Lionel Capouillez et Stromae : De la Scène au Studio (Part 2)

Lionel Capouillez mixe depuis le début l’intégralité des productions de Stromae. Dans notre précédent article “du Studio à la Scène”, Lionel nous a livré une grande partie de ses secrets de fabrication.

Le podium du batteur.

Dans ce deuxième opus, découvrons ce qu’une telle production sonore impose quand les créateurs prennent le parti pris de reproduire fidèlement sur scène les albums studio.

SLU : Comment as-tu commencé le Live ?

Lionel Capouillez : Je suis au départ un ingénieur du son studio. Ce sont les artistes avec qui je travaillais en studio qui m’ont poussé à aller faire du live. Dans le cas de Stromae, il m’a dit : “Il n’y a que toi qui connais l’album aussi bien que moi, j’ai confiance, il faut que tu viennes.”

Quand Stromae travaille la scénographie… par exemple, dans notre tournée actuelle, nous avons des robots sur scène, des médias complexes à diffuser…il y a une vraie interaction avec le son, c’est un spectacle complet avec des mises en scènes bien pensées. Et avec moi en régie, il sait qu’il n’a plus à s’inquiéter. Je lui retire une épine du pied. Il n’a plus qu’à se concentrer sur la scénographie.

SLU : Tu nous détailles la fiche technique de Stromae et de ses musiciens ?

Un des podiums des multi instrumentistes.

Lionel Capouillez : Stromae est entouré sur scène de trois musiciens qui jouent des contrôleurs MIDI plus quelques instruments et d’un batteur. Les contrôleurs sont des SPD-30 de Roland et deux claviers 61 et 49 touches par musicien. Le batteur utilise aussi des pads additionnels pour déclencher certaines automations.

Tous les retours sont en in-ear et sont mixés sur une SD7 de DiGiCo par Johan Milet. Il n’y aucun retour de scène ni rappel en side. Tous les micros sont en HF. Les musiciens sont en Shure avec un montage particulier. Leur  micro est câblé vers une pédale de talk qui envoie le signal au choix vers deux packs intégrés dans les podium. En appuyant sur cette pédale, ils peuvent directement parler à Johan aux retours sans passer par la façade. Stromae est en DPA d:facto. Nous avons aussi du DPA sur les charangos et sur les percussions acoustiques.

Pour le mixage j’utilise une console analogique MIDAS H3000, deux réverbérations, une M7 de Bricasti et une M3000 de TC Electronic plus un processeur de délai D2…

La régie retours de Johan Milet.

SLU : Je vois un mélangeur numérique Behringer dans le bas du rack !?

Lionel Capouillez : Oui, c’est pour mixer mes retours d’effets, pour les envoyer en deux bus séparés appelés Réverbe et Délai dans la H3000, ce qui m’économise des voies.

SLU : Et pas mal de compresseurs ?

Lionel Capouillez : Beaucoup de dbx 160 SL. Je les utilise sur toutes les voix et les rototom. J’utilise aussi un dbx 162 SL pour mon groupe de compression sidechainé sur le kick. Il est en bypass tout le temps et quand j’ai besoin de plus de pêche sur un titre, je retire le bypass et l’instru se met à compresser sur certains synthés que je passe dans le groupe.
Cela me permet d’avoir une sensation de puissance sans mettre plus fort. J’ai remarqué que le fait que cela pompe, fait plus danser le public. Ils ont l’impression que ça va beaucoup plus fort sans que de mon côté je m’inquiète de la pression acoustique.

La H3000 à Garorock, reposant sur ses 4 fly avec, analogique oblige, quelques vieilles gloires dans les deux de droite et 3 alims dans le premier. On ne sait jamais…Le couple Klark & Avalon est bien là, déjà creusé alors qu’un magnifique Phoenix Mastering Plus paraît faire dodo.

SLU : Et sur le master de la façade ?

Lionel Capouillez : Sur le master j’ai un correcteur graphique Klark Teknik 31 bandes qui passe ensuite dans un Avalon 737. Le correcteur graphique me permet de creuser immédiatement une bande de fréquences problématiques en façade, tandis que l’Avalon dont je ne me sers que du correcteur, me permet de modifier la couleur générale.

SLU : Tu ne délègues pas ça à l’ingé système ?

Lionel Capouillez : L’ingé système va faire ce qu’il ressent. Tout ce dont il a besoin. Moi j’arrive avec mes CD et je vais affiner certaines choses, que je préfère faire en toute autonomie sur l’Avalon. Car si au moment de la balance c’est par exemple agressif, on ne sait pas comment ça sera le soir, avec l’humidité et le public on ne sait pas trop. Je préfère donc garder la main et faire ces corrections moi-même, de manière plus instinctive.

Le rack à ne pas trop maltraiter avec à gauche et chacun avec une couleur différente, six Mac Mini, les FireFace RME et tout ce qui permet de recueillir le travail des 4 musiciens et le faire arriver aux consoles retour et face.

SLU : J’aime bien ton sens pratique !

Lionel Capouillez : (Rires). Oui, je trouve que c’est un problème sur les Live. Beaucoup se compliquent la vie en voulant utiliser des cartes DSP, ils veulent aussi gérer les ordinateurs des musiciens sur scène, en réseau… Je me concentre juste à faire du son. Le reste est préparé, il n’y a plus rien à modifier. Tout est calé avant et géré par notre backliner.

SLU : Quel est ton parti pris pour le live ? Avec quels outils ?

Lionel Capouillez : En live, nous essayons de reproduire l’identité sonore du disque. Pour cela, Nicolas Fradet, notre backliner met à disposition 6 Mac Mini (3 principaux plus 3 spares).
Un Mac Mini est géré par deux musiciens. Il dispose chacun de 16 sorties en MADI via une interface RME FireFace UFX+ qui les relie à la console de retours Digico SD7.
Tous les signaux repartent vers la façade par une fibre MADI grâce à un Optocore DD4MR, celui-ci renvoyant la fibre dans un Prodigy de DirectOut, qui convertit les 64 canaux MADI en analogique pour la console Midas H3000.

SLU : Quels avantages à utiliser une console analogique ?

Lionel Capouillez : En réalité, comme une grande partie des sons sont faits dans des ordinateurs, la console de mixage est pour moi un gros sommateur. L’analogique est parfait pour apporter une belle couleur et une belle chaleur sonore, et en plus il est très instinctif à manipuler. Si quelque chose me gêne j’ai juste à tourner un bouton. Un problème ici à 5 kHz, c’est réglé immédiatement.
En plus je trouve les corrections plus fines sur de l’analogique. Le contrôle est rapide. Pas de page à changer. J’ai un patch de 44, et pour passer de la piste 1 à la 44, j’ai juste à écarter les bras. La seule chose que j’automatise, ce sont les presets pour caler mes équipements externes comme les réverbes et les délais sur chaque titre.


Nyon avec le retour d’une grosse analogique au Paléo avec de belles bandes adhésives pour repérer les tranches et les départs aux, le bon vieux temps mes aïeux !

SLU : Comment fonctionne la programmation sur scène ?

Lionel Capouillez : Sur les Mac tout est géré par Ableton Live. Nous avons deux Mac, chacun joué par deux musiciens et un troisième Mac qui joue les séquences, de type percussions ou doublage de voix. Les Mac sont tous synchronisés au clic avec un time code pour la lumière.
Un des musiciens contrôle le tout depuis un iPad. Quand il appuie sur play, il lance l’ordinateur des séquences qui déclenche le clic et sélectionne les instruments virtuels que les autres musiciens jouent vraiment en live sur les autres ordinateurs. Sur la précédente tournée Racine Carrée nous n’utilisions que Reason.

Chaque musicien devait ouvrir sa session avant chaque chanson et le batteur lançait les séquences. Cela fonctionnait mais c’était plus difficile à gérer pour les musiciens. Dans la tournée actuelle, nous utilisons le nouveau plug-in Reason VST Rack qui nous permet d’appeler dans Live tous les synthés des sessions Reason. C’est encore bien plus confortable car les musiciens n’ont plus aucune manipulation à effectuer. A chaque nouvelle chanson tout est configuré et prêt à jouer.

Un plateau sans le moindre wedge ou side, mais où les boudins de cuivre bien emballé règnent encore et toujours.

SLU : Cela représente un gros travail de programmation !

Lionel Capouillez : Oui en effet. Une grande partie des stems de l’album est redécoupée en sampling pour les jouer en live. Et pour les instruments que nous voulions vraiment jouer, j’ai reproduit dans Live toutes les chaînes de traitement utilisé dans Pro Tools pour obtenir un son identique.

SLU : Et c’est opérationnel ?

Lionel Capouillez : Nous avons joué à Bruxelles, à Paris et à Amsterdam. Une sorte de répétition générale avant les deux concerts du festival Coachella aux Etats-Unis et les festivals de cet été en France. Nous jouerons aux USA et au Canada en décembre 2022 et on repart en France de mars à juin 2023.
Maintenant que tout est calé, nous pouvons nous produire partout dans toutes les configurations. On peut me donner n’importe quelle console, j’ai juste à remettre les gains que je connais et qui sont identiques. Je connais le show par cœur ; à tel endroit je coupe les aigus sur la caisse claire parce qu’elle est gênante, je diminue de 5 dB le synthé de ce passage, etc…Je peux partir n’importe où, tout est dans ma tête. Ça ira.

SLU : Le fait de tout programmer en amont ne pose pas de problème dû à l’acoustique des salles qui change ? Par exemple pour les réverbérations des instruments ?

Lionel Capouillez : Eh bien, ça marche à tous les coups. Du moment que l’effet marche en studio, je ne vois pas pourquoi il ne marcherait pas en live. Quand tu écoutes un CD mixé et masterisé en studio, le CD passe très bien en live.
Pour moi cela ne me gêne pas au niveau des instruments. En revanche pour tous les effets importants de break ou de délais sur les voix, je les gère directement en salle. Par exemple dans “Alors On Danse” les délais générés sur “danse” sont bien sûr envoyés aux bons moments.

C’est marqué dessus, matin calme au Paléo pour se dégourdir les cordes vocales, et les doigts. Ici c’est du Meyer Sound.

SLU : La voix de Stromae ?

Lionel Capouillez : En live, la voix de Stromae, ça va tout seul. Elle entre dans le H3000, un Distressor, un de-esser et un correcteur sur la tranche. C’est tout. Dans la dernière tournée, on utilise un microphone DPA d:facto qui marche franchement très bien.

SLU : Le choix du système de diffusion est-il important ?

Lionel Capouillez : Il se fait surtout en fonction du prestataire. Nous travaillons beaucoup avec MPM et David Nulli son directeur technique avec de l’Adamson E15 et E12 qui sonne très bien. Notre ingé système est Patrick « Typat » Passerel qui nous suit sur toutes nos tournées.
J’aime aussi beaucoup le Leo de Meyer mais qui, étant amplifié, est plus lourd à mettre en œuvre. A l’étranger si nous louons, nous demandons du Leo et bien sûr, dans les festivals ou dans les salles disposant déjà d’un système, nous nous adaptons sans problème.

SLU : Une demande particulière sur les subs ?

Lionel Capouillez : Pas vraiment en termes de quantité de boîtes, ils savent très bien ce qu’ils ont à faire. Je leur demande souvent de les monter de 3 dB, et je vais couper certaines fréquences comme du 40 ou 50 Hz qui donne une sale résonance, ce qui me permet de disposer d’une pression supplémentaire sans forcément baver, un impact plus rempli, plus chaleureux, qui convient à la musique de Stromae.

Lionel avec derrière lui à sa droite, Nico Ménard.

SLU : Et dans les festivals ?

Lionel Capouillez : En festival, avec mon assistant Nicolas Ménard, nous avons décidé de ne pas faire de mesures. On fait tout à l’oreille. On arrive, on passe nos CD, on écoute, ça marche généralement. Les systèmes sont souvent très bien calés.

Si c’est nécessaire, j’utilise simplement mon eq du master pour corriger. Mesurer systématiquement, je ne trouve pas ça utile. Nous avons nos oreilles, bien meilleures que nos yeux.

SLU : Une approche particulière en fonction des types de salles ?

Lionel Capouillez : Partout nous jouons le même programme et je n’adapte que l’égalisation du système. Je ne refais pratiquement jamais de modification d’équilibre d’instruments, tout est déjà bien mixé en amont et cela fonctionne généralement partout. Peut-être une guitare un peu agressive dans cette salle, et là, juste une simple égalisation suffit pour régler le problème. Une fois que nous avons retrouvé l’équilibre global sur le spectre, le reste fonctionne.

SLU : L’influence du public dans certains choix techniques

Lionel Capouillez : Le public de Stromae aime beaucoup le groove. J’utilise souvent des techniques de sidechain pour le gérer. Par exemple dans Papaoutai, le synthé lead du refrain, si je ne mets pas ce sidechain, c’est plat. Le sidechain fait pomper le synthé et c’est cette sensation qui donne une envie de danser supplémentaire. Et aussi c’est très important…

Le public en couleurs des Arènes de Nimes.

Quand on est dans des salles type Zénith, je vais écouter la première partie dans la salle avant d’aller mixer, pour avoir le même état de fatigue auditive que le public au moment du concert. Si je ne le fais pas, je vais pousser certains morceaux et je vais voir des personnes qui se sentent agressées. De cette manière, je peux avoir les mêmes limites qu’eux et je suis sûr de ne pas vriller leurs oreilles.

SLU : A propos j’ai adoré le rappel de l’ancienne tournée où tous les musiciens chantent a cappella…

Lionel Capouillez : Ah oui ? Nous le faisons encore.

SLU : Je suis surpris de la qualité sonore. Je ne vois qu’un simple micro sur pied ? Il y a un truc ?

Lionel Capouillez : Et non ! C’est ça. Un seul micro. Je te jure. Par exemple, on a fait un festival à Munich avec 50 000 spectateurs. Stromae a demandé aux gens de se taire. Il a baissé le micro et l’a mis entre lui et les musiciens. De mon côté, je pousse le fader, dès que ça commence à accrocher, je baisse sur le 31 bandes où il faut, et je me mets au max. Le public fait le silence et on entend très bien toutes les voix dans un équilibre parfait ; c’est un instant magique que Stromae sait très bien créer. Eh oui, un seul micro suffit.

D’ailleurs une année, au NRJ Music Awards, il a voulu le faire et l’équipe technique avait prévu cinq autres micros d’ambiance supplémentaires, si jamais cela ne marchait pas, au cas où il y aurait eu trop de bruit dans le public… Je leur ai dit de ne pas les rajouter, ça ne servait à rien.
« Stromae arrive à faire taire 50 000 personnes, tout se passera bien. Un seul micro on a l’habitude, faites-le svp. » Ils râlaient. Avant le show j’ai dit à Stromae, pour le rappel c’est bon, un seul micro. Il a répondu “tu as vraiment bien fait, ça m’arrange. » et c’était parfait, toujours avec un seul micro.

SLU : En réalité, tu reproduis le studio en Live ?

Lionel Capouillez : C’est exactement ça. La configuration studio du disque est recréée dans les séquenceurs Live des Mac Mini; avec les instruments de Reason, les VST, les effets et les équilibres. Le mixage live est juste une sommation de tout ça. Stromae a envie de retrouver l’identique. On ne veut pas repenser tous les morceaux et on veut rester fidèle à l’image du disque.

Stromae avec ses musiciens multi-instrumentistes.

SLU : Les musiciens sont multi-instrumentistes. Je pensais que gérer tout ça sur scène était compliqué. Mais en réalité, comme tu l’as expliqué, pas vraiment?

Lionel Capouillez : Non. C’est assez simple quand on prépare tout, d’ailleurs cela va te surprendre… Même les véritables instruments sur scène comme les guitares, pour faire leur son, rentrent dans les Mac.

Leur traitement est fait avec des plugs et je reçois un signal traité, je n’ai plus qu’à doser la réverb et les délais en façade. L’avantage non négligeable de tout ça c’est que les musiciens entendent sur scène la même chose que moi. Et les musiciens n’ont aucun problème avec la latence.

SLU : Et les retours

Lionel Capouillez : Tout est en in-ear et chaque musicien a son propre mix. Nous n’utilisons aucun retour de scène traditionnel et aucun side. Nous avons également Marius qui s’occupe uniquement de la HF.

SLU : Comment contrôles-tu la dynamique générale ?

Lionel Capouillez : Je ne compresse jamais le master en live. Quand le mix est bien équilibré, je n’ai pas besoin qu’il soit contenu. Si dans le rock cela peut être utile, pour le style de Stromae j’ai besoin d’une musique libre, vivante et aérée. Si je compresse, je vais perdre quelque chose et je rendrai le son plus petit. Parfois aussi en live, on se sent inspiré. Tiens ! Ce soir je vais mettre cet effet plus fort. J’ai envie. Et si j’ai un compresseur sur le master, mon effet va être retenu et fera un peu comme un pétard mouillé, ce qui n’est vraiment pas recherché.

SLU : La gestion des traitements et des effets ?

Lionel Capouillez : Tous les traitements des instruments sont faits dans les ordinateurs. Seule la voix est traitée sur ma console de face. Et cela fonctionne très bien, Par exemple pour “Ta fête” sur scène, quand Stromae chante “Il est l’heure » je m’occupe en temps réel de l’envoi des délais et réverbes sur le mot.
Pas droit à l’erreur bien qu’en live, si tu te loupes ce n’est pas si grave, le public oublie assez vite. En réalité, tu peux même te permettre de tester des choses, du matériel. Si ça marche, je vais le refaire en studio. Je ramène beaucoup d’idées du live dans mes mixages studio. C’est une véritable source d’inspiration.

SLU : Du live au Studio, la boucle est bouclée alors ?

Lionel Capouillez : Oui. Comme tu le vois, que nous soyons en studio ou en live, je suis dans le même univers. Je m’attache à reproduire fidèlement la richesse sonore de l’artiste. Les solutions techniques que nous avons mises au point nous permettent de nous affranchir de toute limite, et d’offrir la richesse musicale de l’artiste dans toutes les situations.

Le show de Milan en Italie.

Que ce soit en live comme en studio, Lionel Capouillez témoigne que la frontière entre les deux domaines studio et live est aussi fine qu’une gélatine. Si les équipements mis en œuvre changent pour des raisons souvent pratiques, la matière sonore de la musique de Stromae est totalement préservée pour procurer une expérience ultime à un public ravi de retrouver les codes sonores de son artiste, des muscles et une super scénographie en plus, quel que soit l’endroit où se déroule le show.

D’autres informations sur le site MPM Group et sur le FB de MPM Audio

 

Crédits - Texte : C. Masson - Photos : Lydie Bonhomme, Lionel Capouillez

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