Les Folies Bergère et Immersives

L’histoire de ce déploiement démarre assez classiquement par un : « Est-ce que vous pensez que c’est réalisable L-ISA aux Folies Bergère ? ».
La réponse c’est Arnaud Delorme ingénieur application chez L-Acoustics qui nous la raconte depuis la scène de ce théâtre parisien où un public nourri de professionnels s’est pressé pour une après-midi et une soirée de démos ponctuées par un showcase de Yael Naim mixé comme il se doit par Madje qu’on a eu le plaisir d’interviewer assez longuement.

Arnaud Delorme fait défiler ses graphiques depuis la scène des Folies Bergère. Il nous les a aussi confiés, merci à lui.

Arnaud Delorme : Cette question nous a été formulée par Olivier Hagneré, Directeur général en charge de la technique chez Novelty et Madje Malki, Directeur technique de Potar. La réponse n’a été donnée qu’après une phase d’étude servant à qualifier le projet, via des outils de design spécifiques.
Nous avons donc commencé par modéliser la salle en 3D dans Soundvision avec toutes ses colonnes et autres zones d’ombre et ensuite on a posé toujours de façon virtuelle le système central, dimensionné et placé de sorte à couvrir le plus possible d’audience.

Le choix s’est porté sur la nouvelle enceinte point source A15, un 15” avec un moteur de 3” sur guide d’onde équipé du système Panflex. Son ouverture horizontale de 110° permet de couvrir largement et deux modèles existent, la Focus en 10° vertical et la Wide en 30°.
5 ensembles de quatre A15 sont placés avec deux Focus en tête et deux Wide en bas d’assemblage et chacun de ces clusters recouvre le maximum d’audience possible.

La salle modélisée dans Soundvision avec toutes ses zones d’ombre en noir même si les obstacles manquent par volonté de clarté. Ici le fruit de la superposition des 5 clusters L-ISA. Le vert correspond aux sièges où elle est totale, le jaune où elle est partielle. Un très bon résultat.

Au bout de cette démarche de simulation, on délimite la zone de spatialisation totale de 70 % où les 5 clusters se recouvrent parfaitement et celle partielle où l’on n’a qu’une partie de l’immersion mais déjà un rendu supérieur à celui offert par l’habituel gauche/droite. On obtient une distribution du système scène de 5 dB et un SPL de 113 dBA.

Deux des cinq clusters de A15. Les deux boîtes du haut, des Focus, ouvrent à 10° verticalement d’où une ébénisterie offrant un volume de charge légèrement supérieur aux deux du bas, des Wide ouvrant à 30°. Les Panflex sont complètement rabattus à 110°. Derrière on voit bien les 8 KS21, les premiers subs « marron » employant des 21”

L’enceinte A15 a beau descendre à 40 Hz, nous avons complété le bas du spectre avec des ressources en sub pour être cohérent avec le système principal. On retrouve donc deux arrays endfire en montage cardioïde avec un total de huit KS21, ce qui génère une excellente distribution dans toute la salle, bien meilleure qu’en employant des subs en gauche droite et indispensable pour coupler avec un montage L-ISA.

La distribution de l’octave 30-60 Hz générée par les KS21, concentrée et piquée vers le bas par le montage choisi. Un résultat remarquable et qui permet, en concentrant toutes les sources ayant le plus de grave dans le cluster central, d’avoir une quasi-absence d’interférences dans le bas.

Afin de compléter la distribution et déboucher les zones d’ombre inhérentes à la nature même de la salle, du Syva est placé en bord du cadre de scène en infill et dans le nez de scène, quatre (bientôt 6) 5XT débouchent les premiers rangs et tirent l’image vers le bas.

Pour les parties sous balcon, des X8 sont distribuées. Il y a aussi un peu de démasquage en X8 au 1er balcon à cause cette fois-ci du second balcon, mais pour le reste, le A15 ne nécessite pas de rappels malgré un dernier rang de sièges placé à 40 mètres en haut du 2e balcon. Tout est prêt afin que le processeur L-ISA puisse prendre en compte le système dans sa globalité et fournisse la meilleure spatialisation à l’audience.

Le système au grand complet, à la fois le déploiement L-ISA et le complément distribué. En full range A. Un super travail. Remarquez les six 5XT. Ils sont placés dans le nez de scène. Arnaud Delorme m’a certifié que les deux manquants vont arriver. Il s’entraîne chez lui avec sa scie sauteuse ;0).

A partir de cette simulation on a pu dire oui à Olivier et Madje. La salle peut désormais répondre à toute demande de fiche technique.

Fred Blanc-Garin prend le micro

Après cette entrée en matière autour du projet et de sa mise en œuvre, la première écoute du système est confiée aux bons soins de Fred Blanc-Garin qui de toute évidence s’éclate à être sur scène et nous avec !

Fred Blanc-Garin en plein show, et il y en a de la vie dans cet homme !

Les extraits fusent avec, bien entendu, des comparatifs gauche / droite et L-ISA, alignés en SPL mais très en défaveur de la version gauche/droite, à la peine, face à l’implacable fluidité du rendu par objet. Quelques échantillons sonores présentent de légers défauts qui laissent penser à un problème de processing, mais il n’en est rien. Cette impression disparaîtra totalement lors du magnifique showcase de Yael Naim.

Ce détail mis à part, l’intégration des enceintes a été très bien réalisée par les équipes de Potar et de Novelty et le calage de l’ensemble ne souffre d’aucune critique. Le déplacement d’une voix de cluster en cluster est net et fluide à la fois, avec juste de petites différences de rendu liées aux interactions de chacun des 5 clusters avec la salle elle-même.
Comme proposé par Fred, on se balade dans l’orchestre mais aussi dans les deux balcons pour ressentir les zones 100 % L-ISA et celles moins bien servies, une balade pinailleuse que les spectateurs ne feront pas.

Les in et outfill à cour avec une Syva et son Syva Low pour remplir un peu les loges sous balcon, et une des nombreuses X8 qui viennent apporter vie à des sièges hors zone L-ISA.

Les premiers rangs sont pris par les 5XT et les infills en Syva, mais dès le 4e, on commence à ressentir de l’air venant en douche puis rapidement on est pris par les A15 et l’espace mono s’ouvre. Au fur et à mesure qu’on s’éloigne, le sentiment de douche s’estompe et on retrouve un son de très belle qualité. On y reviendra.
La transition entre la partie immersive et le mixdown mono est très bien réalisée en phase comme en couleur, il faudra juste la réécouter à salle pleine où les 5XT seront plus rapidement absorbés.

Où que l’on aille à l’orchestre, on a du son, y compris sous la casquette formée par le balcon, une zone assez ingrate où prend place la console, une Venue S6L-24D. C’est un emplacement où il n’est pas facile de réellement travailler mais qui dispose d’un délai en X8 pour redonner un peu de vie au rendu.
Au premier comme au deuxième balcon, la distribution s’avère très bonne et même les sièges excentrés du 1er bénéficient d’une assez belle image sonore, certes moins large mais parfaitement raccord avec la vue que l’on a de la scène. Au deuxième balcon, la spatialisation s’estompe quelque peu à cause de la distance.
En revanche la fluidité du son, débarrassé des interférences propres au gauche/droite, est très appréciable même si tout en haut, l’extrême aigu durcit un peu. N’oublions tout de même pas que, pour absorbante qu’elle est, la salle est vide. La hauteur à laquelle sont accrochés système et subs fait que, une fois n’est pas coutume, le rendu est au moins aussi bon voire meilleur grave y compris, et surtout plus cohérent avec l’image de la scène, au balcon qu’à l’orchestre.

Yael Naim, accompagnée par l’ensemble Zéné dirigé par Bruno Kele-Baujard, photographiée depuis le balcon. Un moment délicieux et correspondant exactement à ce qu’on rêve d’entendre dans cette salle et très bien restitué par le système en A15.

Le magnifique showcase de Yael Naim avec son piano et ses choristes est aussi un révélateur de la très belle qualité de rendu des A15 avec un exercice loin d’être facile pour une enceinte devant raccorder un 15” sur un moteur de 3”. Les voix, il est vrai travaillées par Madje avec tout le talent qu’on lui connaît, sonnent avec une douceur, une précision et une neutralité qui étonnent quand on sait qu’une A15 peut sortir en crête 141 dB SPL. Les progrès en qualité sonore des enceintes à très haute sensibilité sont stupéfiants.

Madje est dans la house… tout baigne !

Après nous avoir offert des instants de bonheur avec une artiste dont il s’occupe depuis longtemps, Madje est revenu à sa console pour répondre à quelques questions.

SLU : Il paraît que tu t’es beaucoup mobilisé pour qu’un système L-ISA soit déployé ici. Tu comptes t’y installer ? (rires)

Madje : Non, je suis toujours le dirtech de ma boîte Potar après notre entrée dans le groupe Novelty. On me laisse toujours l’autonomie en termes d’idées et d’orientations, donc L-ISA ici est né de mon envie de sortir du gauche / droite et d’offrir du vrai bon son.

Madje devant la S6L en dotation aux Folies Bergère, son outil préféré et une console déjà très imbriquée dans l’univers L-ISA.

Deux lignes génèrent une telle interférence que depuis des années on lutte par une course à la puissance, ce qui dans ce type de salle marche encore moins bien et l’excite beaucoup. Mixer et diffuser par objet corrige ce problème et permet de travailler à des niveaux beaucoup plus raisonnables.

SLU : Pourtant je trouve que cette absence d’interférence libère pas mal la dynamique et les niveaux s’envolent un peu.

Madje : Ecoute un mix stéréo. Quand tu mixes pour ce format, tu essaies de lui donner le plus de relief possible ce qui a généré des méthodes comme la compression parallèle pour travailler la matière sans pour autant bouffer le son. On a pris des habitudes de remplissage de cet espace avec la volonté de tout entendre. On a des tas d’artifices quand on mixe. Perpétuer ces habitudes dans un format où l’interférence a quasiment disparu, la distorsion d’intermodulation nettement plus basse et tes sources beaucoup plus définies, n’a peut-être plus lieu d’être.

L’idée d’un mix où l’on travaillait des patates et le boulet, n’est plus d’actualité. Il faut mixer avec un autre esprit, beaucoup plus tourné vers le relief sonore. Si l’on parle d’impact, on l’a sans problème avec un gauche/droite de deux fois 12 boîtes, mais on le ressent uniquement au centre. Dès qu’on va sur le côté, il est mangé car le système est interférent. Aujourd’hui avec L-ISA, pied et basse passent sur un seul système, donc l’approche a changé.

Le système L-ISA au grand complet. La proximité entre les quatre 15” des A15 et les huit 21” des KS21, au maximum à une distance d’une demi-longueur d’onde, donne une netteté, un impact, une uniformité et un SPL au grave impossible en gauche/droite et encore plus avec des subs au sol.

SLU : L’outil est donc bon, il faut apprendre à s’en servir ?

Madje : Bien sûr, mais c’est un outil nouveau qu’il faut apprendre à maîtriser et très peu de gens ont la chance d’y avoir accès. Lorsque SLU est venu en reportage sur la tournée de Renaud, j’en étais à la 80è date, mais si vous étiez passés à une des premières, je cherchais mes petits (rires). J’ai l’impression qu’il faut faire un retour en arrière dans la prod.
Il faut apprendre à traiter l’objet et je reconnais qu’en demi-teinte c’est très beau, mais dans les moments forts, ce n’est pas évident. Je pense que du travail doit être fait de part et d’autre, côté constructeur comme côté utilisateur pour qu’on parvienne à bien exploiter le mix objet. Quoi qu’il en soit, une salle comme les Folies Bergère va offrir aux prods comme aux techniciens de s’initier au son de demain dans de très bonnes conditions.

Yael Naim, un showcase millimétré est parfait pour mettre en exergue le très joli rendu des voix humaines des A15.

SLU : Il n’y a aucun risque ici…

Madje : Aucun, d’autant que la voix sortira toujours bien une fois qu’on aura appris à ne pas la travailler en force comme avant. Il faudra faire preuve d’ouverture et ne pas chercher à tout prix le gras lié au grave couplé au sol ou encore ces dB en plus au milieu. Sans doute quelques groupes de musiques comme le Rap vont devoir faire un peu plus de chemin, mais les avantages l’emporteront. C’est mon nouveau bâton de pèlerin. Il existe un ailleurs (gros rires) !

SLU : Le calage a été entièrement fait avec des outils L-Acoustics ?

Madje : Oui et cela nous a bien facilité la vie. On est parti du processeur P1 qui attaque tout le système en AVB et accepte 4 micros de mesure. En mode analyse, il génère des séries de sweeps par enceinte et par zone qui sont ensuite stockés et permettent d’effectuer le calage en égalisation et délai off line. Tu peux même passer par la fonction auto-align qui propose 3 délais différents basés sur la moyenne des courbes. La salle a été entièrement cartographiée avec plus de 300 mesures.

Le détail poussé très loin, joli mais surtout indispensable si l’on veut disposer de toutes les zones d’ombre d’une salle ancienne.

Arnaud Delorme qui s’occupe des intégrations manipule parfaitement le P1, et j’ai voulu que l’ensemble des nouveaux algorithmes de L-Acoustics comme l’AutoFIR soient utilisés et que le calage respecte totalement leurs principes et leurs méthodes de calcul. Nous avons l’expérience du terrain, mais eux intègrent des paramètres auxquels on ne tient pas compte. Le résultat est étonnant.

SLU : Tu es pour une assistance par la machine ?

Madje : Si tu prends chaque cluster accroché de 4 boîtes, chacune dispose d’une patte d’ampli et d’une égalisation propre créée automatiquement. Le faire soi-même est impossible. Je valide entièrement la démarche de L-Acoustics d’autant que toutes leurs propositions doivent être validées par l’homme.

SLU : Où as-tu fait ton mix de ce soir ?

Madje : Ici… (Un ange passe. Très pro il a des chaussures de sécu, casque, gants…). Le mix sort du studio et je n’ai fait qu’attribuer les objets et régler les réverbérations, toutes internes (et magnifiques NDR). Les réglages sur la voix de Yael sont ceux du studio avec le même micro DPA. Je suis à fond sur la S6L et le son de cette console depuis qu’Avid est passé en 64 bits est excellent. Je fais tout avec. Je n’ai plus de périphériques du tout.

La salle avec son système L-ISA désormais à demeure éclairé par notre flash. Dans la réalité il est beaucoup plus discret.

Conclusion

L’installation de la toute première configuration immersive L-ISA dans un théâtre en France est une réussite et on n’en attendait pas moins de l’association entre Potar et L-Acoustics dont on connaît les liens très forts. Malgré le ratio pas idéal en termes de hauteur vis-à-vis de la largeur de la salle qui a contraint le système à être placé assez haut, un très grand nombre de sièges bénéficie d’un rendu spatialisé.

A gauche Olivier Hagneré, Directeur général en charge de la technique chez Novelty et, en train de parler, Frédéric Jérôme, le directeur des Folies Bergère.

L’abandon du gauche/droite et l’adoption d’un point unique pour l’infra apportent aussi un plus indéniable. Le choix des nouvelles enceintes A15 offre enfin la couverture très large nécessaire à L-ISA et une remarquable musicalité indispensable dans une salle à la programmation éclectique.

Comme nous l’a glissé Florent Bernard désormais Executive Director of Application Design & Education de L-Acoustics, « Le son redevient important dans un concert et il n’est plus interdit de voir des enceintes au même titre que des projecteurs. L-ISA a redémarré un dialogue grippé depuis longtemps avec les éclairagistes et les scénographes, mais du chemin reste à faire ! »

Il faudra malgré tout penser à réduire la pollution sonore propre à certains équipements d’éclairage et de vidéo. Quand le son numérique AVB se fait aussi silencieux, fidèle et avec une telle richesse de rendu et de positionnement dans l’espace, avoir un VP et ses turbines au-dessus de sa tête ou des lyres tous ventilos dehors, cela gâche un peu le plaisir.
C’est vrai aussi que depuis quelques semaines on savoure le bruissement des feuilles qui poussent et le chant des oiseaux qui se marrent de ne plus nous avoir dans leurs pattes…


Liste non exhaustive du matériel déployé aux Folies Bergère

10 x A15 Wide
10 x A15 Focus
4 x 5XT (6 prévues)
2 x Syva et Syva Low
12 x X8
4 x X8 au balcon bientôt remplacées par des Kiva II pour moins d’interférences avec la zone L-ISA.
11 x LA4X
2 x Processeur L-ISA (Main + BackUp)

 

Crédits -

Texte : Ludovic Monchat - Photos Ludovic Monchat et L-Acoustics

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