La SMAC Le Temps Machine en Soundscape d&b

Le Temps Machine. ©Patrice-Morel

Derrière l’exploitation réussie des nouvelles avancées technologiques, il y a toujours l’humain et la confiance indispensable à la réussite du projet. Quand Clément Cano-Lopez, directeur technique du Temps Machine et Boris Jacquier-Laforge, référent technique de Scène de Nuit se retrouvent professionnellement quelques années après leur formation respective au sein du même BTS, il semblait inévitable qu’un beau résultat technique allait se produire.

Tous deux intéressés par la sonorisation immersive depuis ses débuts, il ne manquait plus qu’un troisième élément déclencheur pour oser. C’est Mathieu Delquignies, support d’application chez d&b qui l’apporte avec le système Soundscape. La rencontre a été décisive et le système adopté. Le Temps Machine est la première SMAC (Scène de Musiques Actuelles) en France à proposer un système de diffusion spatialisée.


De gauche à droite : Sébastien Bargue (gérant de Scène de Nuit), Clément Cano-Lopez (directeur technique du Temps Machine), Boris Jacquier-Laforge (référent technique Scène de Nuit), Thomas Ebran (chargé d’affaires d&b) et Mathieu Delquignies (application support chez d&b).

Grâce à ses financeurs, Tours métropole Val de Loire, la Drac Centre Val de Loire, le CNM (Centre National de la Musique) et sous l’impulsion visionnaire de sa direction technique, Le Temps Machine devient la première SMAC de France à proposer une sonorisation spatialisée en installation permanente dans sa grande salle de 600 places.

Avec le système Soundscape en action depuis quelques semaines, le public tourangeau est visiblement conquis. Il découvre une nouvelle dimension sonore et surtout apprécie de pouvoir entendre les artistes avec un équilibre sonore identique quelle que soit leur position dans la salle.

La belle ligne de paires d’enceintes d&b AL90 à la face.

Si la technologie de spatialisation sonore évoque immédiatement pour la plupart d’entre nous des sources sonores en mouvement, ce n’est pas son plus grand intérêt. Son principal avantage est de pouvoir offrir à tout l’auditoire une image sonore parfaitement raccord avec le visuel et le résultat est tout simplement impressionnant. Nos protagonistes vont nous expliquer tout ça.

La nouvelle amplification utilisée pour la face et les subs avec DS10 et Fast pour l’alimenter en signal.

SLU : Quelle est la nouvelle configuration d&b que vous venez d’installer au Temps Machine ?

Boris Jacquier-Laforge : Sur la face nous avons 5 stacks de 2 x AL90 (qui renouvellent les anciennes Q1 du gauche/droite), amplifiés par du D40 (un canal d’amplification pour 2 AL90 par stack), une nouvelle génération d’amplificateur qui fournit une belle puissance DSP et réduit par deux la consommation électrique.

Ces enceintes ouvrent à 90° à l’horizontal, indispensable pour gérer correctement la spatialisation. Nous avons changé l’amplification des deux subwoofers J-SUB par du D80, beaucoup plus puissant et plus dynamique. Puis nous avons ajouté des surround latéraux via 2 x 4 E8, avec les nouveaux amplificateurs 4 canaux 5D.


Les E8 en surround latéral.

La console DiGiCo rentre dans une Toolbox en MADI pour être transformée en Dante qui attaque des switches Fast de chez Agora, pour une distribution directe des signaux vers les amplis du surround et via un bridge DS10 en AES/EBU vers les D80 et les D40.
Et bien sûr tout ceci via le processeur DS100, indispensable pour créer un système de sonorisation spatialisé Soundscape, piloté par le logiciel R1 pour la gestion du signal par objets avec l’algorithme de spatialisation En Scene.


Les deux J-SUB ragaillardis par leur nouvelle amplification en D80 suffisent amplement. On les devine dans leur niche.

SLU : Tu nous racontes le cheminement entre l’idée et l’accroche ?

Clément Cano Lopez : J’avais depuis longtemps la vision du multicanal et de la spatialisation. J’ai été sensibilisé par différentes expériences, dans la radio, dans le théâtre dont j’ai été régisseur pendant 15 ans. J’ai fait une licence de design sonore et un stage à l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) de trois mois avec la WFS (Wave Field Synthesis).

La diffusion de la grande salle du Temps Machine avant en gauche/droite d&b…

Nous avions l’investissement validé pour améliorer notre système de diffusion. Cela a été plutôt naturel de penser qu’au lieu de simplement changer les enceintes par des nouveaux modèles, il y avait matière à réflexion sur comment transformer notre salle, en proposant un plus technologique qui nous donnerait une identité, une spécificité particulière et surtout apporter un vrai bénéfice dans l’expérience d’écoute de notre public.


… et maintenant en Soundscape.

Nous pensions aussi à ouvrir un axe artistique nouveau pour les artistes. Nous faisons beaucoup de résidences. De bonnes relations avec Boris qui prenait ses fonctions chez Scène de Nuit et notre forte relation avec Mathieu chez d&b qui équipait déjà nos salles, m’a encouragé à préconiser l’évolution vers la spatialisation.


SLU : Un investissement accepté et mesuré ?

Clément Cano Lopez : Avec une direction qui nous fait confiance et un budget vraiment maîtrisé, le changement de diffusion a été validé. Le surcoût revient essentiellement à l’achat de la matrice DS100 et le logiciel En-Scene.
Les enceintes surround supplémentaires ne sont pas vraiment un investissement lié à la spatialisation, elles sont réutilisables sans problème au sein de notre structure si nous décidions de revenir en arrière… La matrice aussi d’ailleurs peut servir à plein d’autres choses. Pour une structure comme la nôtre, le risque financier est donc vraiment minime.

SLU : Entre la décision d’investissement et l’installation ?

Clément Cano Lopez : Nous avons fait une écoute chez Scène de Nuit sur un orchestre classique. Des oreilles, tout simplement : je me mets à gauche et j’entends tout ce qui se passe à droite dans une belle linéarité. Cela a suffi déjà à dire OK et a confirmer bien ce que je pensais. C’était parti !

SLU : Pourquoi avoir choisi d&b et Soundscape ?

Clément Cano Lopez : On a fait deux mois d’essais et sept concerts. La première chose c’est la qualité de diffusion, c’est une évidence d’autant que nous étions déjà équipés en d&b. La deuxième, c’est le côté versatile du système. L’ingé du son accueilli n’en veut pas, on passe en gauche/droite en quelques secondes.
La troisième, l’impact sonore. Nous avons fait une soirée dub il y a deux semaines en Soundscape. Fort volume sonore et en réalité, on jouait entre 95 et 98 dB. Avec un bon front d’onde de face, on arrive à baisser les niveaux. Et bien sûr, passer à la spatialisation pour être moteur sur la musique actuelle, pour avoir un lieu de spectacles qui permet d’aller plus loin.


En frontal, cinq stacks d’enceintes identiques…facile à caler

SLU : Avez-vous l’impression d’avoir une nouvelle salle ?

Clément Cano Lopez : Je dirais plutôt un nouvel outil. Nous avons un son frontal massif, homogène et uni. C’est déjà très important et ce n’est que le point de départ. Le surround servira la créativité dans un second temps. Il ne faut pas s’égarer quand on parle de spatialisation dans une salle de spectacle. Surtout ne pas s’imaginer être dans un parc d’attraction.
Le fondement de ce type d’installation est de passer d’un système stéréo qui marche moyennement, à une système de diffusion qui fonctionne en permettant à n’importe quelle personne dans la salle d’entendre une image sonore en parfait rapport avec ce qu’elle voit. On ne l’a peut-être pas assez dit, mais c’est une véritable révolution.

SLU : Comment cale-t-on un système spatialisé Soundscape ?

Boris Jacquier-Laforge : Nous nous servons des DSP dans les amplis pour le système. Le DS100 ne gère que le traitement de la spatialisation. En tant que prestataire et en tant que partenaire d&b, on livre une diffusion en fonction du cahier des charges décrit par le lieu et on fait une proposition de calage. Ensuite le calage est optimisé au quotidien par le travail d’Olivier Roisin en tant que régisseur.
Cela m’a pris moins de temps que d’habitude. Le principe de ce système est d’avoir en frontal cinq stacks d’enceintes identiques. Finalement une fois qu’on en a calé un, on agit de la même manière sur les autres. On fait pratiquement du copier/coller. La série AL est un hybride entre une enceinte à courbure constante et un line-array, on gagne en cohérence au lointain.
Après on a les E8 sur les latéraux. On ne peut bien sûr pas demander à un 8” d’avoir le même rendu dans les graves que quatre 10” ! Il faut juste reproduire une réponse spectrale dans les E8 qui soit en cohérence avec le système principal.

Le processeur DS100 avec seulement 1.3 ms de latence.

SLU : Il n’y a pas d’alignement temporel à faire au niveau des enceintes ?

Boris Jacquier-Laforge : Surtout pas, malheureux ! C’est la matrice DS100 qui gère ça. Il y a quand même un délai à rentrer dans le mode stéréo, pour satisfaire la demande du Temps Machine qui est de pouvoir offrir un simple gauche/droite à tout technicien qui refuserait d’utiliser le mode spatialisé.
Pour ça on a décidé de garder un LCR et on retarde le central pour éviter qu’il ne soit prédominant. Et éventuellement on délaie un peu le subwoofer. On est dans l’ordre du détail. C’est vraiment très rapide à faire. Il faut savoir que dans l’utilisation d’un Soundscape en touring où j’ai généralement aussi les 5 stacks frontaux, je divise par deux mon temps de calage.

SLU : Pour toi, quels sont les points forts du Soundscape et de sa WFS ?

Boris Jacquier-Laforge : Le début de tout vient de cette réflexion : nous avons un super orchestre et un superbe visuel. Quand on écoute à la régie c’est parfait. Mais dès qu’on se déplace, on n’a plus du tout l’image sonore qui raccorde avec le visuel. Avec Soundscape et son interprétation de la WFS, nous avons la solution pour créer une image sonore identique dans toute la salle qui s’affranchit de l’endroit où l’on se trouve.

Autre problème souvent rencontré c’est la taille des stacks. Quand un système standard peut nécessiter des tailles assez importantes qui viennent perturber le cadre scénique, l’utilisation de la WFS permet d’utiliser des stacks de taille beaucoup plus petite, tout en gardant une même impression de volume sonore. C’est particulièrement remarquable ici au Temps Machine, où pour des pressions mesurées réduites, nous avons une impression étonnante.

La face arrière du processeur DS100 d’une sobriété exemplaire.

SLU : Donc, déployer un système Soundcsape dans une salle ou même en touring, ce n’est pas si compliqué qu’on peut le penser ?

Boris Jacquier-Laforge : Nous nous sommes aperçus que l’utilisation de Soundscape apporte bien plus d’avantages et contredit un grand nombre d’idées reçues. Le nombre d’enceintes à déployer n’est pas forcément plus important qu’un système traditionnel, ce qui n’accroit pas les besoins d’accroche et même diminue la charge en la répartissant.

Le système s’intègre dans les configurations existantes en ajoutant simplement le DS100 et les outils de simulation prenant en compte la spatialisation, permettent d’installer un système rapidement sans surcoût démesuré. Et si jamais on doit revenir au gauche/droite, nous utiliserons quand même Soundscape. Nous ferons un mixage objet qui, malgré le manque d’enceintes, nous permet d’obtenir un résultat beaucoup plus précis qu’une stéréo classique, avec une précision de position et un respect du timbre…

SLU : En quoi le DSP intégré dans le DS100 est particulier ?

Mathieu Delquignies : L’idée première est de faire de la convolution numérique en temps réel pour traiter des signaux en phase et en amplitude avec des réponses impulsionnelles qui font 6,3 secondes, soit une résolution de 0,16 Hz. Avant il fallait que le processeur travaille pendant 10 secondes pour traiter 10 secondes de signal.

Autant dire que c’était inexploitable dans le live. Aujourd’hui, le traitement DSP développé par d&b et intégré dans le DS100 est capable de le faire en 1 milliseconde. En prenant en compte son interface d’entrée sortie Dante, le processeur a une latence de 1,3 ms. Ceci autorise parfaitement son utilisation dans les applications live. A partir de cette possibilité de traitements nous avons développé le système Soundscape.


Le logiciel R1 permet de positionner les objets sonores selon l’algorithme En Scene.

SLU : Un système Soundscape comporte quels équipements et logiciels ?

Mathieu Delquignies : Au processeur DS100, nous associons une solution logicielle que nous avons développé pour gérer la spatialisation.
Le premier logiciel indispensable est En-Scene. Il permet de faire le mixage des objets sonores dans l’espace. Le logiciel récupère de ArrayCalc notre logiciel de simulation, les positions d’enceintes et va s’occuper de toute la cuisine entre les deux avec nos propres algorithmes.

Si effectivement les systèmes de spatialisation existent depuis longtemps, le Dolby cinéma date de 1976 et le fait de pouvoir décorréler la phase est une véritable avancée. Ceci supprime le problème d’effets secondaires qui perturbait le timbre et la couleur de l’instrument en fonction de sa position. Nous avons donc travaillé et mis au point un système de spatialisation qui permet de ne pas altérer le son d’un instrument quand on le déplace dans l’espace.
Un autre logiciel En-Space permet d’émuler des acoustiques en exploitant des réponses impulsionnelles qui sont des échantillons de vrais salles existantes. On s’est rendu compte qu’en spatialisant les sons, il était judicieux de pouvoir recréer une acoustique naturelle dans des situations comme les concerts en plein air ou des salles très mates.

Neuf réponses de salles sont proposées pour l’instant, dans un répertoire classique étendu allant d’une taille réduite jusqu’à la cathédrale. Ce sera très utile pour la sonorisation de musique classique. Cela permet de rapprocher les premières réflexions ce qui est peut-être aussi très intéressant pour le ressenti des musiciens. Ce logiciel n’est pas obligatoire, c’est un plus qui peut être ajouté si le besoin de simuler une salle est nécessaire.


Le logiciel En-Space pour émuler des acoustiques de salles.

SLU : Et comment tout cela s’intègre ?

Mathieu Delquignies : Le workflow est très important et guide beaucoup notre développement. La limite de ce type de système était son temps de déploiement sur les tournées. Aujourd’hui, le DS100 s’intègre dans le déploiement normal d’un système, ce qui ne prend pas plus de temps d’installation.

ArrayCalc intègre la simulation Soundscape pour valider la localisation. Ici le très bon résultat de la salle du Temps Machine.

On fait la simulation dans ArrayCalc, puis avec notre logiciel de contrôle à distance R1, on envoie tous les paramètres dans les électroniques, y compris le DS100. C’est un véritable écosystème audionumérique, pour l’instant en Dante mais sûrement prochainement en Milan. Nous proposons aussi un outil de simulation psycho-acoustique qui permet de quantifier le résultat. Cela prend la forme d’un mapping coloré avec des petites flèches.


Et bien sûr le niveau de pression acoustique obtenu par le système frontal à 2 kHz avec un mini point chaud central à 104 dB SPL.

A une position donnée dans l’auditoire, si on entend le son au bon endroit par rapport à sa position dans l’espace, c’est vert, si ce n’est pas le cas, c’est rouge ou plus ou moins jaune.

En plaçant tel type d’enceintes et leur nombre, on va savoir si on peut reproduire les sons avec une spatialisation fidèle ou pas. On a donc la possibilité de valider et de tester un design spatialisé en amont.


SLU : Quel est l’avantage immédiat de Soundcape ?

Mathieu Delquignies : Dans la plupart des projets, cela permet de retrouver l’écoute analytique qui facilite le suivi de chaque instrument. C’est l’objectif premier de la part des metteurs en scène et des artistes dans l’utilisation de cette technologie.
Un autre objectif de plus en plus présent, lié aux autres technologies immersives comme les jeux vidéo ou le streaming Atmos, est de permettre la diffusion de projets qui ont une écriture immersive dans la production et transposer cette écriture qui fonctionne à l’origine pour un auditeur placé à un sweet spot idéal chez lui, vers l’audience très large d’une salle de concert.

SLU : Et répondre aux besoins de la scénographie ?

Mathieu Delquignies : Oui bien sûr. Le placement des enceintes va dépendre d’où on veut entendre les sons. Le cadre le plus normal est de vouloir entendre les musiciens sur la scène, où ils sont. On utilise alors une diffusion uniquement frontale, pour donner plus envie de relier l’analytique à la scène mais on peut avoir des configurations beaucoup plus singulières, avec des espaces de diffusion multiples, des formats originaux, des diffusions de vidéo immersives…et dans ce cas nous pouvons créer des espaces de diffusion complexes et multiples, ainsi que des applications immersives où le son est géré sur 360° autour du public.


Exemple de spatialisation immersive avec ce concert de Jeanne Added où la scène centrale était entièrement «surroundée» par la diffusion d&b. © Mathieu Delquignies

SLU : Dans le logiciel En-Scene, les sources sonores sont devenues des objets. Comment les manipuler ?

Mathieu Delquignies : Le DS100 ou plutôt En-Scene est pilotable en OSC (Open Sound Control). Cela permet de contrôler les objets par l’intermédiaire de logiciels de production musicale comme Usine, Reaper ou Ableton Live qui utiliseront pour cela un simple plugin de commande OSC.

Contrôle facile du positionnement des objets sonores depuis une console DiGiCo.

Les consoles DiGiCo (et d’autres) proposent aussi des plugins sous forme de Surround Panner qui permet de positionner des objets. Les deux peuvent cohabiter sans problème.

Cela facilite les animations de mouvements complexes gérées par les musiciens, les artistes sur un ordinateur déporté, et des positionnements plus statiques gérés directement de la console et essentiellement par le rappel de snapshots, pour adapter la spatialisation générale à chaque morceau.

SLU : Quand on parle de spatialisation, on utilise souvent le terme de système WFS, est-ce vraiment ça ?

Mathieu Delquignies : Oui, on utilise souvent ce terme pour désigner les systèmes qui se basent sur cette technologie pour créer un front d’onde. Dans Soundscape, ce n’est pas une simple WFS (Wave Field Synthesis). On n’utilise pas ce terme parce qu’il ne s’agit pas des équations originales de l’université de Delft de 1988, ni les premières applications concrètes de l’IRCAM en 2000, ni ce que faisait Sonic Emotion.

Nous avons développé nos propres algorithmes. Évidemment quand on explique comment ça fonctionne, il y a un point commun avec l’idée de reconstruire un front d’onde. Si la vraie WFS impose une infinité de sources de taille infiniment petite, on pourrait parler ici d’une WFS pragmatique pour rendre les choses réalisables.

SLU : Votre algorithme utilise donc du délai. Comment le gérer quand on déplace les objets?

Mathieu Delquignies : L’algorithme utilisé dans En-Scene utilise en effet du délai, mais nous l’avons optimisé pour qu’il soit rapidement exploitable. Évidemment comme il y a des délais appliqués aux objets vers les différents points de diffusion, on peut avoir des artefacts quand on déplace l’objet très rapidement. Même si c’est lissé, ça peut être audible. Nous avons donc trois variantes utilisables suivant le type de déplacement.

Le mode Full : l’objet est le point de référence à l’instant zéro. Sa diffusion est alignée sur sa position. C’est ce qu’on faisait depuis longtemps en jouant sur les délais d’entrées des consoles pour essayer d’aligner les micros de prise de son.

La table des function Groups.

Ensuite le système adapte sa diffusion en fonction du nombre d’enceintes de 1 à 64 avec un temps de délai calculé par enceinte, dans ce qu’on appelle un Fonction Group (groupe de spatialisation).
On peut avoir en tout 16 Fonction Groups et les combiner. Par exemple un fonction group pour le sub, un pour le main et un pour le surround. On peut donc aussi en faire un juste pour un downmix stéréo.

Cet algorithme permet de créer un front d’onde plus cohérent que si nous avions juste un panoramique d’intensité. On perçoit un gain de localisation même sur une diffusion gauche droite avec juste deux points.
La deuxième variante de l’algorithme va être utilisée surtout pour des lieux de taille importante. En effet, comme on reproduit le temps de propagation naturel du son dans la diffusion, on s’aperçoit que cela peut fonctionner moins de manière musicale dans des grandes salles car nous générons des temps de propagation alors très longs. Cela crée des flas.

Pour cela on a un deuxième mode qui s’appelle “Tight”, une variante à délai minimum qui impose qu’il y ait toujours une enceinte qui joue à 0 ms, et les délais additionnels sont juste là pour jouer sur la précédence temporelle et augmenter le sweet spot d’écoute. Du coup, cela réduit les artefacts audibles par la reconfiguration des délais.

Ensuite nous avons une dernière option, Delay mode off, dans lequel il n’y a plus de délai. Cela devient juste un panoramique d’intensité avec quand même notre algorithme de déconvolution qui évite d’avoir trop de filtrage en peigne. C’est le plus dégradé, il n’y a plus d’amélioration du sweet spot. On l’utilise quand on déplace rapidement un objet pour éviter les artefacts ou des effets de doppler.

Le groupe Meule, l’impressionnante énergie de deux batteries et d’un énorme modulaire. © Florine Béguin

On peut régler ces variantes objet par objet, automatisable dans le plugin de commande, et passer d’un statut à un autre de manière instantané sans coupure ni artefact. Ces réglages sont voulus simples pour faciliter le travail du mixeur que l’on accueille.

Il a donc accès à ces trois paramètres d’algorithme, avec la position de l’objet en xy mais aussi en élévation z pour gérer des groupes d’enceintes qui seraient positionnées en hauteur, et le spread, l’étalement de l’objet, qui permet, tout en gardant sa spatialisation, d’étaler son énergie dans l’espace.

SLU : Tout ceci se traduit comment à l’écoute ?

Mathieu Delquignies : Les sensations de perception sont démultipliées par rapport à l’habitude d’un son stéréo. Quand toutes les perceptions convergent dans le même sens, ce que l’on voit et ce que l’on entend, sans donner au cerveau d’informations contradictoires, cela démultiplie l’émotion. Le public exprime souvent cette impression.

SLU : Dans le cadre d’une tournée, comment fait-on pour gérer les variantes de systèmes ?

Mathieu Delquignies : Par exemple, sur la dernière tournée de Jeanne Added principalement dans des salles nationales, le kit de diffusion n’était pas identique à chaque concert. Pendant que le DS100 recevait des contrôles en OSC depuis le logiciel Usine pour gérer les positions et les déplacement des objets, Guillaume Dulac l’utilisait en même temps avec le logiciel de contrôle R1 pour caler le système en paramétrant des niveaux, délais et égaliseurs de manière à exploiter les différentes types d’enceintes utilisés sur chaque date.
En plus, une couche supplémentaire de corrections actives sur toutes les entrées, permettait à l’ingénieur du son d’effectuer des corrections en fréquence générales sur 8 bandes pour gérer la couleur du système.


Le soir de notre reportage, le groupe Meule était programmé après une résidence de trois jours. L’occasion rêvée de poser quelques questions à son ingé son qui découvrait Soundscape.

SLU : Quand tu arrives dans une salle comme ici où l’on te dit : « oublie la stéréo tu peux faire du spatialisé », quelle est ta première réaction ?

Pierre Dine : Je suis hyper curieux. La WFS, je l’ai apprise à l’école et j’avais vraiment envie d’essayer. Au début, j’ai découvert le système. Comment ça fonctionne, comprendre les objets sonores. J’ai placé les sources dans En-Scene et utilisé ensuite la DiGiCo directement pour modifier leur positions et leurs paramètres de diffusion.
Cela rend le logiciel totalement transparent. Ça m’a permis de créer des snapshots, et donc de changer facilement les positions d’un titre à l’autre, ou même au sein d’un même morceau. Pour ce qui est de déplacements ou d’effets plus complexes, j’utilise Reaper qui envoie des commandes en OSC.

Pierre Dine maîtrise l’espace sonore depuis la DiGiCo avec le logiciel En-Scene en contrôle sur sa gauche.

SLU : Travailler avec les objets sonores de Soundscape, cela change sur la console ?

Pierre Dine : On a travaillé surtout en direct out. Chaque piste devenant un objet. C’était un peu particulier au début mais j’avoue, une fois qu’on a compris comment ça marche, on s’y fait très vite. Même, j’ai trouvé que c’était plus rapide à mixer. On a beaucoup moins de traitements à faire car on a très peu d’effets de masque. L’espace sonore nous donne beaucoup d’air.

SLU : Tu avais un setup de prêt ?

Pierre Dine : Sur cette résidence, nous utilisions la DiGiCo de la salle et mon setup d’effet sur ordi avec Live Professor pour gérer morceaux par morceaux mes effets. Comme Soundscape est intégré dans la console, c’est pratique. Le live Processor et l’ordi séparé me permettent ainsi de garder mes effets, peu importe le matériel sur lequel je vais mixer en tournée.

Le groupe Meule, une spatialisation centrée sur la scène qui s’ouvre avec les effets dans les latéraux et l’arrière.

SLU : Comment as-tu utilisé la spatialisation ?

Pierre Dine : En termes de scénographie, Meule est une formation hyper compacte. Les deux batteurs sont rassemblés au centre et le troisième musicien guitare aussi.
Si on utilisait Soundscape pour retranscrire le plateau, tout serait simplement tassé au milieu. Nous avons donc réfléchi à comment investir tout l’espace qui s’ouvrait à nous.

Cela s’est fait au fur et à mesure avec la collaboration des musiciens pour les choix artistiques. Par exemple, ça serait bien que les toms se retrouvent derrière, ou que telle ligne de synthé se mette à se déplacer. Au début du concert, l’image sonore est assez frontale, en raccord avec la formation du groupe, puis nous avons décidé de l’ouvrir sur les extrêmes au fur et à mesure.

SLU : Tu as exploité rapidement les mouvements ?

Pierre Dine : Oui, il y a des sons de drones et nous avons profité du système. Dans la musique de Meule caractérisée par une présence massive de synthés modulaires, beaucoup de mouvements viennent de la musique. J’ai placé les retours d’effets à l’arrière, et joué avec les délais.

SLU : En tant qu’ingé FOH, tu entends la salle. Mais les artistes sur scène, comment font-ils?

Pierre Dine : En plus ils sont en in-ear, donc ils n’entendent pas les effets de spatialisation. Nous avons fait des enregistrements pour qu’ils puissent venir écouter mes suggestions. Quand tu arrives sur un système comme ça, le champ des possibles est très vaste.
Le mix spatialisé met l’ingénieur du son à une place beaucoup plus créative. Même si je suis musicien et que je connais parfaitement les compositions de Meule pour y participer, il est important d’avoir le retour des musiciens.

Spatialisation “Open Bar” pour Pierre Dine : “j’ai senti que c’était plus facile”.

SLU : Si tu étais arrivé directement sur le système, sans préparation ?

Pierre Dine : J’aurais fait un mix entre ce que je fais en stéréo habituellement avec de l’expérimentation en plus.
Honnêtement c’est facile à mettre en place. L’interface de contrôle de position des objets permet de placer rapidement les sources dans l’image sonore.

Rien que le fait de mettre les effets dans les arrières, de placer les batteries un peu plus larges que le visuel, cela fonctionne bien. En une heure de balance, j’ai quand même le temps de faire de bons choix et de profiter du système.

SLU : Est ce qu’il a des choses qui t’ont gêné ?

Pierre Dine : Non, pas vraiment. Ici j’ai travaillé en envoyant des direct out dans Soundscape. On pourrait exploiter des bus que j’utilise généralement dans mon setup, mais du coup j’aurais des éléments verrouillés au niveau de leur propre spatialisation.
J’aurais pu faire un entre deux en utilisant des bus stéréo pour faire des effets sur un ensemble d’instruments, mais je voulais voir comment ça se passe objet par objet.

SLU : Est-ce plus facile à travailler que la classique stéréo ?

Pierre Dine : J’ai senti que c’était en effet plus facile. L’espace et la profondeur étant plus larges qu’en stéréo, j’ai l’impression qu’en fonction de ce que je voyais sur la scène, je plaçais plus facilement le niveau des sources. J’ai utilisé aussi moins de corrections et de coupures en fréquence.
Cela permet de moins traiter et potentiellement c’est vraiment meilleur. Sur les sons de synthés, les basses sont puissantes. J’ai quand même taillé dans certains sons. Dans le grave ça fonctionnait très bien assez rapidement. C’est un peu déroutant dans la méthode, mais quand on est bien accueilli, c’est parfait.

SLU : Avec de grosses différences ?

Pierre Dine : C’est moins frontal qu’avec une stéréo où tout est collé. C’est un peu déstabilisant au début. Le bas est très présent. Et en plus comme je coupais moins, cela m’a permis peut-être de dégager plus d’énergie dans les bas. Si normalement je fais de la place pour la voix, ici j’ai eu moins de corrections à faire sur les synthés. J’étais en régie peut-être un peu trop au fond, j’avais beaucoup d’effets que je mettais dans les arrières et je devais en tenir compte dans mon mix. On s’y habitue très vite et cela se passe bien.

Pour un groupe acoustique, la sonorisation s’efface parce qu’on bénéficie de la location précise des instruments. Je trouve que c’est une avancée très importante et une belle expérience d’écoute. Pour la musique actuelle à base d’électronique, il y a beaucoup d’expérimentation à faire et on peut exploiter la diff avec un côté plus créatif et plus musical.

Meule en plein show.

SLU : Puisque tes effets étaient calés pour une diffusion stéréo, comment as-tu fait ?

Pierre Dine : En fait, je les ai placés directement dans Soundscape. Les réverbes courtes de drum proche de la scène en avant. Les réverbes longues au milieu et les effets de voix je les ai mis en arrière pour créer une chouette profondeur. Je pense que j’aimerais bien pouvoir continuer ça avec une quadriphonie ou des arrières dans des salles non équipées, pour retrouver cette profondeur qui sied bien à notre musique.

SLU : Tout cela vous donne des idées ?

Pierre Dine : Meule sur scène, c‘est assez fixe. Il y a peu de grands mouvements. C’est plus intéressant de faire des effets de groove, de délai, de gérer des espaces que de déplacer des sources, à part s’il y a une raison visuelle de le faire. Dupliquer des sons et les placer à différents endroits avec des traitements de fréquence et de dynamique différents semble être un bon moyen de créer des espaces. Nous avons un projet de techno dans un système de 16 enceintes, on s’est rendu compte que tout ce qui bouge n’est pas si intéressant. Il faut plutôt créer du contraste et des événements sonores.


Les artistes n’étaient pas très loin et il était très intéressant d’avoir leur feedback. Dorris Biayenda et Leo Kappes, les deux batteurs du groupe partagent leurs impressions.


Dorris Biayenda et Leo Kappes. © César Foujanet-Brassart

SLU : Quand un groupe comme vous découvre la spatialisation en live. Cela vous donne des idées pour le studio, la création ?

Dorris Biayenda : Oui, cela donne envie de faire la même chose en studio. Il y a quelques années la solution n’était pas évidente mais maintenant que Apple pousse l’Atmos Music, c’est intéressant. Nous allons sûrement travailler en binaural, plus simple à mettre en œuvre sans une écoute de studio complexe. Quelque chose commence…

SLU : En tant qu’artiste, comment percevez-vous le côté surround ?

Leo Kappes : C’est un peu un bond vers l’inconnu, cela vient concrétiser des idées et cela donne envie de composer autrement. Ici avec les deux batteries, cela va rester assez figé et collé car c’est comme ça sur scène, c’est le concept… En revanche les sons de synthés peuvent exploser dans l’espace, avec des effets de ping pong, des samples qui apparaissent. J’utiliserais bien des distributions de sons organiques entre les morceaux car nous parlons peu.
En plus pour notre musique, on cultive une esthétique liée à la Trance qui est d’oublier l’endroit physique où tu es. Cela nous intéresse donc beaucoup. Tu fermes les yeux et il y a plus de face, c’est trop bien. La seule chose à gérer, c’est que sur scène on n’entend pas la spatialisation et on aimerait pouvoir la contrôler nous-même depuis le plateau. Il y a des techniques qui vont nous permettre ça, comme d’exploiter des ears en binaural. On voit que ça ouvre beaucoup de chemins de création.


Après déjà plusieurs concerts et accueils sur le système Soundscape, c’est le moment de conclure sur la réussite de l’installation.

SLU : Quelles sont les premières réactions des ingés son qui découvrent Soundscape au Temps Machine.

Clément Cano Lopez : Nous avons eu pendant ces deux derniers mois une très belle production qui tournait bien. Je n’étais pas sûr que l’ingé accueilli accepte le passage en spatialisé. Il a dit oui : deux heures de balances. Il replace ses effets, refait des bus. Tout le monde s’est pris une calotte ce soir-là. La chanteuse se faisait plaisir. C’est comme ça pour tous les concerts que nous venons d’accueillir.

L’accueil est important : ici avec Mathieu Delquignies et Clément Cano-Lopez lors de notre reportage, tout ne pouvait se passer qu’à merveille. © César Foujanet-Brassart

SLU : Comment organisez-vous l’accueil?

Clément Cano Lopez : Je contacte l’ingé son en amont. Je lui explique le système et les options qui s’ouvrent à lui : “ Tu as la base, la version médium avec des effets séparés ou la totale”. De manière globale, tout le monde y va. Nous allons améliorer l’accueil en créant des outils liés aux effets, préparer des commandes de mouvements dans un logiciel tiers comme Reaper pour commander les objets.

Après, c’est notre régisseur Olivier Roisin qui le prend en main dès son arrivée sur le lieu. Il a été formé et accueille l’ingénieur avec une parfaite connaissance de l’outil. Il s’est approprié le système et maîtrise sa démocratisation auprès des intervenants.
Un exemple. Nous avions un événement un dimanche lors d’un festival du disque avec un petit concert dans la salle. L’ingénieur du son avait seulement un an d’expérience. Il n’avait jamais touché une DiGiCo, ni encore moins Soundscape. Après 20 mn de formation, il était autonome.

SLU : Vous êtes heureux ?

Clément Cano Lopez : Nous sommes enchantés. Ça marche aussi parce qu’il y a eu une vraie réflexion d’ensemble. J’ai des souvenirs d’échanges avec la technique, la direction et la programmation sur des questions de fond. Un vrai choix porté par Le Temps Machine et un beau travail en amont. Réfléchir avant de faire.
C’est ce que nous avons fait sur tous les axes techniques, artistiques et financiers. Nous sommes un endroit dont la vocation est de permettre aux artistes de créer. Avec Soundscape maintenant en fixe, nous leur offrons un bel outil d’expression qui leur donne envie d’aller plus loin. C’est notre mission.

SLU : Et votre petite salle, le Club ?

Clément Cano Lopez : On y pense aussi. C’est une petite salle avec un gros son de plateau. Si on veut passer au-dessus du volume sonore des amplis sur scène, il faut vraiment tarter. Le passage en spatialisé et en mode full pourrait tout arranger.
En recréant le front d’onde exact de l’objet acoustique, la sono n’est plus en combat contre l’acoustique, elle vient s’appuyer dessus et c’est la meilleure façon de faire un mix entre de l’acoustique et du sonorisé. C’est moins brutal, on gagne en musicalité et en intelligibilité et on baisse le niveau global. C’est une solution idéale et séduisante.

Dulcis in fundo

Est-ce le signe qu’il est temps ? Sûrement. Que ce soit de la part des artistes, des techniciens et surtout du public, le constat semble inévitable. Quand on a goûté à un spectacle spatialisé, il est difficile de revenir en arrière vers la stéréo.
Et quand on s’appelle Le Temps Machine, n’est-ce pas évident de s’équiper d’un système qui gère le temps créativement pour faire un bond dans le futur dès maintenant ? Une audace permise par la facilité de mise en œuvre et le coût de Soundscape, dont les performances changent définitivement l’expérience d’écoute du public.
La voix est ouverte. Gageons que beaucoup d’autres salles seront tentées de suivre le même sillage et de proposer la spatialisation sonore comme une nouvelle normalité de diffusion.

D’autres informations sur :

– Le site Le temps machine
– Le site de Scène de Nuit
– Le site d&b Audiotechnik

 

Crédits - Texte : Christophe Masson - Photos : C.Masson & divers

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