Gaëtan Byk acquiert Amadeus et nous en parle, au futur

Atelier de création de prêt à sonner, ovni dans un milieu de gros, voire de très gros faiseurs d’enceintes français mais pas que, Amadeus, créé en 1992 par Bernard Byk et Michel Deluc a su trouver sa place dans l’hexagone comme dans le reste du monde.
La marque se glisse partout où le besoin d’un produit professionnel, parfois sur-mesure, acoustiquement irréprochable et disposant d’une esthétique très soignée, ne peut être satisfait.

Prenant un malin plaisir à ne rien s’interdir, Amadeus sait aussi bien équiper une scène avec un très bon système line-array petit format et déployer le système de retours qui va avec, que développer des enceintes habillées de pierre naturelle pour une création artistique immersive de haut vol.

La marque dispose aussi d’un impressionnant catalogue d’enceintes passives et amplifiées apte à couvrir l’ensemble des marchés de l’intégration, allant de l’invisible au très puissant en club, et offre quelques bijoux qui font le bonheur des studios d’enregistrement et des mélomanes avertis.
Enfin Amadeus a su travailler avec l’IRCAM pour concevoir HOLOPHONIX, un puissant processeur de spatialisation, sans cesse complété par de nouvelles fonctionnalités et apportant sur un plateau toute forme d’immersion sonore, décorrélée qui plus est, d’une marque d’enceintes.


Enceintes PMX 4 et PMX 5 conçues pour Microsoft par STUDIOS Architecture et réalisées par Amadeus en chêne naturel avec fil de bois incliné à 60°.

A la lumière d’une évolution dans l’organigramme et le capital d’Amadeus, nous avons longuement interrogé Gaëtan Byk qui en assure toujours le markéting, mais désormais aussi la présidence. Il a accepté de répondre sans langue de bois à des questions parfois assez rudes ; une prouesse tant ce noble matériau inscrit dans l’ADN de la société est travaillé, presque sculpté au quotidien dans ses ateliers. 17 questions pour tout savoir sur le présent et surtout le futur d’Amadeus.


Gaëtan Byk

SLU : Que représente en CA et en personnel Amadeus aujourd’hui ? France Vs export

Gaëtan Byk : La société réalisait en 2019 un chiffre d’affaires de 2 699 000 € HT dont 700 000 € à l’export. Nous comptons parmi nos effectifs 19 salariés en CDI et quelques freelances ‘exclusifs’.
Pour comparaison, le chiffre d’affaires en 2012 était de 1 500 000 € HT, pour un effectif de 18 salariés, de 1 800 000 € HT en 2015, pour un effectif toujours identique…

SLU : Que dit le business plan à 5 ans pour ces mêmes valeurs ?

Gaëtan Byk : Nous avons enregistré un taux de croissance annuel moyen de 9.4% sur la période 2015-2019. Nous avons par ailleurs plus que triplé notre rentabilité opérationnelle sur la même période. Le business plan ‘réaliste’ à 5 ans est donc le naturel prolongement des exercices passés. Je me garderai bien néanmoins de communiquer tout objectif que ce soit, compte tenu des circonstances actuelles.


L’Assemblage manuel des enceintes Philharmonia, conçues au moyen de 547 strates de bois collées puis assemblées par indexation.

SLU : Quelle évolution industrielle va prendre Amadeus. Prêt à porter ? Haute couture ? Grandes séries ?

Gaëtan Byk : Ma mission depuis des années a été de trouver un espace pour Amadeus, un endroit à part ou artisanat d’art et innovations technologiques se conjuguent et se complètent.

Notre marché est saturé par une offre abondante de produits et de solutions qui souvent se ressemblent, dont certaines peuvent néanmoins être de grande qualité chez certains confrères. Je pense que nous devons évoluer là ou nos principaux confrères ne peuvent pas, ne savent pas ou ne veulent pas aller.


Les moniteurs Philharmonia créés pour la Philharmonie de Paris avec Jean Nouvel.

La conception de solutions sur mesure, répondant à des contraintes architecturales, acoustiques ou techniques données, est notre espace d’expression depuis déjà longtemps. Sont ainsi nés des produits assez hors normes au fil des dernières années.

Une des enceintes de la série C recouverte de poudre de pierre naturelle, installée au Panthéon, dans le cadre de l’œuvre imaginée par Pascal Dusapin et Anselm Kiefer pour la Panthéonisation de Maurice Genevoix.

Je pense à Philharmonia, monitor de référence imaginé avec Jean Nouvel pour la Philharmonie de Paris, aux soixante-dix enceintes revêtues de pierre fabriquées pour le Panthéon, à la rampe sonore de près de 40 mètres que nous sommes en train de concevoir pour le Festival d’Avignon, aux premiers dispositifs immersifs que nous avons imaginés avec et pour le Théâtre National de Chaillot, La Scala, La Comédie Française, etc.

De nombreux projets de développements autour du son spatial, auquel nous croyons depuis fort longtemps et qui anime enfin les passions, sont également en cours. Le succès du projet HOLOPHONIX, processeur de spatialisation qui équipe déjà quelques-unes des plus prestigieuses institutions musicales, théâtrales ou muséales internationales, nous conforte dans la direction que nous avons prise. Prolonger ces travaux vers des projets de recherche dans les domaines de l’acoustique active sont à l’étude ; entre autres.

SLU : Comment va évoluer la gamme de produits actuelle ?

Gaëtan Byk : Nos gammes de produits ‘standard’ sont toujours nées de demandes spécifiques ou de développements spéciaux, pour le compte de lieux ou de projets particuliers. La nouvelle Série C à directivité contrôlée est par exemple née de développements initiés au Théâtre National de Chaillot.
Nos nouveaux caissons de grave à profondeur ultra réduite sont nés de contraintes rencontrées au Théâtre de la Ville Les Abbesses.

Le line-array Diva M² et les Diva M² Sub de la Gaité Lyrique à Paris.

Les rampes sonores que nous développons sont nées de la constatation que, depuis la Renaissance, les spectateurs placés au plus proche de la scène comptent paradoxalement parmi les moins privilégiés. Les feux de la rampe et leurs lampions à huile, qui produisaient en leur temps un dense ‘brouillard’ interposé entre la vue des spectateurs et la scène, a laissé place, quelques siècles plus tard, à une sorte d’obscurité sonore pour ce même public.

Rampe sonore sur-mesure, composée de 24 haut-parleurs coaxiaux de 5 pouces, imaginée par Amadeus pour le Centre Dramatique National de Normandie.

Une seconde contrainte persiste par ailleurs, à savoir le refus des utilisateurs et des metteurs en scène de voir une ribambelle de haut-parleurs posés, sinon jetés sur un plateau, avec toutes les contraintes esthétiques que cela implique.

Je ne compte plus les demandes de développements spécifiques que nous avons en cours et qui assurent, à eux seuls, le développement du catalogue pour les années à venir.


SLU : Généraliste, spécialiste, producteur d’enceintes, de solutions, acousticien, luthier… Amadeus va se frotter à quel marché et avec quels produits et services ?

Gaëtan Byk : Notre approche est assez transversale et nos savoir-faire très complémentaires. Nous intervenons principalement dans le domaine électro-acoustique, à savoir de production de haut-parleurs pour le monde du spectacle vivant via différentes gammes, et au travers de Philharmonia, on est présent dans celui de la hi-fi haut de gamme.
Nous intervenons par ailleurs sur des problématiques acoustiques pures, dans le monde du studio principalement, pour de nombreux artistes, producteurs, arrangeurs, ou studios commerciaux. Ces départements sont dirigés par Michel Deluc.

Le studio Question De Son à Paris, deux régies équipées avec le fleuron tri-amplifié actif d’Amadeus, la 355, embarquant deux 15” TAD TL-1601B, le médium 3” ATC 150S et un tweeter Dynaudio Esotar T 330D.

Enfin, le développement de la marque HOLOPHONIX, autour du son spatial et immersif, nous a emmenés vers de nouveaux domaines, ou marchés et ainsi confrontés à de nouvelles problématiques. Nous travaillons actuellement en collaboration avec l’École Polytechnique Fédérale de Zurich sur une problématique de simulation acoustique permettant de simuler des acoustiques urbaines, et leur pollution sonore associée.
Nous travaillons pour une startup française sur une station médicale permettant, par le son, le traitement de maladies neuro-dégénératives, etc. De plus en plus de projets innovants de ce type abondent depuis la genèse du projet HOLOPHONIX, au-delà des projets purement culturels.

SLU : Que restera-t-il de l’artisanat et des copeaux ? Est-ce encore viable ?

Gaëtan Byk : Comme évoqué, il y aura toujours une place à mon sens pour des produits innovants, différents, pour des solutions pensées, développées, fabriquées sur-mesure, pour des produits de ‘haute voltige’ telle que Philharmonia, véritable OVNI dans le paysage électroacoustique contemporain, et seule enceinte au monde ayant été co-développée pour un lieu de prestige tel que la Philharmonie de Paris. La clé est de ne jamais cesser de penser, de chercher, d’innover…

SLU : Le montage financier ayant permis de te donner la majorité, te laisse-t-il des ressources pour entreprendre et travailler de nouvelles gammes ?

Gaëtan Byk : Ma capacité de financement personnelle est nécessairement amoindrie par ce rachat de titres. La capacité de financement de la société est en revanche importante, tout comme nos fonds propres. Le financement de projets futurs devrait se profiler sans encombre.
Je réfléchis par ailleurs à filialiser notre projet HOLOPHONIX dans une structure dédiée éponyme, afin d’accélérer sa croissance et son développement, avec des partenaires, sans pour autant ouvrir le capital de la société mère, Amadeus.

Processeur de spatialisation HOLOPHONIX conçu par Amadeus, en coordination avec l’IRCAM.

SLU : Quels sont les gammes ou les produits à venir, les tendances, les demandes de vos clients…

Gaëtan Byk : Il y a plusieurs projets en parallèle, dont certains encore confidentiels. Nous développons plusieurs rampes sonores de très grand formats, soit entre 12 et 40 mètres de longueur, pour différents lieux culturels, dont une rampe sonore longue portée pour la Cour d’Honneur du Festival d’Avignon. Chaque développement est spécifique, mais nourrit les développements futurs. De plus en plus de lieux culturels font appel à nous pour développer de tels systèmes de front-fills très grands format et totalement intégrés aux infrastructures scéniques.

Michel Deluc, en pleine calibration des monitors Philharmonia, à la Philharmonie de Paris.

Nous développons également une enceinte longiligne, reprenant la forme, la structure interne, la charge acoustique de notre monitor Philharmonia, mais cette fois-ci pour le monde du live.
Elle sera destinée à de la diffusion sonore de moyenne-longue portée, dans un format très allongé, très curve… Je vous laisse imaginer ! 🙂

Nous travaillons aussi sur une série de compléments pour la partie haute du grave de notre nouvelle Série C, basés sur un couple de transducteurs actifs et d’un radiateur passif. Ce procédé, hérité de nos travaux en hi-fi, favorise une réponse impulsionnelle parfaite, une absence totale de turbulences puisque les évents sont de fait supprimés, et de compression d’évent.
Nous déclinons enfin notre Série C en retours de scène à directivité variable dans une forme très low profile. Deux modèles verront ainsi le jour avant cet été, dénommés C12R et C15R.

SLU : Ta montée au capital était nécessaire pour avoir les coudées franches ou pour éviter de perdre la boîte ? Pour préparer une succession ou pour relancer Amadeus

Gaëtan Byk : Il y a principalement deux raisons, une très rationnelle et économique, une plus philosophique et personnelle. Il me fallait tout d’abord un véritable contrôle capitalistique afin de lancer notamment des investissements structurants, des projets de développement ou des recrutements. Les anciens actionnaires ne souhaitaient pas nécessairement lancer ces chantiers coûteux, qui plus est dans une période aussi peu porteuse que durant une pandémie.
Je suis néanmoins parvenu, au cours des 6/7 dernières années, à faire naître nombre de produits, sans jamais mettre en péril la structure, ou investir des sommes irraisonnées. Ce travail d’équilibriste permanent était devenu trop complexe à mener.

Encore du sur mesure avec des enceintes réalisées en acier COR-TEN par Amadeus pour la maison de Champagne Krug.

Il y a enfin des moments dans une vie ou des choix s’imposent d’eux-mêmes, ou tu sais que cette direction est celle que tu souhaites prendre, coûte que coûte. Je connais cette marque, une grande partie de son équipe, ses clients, ses utilisateurs ou prescripteurs et ce depuis mon enfance. Je me suis construit avec eux, en grande partie grâce à eux. Prolonger mon investissement, mon implication, pour cette marque et pour son écosystème était une évidence.

SLU : Comment s’est passée cette phase sanitaire difficile dont on peut commencer à parler au passé ? Les commandes pour 2022 et 2023 tiennent-elles toutes leurs promesses?

Gaëtan Byk : Pas trop mal. Nous avons néanmoins connu une baisse d’activité de près de 30% en 2020 comparativement à 2019 notre meilleure année pour la marque depuis son origine. Les projets redémarrent, plus rapidement en Asie où nous intervenons de plus en plus. Nous travaillons principalement sur des projets de très long terme, à savoir entre un et cinq ans depuis les phases de recherche, conception et prescription, jusqu’à leur réalisation. On oeuvre actuellement sur des projets de construction ou de rénovation de salles qui verront le jour dans plusieurs années.

La Scala, premier théâtre privé parisien équipé du processeur HOLOPHONIX et de quelques 188 enceintes Amadeus ; chacune ayant reçu une finition bleue sur-mesure, pour une intégration parfaite à l’environnement.

SLU : Quel va être l’organigramme et qui va prendre en charge le marketing et les ventes ?

Gaëtan Byk : Je suis officiellement Président de la S.A.S Amadeus depuis le 16/03/2021. Je vais conserver encore quelques mois mes fonctions de Directeur du Marketing et des Ventes, en espérant trouver rapidement un profil partageant notre philosophie, à même de reprendre les rênes de ce poste, extrêmement stratégique.

SLU : Votre bureau d’études repose sur les épaules d’un homme. Est-ce tenable ?

Gaëtan Byk : Michel Deluc dirige la R&D du département électro-acoustique depuis ses origines, étant par ailleurs co-fondateur de la marque Amadeus, mais il est notamment entouré de trois ingénieurs depuis plusieurs années. Compléter notre équipe avec un nouveau profil purement électro-acousticien est actuellement à l’étude.
La R&D liée au projet HOLOPHONIX est par ailleurs totalement distincte du département électro-acoustique. Elle est co-dirigée par Olivier Warusfel et Thibaut Carpentier à l’IRCAM et par Johan Lescure chez Amadeus.

SLU : Le modèle économique actuel va-t-il être changé en vue de s’adosser dans le futur à des bailleurs de fond afin d’accélérer le développement d’Amadeus ?

Gaëtan Byk : Mon objectif est de rester, autant que faire se pourra, actionnaire majoritaire de la structure Amadeus, afin de préserver notre ADN et ne surtout pas rentrer dans une logique de croissance effrénée. Mon souhait est de faire mieux, pas de faire plus. La réflexion est en revanche ouverte concernant HOLOPHONIX. Filialiser cette activité et nous adosser à des partenaires financiers et/ou technologiques est actuellement à l’étude.

Bernard Byk

SLU : Quid de la direction actuelle à part qu’elle a gagné des sous et toi des dettes ? Que devient ton père ?

Gaëtan Byk : Bernard a aujourd’hui 73 ans et a grandement mérité, je pense, un peu de repos. Il a commencé à prendre progressivement de la distance avec la marque, dès mon arrivée, il y a un peu plus de 7 ans, pour me laisser les rênes il y a déjà quelques années. Restait à formaliser, non pas le transfert de fonction, ou de responsabilité, mais de capital.

Nous avons donc lancé ensemble un process de valorisation de la société, qui a duré près d’un an et qui a été dirigé par le cabinet parisien BM&A ; acteur référent sur le marché de l’audit et du conseil. Nous sommes ainsi parvenus à ce deal au premier trimestre 2021. Architecte de formation, Bernard retourne à ses premières amours avec un projet ambitieux de réhabilitation de monument historique, donc assez loin de la planète son.

SLU : Vas-tu enterrer le côté familial pesant au bénéfice d’un métissage de compétences et d’origines ?

Gaëtan Byk : Il règne un climat très familial au sein de la société, peut-être en raison du fait que de nombreux profils sont présents depuis très longtemps, ou que notre structure est à taille humaine. Nous comptons moins de 25 salariés, alternants, ou doctorants au total. Il en va de même pour les nouveaux arrivés, qui se fondent parfaitement dans ce climat. Je pense que cette ambiance fait partie de notre ADN et je dois certainement, inconsciemment, concourir à son maintien. Nous sommes à mon sens davantage une famille, qu’une équipe.

Silverio, ébéniste sénior en cours de ponçage de caissons de grave Amadeus.

SLU : Qui est le pire ennemi commercial d’Amadeus ?

Gaëtan Byk : Je n’ai aucun ennemi, seulement des confrères dont certains plus compétents, ingénieux et donc potentiellement plus dangereux que d’autres ;0)

SLU : Quel est le projet phare/référence de 2021 ?

Gaëtan Byk : Ils sont nombreux. Je n’aime pas vraiment catégoriser ou classer les projets, car ils sont pour la plupart extrêmement enrichissants sur les plans humain, technique, ou technologique. Je suis en revanche très honoré et heureux que notre marque et notre groupement aient été sélectionnés dans le cadre du concours pour le renouvellement intégral des infrastructures scéniques de la Cour d’Honneur du Festival d’Avignon ; probablement la plus importante manifestation internationale du spectacle vivant contemporain.
Être présent à Avignon, avec un dispositif extrêmement innovant construit autour du processeur HOLOPHONIX est une forme de consécration, en tout cas une reconnaissance majeure de notre travail et des idées que nous défendons !

D’autres informations sur le site Amadeus

 

Crédits -

Texte : Ludovic Monchat - Photos : Amadeus, SLU

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