Le Labo 2020 du Festival de Saintes avec Astoria et d&b

Inutile de vous faire un dessin, on savait faire du son et de la lumière, il va falloir désormais apprendre à le faire autrement et lors dune belle après-midi d’été en Charente-Maritime, on nous a présenté une des possibilités. Saintes abrite chaque été depuis 1972 son festival de musique classique appelé sobrement le Festival de Saintes.

L’Abbaye aux Dames dont on devine l’église abbatiale. Les transats sont aussi plaisants que mal placés car en dehors du dispositif immersif. On devine la régie tout à droite et bien sûr l’écran et le système frontal à gauche.

Son problème est que les très beaux concerts se tiennent dans l’abbatiale de l’Abbaye aux Dames, un lieu aussi magique que petit et forcément clos. Impossible cette année d’y accueillir du public. La solution est venue de la création du Labo 2020, une façon nouvelle et inédite de partager un concert en réduisant le confinement et en luttant contre l’aérosolisation propre aux lieux clos tout en permettant au plus grand nombre de profiter d’oeuvres intemporelles.

L’idée est d’effectuer une captation de chaque oeuvre et de l’exploiter ainsi en télé, web, radio en léger différé et pour le public sur place. Ce dernier peut librement profiter des répétitions et de la captation dont on entend le son dans le système, et le soir venu, ce même public prend place dans la plus pure tradition saintaise dans les jardins de l’abbaye et savoure son plateau repas et son concert sur grand écran.
Cette idée a été complétée par un déploiement à 360° Soundscape d&b afin de recréer pour le public, une acoustique rappelant celle de l’abbatiale. Et le pire c’est que ça marche ;0)

La Saintes équipe démasquée uniquement pour la photo. De gauche à droite : Denis Pelletier le gérant d’Astoria, Julien Biscondi, technicien freelance au mix FOH et à la vidéo pour Astoria, Philippe Lechelle du support technique d&b et un quasi local de l’étape venu durant ses congés, Guillaume Huard technicien d’Astoria et enfin Mathieu Delquignies, un autre vacancier, parfois en charge des formations d&b et bien plus encore.

C’est Astoria, un prestataire charentais idéalement placé entre Angoulême, Cognac et Saintes qui a été chargé de ce challenge avec la complicité de d&b France et d’un certain Matthieu Delquignies qui s’est arrêté sur la route des vacances pour nous raconter cette belle aventure sonore.

Le son direct

Premier coup de bol, on nous autorise à entrer dans l’abbatiale en pleine captation des 2è et 5è Symphonies de Beethoven, 250è anniversaire de sa naissance oblige. On est dos aux caméras. Shhhhhhhtt… L’Orchestre des Champs-Elysées occupe tout l’espace et surtout excite les murs par sa puissance sonore.
Les lieux ne sont pas idéaux pour un symphonique et on se prend à compter les secondes de TR. Immense avantage, durant ces quelques minutes, on absorbe le plus possible de sensations sonores et visuelles, on s’imbibe de ces œuvres très connues et prenant ici un tout autre relief.

L’Orchestre des Champs-Elysées dirigé par Philippe Herreweghe en pleine action. Le son est divin et à la fois très chargé. Pour des raisons sanitaires, le public est exclu et l’orchestre prend ses aises, mais normalement il devrait être dans le transept et le public à sa place.

Quelques photos et mesures de SPL plus tard (84 dB LEQ A en direct), nous ressortons et allons nous placer dans le jardin au cœur du dispositif à 360° pour écouter le rendu qui associe frontal et immersif et que mixe Julien Biscondi, un free-lance travaillant pour Astoria, sur une CL5 en récupérant un flux Dante du repiquage réalisé par Radio France et là…

Flashback

Mais revenons en arrière quelques instants. Profitant de la présence de Mathieu en plus de Julien, on leur pose quelques questions avant de pénétrer dans l’abbatiale.

SLU : Est-ce possible de modéliser une salle comme celle qu’on va visiter avec la matrice DS100 ?

Julien Biscondi : Non, les réverbérations sont à convolution. On a choisi un type de salle qui correspond à ce qu’on veut entendre et on a agi sur les paramètres qui sont à notre disposition.

La matrice DS100 surplombée par un Ghost2 et une passerelle réseau DS10 de d&b.

Mathieu Delquignies : Il y a un paramètre qui agit comme un time stretch sur la réponse impulsionnelle qui te permet de faire varier le temps des premières réflexions et modifie la taille de la pièce et un second qui agit sur l’énergie entre avant et arrière pour pouvoir se localiser.

Julien Biscondi : Et on peut régler l’effet puisqu’il est placé sur un départ d’aux par entrée.

SLU : Quel choix as-tu fait pour ta salle virtuelle et champêtre ?

Julien Biscondi : On n’a pas voulu trop jouer la copie de la salle mais plutôt offrir à chacun quelque chose d’intelligible et un peu moins brouillon que ce qu’on va entendre. Ce matin un habitué du Festival nous a dit qu’hier il avait préféré la captation jouée à l’extérieur au le son naturel qu’il entend chaque année.

Retour à Beethoven

…et là, c’est la claque. Julien nous joue la 5è Symphonie de Beethoven qu’il vient de mettre en boîte en guise de Virtual Soundcheck. Le contraste avec le direct qu’on vient d’entendre est saisissant, presque cruel. D’abord les micros sont remarquables et les préamplis le sont tout autant ce qui, de la part de Radio France est normal.
Le placement desdits micros est aussi bien choisi. Deux couples, un proche et un plus éloigné restent malgré tout sagement fermés sur la console de Julien et ce sont ceux par pupitre qui sont le plus mis à contribution. En outre le principe même de couple ne fonctionne pas trop quand on mixe « dans l’air » avec une matrice.

Le frontal avec 4 points en Y8 et Y12 pour la boîte du bas, alignés par l’Array Processing à raison de 3 dB d’atténuation par doublement. Pas facile pour aussi peu de têtes mais pourtant très joli résultat.

La restitution amplifiée est définitivement crédible et extrêmement naturelle. On a beau sortir de l’abbatiale, la sobriété, la simplicité et pour tout dire l’élégance du rendu étonnent. Le symphonique sonne comme il le ferait dans une belle salle de musique classique et pas dans une abbatiale même si on entend encore pas mal le TR bénédictin. Le bas du spectre est beaucoup mieux construit et « assis » que celui entendu quelques minutes plus tôt dans la pierre. Et une fois encore plus juste.

Certes faire jouer un symphonique dans un lieu avec un tel TR est un choix fort, mais la version amplifiée avant même que nous parlions de l’apport de Soundscape, est un choix non seulement indispensable pour préserver le festival durant le C-19, mais surtout acoustiquement très judicieux. Un rapide passage par le mix stéréo effectué pour la diffusion radio de la même œuvre rappelle la tristesse de cette représentation du son, surtout en classique. C’est pourtant un bon mixage, mais il sonne comme une œuvre de César. Tout réduit.

L’enfilade de sept T10 par côté, suffisamment éloignées des premiers spectateurs pour que leur influence se mêle aux boîtes adjacentes. Une seconde vie pour ces toutes petites têtes

Comme nous avons du temps et le public qui déambule autour de nous ne semble pas gêné par nos tripatouillages, nous revenons à la version Soundscape mais sans la corolle à 360°.
Adieu notre bel espace et tout cet air qui nous caresse les oreilles et la nuque et rend plausible une œuvre comme la 5è en plein air.
C’est joli devant, mais définitivement sec comme du vieux pain. On remet la corolle mais en algo « cathédrale » non optimisé.

Ça ne ressemble pas à l’abbatiale, on perd en crédibilité vis à vis de l’oeuvre et les notes s’entremêlent sans fin. C’est long 5,7 secondes de TR. Le choix opéré par Julien Bisconti est donc totalement justifié même auprès d’organisateurs qui prônent les instruments d’époque dans les pierres d’époque, mais qui ont su apprécier une solution technique maitrisée et respectueuse.

Le système d&b

Cette solution consiste en un déploiement frontal de quatre fois quatre Y, dont trois Y8 et une Y12 en bas de ligne, peaufinés par une touche d’Array Processing (-3 dB par doublement de distance), soutenus par huit Y-Sub alignés au sol et complétés par quatre front fills en Y10P pour les deux centraux et Y7P pour les deux extérieurs.

Les Y-Sub, très importants pour apporter toute l’assise nécessaire à des lignes courtes. Remarquez aussi les deux Y10P et Y7P.

La corolle immersive est constituée d’un total de 20 têtes. Sur les deux côtés, quatorze T10 et à l’arrière six E8. Ce mélange de références ne pose en définitive pas réellement de problème du fait de la nature « paisible » du message sonore reproduit par les deux modèles même si les E8 coaxiales manquent un peu de portée. L’ensemble alimenté par la matrice DS100 elle même recevant ses futurs objets par la CL5 Yamaha de Julien.

Une vue de la « salle ». On voit distinctement la corolle de boîtes latérales et arrière. L’immersion est parfaitement bien dosée, et que l’on soit placé au centre ou sur les bords de la zone de couverture, on n’est pas distrait par le message réverbéré. La toile assez haute et pointée vers le système, ne gène pas la diffusion.

SLU : Le flux Dante est délivré par Radio France..

Julien Biscondi : Oui, on leur a demandé de nous fournir ce format et ils le convertissent pour nous. Le repiquage est quasi tout Schoeps sur des préamplis Lawo, autant te dire que je reçois de l’excellent son. 23 micros en tout. La seconde partie du Festival aura lieu sans captation, on effectuera donc nous même la prise.
J’effectue juste quelques points d’EQ et je gère très légèrement la dynamique mais pour le reste je ne modifie ni dénature rien. On cherche surtout à placer nos objets et trouver les bon réglages pour la construction de notre «salle»

Une première par objet

Julien en plein boulot de prépa. Grand bravo à lui pour sa patience et son courage. Il comprendra ;0)

SLU : Tu avais déjà mixé par objets?

Julien Biscondi : Non, c’est une première avec ce festival. Je découvre avec beaucoup de plaisir l’absence de sommation avec tout ce que cela implique de qualité et de dynamique en plus. C’est un peu déroutant mais très agréable.

Je ne sais pas ce qu’il y a dans la machine pour que cela soit aussi cohérent et en phase mais je trouve que les sources sont encore plus précises avec Soundscape que sans, et ce sont les mêmes enceintes. Peut être est-ce dû à l’absence de sommation dans la console.
Enfin la réverbération naturelle de la salle sortant par le frontal se marie bien avec celle issue de la corolle en couleur et en temps. Tous ces détails font que les chefs d’orchestre sont intéressés voire séduits. On travaille ainsi à cause du Covid, mais peut être cela donnera-t-il des idées au Festival pour les 50 ans. Ce sera en 2022.

SLU : Est-ce que d&b France a participé à cet événement ?

Mathieu Delquignies : Astoria a entièrement géré la partie matérielle. Toute la diffusion leur appartient et la matrice vient d’Eurolive à Rennes (Bob & les amis, si vous nous écoutez!). De notre côté nous avons assuré la formation du personnel à l’utilisation de Soundscape. Je suis venu il y a une quinzaine sur site. Nous avons monté une configuration et durant 48 heures nous avions a parcouru le plus possible de sujets pour leur permettre d’être rassurés et autonomes.

L’Abbatiale sans public. Triste et pratique à la fois pour laisser libre court à son imagination et permettre de faire tous les essais de placements entre orchestre, chef et captation.

SLU : Julien, tu es freelance pour Astoria…

Julien Biscondi : En charge du son et de la vidéo…

SLU : Les deux ? Quelle branche as-tu commencé en premier ?

Julien Biscondi : Le son par envie et puis le hasard a voulu que mes parents me poussent à me former en son. Comme il me semblait déjà avoir des bases suffisantes grâce au terrain, j’ai pris l’option vidéo et là j’ai bien appris. Ça m’arrive donc souvent de travailler les deux et cette polyvalence m’a aidé à sortir du confinement. On intervient en ce moment sur des opérations qui n’étaient pas prévues et celles qui l’étaient ont été annulés. Et il y a beaucoup de vidéo.

SLU : Tu es très mobile ?

Julien Biscondi : Je ne vais quasiment jamais à plus d’une heure et demi de chez moi. Ce n’est pas une volonté en tant que tel mais j’ai assez de boulot dans la région et en même temps ça m’arrange ;0)

Une des E8 arrière, dos à la régie. Le public est en place, Ludwig va bientôt retentir.

SLU : Où as-tu appris à mixer du classique ?

Julien Biscondi : (sourire) Ce n’est pas du tout ma spécialité et j’ai eu peur du public de mélomanes qu’on trouve à Saintes.
A part ce festival, les occasion de travailler le classique sont assez rares ici, surtout pour moi. Il était donc question qu’il y ait un mixeur en plus de Guillaume Huard (Technicien son permanent d’Astoria) et moi même en vidéo et support système.
Pour diverses raisons ce mixeur n’est pas venu, du coup je me suis lancé et comme tout est différent avec Soundscape, je me suis entièrement fié à mes oreilles et j’ai essayé de faire quelque chose d’assez naturel…

SLU : Comment as-tu positionné tes objets ?

Julien Biscondi : Au début on a voulu mimer le plan de scène, mais ça ne marche pas trop puisque la distanciation a aussi écarté des pupitres. Pareil pour la nature du son des instruments anciens. La quantité d’aigu est assez faible, j’ai donc respecté ce timbre particulier dans mon mix.

SLU : Aucun effet en plus de la réverbération naturelle et celle à convolution En-Space de la DS100 ?

Julien Biscondi : Non, en revanche j’ai placé une compression légère et j’ai laissé les contrebasses vivre sans modifier leur rendu. La précision du grave est due au niveau d’envoi dans la corolle plus faible que le reste de l’orchestre et à un son frontal un peu plus fort (Excellente idée. Les subs ajoutent le moelleux nécessaire).

Astoria

Nous profitons de quelques minutes passées avec Denis Pelletier le gérant d’Astoria, Guillaume Huard aussi d’Astoria et Philippe Lechelle de d&b autour d’un dîner que le pauvre Julien a dû zapper (voir ci-dessous) bloqué sur sa régie mêlant son et vidéo.

Denis Pelletier

SLU : Comment se passe cet été pour Astoria ?

Denis Pelletier : Juillet très bien et on profite d’une semaine de break pour se former au réseau grâce à Whiti Audio Formation qu’on accueille dans notre dépôt. On sera 11 techniciens et régisseurs, notre écosystème entre gens issus de lieux où l’on travaille et techniciens qu’on emploie. On a investi dans du Ghost et comme on sait que c’est l’avenir, on prend le temps qu’il faut.

SLU : Août ?

Denis Pelletier : Les deux dernières semaines on bosse à fond. De l’événementiel et le Festival du film francophone d’Angoulême. On équipe pour eux une salle en 5.1 Du T10 et du E8 sur les côtés. On équipera aussi l’Espace Carat du Parc Expo, l’équivalent Zénith d’Angoulême en 5.1 mais là ce sera du V et du Y.

Pour la rentrée on a sorti pas mal de devis en événementiel. On nous demande beaucoup de visio et de captation. Tout est bien entendu soumis à la manière dont le virus va repartir. On a très peu emprunté et on bosse un peu donc pour le moment ça va. Hier on était au Festival Drôles de Rues à Jonzac avec Skip the Use et Sanseverino. Nos clients notamment prennent de nos nouvelles donc c’est rassurant.

SLU : Comment sélectionnez-vous vos intermittents ?

Denis Pelletier : Très simplement. On appelle ceux qui participent au développement de la société et s’intègrent à fond. On répartit les postes pour que tout le monde s’y retrouve sur le peu d’événements que l’on a.

Amarum in fundo…

Pour des raisons qui ont à voir un peu avec la technique, forcément avec l’humain, certainement avec le temps qui a manqué et un peu avec la malchance, le soir de notre venue à Saintes, Julien n’a pas disposé du repiquage en multipistes monté à l’égal de la captation image, elle même éditée. La diffusion du concert au public a donc été faite à partir du mix stéréo télé.

La position des objets dans En-Scene pour La Passion. Si vous regardez attentivement, les deux les plus excentrés sont ceux qui ont été attribués aux deux capteurs d’une tête Neumann KU100. Elle n’a en définitive pas été utilisée mais écoutée au casque pour comparer le son dans l’abbatiale et dans le dispositif Soundscape. Julien précise que : « la localisation et le sentiment de « naturel » sont finalement assez proches, comme si on permettait à une audience de 600 personnes de profiter d’une même position d’écoute. »

Cela n’enlève en rien la qualité sonore que nous avons appréciée toute la journée, l’originalité artistique de la démarche et l’intérêt de cette exploitation en mode «Labo 2020» d’autant que, quelques jours plus tard, Julien et les équipes d’Astoria, ont pu faire un super travail sur la Passion selon Saint-Jean de Bach par l’ensemble Vox Luminis.

Leur disposition étant en cercle quasi fermé, ils ont positionné le public à la place du chef, avec les sources autour du lui. Et ce parti pris circulaire a été concluant pour la technique, les artistes et le directeur artistique du festival, ainsi bien sûr que pour le public.

Nul ne sait où en sera le virus l’année prochaine, mais Le Labo 2020 mérite d’évoluer en Le Labo 20XX tant le potentiel offert par le mix par objets sur du classique et en extérieur est intéressant et dispose d’un gros potentiel artistique.
Chapeau à d&b pour la qualité du rendu de la DS100, objets comme réverbération. On a hâte d’entendre la grande sœur ! Merci enfin à Astoria et au Festival de Saintes pour leur accueil et la qualité des moments qu’ils offrent.

La preuve en images avec leur aftermovie 2020 :


Et d’autres informations sur :

– Le site Astoria Live
– Le site d&b Audio

 

Crédits - Texte : Ludovic Monchat - Photos : Ludovic Monchat et d&b

Laisser un commentaire