avec un groupe stéréo on refait une sommation à la noix qu’on envoie dans la spatialisation ce qui n’est plus le cas avec un objet pour chaque micro. J’ai donc revu toutes mes idées préconçues et j’ai envoyé toutes mes sources micro en sortie directe dans des objets dédiés.

SLU : La prise en main était rapide ?

Séverine Gallou : Plutôt oui. La question était comment je place mes objets pour commencer. Je les ai placés visuellement, dans leur position réelle dans l’orchestre et ensuite j’ai affiné à l’écoute. Je suis intimement persuadée que le nerf de la guerre est d’avoir un système bien calé qui permet, une fois l’objet dans la machine, de restituer très naturellement un son s’il est placé au bon endroit. Surtout qu’ici, nous avons la source directe de l’orchestre qui venait se cumuler.

Sylvain Béziat : J’avais choisi une CL5 parce que j’étais un peu inquiet d’exploiter un système que je ne maitrisais pas. Avec cette console que je connais par cœur, j’étais tranquille. Je voulais assurer cet aspect pour me concentrer pleinement sur la découverte du spatialisé.

La visualisation de l’impact d’un objet, ici pour la voix de Tosca, dans les différentes enceintes. On voit aussi qu’elle n’est pas dans les retours.

Maintenant, j’avoue que pour l’année prochaine, j’aimerais évoluer vers une surface qui me permette d’avoir directement la main sur les objets. Bien que l’écran déporté soit indispensable pour contrôler les positions et les mouvements en temps réel, je m’y suis fait très vite.

J’ai trouvé génial la visualisation de l’impact d’un objet dans les différentes enceintes. C’est un point très important qui rassure et qui montre exactement ce qui se passe dans la diffusion. On comprend très vite et on peut éviter de mauvaises surprises quand on déplace un objet.

SLU : Comment se sont passées les répétitions ?

Séverine Gallou : Nous avions plusieurs répétitions pour l’artistique et la mise en scène. Quand elles commencent, nous devons être prêts à la technique son. Quand l’orchestre arrive, il commence directement avec les chanteurs. Donc je suis déjà censée envoyer du son d’orchestre sur scène. J’ai pu négocier une demi-heure d’orchestre seul avant l’arrivée des chanteurs et ça a suffi. Les objets étaient prêts, nous les avions programmés en avance et j’ai pu envoyer du son même plus rapidement qu’avec un gauche/droite traditionnel.

Les lignes de front fills, en IS5C, quatre exemplaires pour chacune des trois zones de spectateurs assis face à l’orchestre. © Alain Mauron

SLU : Comment as-tu géré les différentes zones d’audience ?

Séverine Gallou : Avec les layers de la FletcherMachine. Nous avions le layer de face pour les arrays en frontal, le layer de sub positionné au même endroit, et puis trois layers de 4 petites enceintes, un pour chaque carré de chaises pour leur redonner une spatialisation individuelle.

Comme ces enceintes sont dans la FletcherMachine à leur position géographique, il n’y a pas du tout la même chose dans chacun de ces layers. Mais je pouvais choisir pour chaque objet dans quel layer je l’envoyais. Je suis allée écouter chaque parterre en n’ayant rien dans les fronts et j’ai juste ajouté les objets des instruments qui manquaient. C’était très transparent comme méthode.

Par exemple, pour le carré de cour, je renvoyais plus de harpe et de violons. Dans le carré jardin, un peu plus de bois ou de bassons. J’ai vraiment fait à la carte pour chaque parterre. Au centre il n’y a pratiquement rien car l’orchestre est naturellement équilibré acoustiquement. Bien sûr Sylvain y envoyait toutes les voix des chanteurs pour ramener de la présence et de l’intelligibilité.


Les premiers rangs bénéficient aussi du son direct de l’orchestre. © Denis Guichard

SLU : Malgré la proximité du public, ça fonctionnait ?

Séverine Gallou : J’ai adopté cette manière de faire uniquement parce que le public est fixe et ne bouge pas. Nous avions 1m50 entre les front fills et le premier rang. Le public se trouve donc dans la configuration exigée par ce principe de spatialisation, d’être dans la couverture de trois enceintes minimum.


Les 5 arrays du frontal ne s’occupent que des gradins. © Denis Guichard


Les layers : Main (bleu foncé juste sous le rose), Subs (rose), les 3 lignes de front (rouge, bleu ciel, orange) et les retours (ocre).

SLU : Et le layer principal de face ?

Séverine Gallou : Le système principal ne couvrait que les gradins et c’était une bonne chose. Si nous avions fait le choix d’aller jusqu’au parterre avec des arrays placés aussi haut, nous aurions eu l’impression d’un son venant du toit.

SLU : Les subwoofers sont spatialisés avec la FletcherMachine ?

Séverine Gallou : Le spectre descend quand même avec les contrebasses, les timbales, etc… Ce que je n’aime pas en classique ce sont les subs posés car on a un effet de sol qui n’est pas désiré. Ici comme j’avais un layer séparé, je pouvais choisir les objets que j’envoyais dans les subs.
J’ai beaucoup apprécié l’absence de point central. Le sub étant intégré à la source sonore, les graves de chacun des instruments sortaient bien à leur position dans la spatialisation. On peut dire que les subs sont ainsi spatialisés. Pour du classique c’est très beau et très naturel. Le fait que les arrays couvraient tout le spectre avec une cohérence spatiale, était un vrai plus.


Les subwoofers intégrés dans le main et donc spatialisés, une particularité d’Adamson et de la FletcherMachine. © Alain Mauron

SLU : Et tu as dû fournir des stems ?

Séverine Gallou : Nous avons toujours besoin de ça pour l’enregistrement de vidéos. J’ai pu choisir ce que je mettais dedans. J’ai donc fourni l’orchestre en stéréo et deux stems, un pour les voix lead et un pour les chœurs. J’ai été étonnée de la qualité des downmix mono ou stéréo de la Fletcher.

Vue globale des objets de l’orchestre uniquement, les voix et chœurs sont masqués.

SLU : Comment avez-vous géré le placement des objets pour l’orchestre ?

Séverine Gallou : Je me suis aperçue très vite que j’avais vu trop grand en ouverture dans le placement des objets. En définitive ma harpe était complètement dans l‘array de jardin, elle sortait des enceintes et ne donnait pas l’impression d’arriver physiquement de là où elle était.

J’ai dû revoir l’échelle et les proportions pour resserrer un peu l’image spatiale de l’orchestre. Pour me donner des limites, je suis allé aux extrémités et j’ai écouté les instruments à l’aveugle. Je pointais du doigt ou je les entendais et quand je rouvrais les yeux si ce n’était pas bon, je corrigeais dans la Fletcher pour qu’on ait toujours l’impression d’entendre les instruments d’où ils viennent et ainsi oublier qu’on avait une sonorisation.


Les voix sur la FletcherMachine, au doigt, à l’œil et à l’oreille de Sylvain. © Alain Mauron

Sylvain Béziat : Les voix partaient dans tous les layers. En revanche dans les retours ce n’était pas systématique.

SLU : Et les déplacements d’objets ?

Séverine Gallou : Pour moi il n’y avait pas de raisons de faire de mouvements sur un orchestre statique, cependant pour les voix, cela avait tout son sens, n’est-ce pas Sylvain ?

Sylvain Béziat : Bien sûr ! A la première répétition, j’ai gardé, comme en stéréo, les voix au centre et ouvert un peu les chœurs. Mais très rapidement je me suis dit que j’allais beaucoup plus jouer. J’ai suivi les voix. Sur La Tosca c’est assez tranquille. J’ai pu le gérer manuellement, sans l’aide de trackers. J’ai trouvé une façon de déplacer les objets qui rend le mouvement très naturel.
Beaucoup de personnes du public ont remarqué que l’image sonore suivait le chanteur. Elles ont apprécié ce raccord avec le visuel au contraire d’une voix qui reste au centre. Il faut connaître l’œuvre et suivre la mise en scène. Comme je ne pouvais bouger qu’un seul objet sur l’écran, je privilégiais certains mouvements à d’autres et comme cela attirait l’oreille et l’attention du public, cela fonctionnait très bien.

J’envoyais depuis la CL5 vers la Fletcher une commande MIDI pour rappeler des mémoires. J’en ai fait beaucoup moins que d’habitude. Juste sur des passages spécifiques pour raccrocher un objet sonore. Comme je déplaçais les objets en temps réel, j’évitais ainsi des écarts de positions entre des rappels de mémoire et la position courante. L’idée est de garder plus la main sur la Fletcher. Mais comme on a travaillé à deux sur la même machine, discipline et communication étaient de rigueur.


Une seule réverbération utilisée, celle de la FletcherMachine.

SLU : As-tu utilisé des processeurs de réverbération ?

Séverine Gallou : La seule réverbération que nous avons utilisée est celle de la FletcherMachine. Elle fonctionne très bien, très facilement configurable et hyper naturelle. Sur un orchestre en général je ne mets qu’une seule réverbe et là je pouvais la doser par objet comme j’avais envie.

Un peu plus sur certains instruments comme la harpe et aussi en fonction de la proximité de la captation. Pour de l’Opéra, on reste sur un algorithme de hall, ce qui est naturel. En plus dans la Fletcher il y a une barre grise qui nous permet de visualiser son mur de réflexion. On peut facilement adapter la réverbe en bougeant ce mur virtuel.

Sylvain Béziat : J’utilise normalement une Bricasti. Mais ici, je trouvais absurde d’avoir une Réverbe stéréo dans la spatialisation. J’ai donc aussi utilisé celle de la Fletcher sur les voix. Je l’ai trouvée vraiment très bien. Aucune frustration. C’est devenu très simple : on envoie la reverb, on la rallonge un peu et c’est fait. Le kit est naturel et on se retrouve dans un Zenith qui est bien plus joli. Bien sûr, dès que le public arrive, il en manque. On réajuste et le tour est joué.


Quand le Zenith se remplit, on ajuste la réverbération et c’est tout. © Denis Guichard

SLU : Quelles sont les fonctions de la FletcherMachine que tu as apprécié ?

Sylvain Béziat : Je n’ai rien à dire de négatif sur ce logiciel. Aucun manque. Et nous avons eu de la chance… Sylvain Thévenard, l’un des développeurs de la Fletcher, est venu à notre journée de répétition. J’avais envie de quelques petites modifications et il nous a développé quelques demandes sur place. Nous avons vraiment été très bien accompagnés. L’interface permet une visualisation de ce qui est important. C’est une belle réussite en termes d’interface utilisateur.


La gestion d’un objet. Sa contribution dans chacune des enceintes est illustrée par la taille du disque. On voit que celui-ci n’est ni envoyé dans les subs ni dans les fronts jardin et centre.

Séverine Gallou : J’ai trouvé le logiciel très intuitif et très sobre. Le travail avec les objets est très bien pensé. Le fait de pouvoir grouper des objets ensemble est très pratique pour les violons par exemple. On peut ainsi déplacer des groupes d’objets mais aussi des éléments dans le groupe très facilement.

Sans oublier la possibilité de choisir le mode opératoire par objet ou par layer, soit la machine gère un délai, un minimum délai ou pas de délai. Nous avons utilisé pour être très clair que le minimum délai. Mais je me dis qu’à un moment donné, il peut être nécessaire de pouvoir choisir. Peut-être pour les voix ?

Sylvain Béziat : On est resté en minimum délai mais j’ai un peu triché. Je me suis servi de la visualisation du logiciel pour gérer la profondeur des sources. En respectant la position des chanteurs par rapport au plan d’enceintes, je trouvais que mon déplacement était plus maladroit. En les éloignant du plan d’enceintes, les déplacements latéraux étaient plus fluides. On augmente ainsi leur diffusion dans l’ensemble des enceintes et on évite le détimbrage.
Il est aussi important de sélectionner les objets pour les déplacer en absence de modulation, pour éviter tout type d’interférences. Dans ces opéras on a souvent un narrateur. A chaque fois qu’il parlait, je rappelais une mémoire qui le plaçait plus proche de mon plan d’enceintes, ce qui permettait de mettre sa voix vraiment devant celle des chanteurs avec encore plus de présence pour les spectateurs. Les chanteurs étaient mixés dans la musique et le narrateur devant.

SLU : Au niveau des délais, tu n’as pas tout géré avec la spatialisation ?

Séverine Gallou : Pas complètement. J’ai eu des toms en off avec un chef d’orchestre qui me disait de ne pas les mettre dans la diff. Mais avec un Zenith plein, ça ne marche pas. Surtout pour la personne au fond du gradin ! J’ai mis un micro dessus et j’ai fait un objet hyper loin. Pour ça je n’ai pas utilisé le full délai de l’objet mais j’ai mis des délais dans ma console.
J’ai d’ailleurs aussi délayé tout l’orchestre en mesurant au télémètre par rapport au point zéro de la ligne frontale du chef et des premiers violons. J’aurais pu le faire dans la Fletcher, mais dans la console, je pouvais me faire un on/off pour vérifier si cela apportait quelque chose. Ce n’est pas si évident de savoir si cela va être bien avec les différentes interactions entre les micros. Même ici, avec la spatialisation, ça a super bien marché. Avec le dernier rang comme les clarinettes à 6 m, on regagnait de la précision et de la clarté sur l’orchestre.


Précis jusqu’aux délais sur la console pour tenir compte de la profondeur de l’orchestre. © Denis Guichard

SLU : Tu as un peu détourné le système de spatialisation en fonction de ce que tu voulais entendre ?

Séverine Gallou : En réalité, nous avons déjà du délai de latence dans nos signaux entre console, process et convertisseurs. J’ai fait un vrai point zéro sur mon premier rang, les enceintes étant juste au-dessus. Dans la Fletcher, j’aurai dû mettre mes premiers objets sonores sur cette même ligne. Sauf que cela veut dire qu’un instrument à l’extrême jardin ne serait sorti pratiquement que dans les enceintes jardin, et cela me gênait.
Pour étaler ma spatialisation j’ai reculé virtuellement les objets par rapport aux enceintes. On perd un peu en localisation mais on gagne en spatialisé pour les spectateurs qui sont sur les côtés, et ne bénéficient pas du champ des 5 arrays.

SLU : La spatialisation a changé ta façon de mixer ?

Séverine Gallou : Je me suis rendu compte très vite, et c’est génial, que je ne faisais plus de traitement pour des compromis mais pour de l’esthétique. J’ai pu tout ouvrir avec juste des coupes-bas et la plupart des objets sonores ne se masquaient pas les uns les autres. On sent vraiment la différence entre sommation électrique dans un bus stéréo et la sommation acoustique qui résulte de la spatialisation. J’ai fait beaucoup moins d’eq et en dynamique, où j’utilise juste des compresseurs sur des instruments problématiques, je n’ai ici eu besoin de rien.
J’ai fait des égalisations pour tailler les fréquences un peu sensibles ou atténuer des reprises d’instruments non désirés comme sur les violoncelles où je coupe un peu l’aigu pour atténuer la reprise des percussions derrière eux. A un moment donné, nous avions un quatuor de violoncelles qui jouait tout seul. Je relâchais mon shelf juste pour ce moment et c’était parfait. En spatialisé, on n’a plus aucun problème de sommation, donc beaucoup moins de traitement. C’est beaucoup plus naturel avec moins de perte et un rendu impressionnant.

Sylvain Béziat : J’ai laissé vivre les voix naturellement. Le son est tellement beau et naturel que j’ai juste mis un compresseur sur une voix pour ne pas me faire surprendre sur une entrée. On a une impression de puissance qu’on n’a pas sur la stéréo. Dans ma console, je m’étais préparé comme d’habitude, avec mes eqs, mes compresseurs multibandes, pour finalement me rendre compte que je n’en avais plus l’utilité. Juste des coupe-bas classiques pour éviter des fréquences inutiles.
Les voix étaient beaucoup plus vives, avec une belle puissance. Je n’ai pas ressenti le besoin de tenir leur dynamique. J’ai laissé les chanteurs se poser naturellement. Si pendant les répétitions, quand ils marquent, c’est un peu dérangeant comme d’habitude, pas d’affolement… Quand ils revenaient dans la dynamique de l’orchestre, je n’avais plus rien à faire et je pouvais me concentrer pleinement sur les objets de la Fletcher pour les suivre au plateau.

SLU : Les timbres des instruments sont mieux respectés ?

Séverine Gallou : Par rapport à de la stéréo c’est flagrant. J’ai senti tout de suite que les timbres ne nécessitaient aucune correction. On ne se bat contre aucun effet de sommation perturbant ou autres effets de masque.

Sylvain Béziat : Les timbres de voix étaient parfaitement respectés. J’utilise des DPA 4060 ou 4061 en fonction du chanteur. Généralement je corrige un peu. Ici, pas besoin. Et hop, au suivant. Cela m’a plus bluffé sur les micros chœurs avec un souffle inexistant, une reprise des retours beaucoup plus saine et un recul du Larsen impressionnant… il fallait vraiment aller le chercher.

KM 184

Ce qui m’a encore plus étonné, c’était ma rangée de KM184 que je mets au sol au nez de scène. Ici, quand je les ouvrais pour reprendre tous les chœurs et un soliste, ça fonctionnait mieux qu’à l’accoutumée. Je pouvais faire ressortir le soliste en poussant son micro de proximité, mais beaucoup moins que d’habitude. Le mélange avec les autres micros chœurs suspendus, des DPA 4011, se faisait également avec un naturel étonnant.

SLU : Et par rapport à la dynamique générale qui est importante dans un opéra ?

Séverine Gallou : On équilibre l’orchestre une fois pour toutes. Quelle que soit la dynamique de jeu, on n’a pas besoin de corriger les instruments. La diffusion suit la dynamique de l’orchestre. S’il est équilibré dans la composition et dans la direction, nous nous retrouvons dans la simple situation d’amplifier ce qui se passe, en totale transparence. C’est exactement ce que nous cherchons en musique classique.

Sylvain Béziat : Tout est bien respecté. On oublie vraiment le système. On n’a surtout pas l’oreille qui tend vers les enceintes. L’image est rendue correctement y compris pendant les pianissimi. Cela peut être déroutant mais dans la vraie acoustique, un opéra qui joue pianissimo, il faut aller le chercher. Ici c’est pareil. Dans les fortissimi, l’orchestre devient énorme mais sans agressivité dans les enceintes. Cela fonctionnait très bien, y compris dans les front fill où le mix n’était pas aussi complet que dans la face, pour raccrocher au son acoustique direct de l’orchestre, ça fonctionnait aussi très bien. Donc absolument rien à faire … C’est terrassant !

SLU : Le travail de mixage s’avère plus simple ?

Séverine Gallou : Oui. Comme je cherche vraiment à être fidèle à l’orchestre, finalement ça simplifie mon travail. C’est beaucoup plus facile d’obtenir un orchestre équilibré, J’ai vraiment été bluffé par la dynamique. J’avais entre 10 et 12 db de marge sur mon fader de master avant la première accroche, ce qui ne m’arrive jamais en classique avec tous les micros ouverts. Même si j’avais déjà de la marge par la configuration des enceintes devant l’orchestre et orientées vers les gradins, j’ai bien senti que ce n’était pas que ça. C’est aussi le fait que la sommation est différente.

Sylvain Béziat : La première journée est souvent désagréable car on n’a pas le temps de tout équilibrer et les chanteurs sont souvent mécontents. Complexe à jouer humainement. Ici avec la spatialisation, pas du tout. J’obtenais des jolies voix immédiatement. La dynamique ne les écrasait pas. Cela illustre bien le fonctionnement naturel sans déployer de gros efforts. On peut sans doute aller plus loin sur la spatialisation, mais de but en blanc, ça fonctionnait très bien.

SLU : Vous aviez plus de liberté ?

Séverine Gallou : Oui. Je me suis permis d’en rajouter en dynamique pour mettre un peu plus d’emphase sur le côté dramatique des fins de tableaux ou des fins d’actes. Là, je pouvais pousser au master, (pour moi le master c’est un dca dans lequel j’ai tout dedans). Je fais des dca par pupitres, bien sur toutes mes sorties directes sont post traitement et post fader. Soutenir encore plus l’instant pour avoir un son d’orchestre plus cinéma.

On joue aussi en Zenith et on est face à un public de tous horizons, donc on a des événements qui sortent du classicisme, jusque dans la mise en scène, ce qui nous permet de les accompagner. Quand on était en stéréo, je reprenais les voix dans la console et je faisais l’équilibre voix / orchestre. Ici ce n’est plus possible car tout part dans les objets de la Fletcher. Avec ce dca je peux rattraper l’équilibre si nécessaire.

Sylvain Béziat : Je n’avais en réalité plus besoin de garder la main sur le fader. J’ai beaucoup plus eu l’impression de faire de la musique que de faire du son. C’est une nouvelle façon d’appréhender un mix. Ça me rappelle le début des consoles numériques. Réapprendre à faire. Mais là, c’est vraiment une très grande avancée.

SLU : Est- ce que la spatialisation améliore le sort de certains instruments ?

Séverine Gallou : Effectivement, tous les instruments qui sont dans le grave bénéficient d’une meilleure présence. J’ai eu moins besoin de couper le bas pour éviter du rumble et ainsi je perdais moins leur rondeur. Le timbre est plus respecté et ça facilite la vie. On dissocie mieux les contrebasses, violoncelles et bassons dans cette partie du spectre compliqué à gérer en stéréo. Là on se retrouve sans sommation électrique et on évite des problèmes de phase d’où de plus jolis timbres dans le grave.

Sylvain Béziat : Les voix se détachent naturellement. De même pour la prise de chœurs où j’utilisais une bardée de KM184 en bord de scène. Et bien là, avec la FletcherMachine, j’avais l’impression d’avoir un autre micro. Aucun problème de phase. Comme nous n’avions que 64 objets possibles en tout, j’ai été obligé de faire des groupes sur les chœurs avec un max de 6 objets. J’ai aussi respecté le placement visuel pour eux. Ça serait génial d’avoir un objet par micro.


Six objets pour gérer les chœurs. © Denis Guichard

SLU : On pourrait alors choisir d’autres micros, changer les habitudes ?

Séverine Gallou : Oui, surtout en choix de directivité. J’ai tendance a mettre des hypercardio pour ne pas avoir trop de bazar sur les violoncelles par exemple, mais c’est plutôt medium. En spatialisé, j’ai plus envie de passer sur du cardio qui va me redonner plus de chaleur dans le bas parce que je sais que la sommation avec les voisins ne sera pas destructive. Et mettre plus de larges membranes serait aussi moins pénalisant qu’en stéréo. Cela donne des idées quand on a plus de marge.

Sylvain Béziat : Quand on fait un choix de micro, c’est pour avoir un certain résultat et souvent palier à des problèmes de prise de son. Ici, on n’a tellement pas de problème de phase ni de compromis de prise de son à résoudre, qu’on est amené à revoir nos pratiques habituelles et utiliser de meilleurs micros dans certains cas.

SLU : Le travail avec le directeur artistique est simplifié ?

Séverine Gallou : Le chef se rend compte qu’il y a moins de problèmes d’accroche quand on fait les répétitions. Et surtout, comme nous avions un virtual soundcheck, nous avons pu lui faire écouter le rendu. Il en était bluffé, les larmes aux yeux. Il s’est déplacé de jardin à cour, sur tous les gradins. Nous ne pouvions pas lui rendre compte du parterre car pas d’orchestre en live. Il était épaté, très ému et le premier à dire : on ne peut pas revenir en arrière.

Sylvain Béziat : A la première journée de répétition, on n’a jamais eu un résultat comme ça sans balance. En montant les faders, on avait immédiatement quelque chose d’exploitable, dans la face et les retours. A partir de là on a plus passé du temps à faire de la musique que de régler des problèmes de son. Je n’avais pas l’impression de faire des compromis.
Avec une approche pleine de bon sens, ça fonctionne. Quand Clément Joubert, chef d’orchestre et porteur du projet, vient te voir et te dit que c’est génial, tu lui réponds simplement que tu reproduis juste ce qu’il fait.


Quand le public arrive, il ne s’attend pas encore à une si belle expérience sonore. © Denis Guichard

SLU : Et le public ? A-t-il senti cette différence ?

Séverine Gallou : Je pense qu’une grande partie des spectateurs ont dû avoir l’impression que ce n’était pas sonorisé. Quelques-uns sont venus nous féliciter, ce qui est généralement très rare. En revanche, nous n’avons eu aucune remarque négative, ce qui est encore plus rare.
Ceux qui sont venus nous voir étaient souvent des musiciens, pour nous dire qu’ils n’avaient jamais entendu un son comme ça. Évidemment, idem pour les musiciens de l’orchestre lors du virtual soundcheck. Que des bons échos, cela n’arrive jamais à ce point. C’est la première fois que j’atteins le but recherché qui est d’oublier que le concert est sonorisé et c’est vraiment grâce à ce système de spatialisation.

Sylvain Béziat : Intérieurement, je n’ai jamais été aussi fier de moi qu’après cette représentation. C’est vraiment une tuerie. La satisfaction ne vient pas vraiment de mon boulot mais de ce système qui est bluffant et nous permet d’être avec les artistes, sans aucun compromis à faire techniquement.

SLU : Nous arrivons aux termes de cette intéressante conversation. Que pourriez-vous ajouter pour conclure ?

Séverine Gallou : J’ai pris tellement de plaisir et une vraie claque sur cette représentation que ça valait le coup d’en parler. J’avais beaucoup de choses à dire et je trouve que la FletcherMachine le mérite. Entre le résultat obtenu et la manière de l’utiliser, l’outil est indéniablement séduisant et efficace.

Sylvain Béziat : La spatialisation nous permet de faire accepter une sonorisation même au directeur d’orchestre le plus récalcitrant. La musique est vraiment amplifiée, elle est plus grande à tous niveaux. Avant avec la stéréo on grossissait, et dans “grossissait”, j’entends bien le terme grossier. Là non ! C’est juste terrassant. Quand on revient le lendemain sur un système traditionnel, on a un peu la gueule de bois. Ce concert pour moi est le concert de l’année et j’ai ressenti un plaisir de mixer inconnu jusqu’à présent.

La cerise sur le gâteau. Promis, une seule !

Après ce long article, merci de l’avoir lu jusqu’à la fin, je crois qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit au crédit de l’intérêt d’une sonorisation spatialisée pour une représentation d’un orchestre acoustique. Ce sont les ingés qui en parlent le mieux… et quand ils sont si heureux de faire leur métier, les interviewer est autant un véritable bonheur que celui d’écouter le résultat sonore de leur mixage. Rendez-vous à la prochaine représentation de la Fabrique Opéra, en spatialisé bien sûr.

Plus d’informations sur :

– L’AFM Adamson FletcherMachine
– Le site DV2
– La Fabrique Opéra

 

Crédits - Texte : Christophe Masson - Photos : Alain Mauron, Franck Niederoest, Denis Guichard, Séverine Gallou, Adamson

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