Les retours heureux de Laurent Midas pour Julien Clerc

Le concert était magnifique, le son était sublime ! Oui, quand un concert nous plaît, nous parlons toujours du son façade. Mais ce n’est pas tout. Pour qu’un show soit une totale réussite, les artistes sur scène doivent pouvoir créer la performance, l’exceptionnel.

Et pour cela, le mixage des retours est tout aussi essentiel. Toute approximation entraînera de graves problèmes de justesse, de timing, de groove, de dynamique, et compromettra le spectacle. Ce travail de l’ombre, Laurent Midas, ingénieur du son pertinent sur tous les sujets, en a fait sa spécialité.
Au sein de la société MAWIP, qu’il a fondée avec son binôme de longue date, Stéphane Plisson, et qui collabore avec d’autres professionnels de haut niveau, comme Axel Vivini ou Yves Jaget, le mixage retour est considéré aussi important que la face. Un équilibre indispensable pour proposer aux producteurs de spectacles, un service audio complet et premium.

Nous l’avons retrouvé en décembre dernier à l’Olympia pour trois concerts de Julien Clerc, dans le cadre de la tournée “Les jours heureux” qui se poursuit en 2023. L’occasion rêvée pour évoquer avec lui, les nombreuses facettes du mixage retour.

SLU : Tu es renommé pour ton activité d’ingénieur du son retour, tu te consacres exclusivement à cela ?

Laurent Midas : Oui, je mixe essentiellement en retours. Mais cela m’arrive aussi de mixer à la face et plus rarement en studio.

SLU : Comment tout a commencé ?

Laurent Midas : Passionné par la technologie, à 16 ans à l’occasion de la préparation d’une fête, je suis rentré dans un garage plein de matos, plein d’amplis et d’enceintes et ça m’a fait rêver. Je jouais aussi de la musique avec les copains, et la technique me plaisait. J’ai fait une école de son, Novocom, qui était à Montreuil.
Pendant ma deuxième année, j’ai été le premier alternant de Dispatch (Dushow aujourd’hui). J’ai eu la chance de rencontrer et de travailler avec ceux qui comptent parmi les meilleurs ingénieurs du son en France : Yves Jaget, Andy Scott, Patrice Kramer, Gérard Trévignon, Denis Pinchedez, François Maze et bien d’autres…

SLU : Te spécialiser dans les retours, un vrai choix ?

Laurent Midas : Oui, ça a été un vrai choix. A mes débuts, je travaillais indifféremment comme technicien son assistant façade ou retours. En France, on est vite mis dans une case et les productions ou les artistes rappellent assez logiquement au même poste les personnes qui ont fait le job la fois d’avant. Lorsque le mixage en In Ear Monitors a commencé à se développer, le seul spécialiste du domaine était Xavier Gendron, qui travaille maintenant avec des artistes tels que Sting, Beyoncé et Jay-Z.

J’ai senti que c’était un nouveau mouvement et peu s’y intéressaient. J’avais 24-25 ans à l’époque, et j’ai décidé d’en faire ma spécialité et de me former à la HF. Peu de temps après, en 2001, j’ai participé à la tournée de Vanessa Paradis. Tous étaient en IEM, et c’était d’ailleurs le challenge imposé par la prod : “Y’a pas de place dans le camion, alors il faut que tous restent en oreillettes”. Cette expérience a lancé ma carrière.

SLU : Faut-il des prédispositions pour devenir un ingénieur du son retour ?

Laurent Midas : Pour être ingé retour, non pas vraiment. Bon, quand même, je dirais qu’il faut un minimum s’intéresser à la musique et la comprendre. Pas forcément comme le souhaitait Charles Aznavour qui, pour la petite anecdote, voulait que je lise ses partitions. Sans y arriver, je disais : ”Oui, bien sûr, Charles”.
Le job de l’ingé retour est de faire en sorte que tout le monde sur scène ait la banane, soit content d’être là. Cela passe par la facilité de communiquer, ça crée de la connivence. Une très bonne communication et une grande complicité. Comme la plupart des outils utilisés sont informatiques, une capacité à naviguer dans des menus et des sous-menus est requise. Il faut aussi une bonne organisation.
Le job de l’ingé retour est différent de celui de la façade qui interagit directement avec le public. Aux retours on se concentre sur le confort des musiciens et on répond à leurs besoins. C’est donc un exercice différent. Au niveau des effets ou des créations sonores, elles sont demandées par les musiciens, cela ne vient généralement pas de nous.

Donc, rendez-vous avec Laurent le matin pour le setup des trois jours de concerts. Les équipes sont déjà à pied d’œuvre pour le montage.


9 heures du mat à l’Olympia, j’ai des frissons… Le matériel est là. photo © Fanny Orget

SLU : Peux-tu me décrire le setup retour du concert ?

Laurent Midas : Au cœur du système se trouve la console. J’utilise une dLive de Allen & Heath dont je suis très satisfait et avec laquelle je travaille depuis 6 ans. En façade, il y a la même équipée d’une surface avec moins de faders.


dLive aussi en façade pour Steph Plisson avec une surface de contrôle plus réduite.

Nous échangeons via deux fibres multimodes des flux au format propriétaire gigaACE. Je fais un tie-line (redirection) de tout ce qui arrive du plateau pour le renvoyer vers la régie façade.

Laurent relie les fibres…

Sur scène, nous avons des préamplis déportés DX168 de 16 entrées et 8 sorties. Je gère les gains, la façade récupère le signal juste après conversion et avant traitement. Quant aux retours, les sources de diffusion sont exclusivement des In Ear Monitors (IEM). Ici, il n’y a pas d’enceintes de retour, juste un Sub pour Jean-Philippe Fanfant, le batteur.

Les liaisons IEM Wisycom sont constituées d’émetteurs MTK952 et de récepteurs MPR50-IEM. Il s’agit là, selon moi, du meilleur produit sans-fil en analogique. C’est vrai aussi bien pour les IEM que pour les micros sans fil.

Une horloge numérique Antelope Isochrone Trinity en distribution et le RealTime Rack de Soundcraft pour les plugs. Oui le recyclage est une bonne chose !

SLU : Je vois une horloge numérique dans ton rack ?

Laurent Midas : Il y a bien une wordclock master mais qui n’a plus vocation, comme il y a de nombreuses années, à remplacer les horloges internes des consoles pour un meilleur rendu. Je l’utilise maintenant simplement en tant que distributeur.

SLU : Quoi d’autre dans le rack ?

Laurent Midas : J’ai gardé mon RealTime Rack Soundcraft pour exploiter des plug-ins tiers. En dessous, il y a le DSP de la console Allen & Heath : 160 canaux de mix, 64 bus. Le cœur audio est dedans et les entrées analogiques sont à l’arrière en un seul rack compact.
La console fonctionne exclusivement en 96 kHz, avec un mixeur audio en 96 bits. Avant, pour les ordres, nous utilisions une petite console séparée. Maintenant, je gère tout depuis la console retour, fort de la stabilité sans faille de la dLive. Après plus de 2 000 spectacles sans aucun problème, je suis super zen.

Ce soir-là à l’Olympia, 11 départs à gérer.

SLU : Combien de sources à mixer ?

Laurent Midas : Nous avons au total 60 sources. Cela comprend deux batteries (20 lignes), six lignes pour les claviers, trois pour la guitare, une pour le piano, soit environ 32 sources pour la musique, plus 16 pistes pour les séquences, ainsi que les talks (lignes d’ordre), pour un total d’environ 60 voies. Tout ceci est mixé vers 11 départs, dont un spare en cas de panne.

SLU : La console idéale pour le mixage retours ?

Laurent Midas : Mon axiome personnel est le suivant : pour les retours, la qualité la plus importante n’est pas tant d’avoir la console qui sonne le mieux, mais plutôt celle qui offre la plus grande stabilité et robustesse du système d’exploitation, ainsi que la capacité à fonctionner dans toutes les conditions.
Ainsi, mon ordre de priorité est le suivant : en premier la stabilité, ensuite, l’ergonomie, pour aller vite et effectuer les réglages demandés par plusieurs musiciens en même temps. Enfin la qualité sonore, qui est évidemment importante pour réaliser un mixage de qualité.

SLU : Une gestion particulière du risque ?

Laurent Midas : En termes de gestion du risque, pour le chanteur, tout est doublé : oreillettes et micro HF. Si jamais la console façade tombe en panne, il est possible d’envoyer un mix salle depuis ma console retour. Ainsi on évite d’arrêter le concert. Cela arrive plus souvent qu’on ne le pense.
En revanche, il n’y a rien pour contrer un problème aux retours. Si ma console tombe en panne, le spectacle s’arrête. Il est donc crucial de choisir une console stable et de ne pas la pousser dans ses retranchements. Cela m’est arrivé une fois avec mon collègue Seb Fernandez, qui était mon binôme sur le spectacle de Zazie. Il me remplaçait aux retours de Zazie au Zénith de Paris, pendant que je bossais avec Calogero à l’Européen.

Je suis revenu au Zénith avant la fin du concert et tous étaient tendus. La console de retour était tombée en panne quelques minutes auparavant. Zazie a essayé de poursuivre, mais sans retours c’était impossible. Heureusement, au bout de 5 minutes, le spectacle a pu reprendre son cours normal. A la fin du spectacle, Zazie m’a convoqué et, avec beaucoup de bienveillance, m’a dit : « Une panne peut arriver, mais ce que j’ai vécu sur scène ce soir ne doit pas se reproduire, il faut trouver une solution ». Alors j’ai trouvé une solution : j’ai changé de modèle de console.

Allez, c’est parti pour la HF avec la mise en service des émetteurs Wisycom.

SLU : Quelle est la première mission d’un ingénieur du son retour qui arrive sur site ?

Laurent Midas : Depuis l’apparition des In Ear Monitors, il y a plus de 20 ans, un ingénieur du son retour doit être capable de gérer de manière autonome les systèmes d’IEM sans fil. Pour cela, la première tâche que j’effectue dès mon arrivée sur le lieu du concert est la coordination des fréquences.

Pour cette tournée de Julien Clerc, il y a 12 canaux IEM sans fil Wisycom. Pour commencer, j’utilise le logiciel propriétaire du fabricant italien qui me permet de paramétrer l’ensemble des émetteurs et récepteurs.

Le scan est plutôt tranquille aujourd’hui !

Une fois toutes les machines reconnues, je lance un scan avec les récepteurs pour analyser l’environnement RF de la salle. Je vérifie les interférences présentes dans cette plage de fréquences.

En étant en sous-sol à l’Olympia, nous ne sommes pas pollués par les signaux de la TNT, de la 4G et de la 5G, ce qui facilite le processus de coordination. Une fois le scan terminé, j’utilise les fréquences les moins perturbées pour configurer les émetteurs et les récepteurs.

Les micros aussi sont en HF avec ici les récepteurs MRK960 de Wysicom photo © Fanny Orget

SLU : Tu ne gères que les ears ou bien toute la HF, y compris les micros ?

Laurent Midas : Sur les gros projets comme les festivals ou les tournées des stades il y a généralement une personne en charge de la coordination de fréquences. Sur les autres projets, c’est l’ingé retour ou le technicien plateau qui réalise ce travail.
Pour la plupart des projets auxquels je participe, je gère moi-même cette coordination, y compris les micros et l’intercom sans-fil. Elle est en effet essentielle pour que tous les systèmes puissent coexister sans interférences.

Trouver les meilleurs canaux grâce à l’analyse du logiciel EazyRF.

Une fois que le scan est réalisé, j’utilise un logiciel qui s’appelle EazyRF pour gérer la coordination de fréquences. Il est aussi possible d’utiliser les logiciels propriétaires des produits utilisés. L’avantage avec EazyRF est de ne pas être enfermé dans une logique de marque.
Il peut tout faire. J’ouvre mon scan et je règle un seuil qui va exclure les canaux TV. J’utilise ce logiciel tous les jours depuis 10 ans. En fait, je fais autant de la HF que du son ! 🙂

Laurent à la HF, tout baigne !

SLU : Apparemment tu n’es pas très ennuyé par les interférences ici ?

Laurent Midas : Il n’y a pas beaucoup de canaux TNT occupés et en même temps le bruit de fond général est très haut, à -70 dB. Mais finalement, il n’y pas de canaux TV à exclure. Tout se passe bien, je n’ai même pas eu à changer le dernier plan de fréquences qui est déjà dans les transmetteurs Wisycom. C’est facile aujourd’hui ! Je vais donc pouvoir maintenant prévenir mes collègues que le plan de fréquences est OK et que rien ne change.

SLU : Et maintenant que c’est terminé pour les In-Ears, tu vas commencer à faire du son ?

Laurent Midas : Ah non, pas encore. Je vais de ce pas réaliser la deuxième mission du jour…je vais gérer le cérumen de nos amis musiciens.

SLU : Comment ça ?

Laurent Midas : Je dois nettoyer les oreillettes. Aujourd’hui, il s’agit de celles des 4 musiciens, de Julien et des techniciens. C’est vraiment une question d’hygiène. Cela concerne l’ingé son au premier titre. Un musicien ou un technicien qui manipule les oreillettes, qui les enlève, les remet, peut s’introduire des germes dans l’oreille et s’irriter. Et s’il y a inflammation ou irritation, il ne pourra plus les supporter.
Si on en arrive là, il y a un gros problème. Comment le musicien pourra-t-il jouer sans oreillettes si le concert l’exige ? Notamment s’il y a un clic ou besoin d’une communication discrète. C’est un véritable sujet. Donc nettoyer les oreillettes tous les jours, c’est primordial.

Prendre soin des artistes et des musiciens, cela commence par leurs oreilles.

Y compris le Patron !

SLU : Combien de paires de ears par artiste ?

Laurent Midas : Souvent plusieurs paires pour éviter tout risque de panne ou de perte. En général, trois paires : une pour la scène, une en spare et une troisième qu’il emporte avec lui pour les promos par exemple.
Les oreillettes que nous utilisons sont fabriquées par Earsonics, une société française. Nous avons à la fois des modèles sur mesure et des modèles génériques qui ont tous les mêmes transducteurs.
La différence réside dans la longueur du tube auriculaire, qui est fabriqué sur mesure pour offrir une meilleure isolation et une qualité de son supérieure ce qui améliore considérablement la perception des basses fréquences. Même avec des transducteurs de petite taille, on peut entendre les extrêmes.

SLU : Il peut arriver d’utiliser sur scène des ears et des wedges ?

Laurent Midas : Oui, il arrive parfois que les artistes utilisent les deux sur scène. Les oreillettes offrent un son intelligible et stable quel que soit l’endroit où l’artiste se trouve, mais elles ne procurent pas la sensation physique que peut offrir un haut-parleur. Il est alors courant de rajouter des retours supplémentaires pour certains musiciens, tels que batteurs ou bassistes, qui apprécient particulièrement l’ajout d’un subwoofer.

Ne jamais oublier les invités ! On ne sait jamais. Ce jour-là, j’ai pu écouter ce que Julien Clerc écoutait.

Si ici il n’y a pas de retour sur scène, certains concerts l’imposent. Par exemple sur Calogero en 2004, en plus des oreillettes, on avait 115 dB au point chant, entre ses deux amplis basses, les wedges et les subs.
Sur Maé, il y a toujours une paire de retours et il met, suivant son feeling, une ou deux oreillettes. Dès qu’il a besoin d’interagir avec le public, il enlève une oreillette et garde celle sur son oreille directrice. Je lui rajoute des side pour ses déplacements. C’est fromage et dessert !

SLU : Est-ce l’ingé retour qui conseille des marques de ears aux musiciens ?

Laurent Midas : Tout existe. En général, l’ingé retour fait une proposition pour la tournée et la production achète les oreillettes. Pour des concerts isolés ou des tournées plus modestes, on utilise les oreillettes que les musiciens possèdent, et là, cela peut être disparate. Je suis obligé alors de composer avec et de connaître un peu tous les modèles, pour savoir comment les égaliser et mixer.

SLU : Quand un artiste est équipé en In-Ear, il n’entend plus aucun message extérieur. Comment faites-vous pour communiquer ?

Laurent Midas : Dans une logique de In Ear Monitor, la première chose à faire, au premier jour des répétitions, avant même de commencer avec la batterie, c’est de vérifier que le système d’ordres fonctionne correctement. Un bon système d’ordres est indispensable. Cela fait aussi partie des attributions d’un ingé retour.

La pédale de talk du clavier et directeur artistique, l’important est de pouvoir parler à tout le monde…

Nous utilisons des systèmes de pédales pour que les musiciens puissent communiquer entre eux et avec les techniciens. Elles commutent leur micro en l’isolant du mix et en le dirigeant vers les différents circuits d’ordres.

SLU : La latence des retours, c’est un point sensible ?

Laurent Midas : Si jusqu’à 6 millisecondes, la latence n’est pas gênante pour les oreilles de M. Tout le monde, elle peut cependant être totalement rédhibitoire pour des musiciens qui jouent. Pour eux, jusqu’à 3 ms on est bien, c’est donc pour moi la limite max. Je suis très vigilant sur la latence.

Les liaisons IEM que j’utilise sont analogiques. La porteuse RF est analogique et il y a juste une petite conversion due à un compander numérique. Cela rajoute un peu de latence.
J’ai sélectionné la console qui en a le moins. Avec la dLive, il n’y en a que 0.7 ms, ce qui permet de faire des compromis, comme d’avoir un système HF performant quitte à ce qu’il en induise un peu. La somme des latences de mes circuits de retours reste ainsi dans les limites que je me fixe.
C’est une véritable avancée, car depuis des années, avec les anciennes générations de consoles numériques qui en généraient bien plus, je refusais toutes options de micros numériques parce que la somme totale des latences nuisait aux musiciens. Maintenant je peux privilégier plus de systèmes numériques dans la chaîne de traitement des retours.

Les stage racks à proximité de chaque musicien et reliés en Cat5 à la console.

SLU : C’est toi qui reçois toutes les sources et qui envoie à la façade ?

Laurent Midas : Oui c’est ça. Tout passe par ma console retour. La dLive propose des boitiers de préamplis déportés en réseau, que l’on partage. Je reçois tous les micros, je fais tous leurs gains d’entrée et les renvoie à la console façade pour son mix salle mix via la fibre.

SLU : Il n’y a plus de vrai piano sur scène ?

Laurent Midas : Pour des histoires évidentes de coût et d’entretien, un piano numérique, dans le cadre de spectacles de variété, est beaucoup plus pratique. On part en tournée avec des synthés ou des instruments virtuels capables de délivrer des sons de piano très réalistes. De plus, en travaillant avec des oreillettes, l’utilisation d’un vrai piano n’est pas obligatoire, car de toute façon le pianiste n’entend pas vraiment la table d’harmonie.

Depuis 10 ans environ, Julien utilise un clavier lourd dans un meuble Piano qui commande un NordStage. Julien est le plus exigeant des artistes avec qui j’ai travaillé, au sens où il a une idée très précise des arrangements et du son … et il ne lâche rien tant qu’il n’entend pas ce qu’il veut. C’est un directeur musical, et à chaque fois c’est un véritable challenge de le satisfaire.

L’illusion est parfaite !

SLU : Les balances vont bientôt commencer ?

Laurent Midas : Non pas encore. Maintenant que la console est allumée et que les fréquences des IEM sont attribuées, je dois faire le line-out check. Cela revient à vérifier que tous les départs fonctionnent.
Et quand le câblage plateau sera terminé, je ferai le line-in-check, en vérifiant que toutes les sources de la console fonctionnent également. Ensuite, en dernier lieu, je vérifie que toutes les interliaisons entre la façade et les retours sont actives, et à ce moment-là, nous serons prêts pour les balances.

Le line check est OK, tout est prêt pour accueillir l’artiste et ses musiciens.

SLU : As-tu une méthode particulière pour le mixage des retours ?

Laurent Midas : L’ingé retour est au service de la composition artistique, des artistes et des musiciens. C’est un intermédiaire, un facilitateur. Je ne fais pas mon mix, je fais le mix que le musicien a envie d’entendre. Il en va de même pour les équilibres.
Quand Julien me dit : “ Ce titre-là, ce n’est pas ça du tout, c’est la guitare qui doit être devant, écoutez l’album”, je dois donc mettre son piano derrière à ce moment-là et respecter le titre. En bref, un ingé retour est un au service du musicien.

J’ai toujours la même démarche. Ce qui me parait le plus important dans ce que jouent les musiciens, c’est la cohérence d’un titre à l’autre. En gros, je me refuse à masquer avec l’automation de la console des disparités de niveaux ou de timbres qui surviennent sur scène.
Je demande au musicien, quand c’est possible, d’ajuster : “mais pourquoi, là, tu es plus fort ? Baisse un peu ton effet … Ton piano est trop fort … Baisse un peu … C’est mieux”.

Quand on utilisait des consoles analogiques, on n’avait pas le choix, car il n’y avait pas l’automation. Maintenant avec les consoles numériques, bien qu’il soit facile de faire des snapshots, j’ai gardé la même méthode qu’auparavant parce que je trouve que ça a toujours tout son sens. Il faut avoir conscience que si un instrument est plus fort et que je le compense dans les mixes retours, ce ne sera pas le cas en façade et l’ingé façade devra faire la même manip’. Alors en répétitions, il y a un véritable travail à réaliser avec les musiciens, pour obtenir un “son de groupe ».

J’interviens avec une automation seulement quand un musicien ne peut pas faire la nuance lui-même. Par exemple si un guitariste passe d’un jeu au médiator à un jeu au doigt, et que le niveau est beaucoup moins élevé, évidemment c’est à moi de l’accompagner, car lui ne peut rien faire de son côté. Toutes les fois où la nuance peut venir des musiciens, je leur demande de le faire.
Si un musicien se braque un peu, je fais de la résistance et je lui explique : “Le jour où on va faire un concert dans un endroit où on n’a pas le même matos, comment on va faire ? Et le jour où un car régie viendra enregistrer le live, les incohérences sauteront aux oreilles. » Les bons arguments fonctionnent généralement 🙂


« Dans mes propres ears, je suis pratiquement certain que j’entends comme les musiciens. » photo © Fanny Orget

SLU : Avec les oreillettes, comment être sûr que l’équilibre est correct pour chacun des musiciens ?

Laurent Midas : Être certain de la qualité de fabrication et donc que d’une oreille à l’autre le son est à peu près le même, c’est déjà pas mal !
Il y a également l’impédance des oreillettes à ne pas négliger, car si elle varie, le niveau d’écoute d’un musicien à l’autre n’est pas le même.

Si de plus, tous les musiciens les mettent bien et qu’elles sont étanches (si ce n’est pas le cas, tu perds l’extrême grave et l’extrême aigu), alors à la console je peux faire des solos sur leurs départs respectifs en étant à peu près certain que dans mes propres ears, j’entends comme eux.
Il me manque alors seulement le ressenti des musiciens au milieu du plateau. Si par exemple il y a beaucoup de graves sur la scène, je ne m’en rends pas toujours compte en étant sur les côtés de la scène. Une fois que l’on a tout pris en compte, on peut considérer entendre comme les musiciens, et cela devient alors facile de répondre à leurs demandes.

SLU : Quand on mixe pour des oreillettes, y a-t-il des traitements particuliers pour la sécurité des oreilles et pour améliorer le son ?

Laurent Midas : Je ne fais rien de spécial. J’estime qu’il n’y a pas besoin. Dans tous les systèmes, il y a des limiteurs ou des traitements que je n’aime pas et que je n’utilise pas. Les musiciens n’en veulent pas non plus. Je cherche les produits qui me permettent de passer le son avec la plus grande transparence possible. En HF on a, quoi qu’il arrive, une perte du spectre dans les hautes fréquences.
Mais il faut savoir que l’on peut aussi utiliser des IEM filaires et là, on est au top. Si le show le permet, on privilégie le filaires et les batteurs sont généralement branchés. En revanche, sur cette tournée, comme il y a deux batteries, Jean-Phi préfère du sans-fil pour ne pas avoir à se débrancher en cours de spectacle. Les autres musiciens sont tous mobiles, donc en IEM sans-fil.

SLU : Les musiciens étant isolés du monde extérieur, tu leur envoies une ambiance de salle?

Laurent Midas : Oui, on installe des micros qui captent la foule. C’est incontournable. Certains artistes n’aiment pas ça, mais c’est extrêmement rare. En général, ils veulent être embarqués par la foule comme s’ils étaient avec des wedges. Pour cela y a un vrai suivi et j’ai le doigt en permanence sur le DCA des ambiances. C’est ce qui rend le concert vivant dans les mix retours et permet d’oublier qu’on porte des oreillettes. Ça c’est surtout vrai pour les chanteurs.
Parmi les musiciens, certains ne veulent pas être dérangés par les ambiances qui de toute façon repassent par les micros sur scène et donc sont déjà un peu présentes. Globalement j’en mets peu aux musiciens et beaucoup au chanteur. L’idéal serait d’avoir des micros suspendus au-dessus du public comme lors des enregistrements live. Mais on n’a pas ce temps au quotidien, alors je mets des couples de chaque côté de la scène. Sur cette tournée, il s’agit de couples M/S.

Tout avoir dans la console c’est mieux !

SLU : Quels sont les traitements qui te paraissent indispensables aux retours ?

Laurent Midas : C’est variable. Ici, avec la dLive, tout le traitement est interne. Avec de la mobilité et de la souplesse, tout avoir dans la console c’est mieux. Plus tu mets de machines autour, plus c’est compliqué.

SLU : Y a-t-il une recherche de qualité sonore aussi bonne dans les retours qu’en façade ?

Laurent Midas : Oui le but est de faire du bon son, et raison de plus avec des oreillettes. Dans la démarche et le traitement, on compresse généralement moins dans les retours pour ne pas fausser les nuances. Si le musicien joue plus fort et qu’il ne s’en rend pas compte à cause d’un compresseur, ça va être très compliqué pour lui de faire des nuances. J’essaye de choisir des traitements qui respectent le jeu et la dynamique des musiciens.

Julien Clerc en pleine confiance, signe d’un très bon retour.
photo © Fanny Orget

SLU : Le retour de Julien est différent de celui d’un musicien ?

Laurent Midas : Chaque mix musicien a la même base, mais avec un parti pris pour l’instrument. Par exemple, Julien Clerc souhaite sa voix très forte dans les retours. De même, le batteur prend sa batterie très en avant par rapport à l’harmonie.
En revanche, le bassiste prend la batterie presque aussi fort que sa basse. Un pianiste, surtout quand il est arrangeur, va écouter de tout avec juste un peu de ses claviers devant. Il doit tout entendre. C’est variable aussi suivant les musiciens.

Globalement, le parti pris sera un peu de tout et l’instrument du musicien un peu plus fort. Même si la voix de Julien est très forte dans ses oreillettes, il entend tout et il sait précisément te dire pourquoi dans tel ou tel titre, il est moins à l’aise.

SLU : Pour les instruments, y a-t-il des traitements particuliers ?

Laurent Midas : Il y a des instruments que la prise de son de proximité peut rendre aigrelets. Dans ce cas, on corrige la prise de son. J’ai mis de nombreuses années à comprendre ça. Je me retrouve souvent avec les mêmes instruments, les mêmes micros et les mêmes traitements sur la même voie… et pourtant ce ne sont pas les mêmes musiciens. Donc très souvent, ce sont les défauts des micros ou de leur placement qu’on corrige.

Les micros, c’est le boss de la façade qui les choisit, et qui planque les amplis pour pouvoir mixer avec eux…mais sans eux !

SLU : Qui choisit les micros ?

Laurent Midas : Par l’habitude du métier, le boss du son est l’ingé façade. C’est lui qui choisit les micros. Cela fait sens car il est dépositaire de ce que reçoit le public. Cela peut arriver que je rajoute des micros en plus ce qui est le cas ici.
J’ai placé un micro sur la ride qui n’est pas utilisé pour le mix façade, car les rides ressortent suffisamment par la compression des Over Heads. Cependant, dans ses retours, le batteur apprécie ce supplément de ride qui lui permet d’avoir plus de précision.

SLU : Dans les retours, on met des réverbes et on éloigne les instruments ?

Laurent Midas : Toujours dans l’idée de faire oublier qu’on a des oreillettes, je travaille la profondeur et la largeur des mix. Quand on est sur scène et qu’on regarde le public, un son de tête (très frontal) ne permet pas d’oublier qu’on porte des oreillettes. Donc j’essaye d’élargir l’espace en travaillant les réverbes.

De l’espace sur chaque départ grâce aux Vitalizer …

J’ajoute aussi des spatialiseurs, comme le Vitalizer de SPL. J’en suis fan depuis 2004. Avant j’avais de vraies machines 1U, maintenant j’utilise le plugin sur un RealTime Rack que j’ai gardé de mon ancienne console.

SLU : Et sur la voix, beaucoup de réverbe ?

Laurent Midas : C’est très variable. En général modéré. Sur les chanteuses, il en faut beaucoup car elles jouent avec. L’ancienne génération aussi aime beaucoup. Johnny voulait une réverbe de plusieurs km et Aznavour encore plus. En fait, j’ai mis du temps à comprendre. J’ai fini par réaliser que ces chanteurs avaient commencé la chanson a une époque où tu te plantais sur scène devant ton micro, bien souvent sans retours, et tu jouais avec la réverbération de la salle.

Au Palais des Sports dans ces années-là, tu laissais tomber une clé à molette, le lendemain tu l’entendais encore, alors le jour où j’ai mis un temps de réverbération trop long à mon goût, ces chanteurs ont été contents. C’est là où il faut faire taire son ego, et où il faut se mettre à la place de l’artiste. Après, tous les soirs en montant sur scène, Charles Aznavour me disait avec un sourire espiègle : “Vous n’oublierez pas de mettre de l’écho”. J’utilise les réverbes internes des consoles qui fonctionnent très bien.

SLU : Sur une console numérique, y a-t-il des fonctions primordiales aux retours ?

Laurent Midas : Des fonctions de Recall Safe sont indispensables dans ma logique de travail. Cela permet de passer d’une mémoire à une autre avec des paramètres inchangés.

SLU : Et beaucoup de départs ?

Laurent Midas : Oui, aux retours, on utilise beaucoup de départs auxiliaires. Il me faut 64 départs minimum. Exemple : 1 chanteur, 4 musiciens, 2 backliners, la régie, le SOS, les guests, un quatuor à cordes, mix de ear jusqu’à 16, plus les effets, mix to moi, mix to talk to band, mix to talk vers la façade, mix to talk vers la régie, départ sub, départ side. Ça va très vite.

Un template de mix performant, oreillettes et ordre en place, c’est parti !

SLU : Et tu utilises un template de base ?

Laurent Midas : Oui, j’arrive avec un template déjà prêt et tout est assigné. Cela fait gagner du temps et les balances commencent très rapidement. J’ai une méthode bien éprouvée, indépendante des musiciens avec qui je travaille car en général je sais ce qu’ils souhaitent entendre, alors je prépare et après on ajuste ensemble.

Benjamin qui est directeur musical ici, m’a dit : “Ce qui est agréable quand on bosse avec toi, c’est que tu fais une proposition et on tourne autour. Cela va vite, et on ne repart pas de zéro à chaque fois.” J’essaye de m’imaginer à la place des musiciens, et j’anticipe autant que possible leurs besoins.
Je ‘pan’ en fonction des positions sur scène. J’essaye de rendre le mix naturel. Pour aller plus loin, on pourrait même envisager l’utilisation des trackers, ça existe. Mais ça induit de la latence et ça complique le workflow. Je n’y suis toujours pas passé. J’attends que cette technique arrive à maturité.

SLU : Dans le cas d’une captation live, c’est toi qui enregistre ?

Laurent Midas : Ça arrive encore qu’il y ait des studio mobiles, mais pour des questions de budget, aujourd’hui c’est de moins en moins le cas. En général on enregistre en retour et en façade, comme ça on a un backup et au sein de MAWIP, nous assurons l’intégralité de la réalisation du projet avec Stéphane Plisson ou Yves Jaget qui signeront le mix studio à partir de nos enregistrements.

SLU : As-tu une interaction avec l’ingé façade, pour de la reprise d’effets par exemple ?

Laurent Midas : Il est rare de recevoir des éléments provenant de la façade sauf sur des spectacles un peu spéciaux. Ça m’est arrivé sur Mylène Farmer et sur Zazie ou l’ingé façade faisait des traitements que je devais renvoyer aux musiciens.

SLU : Est-ce que l’acoustique de la salle a un impact sur les retours ?

Laurent Midas : Avec les oreillettes, on n’est pas sujet à beaucoup de changements en fonction de la salle. Évidemment quand elle résonne beaucoup, on le ressent physiquement et ça pollue les micros de la batterie. Sur cette tournée, Julien peut être gêné par l’acoustique de la salle.
De même si le premier rang est tout près, il l’entendra par son micro. Julien chante souvent dans le grave, alors pour compenser les fortes et les pianissimi, je dois le suivre au fader et je compresse également à la tranche. Julien connaît très bien les salles qui ont plus ou moins d’impact sur le son retour. Si les retours sont avec des wedges, il faut ajuster le niveau pour passer au-dessus du son de la salle et avoir de la précision.

Pour l’Olympia, c’est du K2 et des KS28 en montage cardio. Justement !

SLU : Un système de diffusion avec des subs cardio, ça aide ?

Laurent Midas : Ça dépend. Si tu fais un symphonique, oui. Tu évites de te tirer une balle dans le pied. En pop rock avec peu de micros, ce n’est pas nécessaire et cela peut même être contreproductif car les musiciens par l’absence de graves sur scène, peuvent avoir l’impression de ne pas être dedans. Avec le cardio, on perd ce côté agréable pour le musicien d’être enveloppé par le grave.

Il y a bien sûr beaucoup d’avantages à l’utiliser, cela permet de resserrer et de moins taper dans les murs, on récupère plus de pression devant et donc on met moins de subs. Il y a un intérêt pour le gain de place, le rendu et de budget mais ce n’est pas forcément mieux sur scène.
Les musiciens s’habituent. Tu passes d’une tournée en salle à une date en festival, tout l’environnement change et ça les perturbe quand même.

SLU : Un ingé retours est assez fidèle avec les artistes, n’est-ce pas ?

Laurent Midas : Globalement dans tous les métiers, quand tu bosses bien et que le tarif de ta prestation est bon, on te rappelle. Bien sûr, il y a des complicités et des histoires communes. Ma première tournée avec Julien, c’était en 1999. J’étais assistant d’Andy Scott en façade. Ensuite tournée 2002, toujours assistant en face, et en 2006 on m’a proposé les retours. Je n’ai pas fait toutes les tournées mais cela va faire presque 25 ans que nous travaillons ensemble.

Les artistes étaient fidèles aux ingés retours avant, maintenant c’est un peu lié aux productions. En fait, il n’y pas vraiment de règle. Mais je prends plaisir à m’inscrire dans une relation à long terme avec l’artiste. Alors quand les plannings de leurs tournées se chevauchent, ce n’est pas simple, et il faut organiser des remplacements, qui donnent toujours lieu à de la frustration.

SLU : Quels conseils peux-tu donner à un technicien son qui aimerait se dédier aux retours?

Laurent Midas : Pour bien faire des retours, il faut un goût pour la musique et les musiciens. Il faut être à l’écoute, au sens psychologique du terme. Bien entendre ce qui est dit, ne pas se braquer. Il y a parfois des commentaires qui nous sont adressés d’une façon négative mais qui en fait ne nous concernent pas directement. Il faut donc avoir ce recul. Et puis avec l’expérience de mes débuts, il faut ‘border’ chaque dossier. Savoir qui t’accueille, quel matériel, assez d’entrées, assez de sorties, pour être sûr qu’il ne te manquera rien quand tu arriveras sur place.

Dans un cas extrême, imagine que tu as 4 musiciens sur scène et que tu t’aperçois que tu ne peux en servir que trois, tu seras déjà en grande difficulté. Autre exemple moins grave : tu as de quoi faire des retours mais il n’y a pas assez de réverbes.
Le choriste ou le saxophoniste te dit : “je peux avoir un peu de réverbe” et tu réponds “ben non, je n’en ai pas.” Ça ne le fera pas non plus. Idem pour les pédales Push-to-talk, si tu n’en as pas prévu, comment les musiciens pourront-ils communiquer ? L’important, c’est de préparer son dossier, bien gérer son projet.


Ça donne envie de mixer des retours, non ?
photo © Fanny Orget

Vous avez compris, les musiciens n’aiment pas la latence. Laurent Midas non plus. Actif, réactif, visionnaire, pionnier, pragmatique et hyper professionnel, il s’est fait une spécialité qu’il exerce avec passion, accompagné de ses confrères au sein de MAWIP.
J’espère qu’il donnera, par la clarté de l’explication de son métier qu’il vient de nous accorder, envie à de nombreux techniciens d’aller mixer sur scène du côté des retours. Une spécialité riche et passionnante, dont Laurent contribue tous les jours à en faire sonner toute la noblesse.

D’autres information sur le site MAWIP et sur l’instagram MAWIP

 

Crédits - Texte : Ch. Masson - Photos : Ch. Masson, Fanny Orget

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