Independence Boss in Paris…

Bruce Springsteen

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Nuit de plaisir, nuit d’excès mais aussi nuit de rêve, Bruce Springsteen nous a offert le plus bel Independence Day que la France ait connu. Carré comme son E-Street Band, minéral malgré ses presque 63 ans, il a pulvérisé le transfo de Bercy avant de faire disjoncter 4 fois le POPB durant la balance ! Avid Venue et 160 boîtes L-Acoustics en tête, John « Coop » Cooper en chef dynamiteur et Soundlightup en chanceux témoin, on peut désormais vous le certifier, le rock ça conserve !!

John Cooper

Mister passion en personne, John « Coop » Cooper devant sa configuration Avid Profile.

C’est Coop en personne qui vient nous chercher à une porte du Palais Omnisport, et nous annonce que le transfo de la salle a lâché ce qui a engendré 3 coupures totales de courant (4 avec celle qui clôturera la balance NDR). On se dit qu’on va se faire tout petit et oublier notre interview. Le sourire et la sérénité de John ont vite fait de nous redonner des couleurs. Show WILL go on, vous verrez ! Il nous conduit directement dans les coulisses à jardin où l’on découvre le gigantisme de cette tournée quasi à l’étroit dans une salle pourtant spacieuse. On profite de notre présence auprès de ce que l’on pense être la seule table dévolue aux retours pour l’interroger rapidement sur les monitors avant d’attaquer sur la face.

Sur scène, 18 artistes, 104 sources au patch et un gros niveau

SLU : Quelques mots sur les retours ?

JC : Nous avons deux DiGiCo SD7, une à cour et une à jardin car avec 18 artistes sur scène, même si une table aurait largement suffit, un cerveau non ! (rires NDR) Nous avons 104 sources au patch. Je ne sais même pas combien de sorties Troy et Monty gèrent. Je sais que Troy (Milner, Ingé retours jardin NDR) a une cinquantaine de bus car tout le monde est en stéréo et Monty (Carlo Ingé retours cour NDR) doit en avoir autant, plus tous les wedges de Bruce et ses sides accrochés à la verticale de la scène : 4 Vertec JBL 4888 par côté. Bruce dispose de 4 wedges principaux, les deux intérieurs pour sa voix et les deux extérieurs pour les musiciens, sans oublier les sides pour l’ensemble du groupe. Le son que tu entends (très fort NDR) c’est le niveau de son ampli. On a donc été obligé de les orienter à 60° vers le haut pour les sortir des micros de chant…un peu ! La scène est très bruyante. Pour en revenir à Troy & Monty, je ne sais pas comment, même à deux, ils arrivent à s’occuper d’autant de mix ; moi je n’ai qu’un simple gauche droite à gérer, parfois guère plus, je me dis que c’est déjà assez. Je ne me vois pas distribuer 16 à 18 mix stéréo. C’est pourtant ce qu’ils accomplissent chaque soir.

Scène

SLU : La scène paraît assez haute.

JC : C’est voulu, ça permet de faire vivre tout un petit monde en dessous et puis quand on joue dans des stades, c’est indispensable. On appelle notre régie souterraine le « underworld » et c’est là que se trouvent les techniciens dévolus aux claviers, aux guitares, à la batterie et j’en passe. Chacun dispose d’un passage permettant de faire remonter l’instrument et réceptionner celui qui doit être accordé ou simplement rangé.

Les riggers

Les riggers ? Ils ont énormément bossé, mais comment faire autrement quand la scène est ouverte à 360°

SLU : Que je sache Solotech qui est le prestataire en charge de la tournée est très connoté Meyer, et là, à part les 8 Vertec JBL des retours, je ne vois que du L-Acoustics…

JC : Maintenant ils en ont, et beaucoup plus qu’avant (rires NDR). Comme tu le sais, historiquement c’est Audio Analysts qui a été le prestataire de Bruce et cette société a été rachetée par Solotech l’année dernière. Pour cette tournée nous avons lancé un appel d’offres auprès de 4 sociétés en sachant que je souhaitais disposer de K1 et de Kara. Un des prestataires retenus a bien entendu été Clair, grâce à son passé avec Bruce, seulement ils ne proposaient que de de l’I5 et je souhaitais avoir du K1

SLU : Qu’est ce qui te plait tant avec les K1 et Kara ?

JC : Selon moi, c’est le meilleur système disponible à l’heure actuelle, celui qui sonne le mieux. Ce n’est que mon avis mais pour ce que je recherche c’est ce qu’il y a de mieux, et je pense avoir quasiment tout écouté. C’est aussi le plus fiable et le plus prévisible dans son rendu au quotidien.

K1 et Kara

De gauche à droite on retrouve le système principal composé de 12 K1 et 6 Kara auquel sont accouplés 8 K1-SB, puis visibles à hauteur du raccord entre K1 et Kara, 4 LA-Rak. Encore à droite on distingue 12 Kudo très arqués, il s’agit d’une des 4 lignes dédiées aux spectateurs placés à l’arrière de la scène et enfin le side hang aussi en 12 K1 et 6 Kara.

SLU : As-tu entendu le nouveau système JBL ?

JC : Non, mais franchement j’ai beaucoup utilisé de produits JBL et particulièrement le Vertec, et je cherche maintenant autre chose. Pour être très clair, j’ai une ambition : délivrer la musique de Bruce Springsteen à son public de la façon la plus pure et naturelle possible sans être obligé de compenser telle ou telle faiblesse matérielle. Je ne recherche rien de plus, ni pour moi, ni pour qui que ce soit d’autre, juste le meilleur son pour mon artiste. J’ai eu la chance inouïe dans ma vie professionnelle d’avoir toujours pu accompagner et mixer les chanteurs ou les groupes que j’aime. Je connais nombre de confrères qui certes travaillent mais sans grand plaisir et sans aucune envie d’écouter dans leur casque la musique de leur artiste un jour de repos. Moi oui. J’ai eu beau apprendre le métier et toutes ses ficelles au cours des années, mon seul moteur reste la passion pour l’artiste, et j’ai une approche artistique plus que technique. Je suis passionné par la performance sur scène, et c’est cette même performance que je me dois de délivrer de la meilleure des façons au public chaque soir.

Coop aime L-Acoustics…
210 boîtes sur la tournée, dont 60 K1 !

retrouvez les 5 dV-Dosc

C’est le jeu du « retrouvez les 5 dV-Dosc » ceux qui arrosent le trou naturel se formant sur le centre du parterre entre les front fills et le système principal qui –ferme- à 35 mètres environ de la scène.

8 V-Dosc

Une vue des deux rappels composés de 8 V-Dosc et ayant en charge les spectateurs du fond de la salle.


SLU : Pour en revenir à Solotech, ils avaient donc peu de L-Acoustics dans leur dépôt et maintenant…

JC : Pour assurer cette tournée qui passe par des stades comme par des salles somme toute petites comme Bercy, ils disposent désormais d’environ 210 boîtes dont 60 K1, 24 K1-SB, 48 Kudo, 24 Kara, 24 SB28, 32 V-Dosc et un certain nombre de dV en lipfill. Ce soir nous n’avons déballé qu’environ 140 boîtes (en fait près de 160 ! NDR). Les deux lignes principales sont composées de 12 K1 prolongées par 6 Kara, et sur le côté elles sont renforcées par 8 K1-SB. Pour les côtés nous avons deux autres lignes de 12 K1 chacune. Pour couvrir les sièges arrière, nous disposons de 4 lignes de 12 Kudo chacune. Pour l’infra, nous avons deux ensembles de 4 SB28 montés avec un des quatre caissons à 180°. Ces deux stacks ont cachés sous la scène tout comme un nombre variable de dV qui nous servent à déboucher les premiers rangs. Nous avons aussi ce soir un cluster central de 6 dV placé en hauteur pour bien remplir entre les deux lignes principales.

SLU : C’est peut-être pour ça que demain le staff de L-Acoustics vient te rendre visite non ?

JC : (rires !) Oui, ils ont manifesté une certaine curiosité et veulent venir écouter ce que nous faisons ! Ils sont surtout intéressés par la façon avec laquelle j’utilise le K1 en tant que renfort latéral, alors que chez L-Acoustics ce rôle est dévolu au Kudo. Nous avons choisi de placer le K1 en main et side hang et de sonoriser l’arrière avec un grand nombre de Kudo, 4 lignes de 12 boîtes. Comme nous couvrons chaque salle de la tournée à 360°, j’ai choisi de le faire à l’aide de 6 points avec, comme ici à Bercy, un septième petit renfort central.

LA Network Manager en V2 et SIM3

Côte à côte deux logiciels créés par deux fabricants de matériel de diffusion, à gauche le tout nouveau LA Network Manager en V2 et à droite le vétéran SIM3.

Sans excès de subs

SLU : Le nombre de subs paraît bien faible comparé au nombre de têtes…

JC : Dans les stades nous en plaçons 12 par côté. Ici à Bercy 8 SB28 placés sous la scène, c’est largement suffisant. Si je mixais un super groupe de métal je ne raisonnerais pas de la même manière mais pour le style de Bruce, tout ce dont j’ai besoin c’est de retrouver à proximité du plateau le même niveau de grave que lorsqu’on s’en éloigne et que le couplage entre les lignes opère. Les SB28 ne servent qu’à alimenter le « pit », la zone de privilégiés qui est face à la scène. Par la suite, les K1 et les K1-SB prennent très bien le relai. Bruce lui-même n’aime pas l’excès de basses, et cela ne correspond pas à sa musique. Il aime un son chaud et plein, mais pas surchargé du bas. On fait donc notre possible pour bien raccorder entre cet apport de proximité et le grave envoyé par les lignes.

4 SB28 montés en cardioïde

« Bruce n’aime pas les basses » Voilà donc l’un des deux ensembles de 4 SB28 montés en cardioïde et caché sous la scène, un ratio têtes/subs assez bas même s’il ne faut pas oublier la présence de 16 K-SB, la capacité qu’ont les K1 à descendre et surtout le fait d’être dans une salle et pas en plein air.

SLU : La régie est proche de la scène il me semble.

JC : nous sommes à 105 pieds exactement (35 mètres NDR). C’est pile ici que les deux lignes de K1 du système principal se rejoignent.

SLU : Une personne invitée par Coop et impressionnée par son calme olympien lui demande comment il fait…

JC : Si ce type d’événement te tape sur les nerfs, alors t’as vraiment mal choisi ton métier (rires NDR). Y’a des centaines de trucs qui peuvent te faire tourner en bourrique chaque jour. Tiens je vous donne un exemple. Je me souviens d’un soir de concert au Giants Stadium (80.000 places assises à NY NDR) où derrière moi j’avais le Président de JBL, à côté de lui celui d’Harman, puis Albert Leccese disparu depuis mais à l’époque Président d’Audio Analysts, Ron Borthwick ingénieur en chef chez Clair Bros, et ça ce n’était qu’un des côtés ; de l’autre j’avais Bob Clermountain et Bob Ludwig (je ne vous ferai pas l’injure de vous dire qui sont ces deux oiseaux rares et au pédigrée aussi étoilé qu’une nuit d’été NDR). Vous l’avez compris, j’étais bien entouré, pas d’oreilles expertes, tout va bien (rires !!), et c’est dans ce cas de figure qu’il faut prendre de la distance et vous considérer comme, par exemple, face à un plateau où tout le monde serait nu et faire absolument abstraction en se disant « OK, je suis là, personne ne sait qui je suis et je vais mixer de la plus belle des façons». Il faut aussi savoir garder cette distance et cet esprit que vous soyez devant 1000 ou 100.000 personnes. Si vous travaillez trop du chapeau, vous serez vite rattrapé par l’anxiété et vous commencerez à accumuler les bévues.

Quatre des huit JBL VT4888

Quatre des huit JBL VT4888 utilisés en side pour compléter la couverture de la scène. A droite un des deux side hangs composé de 12 K1 et 6 Kara.

8 V-Dosc

Un des deux délais composé de 8 V-Dosc ayant en charge les spectateurs du fond de la salle.


SLU : J’ai vu une infinité de semis dehors. C’est un bon moyen de mesurer la « taille » d’un show…

JC : C’est exact, mais comme les tout grands shows, nous disposons d’une triple équipe de structure. Une monte, une exploite et une démonte constamment. Cela représente 12 à 14 semis. Nous avons, en ce qui nous concerne pour le son, l’éclairage et les instruments, 24 semis. Une tournée des stades normale de toute manière comporte, avec les groupes électrogènes, dans les 40 semis. Nous disposons de groupes Caterpillar en tandem, avec deux diesels 3840 accouplés. Un seul moteur suffit ce qui garantit une parfaite sécurité, on ne perd jamais le courant. Ils sont en chemin pour partie par bateau et le reste par avion.

SLU : La tournée se passe bien ?

JC : Très bien. Il faut malgré tout savoir que pour Bruce, on accepte de faire des choses assez spéciales. On a par exemple déchargé le 20 Juin dans le stade de Sunderland. Le lendemain matin, jour du show, on était sur le pont à 6h00 pour tout accrocher. Devine ce qui s’est passé ? Il est tombé des cordes sans discontinuer jusqu’à la fin du démontage en pleine nuit, show inclus. Le lendemain matin, 6h15 on attaque dans le stade de Manchester… On s’est pris là aussi des trombes d’eau quasiment toute la journée ! Un jour off et on était sur l’Ile de Wight pour le festival éponyme, un peu rincés, c’est le cas de le dire ! Tu sais, il n’y a pas beaucoup de tournées de notre taille qui se permettent de telles cadences. Pour nous l’impossible est la norme mais franchement, on le fait avec plaisir. Quand on voit Bruce sur scène, ce qu’il est capable de donner, on ne sent plus la fatigue. La moindre des choses est de suivre sa cadence !

Un show très sécurisé
Deux racks FOH de processeurs pour une Venue

La régie de Coop

La régie de Coop avec son fameux double FOH « on n’est jamais trop prudent » entourant un rack central contenant notamment l’ensemble de périphériques nécessaires à faire cohabiter deux cœurs, une fonction pour laquelle le système Avid n’est pas conçu…pas encore ! Remarquez aussi le ventilateur au sol prévu pour refroidir pour une fois l’homme et pas la machine !

SLU : Qui a conçu et fait le design de la diffusion telle que je la vois ce soir ?

JC : Je dirais que c’est moi, et les techniciens de Solotech ont rendu mes desiderata possibles. Il y a aussi eu un gros dialogue avec les gens de l’éclairage et de la vidéo afin que les trois cohabitent le mieux possible. J’ai aussi sur le terrain la meilleure équipe audio dont je n’ai jamais disposé. Avec moi nous sommes huit. Chaque ingé retour a son assistant, et quant à moi je dispose de trois ingés système ce qui n’est pas un luxe puisqu’en plus de mixer le show, j’enregistre chaque date sur deux ProTools, 104 pistes en tout. Je dispose aussi de deux moteurs FOH pour ma surface Avid, et je crois bien être un des seuls ingés son à faire ça avec cette marque. Ils sont liés en Midi l’un à l’autre et tout ce que je fais sur le premier est immédiatement répercuté sur le second. Bien sûr les 104 lignes audio sont envoyées aux deux en parallèle par des Madi Bridge RME. Un MixSwitch APB-Dynasonics me sert de matrice de sortie et récupère, outre les deux mix, aussi un playback et la voix de Bruce d’une des SD7 des retours au cas très improbable où les deux FOH m’abandonneraient.

Un gros plan du rack placé juste sous la surface Avid

Un gros plan du rack placé juste sous la surface Avid avec de haut en bas un Big Ben Apogee utilisé pour transformer un black burst en horloge plus digeste, un OctaMic II RME utilisé pour aller au-delà des 96 préamplis du stage Avid, l’APB-Dynasonics MixSwitch utilisé pour basculer automatiquement entre les deux FOH qui marchent en tandem, un HV-3D Millenia, un excellent préampli peut être en spare et enfin quatre Madibridge RME utilisés pour distribuer les signaux micros aux deux FOH.

SLU : Ils ont l’air un peu à bloc tes FOH…

JC : Il ne me reste qu’une entrée sur 96 possibles et j’ai donc dû ajouter un rack de 8 préamplis externes RME. Il ne prend en compte que des sources secondaires d’ambiance. Tous les micros de la scène rentrent sur des préamplis Venue. La distribution du stage rack sur scène vers les deux FOH est faite via des Madi Bridge RME. Enfin nous travaillons linkés à du time code et à une horloge commune afin de pouvoir travailler sereinement avec les gens de la vidéo et de pouvoir prendre de l’audio sur un ProTools ou l’autre. Au fait, ne dis à personne que j’ai encore une entrée sur la table sinon quelqu’un va la vouloir !! (rires !!)

Trois ”bonnes” raisons de choisir une Venue

SLU : Explique-nous ton choix de console Coop, j’imagine que t’as mixé avec tout ce qui existe dans ta carrière !

JC : Tout d’abord je peux avoir tous les modèles que je veux sur ce type de tournée. Le choix d’une Venue est dû à un certain nombre de bonnes raisons. Tout d’abord c’est la première console qui m’a permis d’utiliser des plugs, et ça c’est très important pour moi, des plugs de divers développeurs. Même si j’utilise beaucoup les Waves, je suis aussi fan de plugs plus rétro ou au contraire plus novateurs. La seconde raison est le rendu sonore et la troisième est la fiabilité. Je n’ai jamais eu de problèmes avec une Venue à part des bugs que je qualifierais de mineurs. Parmi toutes les plateformes de mixage numériques qui existent, c’est selon moi la plus stable et c’est précisément ce que je recherche pour Bruce. Comme je suis en contact avec les personnes qui développent le prochain modèle, je les ai encouragés à doubler le moteur, à travailler à des fréquences plus élevées et à avoir plus de sorties. J’ai toujours eu de bonnes relations avec eux.

SLU : Comment as-tu choisi la première fois cette marque ?

JC : La première fois que j’ai pu mettre mes mains sur une Venue a été assez spéciale (rires). Tu ne le sais pas forcément mais on fait les trucs un peu à la dernière minute dans notre métier (ohh que si NDR) et je me souviens d’avoir eu à gérer une répétition imprévue et pas de possibilité d’avoir le matériel à temps. Sentant une ouverture, je contacte vite des potes chez ce qui s’appelait à l’époque Digidesign pour leur demander si quelque part sur la côté Est il n’y aurait pas une table disponible dès le lundi suivant car bien entendu nous sommes un vendredi soir ce qui ne facilite jamais les choses. Coup de bol, on m’informe que Tony Bennett va finir son show à Atlantic City le lendemain soir et lundi matin on peut tout avoir. Du coup je pousse le bouchon un peu plus loin et demande aussi un ProTools pour enregistrer et, c’était il y a six ans, quelqu’un pour me connecter le tout et m’expliquer comment ça marche. On me dit OK, on t’envoie un Protools de New York avec un technicien senior. J’en aurai pour combien ? A moins que tu veuilles conserver les disques durs avec lesquels tu enregistres c’est gratuit pendant deux semaines.

ProTools

Un des deux ProTools servant à enregistrer les shows chaque soir, bien caché dans son rack 4U Magma juste au-dessus d’un des onduleurs de la régie, des boiboîtes bien utiles quand le secteur joue des tours !! Les périphériques tout comme les racks portent encore les étiquettes d’Audio Analysts Colorado Springs…

SLU : C’était gagné…

JC : Bien entendu, qui résisterait à une telle politique commerciale, sans oublier que grâce à ça j’ai pu arrêter de me trimbaler les enregistreurs déportés qui nous ont encombrés sur les tour précédents et que j’y ai gagné aussi le Virtual Soundcheck, une fonction très pratique et qui n’existait pas à l’époque. Il a fallu faire le tri entre les avis de personnes qui n’ont eu de cesse de me répéter que telle ou telle autre console sonnait tellement mieux, faisait plus de trucs, avait plus de sorties, en me posant les vraies questions comme de savoir si j’avais besoin de tout ça, si j’acceptais de me compliquer la vie à outrance ou si enfin cette prétendue supériorité sonore allait s’entendre dans les stades. Est-ce qu’en somme le jeu en vaut la chandelle ? Je me suis posé ces mêmes questions avec tous les produits qu’on m’a proposés depuis et la réponse a été que je ne ressens toujours pas le besoin impérieux de me lancer dans une nouvelle aventure. La DiGiCo SD7 est une très bonne table mais je me suis dit que la meilleure solution allait être de partir avec le système Digidesign. Pour moi la qualité sonore doit rimer avec fiabilité et commodité. Le fait de pouvoir passer un show entre une Profile et une D-Show, voire une SC48 en fonction de ses possibilités est un plus que j’ai demandé à Avid de garder sur la prochaine gamme.

SLU : A cause de ton switch entre FOH tu sors en analogique de ta table…

JC : C’est exact, mais la tranquillité n’a pas de prix. Je re-numérise juste après dans un des Dolby Lake, là-bas derrière, dans cette zone où je ne m’aventure plus (rires) ! J’ai toujours géré mon système jusqu’à cette tournée où honnêtement j’ai abandonné, ça devient trop technique pour moi, et surtout je dispose d’un trio de vraies pointures en la matière, Etienne Lapré, Klaus Bolender et John Bruey. Je préfère largement me concentrer sur le mixage et l’enregistrement de chaque show ce qui n’est déjà pas une mince affaire.

Posées sur les racks de drive, des cartouches LTO attendent d’être chargées

Posées sur les racks de drive, des cartouches LTO attendent d’être chargées avec les innombrables pistes et chansons enregistrées chaque soir.

SLU : Je vois qu’effectivement l’enregistrement prend de plus en plus d’importance dans le live.

JC : C’est fondamental dans le cas de Bruce. Pense que chaque show de la tournée est enregistré par deux machines en parallèle. Chaque disque est ensuite individuellement archivé sur une cartouche LTO. La première rejoint le centre de stockage de Sony à Stone Mountain en Georgie où sont conservés sous terre les éléments de ses artistes, la seconde part chez Bruce Springsteen dans le New Jersey où lui-même conserve la totalité de sa carrière et de ses shows depuis une bonne trentaine d’années. Il dispose d’une base de données en FileMaker Pro qui lui permet de retrouver chaque titre facilement puisque chaque élément qui pénètre dans ce dépôt souterrain dispose d’un barcode spécifique. Tu imagines aussi la variété des supports qui sont archivés…

Un kit de micros standard

SLU : Y’a-t-il quelque chose à mentionner de spécial au niveau du repiquage pour cette tournée ?

JC : Rien de spécial, je ne me sers que des standards du marché, les bons vieux indémodables et indestructibles SM58 pour les voix, SM57 pour les guitares ou alors des Sennheiser reconditionnés, des Heil PR22 et PR28 pour les toms, des Shure KSM137…

DW de Max Weinberg

Quand Coop dit qu’il ne fait pas de folies avec le repiquage des instruments il ne ment pas. Voici une vue de la DW de Max Weinberg. Les 3 cymbales sont reprises en dessous par des Shure KSM137, le pied par un Beta 52A, des Heil PR22 et 27 pour les toms et la charley a aussi droit à son 137. Sobre tout ça.

deux Vox bénéficient d’un repiquage bien distinct

Presque entièrement couchés pour tirer vers les étoiles et pas dans la tête des micros chant, deux Vox bénéficient d’un repiquage bien distinct, un cache en plexi isolant les amplis


SLU : Y’a rien de bizarre !

JC : Ah ne t’attends pas à voir surgir des Royer à ruban ou des âneries du même acabit avec moi. Cette tournée est un rouleau compresseur limite marteau piqueur question niveaux sur le plateau. J’aimerais bien pouvoir placer des capteurs statiques à large diaphragme pour les amplis guitare mais la repisse est telle que ce serait suicidaire. J’ai sur scène trois guitaristes qui jouent aussi fort qu’ils le peuvent durant tout le show…

Sur scène, ça joue très fort…

SLU : Malgré la taille des salles où vous tournez, est-ce que ce son qui vient de la scène te pose problème ?

JC : Non, pas forcément, je vis avec et je le couvre ce qui parfois me pousse à jouer un poil plus fort que ce que j’aime mais il y a un seuil en dessous duquel on entend une couleur et une provenance qui peuvent poser problème. En plus le fait de masquer le son de la scène réduit les problèmes de phase entre le son direct et celui forcément retardé par la chaîne numérique qui gère les micros. Il est vrai que si t’es dans les premiers rangs, tu peux percevoir quelques différences mais dès le quatrième rang tu es pris par la douche du système principal, et tout rentre dans l’ordre. Cela dit je suis certain qu’il existe des perfectionnistes dont heureusement je ne suis pas, des obsédés de la phase ou de la réflexion « comment arrivez-vous à accepter ce petit écho en provenance de cette baie vitrée… » qui se prendront toujours le beignet. J’ai passé ma vie à apprendre comment contourner ces problèmes pour maintenant arriver à faire abstraction et vivre avec. C’est vrai que cette salle (Bercy NDR) ne me paraît pas excellente mais bon, ça ne sert à rien de faire une fixation sur les choses que tu ne maîtrises pas sinon tu vas passer à côté de celles que tu maîtrises. Tu dois te concentrer sur l’essentiel, sur ce qui compte vraiment pour ton public, et il s’agit de la musique.

Coop : une vraie passion pour la musique…

SLU : Tu aimes la musique…

JC : Ah oui, plus que tout. Ça m’émeut au plus profond de mon être depuis ma plus tendre enfance. Je n’ai jamais joué d’un instrument mais j’ai, je crois, une bonne oreille musicale. J’ai aussi eu la chance de toujours travailler sur la musique que j’aime et en laquelle je crois. Je peux même aller assister en simple spectateur à des concerts sans faire de fixation sur le son.

SLU : Tu peux éteindre le « Coop » en toi comme tu veux ?

JC : Absolument. Si tu me demandes un avis critique sur le son, je peux te le donner mais je peux tout aussi bien savourer simplement les chansons. Ça m’arrive parfois durant les concerts de Bruce de redevenir un spectateur lambda l’espace d’une chanson. Je lève les doigts des groupes de la table et j’écoute, je me régale moi aussi. J’ai des confrères qui en font parfois trop ou pas assez mais quand ton mix est fait et que tout roule, à quoi bon tripatouiller ce qui marche en ajoutant l’ingrédient de trop. Laisse ton artiste s’éclater et savoure son show !! Ça arrive par exemple que Bruce éloigne à certains moments le micro de sa bouche volontairement pour donner au son de sa voix une couleur plus éthérée, presque fantomatique. Il ne veut en aucun cas que je coure derrière avec du gain pour rattraper ça ! J’ai dû apprendre à reconnaître et à respecter ses choix. Il y a deux ans lors d’un concert au Rock’n’Roll Hall of Fame, j’ai eu sur scène en plus de Bruce, John Fogerty, Billy Joel, Sam Moore…

SLU : Tu as mixé ou écouté ? (rires !)

JC : Holy sheet ! T’imagines le bol d’être le gars qui mixe toutes ces légendes en même temps ? Je n’en revenais pas, toutes ces stars ont bercé notre jeunesse avec Bruce et ce dernier les présente sur scène, chante avec eux, et… je suis derrière la console… Je n’en reviens toujours pas (Coop est vraiment aux anges NDR). Le jour où je serai blasé de ce qu’il m’arrive il faudra vite que je change de métier. Mon job c’est de l’émotion pure.

L’heure du line check a sonné et Coop nous demande quelques minutes pour l’effectuer. On en profite pour shooter à tout va ce qui est sans doute à ce jour la plus grosse installation en L-Acoustics vue à Bercy. Outre la face en K1 et Kara et les rappels arrière en Kudo, John a oublié de mentionner quelques délais pour le fond de salle, oh trois fois rien, juste deux fois 8 V-Dosc ce qui fait qu’avec les dV du front fill cachés dans la structure, on arrive à environ 160 boîtes. Je comprends mieux ses choix très dynamiques et conservateurs sur les micros…
Noir salle. Oui mais non, c’est plus qu’un noir salle, beaucoup plus. La diffusion vient de s’arrêter net et seul le paquebot de Coop, sauvé par ses onduleurs, reste illuminé au beau milieu des vagues de public qui arrivent sans discontinuer. Je guette le regard de John, il paraît fataliste et détendu pendant qu’en coulisses on s’active pour redonner, une fois encore, du jus à la salle toute entière. Comme il nous l’a annoncé en nous accueillant, le courant de Bercy fait des siennes ce 4 juillet, mais il est confiant dans son équipe pour trouver une parade avant le show. En trois minutes chrono, la salle retrouve des couleurs et nous du courage pour cuisiner encore quelques instants John…

Et des artistes de légende

SLU : Comment as-tu rencontré Bruce et comment es-tu devenu son ingé son façade attitré depuis tant d’années…

JC : Lors d’un break en tant que ingé façade pour Wynonna, une chanteuse de Country on m’a envoyé caler le système d’une autre artiste du nom de Nathalie Merchant qui avait comme manager Jon Landau, le même que Bruce. Comme cela arrive parfois, l’ingé de Nathalie a quitté le tour, et George Travis, le tour manager, m’a proposé de prendre le relai et de mixer pour Nathalie. Comme Jon a bien aimé mon travail, il m’a proposé de prendre en main la façade de Shaina Twain, une autre de ses artistes, ce que j’ai décliné car j’étais déjà booké. La même mésaventure m’est arrivée peu de temps après quand on m’a offert de mixer ce coup-ci les 132 dates du Reunion Tour de Bruce entre avril 1999 et le 1er juillet 2000. Pour des raisons familiales j’ai dû refuser. Vers la fin 2001 j’ai pris mon téléphone et j’ai appelé George Travis qui est aussi le tour manager de Bruce. « George, je ne sais pas quels sont tes plans avec Bruce mais j’aimerais beaucoup mixer les Christmas shows qui s’annoncent ». 11 ans et 500 concerts plus tard, je suis toujours là, je n’ai plus raté un seul de ses shows et franchement je voudrais continuer à travailler pour lui jusqu’à la fin de sa carrière.

SLU : Et en dehors de Bruce tu travailles pour qui ?

JC : Lionel Ritchie, un sacré bonhomme, Sheryl Crow qui est un amour de chanteuse, et quand je suis disponible Ringo Starr. Quoi dire, c’est une légende à lui tout seul. Bien entendu pour ces trois artistes nous sommes plusieurs à travailler en fonction de nos emplois du temps. Je me considère bien entendu comme privilégié puisque Bruce et ces trois autres très grands artistes me réclament personnellement ce qui est extrêmement flatteur. Cela ne m’empêche pas de collaborer avec de nombreuses autres sociétés et artistes et qui sait, peut-être vais-je travailler à nouveau pour Solotech.

SLU : Pour rebondir sur Ringo, tu as donc eu la chance de mixer un morceau des Beatles…

JC : Deux en fait (rires). Pour les 70 ans de Ringo, j’ai eu la surprise d’avoir sur scène aussi Paul McCartney ! Je ne veux pas radoter mais j’ai une chance inouïe de faire ce métier et à ce niveau.

SLU : Tu as commencé en quelle année exactement ?

JC : En 1975. J’ai fini mes études en 76 et ai commencé à en vivre en 1977.

SLU : Une dernière question. Quel effet cela t’a fait de découvrir ton premier line array ?

JC : C’était au milieu des années 90, du V-Dosc, et je le dois à Brad Snow et sa société Snow Sound dans le nord-est des Etats Unis. J’ai été terrassé. Pour la première fois de ma vie j’entendais du bon son partout dans la salle. J’ai pourtant collaboré durant de nombreuses années avec d’excellents designers de systèmes d’enceintes traditionnelles avec des couplages optimisés mais ce qu’a fait Christian Heil est de loin ce qu’il y a de mieux en termes de guide d’ondes et Dieu sait s’il a depuis été imité sans que, selon moi, quiconque y soit parvenu ! Meyer fait de très bons produits et d&b aussi, mais L-Acoustics reste le champion et…(les talkies s’énervent NDC) Et je dois maintenant bosser (rires).

Le Concert

Le fan de toujours, Antoine de Caunes monte sur scène et du haut de son inénarrable anglais que Maurice Chevalier himself aurait adoubé, prévient les spectateurs que ce soir la panne sèche rôde mais, foi de rockeur, le cas échéant, Bruce reprendra immédiatement son show dès le jus rétabli. Des milliers de personnes se gondolent, d’autres sans doute un peu moins, les doigts croisés dans le dos. Pour la petite histoire, aucune interruption ne viendra troubler ce magnifique show de 3h35 de standards défilant comme à la parade et ponctués d’un « rappel » de plus de 45 minutes. Je n’en doutais pas seul un instant, Solotech a encore frappé très fort pour sa première collaboration avec le Boss. Est-ce les canadiens qui ont de la feuille ou cette société qui sait s’entourer des meilleurs ingés système, la débauche de moyens a malgré tout accouché d’une cohérence et d’une couverture impeccables. On ne peut que féliciter l’équipe du Boss qui a réussi à bien marier quasiment toute la gamme L-Acoustics ce qui n’avait pas été le cas lors d’une ancienne tournée de Céline Dion dans ce même Bercy toujours avec Solotech mais en Mica et Milo. Est-ce la taille de la salle, somme toute petite comparée aux Stadiums habituels, ou encore la patate du taulier sur scène, le niveau a été globalement trop fort avec un LEQ de 103,7 dBA mesuré sur 90 minutes de la première partie et 104,3 pour l’ensemble du rappel. Pour info le concert du lendemain a tourné trois dB plus bas. La puissance délivrée par les lignes de K1 est grisante d’aisance et paraît ne jamais s’arrêter, tout comme son aigu qui jaillit littéralement hors des boîtes avec une précision et une clarté qu’il faut manipuler avec soin. Bon mixage de Coop avec une voix s’insérant parfaitement dans un orchestre maitrisé de bout en bout, peut-être un peu trop compressé et produit, lui ôtant une partie de la force brute très métronomique et rock’n’roll du E-Street Band, je pense notamment à la caisse claire de Max Weinberg un peu en dedans ou encore à la basse et au pied qui à mon goût auraient pu être un poil plus secs et dynamiques et tirer encore mieux parti du bas des K1 et des K1-SB par côté.

Les lumières se rallument enfin. Le public sacrément avoiné par un show d’une rare intensité sort avec la banane, la même que Coop qui se retourne vers nous les yeux cernés et nous balance : « Les trois heures qu’on vient de vivre j’en fais cadeau, je préfère être payé pour les 21 autres !! »

 

Crédits -

Texte et photos : Ludo

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