La réglementation et la protection des fréquences exploitées par les systèmes audio sans fil est un sujet clef pour Shure. Prakash Moorut, basé au siège à Chicago, qui supervise toute la partie régulation des fréquences sur le plan international et Guillaume Mascot en charge des marchés francophones, asiatiques et européens vont nous expliquer, accompagnés par Thomas Delory, l’importance de leur travail pour les professionnels de l’audiovisuel.
Désigné par le terme générique PMSE Audio (Program Making and Special Events), les équipements techniques sans fil (micros sans-fil, systèmes d’écouteurs intra-auriculaires, système d’ordres et caméra sans fil) fournissent un service essentiel et indispensables aux ICC (Industries Culturelles et Créatives).
Avec une croissance de 10 % sur les cinq dernières années et une part de 46% des recettes totales en France générées par la musique, le spectacle vivant et les arts visuels, la valeur globale du secteur des ICC en Europe atteint 253 milliards d’euros (ou 1,7% du PIB de l’UE) et elles emploient 8,4 fois plus de personnes que l’industrie des télécommunications.
Ce rôle important sur le plan économique implique de s’assurer que les PMSE pourront fonctionner correctement face à une demande de plus en plus importante.. Le développement actuel des solutions existantes et l’arrivée prochaine des systèmes HF utilisant la nouvelle technologie WMAS (Wireless Multichannel Audio Systems) nous invite à comprendre les enjeux importants que Shure défend quotidiennement auprès des organismes de régulation internationaux.
Shure et la réglementation HF, une action permanente à l’international
Prakash Moorut, Responsable monde des radiofréquences et de leur régulation.
Ayant occupé des fonctions chez Motorola, Nokia et Alcatel pendant plus de 24 ans de carrière dans la partie mobile, Prakash Moorut détient une grande expérience dans le domaine de la régulation des transmissions HF.
Il prend ses fonctions chez Shure en 2021 pour mettre en place une équipe de travail sur les fréquences et la réglementation de manière générale.
Guillaume Mascot complète l’équipe apportant lui aussi sa forte expérience, acquise chez Alcatel et Nokia, aux actions sur la partie réglementaire et politique publique auprès des Institutions Européennes et dans la zone Asie-Pacifique.
SLU : Shure déploie un service dédié à la réglementation HF plutôt impressionnant ?
Prakash Moorut : Le problème des fréquences n’est pas seulement français ou européen. C’est un problème international. Avec un nombre grandissant de besoins comme nous allons le voir et l’arrivée de la technologie WMAS, la disponibilité de bandes de fréquences pour le bon déploiement de nos systèmes est primordiale dans le monde entier. Maintenant nous avons une équipe globale en France, en Allemagne, en Angleterre, en Chine, en Inde, au Mexique, à Dubaï et aux Etats Unis, que je coordonne.
Shure au Super Bowl, ici les systèmes Axient pour les arbitres. © Shure
SLU : Quelles sont vos problématiques de fréquences ?
Prakash Moorut : Comme vous le savez, nous avons perdu des fréquences au fil du temps au profit de la téléphonie mobile sur les bandes de fréquences de 470 MHz à 1 GHz. Maintenant mon rôle est d’alerter les législateurs et de leur exprimer que nous ne pouvons plus en perdre davantage.
Aux États Unis, nous sommes au fait de ces problématiques car en 2017, la bande de fréquences de 614 à 698 MHz a été mise aux enchères et nous l’avons perdue. De plus, les bandes de fréquences restantes sont également utilisées par la TV.
Nous nous sommes alors rendu compte que pour les grands événements comme le Super Bowl, ou toute autre compétition sportive d’envergure, nous avions du mal à accéder aux fréquences nécessaires.
SLU : Et en France, avons-nous une problématique de fréquences pour les J.O. ?
Prakash Moorut : Oui, de la même manière. Nous n’avions pas assez d’espace fréquentiel dans la bande 470 à 694 MHz pour répondre à la demande. Donc pour les J.O. de Paris, deux bandes de fréquences supplémentaires ont été spécialement allouées par l’ANFR, 1240 à 1260 MHz et 1350 à 1400 MHz.
Thomas Delory : Une partie de ces bandes de fréquences est utilisée par les radars des aéroports français. Nous avons donc fourni à l’ANFR un système Axient Digital spécialement acheminé du Japon afin que l’ANFR puisse mettre en œuvre des tests de coexistence à côté de l’aéroport de Bordeaux, pour évaluer les risques de perturbations sur les radars et inversement. Aucune gêne n’a été constatée par L’ANFR. Ces nouvelles bandes temporaires seront exploitables pendant la période des J.O. avec du matériel Shure, notamment pour les délégations asiatiques.
Face au manque de fréquences disponibles dans la bande TV UHF (470-694 MHz), les bandes 1240-1260 MHz et 1350-1400 MHz ont dû être temporairement autorisées pour les J.O. 2024 de Paris.
SLU : Quelles ont été vos démarches pour pallier ce manque de fréquences disponibles ?
Prakash Moorut : Nous avons demandé à la FCC, l’équivalent aux États-Unis de l’ANFR en France, de ne plus mettre aux enchères de fréquences dans la bande restante de 470 à 608 MHz. Ceci permettra aussi l’utilisation des technologies à bandes larges dont les nouveaux systèmes WMAS qui vont bientôt être commercialisés et qui peuvent travailler avec une largeur de bande de 6 MHz dans la bande 470 à 608 MHz aux Etats-Unis et jusqu’à 20 MHz dans d’autres bandes comparé à la bande étroite des systèmes classiques à 200 kHz.
SLU : C’est beaucoup 20 MHz de largeur de bande…
Prakash Moorut : Oui en effet et les broadcasters ont mentionné le souhait de ne pas occuper un si large espace. Finalement, dans les bandes TV, nous serons limités pour les systèmes WMAS à 6 MHz aux USA. En Europe, à part quelques exceptions, nous avons une certaine flexibilité concernant cet aspect. Nos systèmes WMAS pourront être déployés dans toutes ces largeur de bande.
SLU : Et de nouvelles bandes de fréquence, ne serait-ce pas plus favorable ?
Prakash Moorut : Notre volonté est de pouvoir accéder à d’autres bandes de fréquences proches de la gamme actuelle (470-694 MHz). Les bandes 1,2 et 1.4 GHz sont très intéressantes pour nous. Proches des bandes existantes, elles sont similaires en termes de propagation et permettraient d’obtenir plus d’espace disponible. Elles sont donc très intéressantes pour les futurs systèmes WMAS qui pourront y exploiter toute leur largeur de bande.
Interface radio d’un système WMAS.
SLU : La technologie WMAS offre une grande liberté d’interprétation pour les fabricants ?
Prakash Moorut : Nous avons une approche très globale et très diversifiée de l’utilisation de cette nouvelle technologie. En 2019, les spécifications de la WMAS ont été établies à l’ETSI principalement par un groupement de fabricants. Pour simplifier, ces spécifications définissent un masque spectral, une limitation de puissance et une largeur de bande.
Ce qui va être mis à l’intérieur est propre au fabricant et dépendra de chacune des marques. Nous aurons donc des différenciations sur le marché et le professionnel pourra choisir le ou les systèmes qu’il jugera les plus convaincants et les plus performants pour le projet HF qu’il devra réaliser.
SLU : Avez-vous déjà des prototypes ?
Prakash Moorut : Oui. Nous avons déjà fait des tests au Super Bowl qui ont été très concluants. C’était vraiment au-delà de nos espérances.
SLU : Et la réglementation a donc dû être modifiée pour permettre leur exploitation ?
Prakash Moorut : Oui. La limitation de bande étroite des 200 kHz liée aux PMSE audio a été supprimée pour permettre l’exploitation des systèmes WMAS. Ensuite c’était aux régulateurs de nous permettre de déployer les systèmes.
Pour la FIFA World Cup 2022 au Qatar, 422 licences temporaires ont été délivrées pour être utilisées par des micros sans fil et des moniteurs intra-auriculaires. Des appareils câblés ont été utilisés aux heures de pointe.
SLU : En licence libre ?
Prakash Moorut : Au début, la FCC avait imaginé que les systèmes WMAS ne seraient déployés que sur des événements importants pour gérer des centaines de liaisons micro, et donc uniquement par des utilisateurs qui achèteraient des licences. Nous avons expliqué que cela serait compliqué à mettre en œuvre car déjà aux États-Unis, 94% de nos utilisateurs n’ont pas de licences. C’est aussi le cas dans beaucoup de pays en Europe. Nous voulons que le WMAS soit utilisable en accès libre.
SLU : Et la grande largeur de bande de la solution WMAS ne pose pas de soucis ?
Prakash Moorut : Chez Shure, nous voulons offrir la plus grande flexibilité d’utilisation de la WMAS. Imaginez que vous êtes en prestation à Time Square dans un environnement spectral déjà encombré par énormément de canaux TV. En plus, les micros classiques en bande étroite vont continuer à cohabiter. Donc trouver une largeur de bande de 6 MHz où mettre du WMAS, surtout aux États-Unis, cela risque d’être compliqué.
Si nous n’avons par exemple qu’une largeur de 4 MHz disponible, nous aimerions bien pouvoir utiliser notre système WMAS. C’est pour cette raison que nous avons décidé de pouvoir proposer cette technologie dans nos futurs produits avec la possibilité de réduire sa largeur de bande à 4, voire à 2 ou 1 MHz, selon le nombre de canaux requis, car vous n’aurez pas besoin de 6 MHz pour tous les évènements. Nous avons donc décrit cette particularité pour la réglementation, ainsi que l’augmentation de la puissance.
Avec un système WMAS, si la puissance de sortie est maintenue constante, la densité spectrale de puissance de sortie, le bruit de fond et le rapport signal/bruit varient avec sa largeur de bande.
SLU : C’est important d’avoir plus de puissance avec un système WMAS ?
Prakash Moorut : Un système WMAS à bande large de 6 à 8 MHz apporte des gains théoriques (qui sont liés à l’utilisation de cette bande large et de la diversité de fréquences qu’elle permet) de plusieurs dB qui permettent d’étendre la portée.
En pratique, nous n’avons pas toujours ces gains théoriques. Et si en plus nous diminuons la largeur de bande parce qu’on n’a pas besoin de 6 ou 8 MHz ou si 6 ou 8 MHz ne sont pas disponibles, nous diminuons le gain lié à la bande large.
Il faut donc compenser la restriction de largeur de bande par une augmentation de la puissance d’émission. Nous avons pu démontrer un bon fonctionnement en passant la puissance de 50 à 100 mW, tout en coexistant avec la télé et les systèmes traditionnels à bande étroite. Nous avons pu obtenir de la FCC une puissance de 100 mW sans avoir besoin d’une licence, et même jusqu’à 250 mW avec licence. Nous pouvons maintenant déployer rapidement nos nouveaux systèmes WMAS sur le marché américain.
Guillaume Mascot, Senior Manager, Régulation des fréquences chez Shure, en charge des marchés francophones, européens et asiatiques.
SLU : Et en Europe ?
Guillaume Mascot : Nous pouvons dès aujourd’hui déployer en Europe un système WMAS en toute légalité. Depuis 2019 nous n’avons plus la limitation des 200 kHz de largeur de bande. La seule limitation actuelle sur l’ensemble de l’Europe est la puissance à 50 mW.
Désormais nous cherchons, en Europe comme aux Etats-Unis, à bénéficier de toute la flexibilité qu’apporte l’augmentation de puissance à 100 mW. Nous travaillons actuellement au sein de la CEPT au niveau européen, mais aussi avec les régulateurs de chaque pays comme l’ANFR en France, la BNetzA en Allemagne, l’OFCOM en Angleterre, pour permettre cette exploitation avec plus de puissance.
SLU : Nous allons donc gagner de l’efficacité spectrale ?
Guillaume Mascot : La technologie WMAS va permettre d’utiliser le spectre HF de manière efficace en utilisant plus de canaux dans une même bande de fréquences. Nous allons diminuer aussi de manière importante les problèmes d’intermodulation que nous avons en utilisant des systèmes classiques à bande étroite. On va pouvoir mettre les canaux plus proches.
Mais cela risque de ne pas être suffisant face à l’accroissement des besoins en fréquences pour une utilisation d’un nombre de plus en plus important de systèmes HF sur un même événement. C’est pour cela que nous essayons d’ouvrir les bandes de fréquences sur les 1,2 et 1,4 GHz.
L’énergie d’intermodulation en WMAS est contenue sous et autour du signal transmis au lieu d’être répartie sur l’ensemble du spectre.
SLU : En Europe, nous semblons être mieux protégés qu’aux États-Unis
Guillaume Mascot : Sur la bande des 600 MHz, il y a eu en Europe la même problématique qu’aux États-Unis. En fait tous les quatre ans, de nouvelles discussions s’opèrent au niveau mondial pour attribuer des fréquences à une multitude de services (incluant les services mobiles). Cela a lieu lors d’une grande conférence internationale (CMR : Conférence mondiale des radiofréquences sous l’égide de l’UIT : Union Internationale des Télécommunications), la dernière en date était en décembre 2023 à Dubaï.
Nous y avons obtenu un moratoire sur cette bande de fréquences qui devrait perdurer jusqu’en 2031, voire 2033 en Europe. Néanmoins, d’autres régions et pays ont exprimé leur désir d’allouer cette bande pour des services mobiles. Nous devons être vigilants et il est primordial pour Shure de sensibiliser les acteurs du domaine de la culture pour expliquer combien cette gamme de fréquences est importante. Nous nous apercevons aussi, grâce aux configurations très différentes en besoin de canaux TV des pays européens, qu’il nous faut une coordination européenne.
SLU : En réalité, les conditions varient beaucoup entre pays ?
Guillaume Mascot : Le Proche Orient et l’Afrique utilisent beaucoup de fréquences pour la TV, parce que ces pays sont peu câblés. A contrario, des pays du Moyen-Orient tels que les Émirats Arabes Unis n’utilisent pas beaucoup de liaisons hertziennes pour la TV. Ils ont décidé d’utiliser cette bande pour la 5G. Autre exemple, le Nigeria, qui a décidé d’utiliser cette bande pour de futurs usages 5G, mais a-t-il pensé aux milliers de micros sans fil utilisés par les très nombreux lieux de culte à travers le pays ?
SLU : Il faut donc sensibiliser les régulateurs à l’importance des PMSE ?
Guillaume Mascot : Oui, Il y a un travail important de sensibilisation et d’explication pour permettre de maintenir la bonne exploitation de nos systèmes HF. Pour ma part, le travail commence au niveau européen et doit aussi sensibiliser les acteurs du monde de la culture. Au niveau national, nous avons des interactions avec les ministères tels que l’industrie et la culture ainsi qu’avec l’ARCEP, l’ANFR et l’ARCOM.
SLU : Comment intervenez-vous au niveau européen ?
Guillaume Mascot : Nous travaillons avec la commission européenne dans des consultations et en faisant partie des groupes de travail sur la gestion du spectre. Si un de nos sujets arrive au parlement européen, c’est notre mission de sensibiliser les parlementaires à nos problématiques. Au-delà des institutions européennes, la Conférence européenne des administrations des postes et télécommunications ou CEPT est un élément central de nos activités où nous participons activement à différents groupes de travail.
SLU : L’argument économique est sûrement très convaincant ?
Guillaume Mascot : il faut comprendre que même si nous ne payons pas l’utilisation des fréquences, le rôle des PMSE, par leur contribution au domaine culturel, est très important dans le développement économique. Les chiffres sont importants et les régulateurs comprennent. En Asie il y a une augmentation des grands événements, musique, spectacle et sport. L’impact socio-économique de la culture est très important.
Les trois concerts exclusifs de Taylor Swift à Melbourne ont généré une valeur économique de 558 millions de dollars.
Pour certaines villes ou pays c’est un moyen important de générer de la croissance économique et pour cela, il faut pouvoir les organiser techniquement. Les J.O. sont un bon exemple pour expliquer ça. Cet événement permet de bien mesurer les problématiques de fréquences que le monde audiovisuel rencontre. Nous leur disons simplement : faites attention, pour la bonne réalisation de vos prochains événements, ce sera compliqué si vous n’avez pas l’espace fréquentiel disponible.
Depuis ses débuts en 2008, la course nocturne de F1 à Singapour a généré plus de 1,5 milliards de dollars de recettes touristiques.
SLU : Ne pourrions-nous pas trouver une bande de fréquence moins encombrée ?
Guillaume Mascot : Nous sommes en train de travailler avec l’ANFR et au niveau européen pour l’ouverture de manière permanente de la bande 1.2 et 1.4 GHz qui va être temporairement utilisée pour les J.O. de Paris.
SLU : Ce serait l’idéal d’avoir des bandes de fréquences identiques dans le monde entier ?
Guillaume Mascot : C’est ce que nous expliquons souvent aux régulateurs. A l’instar des opérateurs mobiles qui arrivent à obtenir une uniformité, ce serait bien que nous puissions le faire aussi. L’ouverture des deux nouvelles bandes de 1.x GHz et le maintien des bandes existantes devraient nous permettre de nous en sortir à long terme. Je reste optimiste.
Les bandes 1,x Ghz utilisées temporairement pendant les J.O. 2024 en France sont disponible internationalement : 1435-1525 MHz USA, 1240-1260 MHz Japon, 1350-1400 MHz EMEA.
SLU : Avec le WMAS, cela va être plus simple de gérer plus de canaux…
Guillaume Mascot : Ça va être plus simple aussi longtemps qu’on aura de l’espace fréquentiel disponible. En revanche, nous allons passer plus de canaux audio dans une même largeur de bande. L’utilisation efficace du spectre est une caractéristique fondamentale des nouvelles technologies que nous développons.
SLU : On pourrait parler d’efficacité spectrale ?
Guillaume Mascot : Oui, c’est bien ça. L’efficacité spectrale est indispensable pour nous. D’où l’importance de pouvoir gérer de plus faibles largeurs de bande en WMAS pour une bonne exploitation dans les années à venir. Nous devons faire de l’économie spectrale, ce qui est toujours mieux et indispensable sur le terrain, en utilisant seulement ce dont on a besoin. Ceci nous permet d’être également mieux considérés par les régulateurs.
Par exemple, les studios broadcast aux États-Unis ne voulaient pas du WMAS en licence libre par peur qu’un système de 6 Mhz utilise tout leur espace et les empêche d’exploiter d’autres équipements HF de leur studio. C’est pour cela que nous avons décidé de pouvoir utiliser une plus faible largeur de bande. Cela permettra d’exploiter plus facilement nos systèmes, et cela a été salué par les broadcasters et les régulateurs, qui ont validé notre approche de cette technologie.
Distance d’exclusion en fonction de la largeur de bande d’un système WMAS.
SLU : Le déploiement d’un système WMAS sur une bande plus réduite semble indispensable dans bien des cas ?
Guillaume Mascot : Oui, surtout s’il doit cohabiter avec d’autres systèmes classiques à bande étroite. Si on occupe 6 Mhz de bande en WMAS, comment faire dans ce cas ?
On voit que l’économie spectrale est un point très important.
SLU : la technologie WMAS va permettre de gérer des ears monitor et des micros HF sur le même système ?
Thomas Delory : Oui, cela va être possible. Mais cela aura forcément un impact sur d’autres paramètres du système comme la puissance d’émission ou la latence.
SLU : Il serait temps que les ears passent en numérique non ?
Thomas Delory : C’est le souhait de tout le monde, une forte demande. Les ingénieurs du son aimeraient bien se simplifier la vie sur les grosses tournées. Actuellement, toute la régie audio est en numérique sauf les ears monitor qui, pour des raisons techniques principalement de latence, sont maintenus en analogiques. Ca fait un peu tâche au milieu du tableau. Quand allons-nous passer entièrement dans le domaine numérique ? C’est la demande des pros et nous ne sommes pas loin d’y parvenir.
Thomas Delory, Channel manager Shure France.
SLU : La technologie WMAS semble pouvoir tout simplifier ?
Thomas Delory : WMAS n’est pas la solution miracle aux problèmes de fréquences. C’est un nouveau champ technologique au cadre large mais bien défini qui permet aux fabricants de développer des nouvelles solutions techniques permettant à l’utilisateur d’exploiter plus de canaux dans un espace fréquentiel restreint. Elle n’a pas été initialement pensée pour répondre à une pénurie de spectre, mais dans le contexte actuel, elle devient une solution intéressante.
Ce n’est pas la réponse totale ou unique face à la forte demande de canaux, mais elle permettra de mieux la gérer. Le travail de notre équipe sur la régulation des fréquences est une démarche générale de protection de l’outil de nos clients qui n’est pas lié directement à la WMAS mais à l’ensemble des technologies que nous utilisons.
SLU : La WMAS va quand même permettre de gérer beaucoup plus de canaux ?
Thomas Delory : Oui, mais économiquement, ce ne sera pas forcément rentable d’utiliser la WMAS dans des environnement de petite ou moyenne taille avec les premières solutions qui apparaîtront sur le marché. Sur une prestation avec 10 ou 12 micros, un système classique en bande étroite qui fonctionne très bien restera la bonne solution pour ce type de prestation. Cependant, sur les grands formats, la WMAS simplifiera la vie des techniciens en allégeant la manutention, le poids dans le camion, la place en régie et la puissance consommée, sans parler bien sûr des nombreux avantages technologiques apportés.
4 canaux en WMAS et 4 canaux en bande étroite, une augmentation substantielle de l’efficacité du spectre.
SLU : Cela va être une véritable révolution dans le domaine de la HF ?
Thomas Delory : La WMAS va en effet changer des habitudes sur les spectacle. Qui va l’utiliser en premier ? Les gros shows, les grands événements, les grandes compétitions sportives. Il ne faut pas perdre de vue que la WMAS va beaucoup intéresser les Américains, dont la bande des 600 MHZ est pratiquement perdue et dont les spectacles sont de plus grands formats. Vu l’espace qu’il leur reste autour des 500 MHz, une technologie comme la WMAS aura un impact important.
Chez nous, cette avancée technologique est aussi très importante. Si je devais faire un parallèle avec un domaine que je connais bien, je me servirais des consoles de mixage. L’arrivée des processeurs FPGA a changé la façon d’exploiter les consoles numériques, en offrant une grande versatilité dans leur exploitation.
C’est un peu comparable ici, les utilisateurs vont avoir à leur disposition des outils non figés et adaptables en fonction de leurs besoins et contraintes quotidiennes. Quoi qu’il en soit aujourd’hui, nous ne sommes qu’au tout début d’un grand mouvement technologique dans la microphonie, donc oui, cela a un côté assez révolutionnaire !
SLU : En réalité, il n’y pas en HF de solution exclusive ?
Guillaume Mascot : L’objectif de Shure est d’investiguer toutes les possibilités des technologies HF. Certaines sont plus avancées que d’autres. Certaines moins pertinentes, comme la 5G, mais nous ne les ignorons pas.
SLU : Nous pourrions utiliser de la 5G pour des liaisons audio ?
Guillaume Mascot : Shure fait partie du groupe 5G Media Action Group. Nous testons la 5G pour la transmission audio et vidéo. Si sur la vidéo cela semble prometteur, les résultats sur l’audio sont plutôt décevants pour des questions de latence. Peut-être que dans le futur, nous disposerons de la qualité de service nécessaire pour faire de l’audio. Nous restons vigilants.
Le MXW Next2 exploite parfaitement l’efficacité de la technologie DECT pour l’installation fixe ou le corporate. © Shure
SLU : En revanche, la technologie DECT est un bon exemple de développement dans vos systèmes HF ?
Guillaume Mascot : Nous avons beaucoup d’équipement utilisant cette technologie qui est très bien adaptée aux besoins de l’installation fixe et du corporate. La vertu du DECT est de fonctionner dans d’autres bandes de fréquences et d’offrir certaines évolutions.
Elle simplifie également beaucoup l’usage et la vie des utilisateurs. Par exemple, le MXW NEXT 2 est un système de micros sans fil tout en un qui se pose, se branche et marche immédiatement sans besoin de maîtriser la technique HF.
SLU : Vous pourriez aller plus loin avec cette technologie ?
Guillaume Mascot : Le DECT est très développé en Europe parce que les régulations sont bien en place. C’est plus complexe en Asie et dans beaucoup d’autres pays où les régulations sont en train d’être mises à jour. La nouvelle évolution DECT 2020 ouvre cette technologie sur l’internet des objets. C’est très intéressant et c’est un domaine d’avenir pour nous.
Visualisation de la coexistence d’un système large bande WMAS et d’un système classique à bande étroite dans le logiciel Wireless Workbench.
SLU : Pensez-vous que la WMAS va s’imposer face aux systèmes existants ?
Thomas Delory : Quel serait l’intérêt d’utiliser un système qui permet d’avoir un très grand nombre de canaux sur une largeur de bande élevé pour n’utiliser que 4 ou 8 liaisons ? Nous allons voir au fur et à mesure de son exploitation. C’est l’utilisateur qui va décider.
Le prix ne sera pas le critère fondamental pour les prestataires et les grandes tournées. Les autres systèmes aujourd’hui fonctionnent très bien et en France, nous n’avons pas perdu la bande des 600 MHz. Donc les systèmes vont sans problème cohabiter.
SLU : Les premiers à l’utiliser seront peut-être les opérateurs du broadcast ?
Thomas Delory : Les solutions HF numériques Shure prennent de plus en plus de place sur le marché du broadcast, grâce au développement de solutions dédiées. On a pu voir nos solutions sur des plateaux TV lors de l’arrivée de la flamme olympique, et de grosses productions hollywoodiennes sont maintenant tournées intégralement en Shure.
Notre marché principal et historique reste le live, on devrait y trouver les premières exploitations en WMAS, mais ces solutions vont forcément être passées à la loupe par les exploitants en broadcast.
SLU : En résumé, quelles sont les grandes lignes de développement pour La HF ?
Guillaume Mascot : En termes de spectre, notre objectif est de maintenir l’UHF, développer les bandes allouées temporairement pour les J.O. et essayer de les rendre pérennes. Bien sûr introduire sur le marché la technologie WMAS et exploiter le DECT2020 qui permet de soulager l’espace HF et de développer son propre réseau HF dans un espace privé.
La demande d’applications PMSE augmente, sous l’impulsion des publics traditionnels, de la consommation par téléphone mobile et des nouvelles plateformes de diffusion. © Shure
SLU : Ce sont de véritables combats spectraux ?
Thomas Delory : Nous sommes obligés d’aller chercher les solutions là où elles sont. Pour continuer à offrir un panel de produits exploitables dans les meilleures conditions possibles pour les spectacles d’aujourd’hui, il faut réfléchir à d’autres solutions technologiques comme la WMAS et essayer de récupérer de l’espace inexploité.
SLU : Tout en maintenant un accès libre et gratuit ?
Thomas Delory : Si les fréquences sont assez uniformes en Europe, il y a des différences d’exploitation par pays avec des formats de licences variées. Chaque pays décide de vendre son espace fréquentiel comme il le désire. En Angleterre, par exemple, il faut utiliser et payer des licences dédiées qui restent très abordables.
SLU : Vous militez surtout pour des licences libres de droit ?
Guillaume Mascot : Nous avons les deux approches, libres ou payantes. Cela dépend des pays et des cas de figure. Nous voulons surtout nous assurer d’avoir du spectre dédié. Avec notre faible niveau d’émission ce ne sont pas nos systèmes HF qui créent des problèmes d’interférences. Nous voulons juste nous assurer d’accéder au plus de fréquences possibles, avec le moins de perturbation pour nos systèmes.
SLU : Et pour l’économie spectrale ?
Guillaume Mascot : C’est un point très important qui me tient à cœur. Autant nous demandons aux pouvoirs publics de trouver un équilibre et qu’ils se rendent compte des besoins de notre profession en général, autant nous, fabricants et utilisateurs, nous devons nous rendre compte des problématiques de fréquence et faire au mieux pour les soulager dans notre exploitation quotidienne.
Dans tous les pays du monde, il faut comprendre que la politique d’attribution des fréquences, entre autres aux opérateurs téléphoniques, a un impact direct sur la réalisation technique des futurs événements culturels et créatifs.
Comment fera un pays qui va accueillir la prochaine coupe du monde de football, les prochains J.O. ou les artistes les plus populaires, si son espace fréquentiel ne permet pas d’exploiter assez de canaux HF pour assurer son succès technique ?
Même si Shure développe sa propre vision de la technologie WMAS et investit l’ensemble des technologies HF existantes pour offrir une efficacité spectrale optimale, il lui paraît indispensable de travailler, auprès des organismes nationaux de régulation, à l’établissement d’une norme internationale, afin de maintenir la plus grande exploitation possible des équipements PMSE audios dans la plupart des pays à travers le monde.
D’autres information avec :
– WMAS
– ANFR
– DECT 2020
– PMSE