Après deux ans entre une première démonstration aux JTSE 2013, des essais début 2014 et une installation provisoire pour les soixante-dix ans du journal Le Monde en septembre 2014, le système Fohhn Focus Modular a conquis le service son de l’Opéra bastille et se retrouve en installation définitive encadrant la scène suite à l’appel d’offres lancé en 2015.
Le système Fohhn Focus Modular se prête parfaitement aux contraintes de la salle, notamment de discrétion, avec son étroitesse et sa facilité d’accroche, mais aussi de difficulté de diffusion dans cette salle avec deux balcons, conçue pour des représentations purement acoustiques.
Genèse du projet
SLU : Daniel peux-tu nous expliquer la genèse du projet jusqu’à son aboutissement ?
Daniel Borreau (Rock-Audio Distribution) : Le premier contact a eu lieu fin 2013 aux JTSE auprès de Philippe Taberlet et de Shitty de Silence (Daniel Dollé) où je faisais des démonstrations des Focus Modular en alternance avec un système Meyer (Best Audio).
Ensuite il y a eu une première démonstration à vide en janvier 2014, puis les 70 ans du journal Le Monde avec même du rock’n roll, ce qui n’était absolument pas le but mais prouvait que le système fonctionnait. Pour finir, il y a eu la démonstration lors des essais comparatifs de réponse à l’appel d’offres avec deux autres systèmes en lice.
SLU : Quels étaient les autres systèmes du comparatif en réponse à l’appel d’offres ?
Daniel Borreau : il avait Tannoy (Qflex) et Pan Acoustics avec un système Pan Beam. Il faut reconnaître que les conditions n’étaient pas bonnes et que nous n’avons pas fait une bonne prestation lors de ces essais.
Philippe Taberlet (Responsable technique adjoint son-vidéo de l’Opéra Bastille) : Et avant l’appel d’offres, on a eu une démonstration avec le système Meyer (CAL).
SLU : C’est la même configuration et les mêmes réglages que pour les soixante-dix ans du journal Le Monde ?
Daniel Borreau : C’est la même configuration pour la diffusion principale, avec des adjonctions pour les loges principalement, mais là, il s’agit de réglages définitifs. Le calage a été effectué par Delphine Hannotin et Stéphane Pelletier. On y a passé deux nuits.
Une première avec Ralf (Frendenberg de Fohhn Allemagne) pour les angles et la distance et la deuxième avec Delphine et Stéphane pour le calage à proprement parler. Le système complet a été installé par Silence Evreux (anciennement Multi Concept).
SLU : Philippe, quels sont les éléments de décision qui ont présidé au choix du système Fohhn ?
Philippe Taberlet : Un des critères importants était la discrétion, nous ne voulions pas de gros système line array. Quand on a pensé à refaire le système, on s’est dirigé vers des colonnes à directivité contrôlée. Aux JTSE 2013, Silence (Shitty) nous a présenté Daniel (Borreau) qui faisait des démonstrations du système Focus Modular.
Nous nous sommes rendus compte que c’était ce genre de système qu’il nous fallait pour satisfaire les critères d’intégration d’autant que maintenant les colonnes à directivité contrôlée sont de vrais systèmes qui fonctionnent, pas uniquement pour faire du public address, des messages diffusés de sécurité ou de halls de gare.
Un système surtout utilisé pour du renfort de voix
SLU : C’est un système qui est utilisé pour les effets spéciaux d’opéra et les soirées privées ?
Philippe Taberlet : L’utilisation qu’on en fait ici, c’est principalement pour du renfort de voix sur des opéras comme La Flûte Enchantée où il y a des dialogues parlés. On fait du soutien. On ne peut pas vraiment dire qu’on sonorise. Il y a forcément des disparités de niveau entre les chanteurs sur les dialogues. Et si on met un HF sur un artiste, on est obligé de le faire sur les autres pour des raisons d’image sonore, pas simplement pour une question de niveau.
SLU : Mais il n’y a pas de renfort sur les arias ?
Philippe Taberlet : Non, il n’y a pas de renfort sur les arias. Mettons-nous bien d’accord, il n’y a pas d’amplification sur les voix chantées. Par ailleurs assez rarement mais cela arrive, le système sert en diffusion sur des spectacles du style de celui de l’anniversaire du journal Le Monde.
SLU : Quelle est la meilleure place dans la salle en termes de couverture ?
Philippe Taberlet : La meilleure place se situe sur les sept premiers rangs du premier balcon. On est un peu court sur le parterre, sur les premiers rangs.
SLU : Le système se compose d’une ligne d’aigu (FM-110) en haut et d’une ligne d’aigu en bas encadrant trois lignes de bas médium (FM-400) ?
Philippe Taberlet : Oui, la même configuration que lors du spectacle du journal Le Monde il y a un an a été adoptée, car elle donne entière satisfaction. Pour l’aigu on a un faisceau pour le deuxième balcon, ligne FM-110 du haut, et un double faisceau pour couvrir le parterre et le premier balcon, ligne FM-110 du bas. On a essayé d’avoir un double faisceau sur le deuxième balcon pour aller plus loin mais les résultats sont moins bons. Pour le bas médium, on a une ligne des trois colonnes couplées diffusant un double faisceau, un pour le parterre et le premier balcon et l’autre pour le deuxième balcon.
Daniel Borreau : C’est la première configuration en installation du système Focus Modular de Fohhn où trois colonnes de bas médium sont couplées. Quand on a « envoyé » un peu en fin de soirée (de réglages), on peut dire qu’il y avait du son. Largement suffisamment pour le type d’exploitation.
SLU : Vous avez gardé les subs PS9 ?
Philippe Taberlet : Oui, il y en a un par côté, ils sont cachés dans la première tour carrée. Ils ne servent pas souvent. Encore une fois, on ne va utiliser le système de diffusion complet que sur des opéras contemporains avec de la musique écrite pour être amplifiée. Il n’y a pas d’amplification au quotidien pour les chanteurs et l’orchestre. Les utilisations sont donc assez ponctuelles.
L’an dernier on avait un ballet avec un symphonique et un quatuor de jazz amplifié par exemple, où tout le monde était sonorisé. Au quotidien, on s’en sert pour diffuser des messages. Mais à partir du moment où l’on utilise le système, les subs sont obligatoires pour avoir du grave, les colonnes ne descendent pas assez bas. Avant, avec le système Meyer (MSL2) on n’en avait pas toujours besoin mais là, c’est obligatoire.
SLU : Ces subs sont particuliers à ce que je sais, quel est leur « secret » ?
Uli Haug (Fohhn Allemagne) : c’est un système asservi qui « mesure » un gradient de pression (DPC, Differential Pressure Control). Le maximum d’excursion du transducteur 21 » utilisé est de 76 mm (X damage) et de 50 mmm en variation linéaire, ce qui est très long. Dans cette plage, le mouvement est contrôlé électroniquement en comparant l’image (provenant du capteur de pression) du mouvement au signal d’entrée.
Un 21 pouces, normalement, continue de bouger après l’excitation ; là on contrôle l’accélération et le « freinage » de la membrane. Le 21 pouces se comporte comme un 15 pouces au plan de la rapidité du mouvement (sur les transitoires) tout en permettant d’avoir des graves beaucoup plus basses. Cela permet d’avoir un subwoofer qui répond avec la « rapidité » d’un 15 pouces tout en permettant de descendre beaucoup plus bas (25 Hz).
C’est un système breveté par B&C et Powersoft pour le haut-parleur et le système de contrôle, mais nous avons réalisé l’ébénisterie et l’électronique, la programmation des DSP.
C’est un passe-bande acoustique. Voir news SLU Fohhn PS-9
SLU : Comment est déterminée la couverture dans la salle ?
Ralf Freudenberg (Fohhn) : Tout d’abord, il faut déterminer la distance de « tir », la largeur et la hauteur. Notre système est par la suite capable de diriger le front d’ondes là où il est utile. Dans notre cas, nous avons des enceintes Focus Modular composées de modules dédiés aux fréquences aigues (FM-110) et d’autres dédiés aux fréquences plus basses (FM-400).
Nous avons accroché ici trois modules « basses », FM-400, encadrés en haut et en bas par des modules aigus, ce qui forme une très longue colonne, environ 5 mètres pour le grave, prolongée par 2,70 m pour l’aigu, soit pas loin de 8 mètres en tout.
J’ai mesuré au laser les distances et les angles et j’ai divisé le module aigu du bas de ma colonne en deux sources d’émission (deux faisceaux), une couvrant l’orchestre et l’autre venant s’insérer précisément dans l’étroite zone du premier balcon. Cette précision n’est absolument pas possible avec un line array traditionnel.
Avec le module d’aigu placé en tête de colonne, je ne couvre que le balcon supérieur. Les trois modules de grave sont aussi séparés électroniquement en deux sources sonores (deux faisceaux), allant ici aussi couvrir orchestre et 1er balcon pour l’un des deux et le très grand 2è balcon pour le second.
L’avantage pour nous aujourd’hui a été le fait d’avoir sonorisé avec Silence les 70 ans du journal Le Monde.
Dans cette même configuration, le contrôle de la directivité des faisceaux opère jusqu’à 140 Hz grâce au couplage des trois modules FM-400.
SLU : Tu peux nous décrire les différents modules ?
Ralf Freudenberg : Les Focus Modular sont des modules existant en trois modèles. Les FM(I)-100 et FM(I)-110 sont en charge du spectre aigu, le FM(I)-400 s’occupe quant à lui, du haut de ses 160 cm, du grave. Chaque module embarque des packs de puissance et des DSP capables d’alimenter individuellement chacun des transducteurs qui le composent, ce qui permet d’en contrôler la directivité.
Dans le FM-110, on retrouve par exemple 16 moteurs néodyme d’un pouce et 16 amplis en classe D délivrant 120 W, ce qui offre la pression max impressionnante de 108 dB à 100 mètres dans un spectre allant de 1 (1,63 kHz, ici) à 19 kHz.
Le module de grave ou plus exactement de bas médium FM-400 embarque 32 haut-parleurs de 4 pouces à longue excursion équipés d’un aimant au néodyme. Les amplis intégrés au nombre de 16 délivrent ici encore 120W par pack et le DSP est capable d’isoler 16 groupes de 2 HP pour le contrôle de la directivité verticale.
Le poids reste faible eu égard à la taille avec 41 kg. La réponse en fréquence tient entre 60 et 1,7 kHz avec un SPL max de 94 dB à 100 mètres d’où le besoin d’aligner plus de modules que pour le haut du spectre.
Le sub en charge de regonfler le bas du spectre et soutenir les 192 petites gamelles de 4 pouces n’est autre que le PS-9 et son 21 pouces poussé par un module ampli de 8,5 kW, dont un exemplaire a été posé caché à même le plateau de chaque côté.
Le système complet comporte également des colonnes Linea LX-100 et LX-150 passives ainsi que des petites enceintes réseau AIREA LX10-ASX. Ces enceintes sont réglées et retardées individuellement et servent à compléter la diffusion principale pour les loges latérales réparties sur quatre niveaux et le parterre latéral en bas.
C’est le raccord entre ces enceintes de complément et la diffusion principale qui ont posé le plus de difficultés à Delphine et Stéphane lors du calage, pour optimiser les niveaux et les délais principalement.
Ils ont procédé avec Smaart en mode multi mesures.
La fonction « optimize » du logiciel Fohhn permet de s’affranchir des lobes secondaires ; selon les types de musique, cela donne d’après Delphine des résultats trop propres, mais malgré tout cette fonction est en service comme on peut le constater sur les vues d’écran d’accompagnement.
SLU : Qu’apporte précisément cette fonction « optimize » ?
Philippe Taberlet : Avec la fonction optimize désactivée, on excitait la salle et on perdait de la précision, c’est ce qu’on ne veut surtout pas faire ici.
Daniel Borreau : Oui mais sans cette fonction, on récupère au moins 3 dB.
Philippe Taberlet : On ne sent pas vraiment ces 3 dB en plus, en revanche on perd de la précision. Avant le système Meyer (MSL2) qui était installé dans les tours tapait trop large, mais même maintenant, il manque clairement une ligne de front fill mais c’est très difficile à intégrer ici, les plateaux bougent tout le temps. C’est très compliqué d’avoir un système intégré. Donc c’est toujours un peu à la demande.
Pour l’instant on a le petit système KAN200 K-array. On ne désespère pas d’installer une rangée de LX10 en réseau sous le nez de scène, celles qui fonctionnent en réseau. Le KAN nous sauve l’affaire mais est un peu limité en termes de niveau. (Commande vient d’être passée, au moment où nous écrivons cet article, pour 8 x petites LX-11 Fohhn, passives et en 16 ohms, nous confirme Daniel …)
Daniel Borreau : D’ailleurs même pour le système principal on a utilisé la version mobile et non « install » des Focus Modular avec un système d’accroche particulier qui comporte un cardan au-dessus du bumper. Le système doit pouvoir être monté et démonté facilement et rapidement.
Le câble qui y aboutit est un câble KLOTZ hybride, il transporte l’alimentation électrique (secteur), l’analogique sur une paire et le RS485 sur la deuxième paire. C’est pareil pour les subs.
SLU : Dans le local technique il n’y presque rien pour le système Fohhn, la majorité des baies est dévolue à l’ancien système ?
Philippe Taberlet : Il y a deux amplis 4 canaux avec chacun un canal de libre pour les LX 150 et LX 100, le distributeur RS 485 Fohhn pour le réseau sur toutes les boîtes et l’AM20 pour les petites enceintes LX10 ASX (système AIREA) qui envoie l’alimentation sur le réseau. Les amplis sont des D4-1200, quatre fois 1200 W sous 4 ohms avec DSP intégré. Le reste hormis les éléments de l’ancien système, sert pour le plateau.
Conclusion
Invisible pour le public, indétectable en exploitation même aux oreilles les plus averties, capable de taper finement là où son apport est souhaité, le Focus Modular a beau être atypique, il n’en est pas moins diablement indispensable par les services qu’il rend.
Le choix plus que réfléchi des équipes techniques de l’Opéra Bastille et leur satisfaction démontrent la validité d’un système dans l’air du temps et qui va apporter énormément de confort lors du montage de spectacles amplifiés ou de soirées événementielles.
La présence enfin de deux seuls subs PS9 s’explique à la fois par le besoin limité en bas du spectre dans le renfort vocal, mais se justifie aussi et surtout par l’adoption de modules d’amplification et de processing décuplant la puissance du 21’’ et facilitant le raccordement même avec des 4’’ couplés, une technique transalpine qu’on risque de voir fleurir en ce beau printemps.