Un peu de magie dans l’air quand Brieuc sonorise Messmer

4 heures avant le début du show, l’équipe technique vérifie tout minutieusement.

Juste avant les joutes footballistiques entre Belgique France, l’équipe de SLU a croisé un ingénieur du son belge en plein centre de Paris. Brieuc Labiouse est aux commandes de sa très compacte Digico SD11 pour assurer la régie son de la tournée du célèbre magicien de l’hypnose, Messmer, présent pour 6 représentations au Grand Rex.

SLU : Nous n’avons pas la chance de bien te connaître, d’où viens-tu et quel est ton parcours ?

Comme toujours acagnardés tout au bout de la salle sous le premier balcon là où le son est si bon (!) Brieuc en plein boulot.

Brieuc : Je viens de Belgique, dans le Brabant wallon, juste à côté de Bruxelles. J’ai essayé de rentrer à l’Institut des Arts de Diffusion il y a quelques années, mais j’ai lamentablement échoué à l’examen d’entrée. Je me suis redirigé vers l’INRACI. C’est une chouette école de cinéma à Bruxelles mais qui ne mène pas directement à un diplôme d’ingénieur du son. Là-bas les étudiants font autant de la vidéo que du son.

Si je voulais me spécialiser en son, il fallait que ça vienne de moi. Ce que j’ai fait. Lors de ma dernière année, j’ai effectué un mois de stages aux Halles de Schaerbeek où j’ai été en contact avec Arto et c’est ainsi que j’ai enchaîné avec un mois chez ce prestataire toujours comme stagiaire.
Je suis ensuite passé dans la vie active, partagé entre des jobs de technicien à Flagey (institution culturelle bruxelloise située dans l’ancienne Maison de la radio NDR) et de roadie pour Full production. Le boulot de stagehand m’a permis d’apprendre beaucoup de choses, que ce soit charger un camion ou rouler du câble, tandis que Flagey me permettait d’assurer des jobs en tant qu’opérateur.

Le Flagey avec sa remarquable architecture à Bruxelles.

SLU : Ça n’a pas été trop difficile de quitter le milieu du roadie pour passer du côté technicien ?

Brieuc : Non, à un moment il faut faire le pas. Ça a pris un peu de temps pour que mes clients oublient mes fonctions premières et assimilent mes compétences à celles d’un technicien.
Mais, globalement, ça a été relativement facile car les boîtes de sono avaient déjà acquis une confiance en moi, le plus dur était fait. On dit souvent qu’il est plus facile d’arriver derrière une console en sortant d’une école d’ingénieur du son, moi je n’ai pas suivi ce chemin-là, mon parcours est un peu atypique.

SLU : Justement, quel a été ton parcours avant d’arriver aux tournées de Messmer ?

Brieuc : Je suis sorti des études en 2001, j’ai ensuite beaucoup travaillé avec Didier Moureau qui m’a beaucoup appris. Je suis rentré chez PRG à la bonne période, j’y ai travaillé pendant environ 12 ans.

A cette époque, beaucoup de bons ingénieurs du son partaient en tournée, et ça m’a permis de me faire une place petit à petit. J’ai également eu d’excellents mentors : Bruno Denis, Cyrille Hubert et Nicolas Haber pour ne citer qu’eux. PRG s’est rendu compte que j’aimais partir à l’étranger et j’ai donc effectué pas mal de jobs hors Europe pour eux : salons de l’auto un peu partout dans le monde, prestations en Arabie…

SLU : Les salons de l’auto, une bonne école ?

Brieuc : La meilleure ! Ça apprend l’anticipation. Souvent le câblage est installé un mois à l’avance, mais pas les amplis et les HP. Du coup ça demande pas mal d’organisation afin que le montage soit efficace. En plus de tout ça, le job ne dure que 10 minutes, mais pas question d’avoir le moindre souci durant ces 10 minutes. Il y a donc pas mal de pression à gérer.

SLU : Il semble que tu aimes la vie de tournée, les jobs hors Europe. D’où te vient cette passion ?

Brieuc : Partir loin me permet de rencontrer de chouettes personnes et de voir comment ça se passe ailleurs. Souvent, en Afrique, les organisateurs d’événements ont de belles idées mais assez peu de main d’œuvre qualifiée pour cela. C’est une situation qui me fait travailler avec des techniciens locaux. J’adore le fait qu’on soit tous sur le même bateau, et que quels que soient les horaires, on commence et termine ensemble le projet.

SLU : Tout ça ne nous dit toujours pas comment tu es arrivé sur Messmer !

Brieuc : J’ai fait un événement privé pour Phlippo (gros prestataire basé en Belgique et au-delà) au casino de Bruxelles. La période devait être chargée pour eux car c’est le responsable du planning qui m’a accueilli à la console FOH. On a sympathisé et, de fil en aiguille, il m’a proposé plusieurs jobs dont le Brussels Jazz Marathon.
Quelques mois après il me rappelait pour faire une tournée, où ils avaient besoin d’un ingénieur du son francophone. J’y suis allé et c’était mon premier Messmer. La production de Messmer a ensuite décidé de m’engager en direct pour les tournées suivantes. Finalement j’ai dû plaire car j’y suis depuis 5 ans, 3 ans avec Phlippo et 2 ans maintenant avec Dushow.

Bastien Friquet en train d’effectuer le Sound check le plus court de sa carrière.

SLU : Toujours en Mixeur FOH ?

Brieuc : Non, on commence rarement à cette place. J’ai commencé PA tech, j’assistais l’ingénieur du son québécois. Après quelques dates, l’ingénieur du son est parti et la production m’a demandé de reprendre le show. J’avais l’avantage que je connaissais déjà bien le spectacle. C’est comme ça que j’ai réussi à fidéliser ma place.

J’ai ensuite amené Bastien Friquet sur la tournée également, c’est un ingénieur du son que je connais depuis 15 ans, et on forme un excellent binôme. Moi je gère mon PA et lui, son plateau. Une fois que j’ai calé le système je suis le premier à lui demander de venir écouter mon travail et lui demander son avis. Il a une bonne oreille et comme il n’a pas passé une heure à écouter le bruit rose, son opinion est souvent juste !

SLU : Avec les années, votre binôme n’a pas changé ?

Brieuc : Non, on est la seule équipe qui n’a pas changé depuis le début. On n’a pas beaucoup de mérite, le plus dur dans notre job, ce sont les 3 jours de pré-prod chez Dushow, après ça tourne presque tout seul !

Brieuc en train de vérifier son système …

…via le LA Network Manager


SLU : Comment se déroule une pré-prod chez Dushow ?

Brieuc : Ça se passe bien ! Préalablement, j’ai dû dessiner mes racks et leur envoyer. J’ai également dû établir un listing des bottes de câbles que je souhaitais avoir pour la tournée. Une fois arrivés chez Dushow, un technicien son nous accompagne en permanence. Il a préalablement réalisé les bottes de câbles et les racks. Rien n’est patché, on n’a plus qu’à le faire à notre manière.

Le rack tel que conçu chez Dushow. Remarquez les 3 quad receiver Shure. Le second en backup du premier.

SLU : Qu’as-tu choisi comme hardware ?

Brieuc : En micro, un DPA 4088, en HF on utilise de l’ULXD Shure, en processing système du Lake et, sur la voix de Messmer, j’ai un préampli à lampes Millennia STT-1 suivi d’un Distressor. Afin d’éviter tout souci, le DPA est envoyé une fois dans le Madirack et une seconde dans le Millenia. Comme ça, si j’ai un problème avec le Millennia, je bascule simplement l’input dans ma console afin de by-passer la ligne analogique.

SLU : Pourquoi le choix du Millennia ?

Le Millenia et son Distressor en série. A l’écoute, impossible de douter de l’efficacité du duo hardware.

Brieuc : Je ne gère pas la facturation entre Dushow et la boîte de production de Messmer, mais j’ai cru comprendre qu’ils fonctionnent par package.
Que je prenne un Millennia, un API ou un Neve, le prix reste le même. J’ai donc demandé un préampli à lampe chez Dushow lors de ma préprod et ils m’ont ouvert les portes d’un local plein de préamplis.
Bastien et moi n’avions plus qu’à choisir ! On a pris une demi-journée pour tester l’appareil qui nous convenait le mieux et on s‘est arrêté sur le STT-1.

SLU : Tu ne prends pas de matos perso sur la tournée ?

Brieuc : Uniquement ma carte son et mon Smaart. Le reste est fourni par Dushow. Au début je venais avec un Lake qui m’appartenait et après réflexion je me suis rendu compte qu’il était plus intéressant de prendre ceux fournis par le prestataire de la tournée. L’énorme avantage, c’est que, s’il y a un souci technique, il sera géré directement par ce dernier. Imaginez que j’apporte ma console et que celle-ci tombe en panne… C’est ma responsabilité qui est en jeu. Difficile d’assumer ça alors que je suis en tournée.

SLU : Tu tournes avec quoi comme système ?

Brieuc : Chez Dushow, le choix est restreint entre du Meyer et du L-Acoustics. On a choisi les boîtes brunes car elles sont beaucoup moins lourdes. Parfois on fait des petites salles avec des perches assez limitées en termes de charge maximale. C’était le plus pertinent.

Les 48 Kara avec lesquels Brieuc tourne sur sa tournée « petites salles ».

On tourne soit avec du Kara pour les petites salles soit avec du K2 quand on fait la tournée Arena. Du coup, chaque matin, en fonction de la salle, je choisis le nombre de boîtes que je vais utiliser et je monte mon PA à ma manière.

Les 2×4 boîtes de Kiva permettent à Messmer de garder les gens sous hypnose du début à la fin. L’EQ de Brieuc sur sa SD11 lui permet d’avoir un niveau très élevé malgré la sensibilité du DPA 4088.

En cinq années de tournées je peux dire que j’ai calé le système dans au moins 200 salles en France, au moins quatre fois tous les Zéniths. Pour un mec qui aime bien caler c’est le bonheur.
Même si j’ai déjà fait 3 fois le Zénith de Lille, je ne vais pas me servir de mon preset mais au contraire je vais repartir à zéro dans l’idée d’optimiser. La seule salle pour laquelle je récupère ma simulation, c’est le justement le Grand Rex.
Après, je le fais car, pour être honnête, c’est au moins la soixantième fois qu’on vient ici … Autant dire qu’on la connaît par cœur cette salle.

Le Grand Rex, aussi connu pour ses concerts que ses projections…

On a aussi un line-array qui sert de retour pour Messmer et les personnes sous hypnose (en Kiva si petite salle, en Kara si grande salle). Ça me permet d’avoir un très gros volume sur scène ce que Messmer me demande personnellement. Il a besoin d’avoir ce volume pour garder les gens sous hypnose et également pour les séparer le plus possible des applaudissements du public.

On mixe avec les oreilles, pas avec les yeux … Heureusement ! A n’en pas douter cet EQ est plus qu’efficace.

Nous avons pu constater l’efficacité d’un système calibré par Brieuc. Le Kiva, qui sert de retour, va très fort et permet sans nul doute aux hypnotisés de rester sous l’emprise de Messmer. Pas le moindre souci de Larsen avec le condensateur DPA.

SLU : Quelle est l’ambiance dans l’équipe ?

Brieuc : Nous sommes 11 dans l’équipe : 2 ingés son belges, 1 pupitreur québécois, un technicien light français, 2 vidéastes québécois, 1 accessoiriste français, un tour man français, un gars de sécu et 2 riggers.

Malgré une équipe technique internationale, Brieux et Bastien restent fiers de leur pays, surtout en période de coupe du monde.

Bref, une équipe assez hybride. L’ambiance est vraiment chouette. En même temps, passer 4 mois à 11 mecs dans un bus … On a intérêt à bien s’entendre (rires) ! On s’entend tellement bien dans l’équipe que quand on a un jour off, on va pêcher. On trouve le point d’eau le plus proche et on y va. Ça détend, on se repose et surtout on ne parle pas boulot !

SLU : Et dans votre équipe, personne n’a jamais été réceptif aux tests de Messmer ?

Brieuc : Personnellement, je n’ai jamais fait les tests. Il nous le déconseille. Si j’étais réceptif il y a fort à parier que je ne pourrais pas continuer de tourner avec lui. Au début, je mettais même un walkman pour être sûr de ne pas entendre ce qu’il disait durant les tests de réceptivité. Rien n’est jamais arrivé en Belgique ou en France, mais à Québec un caméraman a été réceptif. Impossible pour lui de continuer à travailler sur le show évidemment.

Allez, au dodo tout le monde !

SLU : 5 ans de tournées avec Messmer … La musique ne te manque pas ? Si Dushow te proposait de partir en tournée, tu dirais oui ?

Brieuc : Bien sûr que ça me tenterait, mais là pour le moment je suis très bien avec Messmer, j’ai envie de continuer l’aventure avec cette super équipe ! Ce qui est sûr c’est que j’adore la tournée et je n’ai pas envie de revenir full time en Belgique à faire des « Events plic ploc. »

SLU : Plus de musique alors ?

Brieuc : Je tourne un mois par an avec The Slackers. C’est un super groupe de Ska new-yorkais. Je les ai rencontrés via un ami musicien qui avait produit un album avec eux. Bref l’histoire est assez belle car je connaissais tous leurs albums et j’ai toujours été fan. Un jour ils ont cherché un ingénieur du son pour l’Europe et m’ont tout simplement contacté par mail. J’ai dit oui sans même réfléchir une seconde.

SLU : Ça change de Messmer?

Brieuc : Du tout au tout. On ne tourne qu’en tourbus avec le backline. On ne fait que des petits clubs entre 100 et 500 personnes. Je suis accueilli tous les soirs sur une console différente. Parfois les surprises sont bonnes, parfois c’est l’inverse. Le contraste entre Messmer et The Slackers me permet de relativiser, c’est un bon retour aux sources.

De roadie à mixeur FOH de Messmer, le parcours de Brieuc a quelque chose de magique : la présence du célèbre hypnotiseur y a sans doute une part mais il y a aussi ce parcours professionnel inhabituel. Pourtant, à l’écouter, nous nous rendons compte que la plupart des rencontres qu’il a vécues s’expliquent probablement par la simplicité avec laquelle il vit son travail.
Simple, sérieux, technique, encore un belge qui semble apprécié de tous. Nous apprenons que juste après sa tournée avec Messmer, il accueillera les mixeurs retour de Santana, Bruno Mars et The Cure au Hyde Park festival. Du haut de ses 37 ans, on ne peut que souhaiter bon vent à cet amoureux du métier !

E d’autres informations sur le site Dushow

Crédits - Texte : Brice Coulombier - Photos : Brice Coulombier et Wikipedia  

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