Le préamplificateur est et restera un élément crucial dans la chaîne audio. A l’heure du tout-numérique, on a une tendance à oublier ou négliger ce qui reste analogique et qui, quoi qu’on en dise, est indispensable, car notre environnement perceptuel est définitivement analogique.
Un bon micro ne sonne bien qu’avec un bon pré-ampli, et l’association des deux doit être soignée, cet aspect a manifestement présidé dans l’élaboration de l’ASP880 qui de plus incorpore un convertisseur A/N 8 canaux.
Audient est un fabricant anglais fondé en 1997 par des constructeurs de consoles analogiques. Son catalogue est volontairement restreint de manière à rester concentré sur le savoir-faire des ingénieurs maison pour maintenir une qualité optimale. Le renouvellement des produits ne s’effectue qu’à un rythme espacé, la société échappant à la valse rapide des gammes. Ainsi, la console analogique emblématique de la maison est en production depuis deux décennies. Par ailleurs, la gamme est très homogène et ce sont les mêmes pré-amplis qui équipent tous les produits : consoles, interfaces audio ID et pré-amplis.
Simplicité, fonctionnalité, exhaustivité
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Commençons par un tour rapide du produit. Chacune des 8 voies de pré-amplification dispose d’une entrée micro et d’une entrée ligne. L’accès se fait sur des connecteurs combinés (combo XLR/jack 6,35) : lorsqu’on raccorde une fiche XLR, c’est l’entrée micro qui est en service. Lorsqu’on enfiche un jack, c’est l’entrée ligne. L’entrée micro est équipée d’une alimentation fantôme commutable depuis la face avant et l’entrée ligne d’une atténuation supplémentaire avec une impédance augmentée.
Deux circuits suivent : un atténuateur en U de 10 dB commutable à partir de la face avant (bouton « PAD »), permettant d’augmenter le niveau admissible avant saturation, et un circuit d’inversion de polarité (bouton ), puis un sélecteur d’impédance d’entrée à trois positions (levier « LO-HI-MED » en face avant). A ce niveau, le constructeur a également prévu une entrée « DI » à haute impédance pour instrument, uniquement sur les canaux 1 et 2. Cette entrée met en œuvre un circuit discret à transistor à effet de champ JFET, pour obtenir une très haute impédance (1 Mohms). La commutation vers cette entrée s’effectue automatiquement lorsqu’un jack est enfiché dans la prise correspondante en face avant.
Une face arrière bien remplie avec un choix micro/ligne facilité par embase combo (XLR/TRS). Les poussoirs à côté de l’embase DB9 permettent le choix AES/SPDIF (symétrique 110 ohms/asymétrique 75 ohms) et de terminaison d’impédance d’horloge externe (75 ohms ou haute impédance dans le cas de mise en parallèle).
C’est après tous ces circuits que vient le circuit « noble », le préamplificateur en structure hybride (composants discrets et intégrés), à entrée symétrique sans transformateur, dont le gain est réglable en face avant. Ensuite vient un filtre coupe-bas commutable (bouton poussoir en face avant) dont la fréquence est réglable entre 25 et 250 Hz. Le signal est enfin appliqué à un amplificateur à sortie symétrique, qui attaque le connecteur DB-25 des sorties analogiques en face arrière, qui porte, avec ses 6 dB de gain, le gain total de la chaîne de 0 à 60 dB (sans le pad).
Le signal prélevé à l’entrée de cet amplificateur de sortie analogique, est appliqué, au-travers d’un aiguillage, au convertisseur numérique-analogique 8 canaux embarqué. Par le truchement du bouton poussoir AD en face avant, l’aiguillage permet d’appliquer au convertisseur soit le signal d’entrée du préamplificateur (micro/ligne/DI), soit le signal provenant d’un connecteur sub-D 25 (câblé au format TASCAM) situé en face arrière. L’intérêt de cette disposition est de pouvoir insérer dans le trajet du signal un système de traitement (compresseur, égaliseur, effet, etc.) via une boucle analogique externe.
L’alimentation à découpage (à droite) est très bien filtrée et suivie de régulateurs analogiques (sur dissipateur).
Le convertisseur fonctionne en 24 bits/96 kHz (44,1, 48, 88,2 et 96 kHz sélectionnable en face avant) avec horloge interne ou synchronisation sur horloge externe (prise BNC Wordclock à l’arrière, impédance d’entrée 75 Ω ou haute impédance pour le chaînage avec une terminaison obligatoire en 75 Ω). Les sorties numériques sont regroupées sur une prise DB-9 (format commutable AES ou S/P-DIF) et sur deux ports ADAT/SMUX (un seul ou deux selon la fréquence d’échantillonnage).
Très compacte, l’alimentation est à découpage. Elle est précédée d’un filtre secteur blindé intégré à l’embase de raccordement sur la face arrière. Le constructeur n’a pas lésiné sur le filtrage de sortie et les découplages au niveau de chaque étage sensible, ce qui explique les bonnes performances malgré la mauvaise réputation de ce type d’alimentation en matière de bruit.
Le synoptique complet d’une voie de l’appareil est donné ci-dessous en figure 1. L’exposé de cette architecture indique clairement qu’il ne manque rien… sauf peut-être une interface réseau ou USB, mais ce n’est pas le but avec cet appareil.
Figure 1 : Synoptique d’un canal de l’ASP880. Les canaux 1 et 2 disposent d’une entrée asymétrique « DI ». Les autres canaux en sont dépourvus.
Une construction irréprochable
A première vue, l’ASP880 inspire confiance. Il est construit dans un châssis 19 pouces 1 U en tôle d’acier pliée, avec une face avant en aluminium. A l’intérieur, les circuits imprimés d’excellente facture, font largement, mais pas exclusivement, appel aux composants montés en surface, et à des interconnexions par câbles plats et connecteurs à verrouillage. Les circuits sont ornés d’une sérigraphie claire et explicite qui devrait grandement faciliter la maintenance. Globalement, la construction est claire et aérée et reflète professionnalisme et respect scrupuleux des règles de l’art. La fiabilité devrait donc être au rendez-vous.
L’ensemble de l’électronique est répartie sur six circuits imprimés FR4. Le constructeur fait particulièrement attention à l’aspect CEM avec des filtres sur les entrées sensibles et de nombreux découplages d’alimentation.
De l’intérêt d’une impédance d’entrée variable
Les entrées « DI » présentent une impédance élevée de 1 MΩ, correspondant à ce qui convient habituellement aux micros d’instruments à haute impédance de sortie, et les entrées « ligne » présentent une impédance fixe en général de plus de 10 kΩ, correspondant à une charge optimale pour des sources à impédance interne faible de façon à opérer un transfert optimal de tension (et non de puissance), même lorsqu’une source attaque plusieurs entrées (en parallèle). En revanche, ici l’entrée micro présente trois valeurs d’impédance interne commutable : LO (200 Ω), MED (1400 Ω) et HI (3600 Ω).
A quoi cela sert-il ? Théoriquement à adapter au mieux le préamplificateur au type de micro utilisé. Les micros à condensateur, dont l’étage électronique symétriseur d’adaptation est intégré, ou à couplage par transformateur, fonctionnent peu ou prou comme des sorties ligne, le but est de transférer le maximum de tension avec le minimum de bruit ou de perturbation. Par conséquent, il est indiqué de leur présenter une impédance relativement élevée (idéalement au moins 10 fois leur impédance interne, mais elle n’est pas toujours spécifiée) pour ne pas surcharger l’étage de sortie mais pas trop non plus afin de ne pas détériorer le facteur de bruit du pré-ampli. Certains fabricants indiquent, par exemple, que la charge vue par le micro ne doit pas descendre au-dessous de 1 kΩ. C’est donc la position MED ou HI qui semble la plus adaptée, selon l’impédance de sortie (entre 50 et 300 ohms) sachant que, face à une charge plus basse, l’électronique interne pourrait générer de la distorsion, notamment à fort niveau.
Pour ce qui est des micros dynamiques, l’adaptation d’impédance (impédance interne = impédance de charge) pour opérer un transfert optimal en puissance et non en tension, a eu ses heures de gloire, notamment avec certains micros, ce qui justifie l’existence de la position « LO ». Cette manière de faire est largement passée de mode (elle date de la téléphonie). Toutefois, certains micros dynamiques peuvent se comporter de manière différente suivant l’impédance de charge, en raison de l’amortissement apporté par des charges faibles sur la capsule. Le fabricant du pré-ampli conseille donc de tester à l’oreille pour trouver la position qui donne le meilleur rendu au micro. Il en est de même pour certains micros à couplage par transformateur, où la charge peut jouer un rôle sur l’amortissement de la résonance en bout de bande (peaking chez les anglo-saxons), et, par conséquent, sur la réponse en haute fréquence.
Signalons que la valeur de l’impédance de charge joue sur le niveau (on crée un diviseur de tension en entrée), et que, à défaut de modifier le timbre, le changement d’impédance peut modifier le niveau, et donc créer un atténuateur supplémentaire.
L’ASP880 à l’épreuve des mesures
Toutes les mesures sont faites à l’aide d’un analyseur Audio Precision.
La chaîne analogique : Pour chaque canal, le signal est appliqué à l’une des trois entrées (micro/ligne/DI) et recueilli sur la sortie analogique correspondante (sur le connecteur DB-25 du haut sur la face arrière).
Gain : Pour cette mesure, le signal est appliqué à l’entrée micro, réglée sur l’impédance « HI » L’impédance interne de la source (générateur) est de 40 ohms. Le gain de tension mesuré est de -0,48 dB avec le réglage de gain en position minimale (repérée « 0 ») et +59,6 dB avec le réglage à fond à droite (« 60 »). La plage de gain constatée est donc très proche des 60 dB annoncés. On vérifie que le pad engendre bien une atténuation d’exactement 10 dB (soir une plage de gain de -10 à +50 dB avec le pad enclenché).
On constate également que le pad n’introduit pas de changement notable de l’impédance d’entrée (on mesure 2,8 kohms sans pad et 2,75 kohms avec le pad en service) sur la position « HI », et l’écart est encore plus insignifiant sur les deux autres positions. Cette disposition est obtenue au moyen d’une configuration d’atténuateur équilibré « en U » (voir détails sur la figure 2).
Figure 2 : Schéma équivalent de l’atténuateur « en U ». Tous les éléments de protection et de couplage non significatifs ont été omis pour simplifier le schéma et faciliter la compréhension. A gauche : schéma équivalent complet avec le commutateur (DPDT). Au centre, schéma équivalent en position « 0 dB ». A droite, schéma équivalent en position « -20 dB ». Du point de vue de l’atténuation, les deux résistances de 1k2 en série, en parallèle sur la résistance de 267 ohms équivalent à une résistance de 240 ohms. Pour le calcul, on a supposé que l’impédance d’entrée des circuits actifs d’amplification placés en aval est infinie. Dans la réalité, elle ne l’est pas, ce qui ne devrait pas influencer de manière significative l’impédance d’entrée mais rapprocher l’atténuation de la valeur prévue de 20 dB.
En entrée ligne, le gain mesuré va de -10 à +50 dB. Si on active le pad, la plage constatée s’étend de -20 à +40 dB. Le pad introduit donc aussi une atténuation de 10 dB, mais seulement sur la position « HI ». Les autres positions apportent une atténuation supplémentaire, au prix d’une diminution de l’impédance d’entrée.
En entrée DI (asymétrique, impédance d’entrée 1 MΩ), la plage de gain mesurée s’étend de -1 à +59 dB sans le pad et -11 à +49 dB avec le pad en service.
On notera que la valeur de +44 dBu (non mesurée) pour l’entrée ligne avec pad correspond à une tension sinusoïdale de 122,8 V efficaces. Dans la plupart des cas d’utilisation pratique, la marge est considérable, il y a très peu de situations où on risque de se retrouver avec de tels niveaux à l’entrée d’un pré-ampli, sauf à directement utiliser la sortie d’un ampli de puissance ! Le niveau maximum obtenu sur la sortie analogique, avec les mêmes conditions de mesure, atteint +28 dBu.
Impédances d’entrée : Les impédances d’entrée sont mesurées sans le pad. Les valeurs relevées sont :
- Pour l’entrée micro :
- En position haute impédance (« HI ») : 2,8 kΩ
- En position moyenne impédance (« MID ») : 1,32 kΩ
- En position basse impédance (« LO ») : 225 Ω
- Pour l’entrée ligne : en position « HI » : 8,45 kΩ
- Pour l’entrée DI (asymétrique) : 1 MΩ.
- Alimentation fantôme (mesurée à vide) : 48,5 V continu.
Niveau maximal admissible : Nous mesurons le niveau maximal à l’entrée pour 0,5 % de distorsion harmonique (THD) à 1 kHz sur la sortie analogique (prise DB-25 du haut sur la face arrière). Les niveaux d’entrée relevés sont :
- Pour l’entrée micro : +24 dBu sans pad et +34 dBu avec le pad en service
- Pour l’entrée ligne (position « HI ») : +34 dBu sans pad et +44 dBu avec le pad en service.
- Pour l’entrée DI : +18 dBu
Au niveau du convertisseur numérique/analogique (prise DB-25 du bas sur la face arrière), le signal maximal est défini pour le code numérique maximal en sortie de conversion, soit 0 dBFS (pour « Full Scale »). Le niveau mesuré en entrée est de +18 dBu pour 0 dBFS sur la sortie AES (c’est l’alignement au standard européen).
Si on considère seulement le circuit intégré convertisseur (PCM4220 de Burr-Brown), son niveau admissible en entrée pour 0 dBFS en sortie est de 2 V efficaces (en symétrique), soit +6 dBV ou encore +8,2 dBu. Mais il est précédé d’un filtre anti-repliement et d’un atténuateur, l’ensemble procurant un affaiblissement de 10 dB (d’où le chiffre de +18 dBu trouvé en entrée). L’indicateur de niveau et de présence de signal est situé au niveau du convertisseur. Il n’est donc pas significatif de ce qui se passe dans la chaîne analogique, mais seulement au niveau du convertisseur. Lorsque celui-ci n’est pas en service (touche A/D déclenchée), l’indicateur reste éteint, sauf si un bouclage externe existe entre les deux prises DB-25 (par exemple au-travers d’un générateur quelconque d’effet, égaliseur, compresseur, etc.).
Le témoin de surcharge s’allume légèrement (rosit) dès que le niveau à l’entrée de la chaîne de conversion (prise DB-25 du bas) atteint +15 dBu et s’allume franchement à +16 dBu (soit -2 dBFS).
Comme le niveau maximal en sortie de la chaîne analogique est de +28 dBu (à 0,5% de THD à 1 kHz), il apparaît donc que la marge dans la chaîne analogique est de 10 dB lorsqu’on utilise l’ensemble pré-ampli + convertisseur.
Réponse en fréquence : La réponse en fréquence de l’entrée micro a été relevée sur les canaux 1 et 2 pour trois positions du gain (minimum, médian et maximum). Le résultat est visible sur la figure 3. Il apparait que pour les deux valeurs de gain moins élevées, la réponse est parfaitement plate dans la bande utile et s’étend largement au-dessous de 20 Hz et au-dessus de 50 kHz.
Au gain maximum, les points à -3 dB sont situés approximativement à 20 Hz et bien au-delà de 50 kHz, la perte dans le bas du spectre étant tout à fait normale. On note une certaine différence de gain entre les voies, en particulier au gain médian (il ne s’agit pas d’un atténuateur à plots !) due au positionnement du potentiomètre.
La réponse en fréquence du canal 1, mesurée sur l’entrée DI pour les trois positions du réglage de gain, est illustrée par la figure 4. Le résultat est semblable, avec toutefois une chute un peu plus sensible aux extrémités du spectre, au gain le plus élevé, ce qui est normal. La bande audio reste couverte avec une régularité exemplaire.
Figure 3 : Réponse en fréquence de l’entrée micro en haute impédance (« HI ») sur les canaux 1 et 2 pour trois positions du gain : en haut , canal 1 (rouge) et canal 2 (bleu) au gain max (60 dB), au milieu : canal 1 (vert) et canal 2 (orange) au gain médian (30 dB), en bas canal 1 (violet) et canal 2 (marron ) au gain minimal (0 dB). Sauf pour le gain le plus élevé, la bande est parfaitement plate de 20 Hz à plus de 80 kHz (-1 dB).
Figure 4 : Réponse du canal 1 en entrée DI pour les trois valeurs de gain. La réponse est légèrement moins bonne qu’en entrée micro mais couvre sans encombre la bande audio utile.
Fonction coupe-bas : Comme il est d’usage pour les entrées micro, l’ASP880 comporte un filtre destiné à opérer une coupure plus ou moins radicale des basses fréquences afin d’éviter de capter les bruits divers (chocs, souffle, vent) ou de contrer l’effet de proximité avec un micro cardioïde. Ce filtre est commutable et sa fréquence de coupure est réglable de manière continue au moyen d’un potentiomètre.
La figure 5 donne la réponse de la chaîne analogique avec le filtre en service pour trois positions du potentiomètre (à fond à gauche, au centre et à fond à droite). La fréquence de coupure varie d’environ 20 Hz à 250 Hz. Le détail de la pente, illustré par la figure 6, laisse apparaître une coupure à 12 dB/octave, comme spécifiée par le fabricant.
Figure 5 : Effet du filtre coupe-bas pour trois positions du potentiomètre « HPF » La fréquence de coupure varie bien dans les limites annoncées (25 Hz à 250 Hz) avec une valeur d’environ 80 Hz pour la position médiane, tout en conservant la même pente.
Figure 6 : Détail de la réponse du filtre montrant la pente de 12 dB/octave.
Niveau de bruit : La mesure est réalisée avec un cordon XLR de 1,50 m connecté à l’entrée micro, générateur arrêté mais connecté (donc entrée bouclée sur l’impédance de sortie du générateur). Cela correspond à des conditions réalistes d’utilisation. Cette mesure pourrait se faire avec un bouchon XLR équipé d’une résistance de haute qualité entre les broches 2 et 3, placé directement sur le connecteur d’entrée de l’appareil. Il en résulterait des résultats très légèrement meilleurs, mais cela ne correspond pas à des conditions réalistes.
Avec l’impédance interne du générateur sur 150 ohms (conditions normalisées US) et une bande d’analyse de 20 Hz à 20 kHz, on relève un niveau de bruit ramené à l’entrée de -128,4 dBu non pondéré et -130,6 dBu pondéré A. L’entrée est en position « HI » (impédance mesurée : 2,8 kohms)
On en déduit le facteur de bruit propre du pré-ampli : 130,9 dBu (bruit thermique généré par une résistance de 150 ohms à 20°C sur la bande) – 128,4 (bruit ramené en entrée mesuré) = 2,5 dB. Le maximum théorique possible se situe aux alentours de 1 dB (pour un bruit en tension de 1 nV/racine de Hz pour l’étage d’entrée).
Si on effectue la mesure en réglant l’impédance interne du générateur sur 50 ohms (ce qui correspond au cas de nombreux micros à condensateur à sortie électronique), on trouve un niveau de bruit ramené à l’entrée de -131 dB non pondéré et -133,2 pondéré A, dans une bande d’analyse de 20 Hz à 20 kHz.
Disons-le tout net, ces résultats sont excellents et placent ce pré-ampli parmi ce qui se fait de mieux en la matière. L’écart de 2,2 dB entre les mesures non pondérées et les mesures pondérées A signifie que le bruit est uniformément réparti sur toute la bande, donc sans perturbations ramenées par l’alimentation par exemple et sans résidus issus du secteur et de ses harmoniques. Cela est parfaitement confirmé par les relevés FFT effectués par ailleurs (figures 8 et 9 ci-dessous).
Figure 8 : FFT du signal analogique à 1 kHz au gain maximal (entrée -40 dBu/150 ohms). L’harmonique 2 est à 105 dB au-dessous du fondamental ! On notera la parfaite constance du plancher de bruit sur l’ensemble de la bande.
Figure 9 : FFT du signal analogique à 1 kHz au gain minimum (entrée 0 dBu/150 ohms). L’harmonique 2 est à environ 112 dB au-dessous du fondamental. Les raies à droite vers 90 kHz sont dues à l’alimentation à découpage (à – 115 dB!).
Réjection du mode commun et diaphonie : La mesure est effectuée en appliquant le signal du générateur directement aux deux pôles de l’entrée micro symétrique. Cela correspond au type de signal de mode commun qu’une entrée à transformateur parvient à éliminer d’une manière beaucoup plus efficace qu’une entrée à couplage purement électronique (active).
Figure7 : Montage à l’entrée pour la mesure de la réjection de mode commun. Le montage que nous avons utilisé (classique) et dont nous publions le résultat ici est à gauche. L’IEC recommande une autre méthode (plus conforme à la réalité de terrain), dans laquelle on introduit un déséquilibre en insérant une résistance de 10 ohms dans une branche de l’entrée symétrique.
Notons qu’il s’agit de la méthode standard différente de celle préconisée par l’IEC (sur les propositions de Bill Whitlock), qui préconise d’intercaler une résistance de 10 ohms dans l’une des branches de l’entrée symétrique (voir figure 7) pour déséquilibrer les impédances de source (certes plus réaliste) qui donne toujours des résultats moins flatteurs.
Les valeurs de taux de réjection de mode commun (CMRR) mesurées sont : 81,6 dB à 100 Hz, 81,7 dB à 1 kHz et 77,7 dB à 10 kHz.
Ces valeurs sont bonnes. Notons qu’un bon taux de réjection en mode commun dépend non seulement de la structure d’amplification utilisée, mais également (et souvent surtout) de tous les composants passifs inclus dans les circuits qui les entourent. Pour obtenir un très bon CMRR, il est impératif que les composants qui sont symétriques dans chaque branche soient d’une valeur aussi identique que possible (par exemple, les deux résistances de 1k1 dans la figure 1 doivent être appariées ou de très grande précision intrinsèque).
La diaphonie entre voies (repisse du signal d’un canal vers un autre canal) est issue de couplages parasites (via le circuit imprimé, les composants et les alimentations). La mesure effectuée entre les canaux 1 et 2 (contigus) en entrée micro (gain réglé au milieu -30 dB- et impédance d’entrée sur « HI »), avec un signal de sortie de +4 dBu, donne un chiffre de -92 dB aux trois fréquences de mesure : 100 Hz, 1 kHz et 10 kHz. C’est très bon et particulièrement à 10 kHz.
Distorsions : Les courbes donnent la distorsion harmonique seule (THD), excluant le bruit (THD+N), mesurée en entrée micro sur la position « HI », au gain maximum (figure 8) et au gain minimum (figure 9). L’impédance interne du générateur est de 150 ohms et la bande d’analyse est de 80 kHz. Les courbes indiquent qu’on est toujours au-dessous de 0,001 % en utilisation normale à toutes les fréquences, aussi bien en entrée ligne. Sur l’entrée DI, la distorsion relevée est de 0,03 % (au gain minimum). Au gain médian (30 dB), on relève : 0,014 % à 100 Hz, 0,012 % à 1 kHz et 0,016 % à 10 kHz.
Les figures 10, 11 et 12 donnent la distorsion harmonique totale (THD) en fonction de la fréquence sur l’entrée micro, pour les trois valeurs de gain (respectivement maximum, médian et minimum). La mesure est faite avec une bande de 80 kHz (filtre elliptique + échantillonnage à 192 kHz) et prend en compte les dix premiers harmoniques (leur somme quadratique) pour être représentative même aux fréquences hautes (malgré tout à 20 kHz, il ne reste que les H2, H3 et H4 mais ils sont largement prépondérants).
Figure 10 : Relevé de la distorsion harmonique en fonction de la fréquence en sortie analogique pour un signal à -40 dBu sur l’entrée micro, au gain maximal (60 dB). La THD monte à 0,01 % à 20 kHz, ce qui n’est pas très significatif auditivement, et reste au-dessous de 0,003 % dans la partie sensible du spectre audio (au-dessous de 5 kHz).
Figure 11 : Relevé de la distorsion harmonique en fonction de la fréquence en sortie analogique pour un signal à -20 dBu sur l’entrée micro, au gain médian (30 dB). La THD reste approximativement comprise entre 0,0005 et 0,001 % sur l’ensemble de la bande audio. C’est excellent.
Figure 12 : Relevé de la distorsion harmonique en fonction de la fréquence en sortie analogique pour un signal à +10 dBu sur l’entrée micro, au gain minimum (0 dB). La THD reste confinée au-dessous de 0,001% jusqu’à 2 kHz puis monte régulièrement jusqu’à 0,007% à 20 kHz.
La mesure effectuée au gain moyen (30 dB) semble plus favorable, c’est toujours le cas avec des étages d’amplification à grand gain, ce qui signifie que l’optimum de travail se situe avec des gains compris entre 20 et 40 dB.
La distorsion d’intermodulation (IMD), mesurée conformément au standard SMPTE sur l’entrée micro au gain médian (30 dB) avec un niveau de +4 dBu en sortie analogique est de 0,003%, très bonne valeur là encore.
Dynamique : Au gain maximal (60 dB), avec le niveau de sortie maximal, la dynamique de la chaîne analogique est de 95 dB non pondéré et 97,4 pondéré A. Au gain minimal, elle est de 120 dB non pondéré, avec le niveau maximal en entrée.
La conversion analogique-numérique
Le circuit imprimé dédié aux circuits de conversions A/D avec à gauche les amplis différentiels atténuateurs avec filtrage puis les convertisseurs (2 canaux par boitier), les alimentations des convertisseurs puis à droite la génération d’horloge, le processeur XMOS et sa mémoire flash de firmware.
Niveau maximal : Le niveau maximal admissible à l’entrée (connecteur DB-25 du bas) est celui qui donne le code numérique au-delà duquel le convertisseur ne peut plus aller (qu’on appelle 0 dBFS), c’est-à-dire juste avant écrêtage numérique. Il est de +18 dBu. Le voyant rouge de surcharge s’allume timidement à partir de -15 dBu (soit -3 dBFS).
Figure 13 : Réponse en fréquence du convertisseur analogique/numérique à 96 kHz. On remarque la parfaite régularité de la réponse dans la bande audio, jusqu’à 40 kHz, puis la chute très brutale au-delà, due au filtrage anti-repliement.
Réponse en fréquence : La réponse en fréquence du convertisseur à fs = 96 kHz est donnée par la figure 13. Elle est parfaitement plate dans la gamme audio, et on sait qu’elle est volontairement limitée, et ce, de manière très raide, à fs/2 (en l’occurrence 48 kHz) par les impératifs de l’échantillonnage (éviter les retournements de spectre qui retombent dans la bande audio).
Le résultat est bon et significatif des performances accessibles en filtrage numérique, puisque la réponse est parfaitement plate jusque 20 kHz, sans ondulation décelable, et que les premières atténuations de l’ordre de 0,3 dB se manifestent vers 40 kHz, avec une pente extrêmement raide entre 40 et 48 kHz.
Par ailleurs, la forme symétrique de la réponse impulsionnelle (voir figures 15 et 16) montre que le filtre est à phase linéaire.
Figure 14 : FFT du signal en sortie numérique AES (1 kHz, + 16 dBu soit -2 dBFS). On constate que l’harmonique 3 « culmine » à environ 98 dB au-dessous du fondamental, tous les autres harmoniques étant largement au-dessous. Les harmoniques pairs (2 et 4) sont environ 12 dB au-dessous des harmoniques impairs.
Figure 15 : Distorsion harmonique en fonction de la fréquence pour le convertisseur à fs+96 KHz. La courbe rouge correspond à + 16 dBu en entrée (-2 dBFS), la bleue à + 6 dBu (- 12 dBFS) et la verte à 0 dBu (-18 dBFS). Le niveau de travail optimum se situe à – 12 dBFS.
Dynamique : Si on prend comme référence le niveau maximal précédemment évoqué (0 dBFS), on observe une dynamique de 112,5 dB non pondéré et 115,5 dB pondéré A. Cela correspond à un nombre de bits équivalents (ENOB) de 18,3.
Distorsions : La FFT du signal de sortie AES est donnée par la figure 14. Le signal d’entrée est à 1 kHz et au niveau de +16 dBu (-2 dBFS). On remarque la prépondérance des harmoniques impairs, l’harmonique 3 étant environ 98 dB au-dessous du fondamental.
Pour les courbes de THD à trois niveaux de la figure 15, on notera que la troncature de la bande d’analyse à moins de Fs/2 (soit environ 47 kHz à la fréquence d’échantillonnage de 96 kHz) empêche toute mesure valide de distorsion harmonique au-delà de 15 kHz : seul l’harmonique 2 est situé dans la bande, et on ne prend plus en compte les harmoniques 3 et supérieurs. Mais on constate, ce qui semble normal, que le niveau de travail optimal se situe aux alentours de + 6 dBu en entrée (ce qui laisse une marge dynamique de 12 dB), et, dans la réalité, on est souvent au-dessous.
Si on regarde la FFT en numérique, on s’aperçoit que la plage dynamique est limitée par la distorsion harmonique (THD) et non par le plancher de bruit, et que dans cette dernière les harmoniques impairs sont prépondérants, alors que pour l’analogique, c’est l’inverse. L’intermodulation (IMD), mesurée selon le standard SMPTE au niveau de +10 dBu en entrée (-8 dBFS) à la fréquence d’échantillonnage de 96 kHz est de 0,005%.
Réponse impulsionnelle, latence : La réponse impulsionnelle du convertisseur à la fréquence d’échantillonnage de 96 kHz (niveau -20 dBu, sortie AES) est donnée par la figure 16. On remarque l’aspect symétrique de cette réponse, qui témoigne d’une bonne maîtrise des distorsions de temps de groupe (filtre à phase linéaire). La mesure de la latence (temps de conversion) est de 250 µs, ce qui correspond à un retard de 24 échantillons.
En comparaison, la figure 17 affiche la réponse impulsionnelle à 96 kHz et à 48 kHz, mesurées dans les mêmes conditions. Les deux réponses sont parfaitement semblables (avec des rebonds un peu moins rapides sur la réponse à 48 kHz), et, fort logiquement, la latence à 48 kHz atteint une valeur double : 500 µs. Ces temps de conversion qui peuvent paraître longs sont essentiellement dus au filtre numérique inclus dans le circuit de conversion.
Figure 16 : Réponse impulsionnelle de l’ensemble de la chaîne (gain médian) en sortie AES (niveau d’entrée -20 dBu), échantillonnage à 96 kHz. La forme sensiblement symétrique de la réponse avec un « pré-écho » est caractéristique d’un filtrage à phase linéaire. Le temps de conversion (latence) est de 250 µs.
Figure 17 : Comparaison de la réponse impulsionnelle en sortie AES à partir de l’entrée analogique (niveau d’entrée +10 dBu) avec un échantillonnage à 48 kHz (en bleu) et à 96kHz (en rouge). La forme des réponses est similaire, à cette différence près que les ondulations sont plus « larges » à 48 kHz et que la latence passe de 250 µs à 500 µs, soit un nombre fixe de 24 échantillons ou périodes d’horloge d’échantillonnage.
Par ailleurs, même si ces chiffres paraissent supportables en comparaison de la latence tolérable pour des applications live, il ne faut pas oublier qu’en pratique, elle se cumule avec toutes les autres latences dans la chaîne, principalement situées au niveau de la console (filtres, effets, etc.) et au niveau de la diffusion (processeur, filtres de répartition). Elle met en évidence l ’intérêt de travailler à 96 kHz, même lorsque ce n’est pas la fidélité de la restitution qui est en cause : c’est un moyen simple de diviser la latence par 2 !
Conclusion
Ce préamplificateur d’excellente facture ne nous a pas déçus, tant les spécifications audio sont de bon niveau et vérifiées avec une marge parfois très confortable par nos mesures, ce qui révèle un choix sérieux des composants et de la structure. Sa fabrication, d’une qualité très professionnelle en accord avec les règles de l’art, devrait lui garantir une excellente fiabilité.
Avec un grand choix d’entrées (micro symétrique à impédance d’entrée réglable, ligne symétrique, à très grande dynamique, et DI asymétrique), des sorties analogiques symétriques, plus le convertisseur intégré capable de fonctionner en mode maître (horloge interne de 44,1 à 96 kHz) comme en mode esclave (synchronisé sur horloge externe), et des sorties AES et ADAT, il pourra s’intégrer sans problème dans la plupart des applications d’enregistrement (sur enregistreur numérique dédié ou sur station de travail audio) ou en appoint à des consoles de mixage. On appréciera la possibilité d’insérer des effets et autres périphériques analogiques externes.
L’ASP880 est bien conçu et ses performances audio de très bon niveau, pour un appareil de ce prix (1229 € TTC, prix public conseillé par l’importateur Audio-Technica France). Le seul petit reproche à faire concerne la visualisation des niveaux analogiques, le constructeur n’utilisant que les signaux « d’overflow » des convertisseurs A/D. Mais c’est difficile à loger dans 1 U pour 8 canaux.
Spécifications du constructeur
Préamplificateur micro/ligne
- Entrée micro et ligne symétriques sur connecteur combiné XLR (micro)/jack (ligne), sortie sur connecteur « send » DB-25 à l’arrière.
- Gain micro (XLR) -10 à +60 (avec le pad de 10 dB)
- Gain ligne (jack) -16 à + 44 dB (avec le pad de 10 dB)
- Pas de commutation micro/ligne (connecteur combiné)
- Alimentation fantôme : 48 V ±4 V / 10 mA par canal
- Bruit équivalent à l’entrée micro : <-127,5 dBu Réjection du mode commun >80 dB de 100 Hz à 10 kHz
- Niveau maximum admissible : +22 dBu (+32 dBu avec le pad)
- Impédance d’entrée commutable : 220 ohms, 1,2 kohm, 1,8 kohm (micro)
- >6 kohms (ligne, toutes positions)
- Réponse en fréquence : 10 Hz à 100 kHz ±0,5 dB
- Diaphonie : >85 dB à 1 kHz et 10 kHz
- Distorsion + bruit (0 dBu, 1 kHz) : 0,003 % (-90,5 dBu)
- Rapport signal/bruit : >90 dB
- Filtre coupe-bas : 2eme ordre (12 dB/octave), réglable de manière continue de 25 Hz à 250 Hz.
Entrée DI (canaux 1 et 2 seulement)
- Jack ¼ pouce (6,35 mm)
- Gain : -10 à +60 dB (avec pad de 10 dB)
- Niveau d’entrée maximal : +16 dBu typique, +22 dBu
- Impédance d’entrée : 1 Mohm asymétrique
- Réponse en fréquence : 10 Hz à 50 kHz ±0,5 dB
- Distorsion + bruit (0 dBu, 1 kHz) : <0,03 % (-70 dBu)
- Rapport signal/bruit : 89 dB
Sortie ligne (connecteur DB-25 « insert send »)
- Niveau maximum : +27,5 dBu
- Impédance de sortie : 10 kohms, symétrique
- Réponse en fréquence : 10 Hz à FS/2 ±0,5 dB
- Diaphonie : Distorsion + bruit à -1 dBFS (1 kHz) : <0.002% (-94dB)
- Distorsion + bruit à -6 dBFS (1 kHz) : <0.002% (-94dB)
- Dynamique : 113 dB (non pondéré), 115 dB (pondéré A)
- Seuil d’allumage du voyant « peak » : +16 dBu (-2 dBFS)
- Voyant « signal » : luminosité variable de -30 dBu à -10 dBu (-28 dBFS)
Sorties numériques
- ADAT SMUX 8 canaux, AES et S/P-DIF 8 canaux : 44,1 à 96 kHz
- Horloge interne (maître) ou externe (esclave)
- Entrée horloge : BNC 75 ohms, terminaison commutable
Alimentation
- Alimentation à découpage interne universelle, à faible bruit et haute stabilité, sans ventilateur.
- Tension secteur : 80 à 264 V AC
- Tensions internes : ±18 V, +48 V, +5 V
- Fusible temporisé 1 A (T1A)
- Consommation maximale : 40 W.
Poids : 4 kg
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