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Du Metal à l’international pour Frogs on Tour

Texte : Ch. Masson - Photos : Frogs en Tour, Ch. Masson, A. Paredes

Si les ingénieurs du son anglo-saxons bénéficient toujours d’une bonne réputation pour la qualité de leur travail, aidés par la taille de projets internationaux souvent bien plus gros, visibles et valorisants que les nôtres, qu’en est-il de celle des ingénieurs français ? Notre célèbre exception culturelle est-elle un frein ou au contraire un catalyseur de créativité et d’avant-gardisme qui les ferait remarquer et même briller en dehors de nos frontières ?
Nous pourrions modestement penser que leurs activités se cantonnent au national. Eh bien non ! Nos techniciens s’exportent et dans des domaines musicaux qui vous paraîtront, comme nous, sûrement étonnants. Nous vous présentons Frogs on Tour, un collectif d’ingés son spécialisé dans le live Metal à l’international.

De gauche à droite : Timothy Bickford et Camille Béchet.

Nous retrouvons Timothy Bickford et Camille Béchet, deux ingés membres du collectif, pour le concert d’Avatar en première partie d’Iron Maiden à Paris La Défense Arena.
Ils nous expliquent leur parcours, leur méthodes et leur originalité. C’est étonnant, instructif et très encourageant pour la nouvelle génération de mixeurs live.

SLU : Bonjour Timothy, le collectif Frogs on Tour intègre de nombreux techniciens ?

Timothy Bickford : Dans la section son, notre collectif regroupe cinq techniciens : Camille Béchet (ingé foh/retour), Chris Edrich (ingé foh), Jimmy Goncalves (ingé foh/retour/playback), Vincent Bezault (ingé système/retour/foh et directeur technique) et moi-même (ingé foh) ce soir pour Avatar.

SLU : Quel est le but du collectif ?

Timothy Bickford : Le collectif est un groupe de techniciens du spectacle. Il est né du besoin de répondre plus facilement aux demandes de techniciens pour les équipes de tournée. Au départ, nous étions simplement des binômes qui se remplaçaient lors des indispos de chacun. Puis, en structurant notre fonctionnement, nous avons mis en place une organisation basée à la fois sur les compétences techniques et la compatibilité humaine. Le collectif a d’abord réuni des techniciens son, avant de s’élargir à d’autres métiers : lumière, backline, etc. Aujourd’hui, nous pouvons être sollicités pour constituer des équipes techniques complètes selon les besoins des projets.
L’objectif est de ne pas laisser passer des opportunités de collaboration avec des artistes ou partenaires avec lesquels nous aimons travailler, même en cas d’indisponibilité individuelle. En nous regroupant, nous pouvons proposer une continuité et une prise en main collective des aspects techniques, tout en maintenant la cohésion et les habitudes de travail qui nous lient. Cette organisation nous permet aussi, selon les besoins, de partager certaines tournées. Par exemple, Camille et moi tournons ensemble pour Myles Kennedy (Camille aux retours et moi en façade), tandis que Camille et Vincent travaillent ensemble sur Leprous (Camille en façade et Vincent aux retours).

Camille Béchet : En général le boulot appelle le boulot et quand tu commences à beaucoup tourner tu es parfois obligé, à contre cœur, de refuser des projets très intéressants. En France, nous étions quelques ingénieurs à faire du rock à l’international. Nous nous croisions souvent sur les tournées et on s’est dit que, plutôt que d’être en compétition, ce serait une bonne idée de s’allier les uns les autres. En fait, nous avons mutualisé notre carnet d’adresses.

Vincent, Jimmy, Tim et Camille au Hellfest 2025.

SLU : Votre univers, c’est le Metal ?

Timothy Bickford : Oui, absolument. C’est dans ce domaine que nous avons le plus de notoriété auprès des tourneurs et des managements de groupes pour des tournées internationales et des festivals. Mais pour ma part, j’ai toujours adoré travailler avec des groupes qui viennent d’univers complètement différents, pop, variété et rap.
Vincent a lui aussi beaucoup travaillé pour des artistes de variété. C’est toujours enrichissant de pratiquer dans d’autres styles de musique. Nous suivons les groupes sur les festivals, comme le Hellfest, bien sûr, mais aussi Rock am Ring et Rock im Park en Allemagne, le Graspop en Belgique, et pratiquement tous les festivals Metal…

SLU : Comment des ingénieurs français se font-ils remarquer à l’étranger ?

Timothy Bickford : Nous avions commencé à travailler dans le Metal avec des groupes français qui ont rayonné à l’étranger. Ceci a permis de nous faire connaître auprès des tournées internationales. Le collectif a débuté en 2018, et au fur et à mesure, les managements nous ont fait confiance. Ils nous contactent maintenant pour que nous montions des équipes complètes. Pour Avatar, que je mixe ce soir, cela fait trois ans que je les suis en résidence et sur tous leurs concerts à travers le monde.

Camille Béchet : Proposer des équipes d’ingénieurs qui savent travailler ensemble, avec des protocoles communs et en pleine connaissance de leurs points forts, rassure les productions. Les artistes apprécient aussi beaucoup cette démarche.

De gauche à droite : Timothy Bickford (à la face) et Niklas Dahlstrand (aux retours) pour Avatar.

SLU : C’est l’avantage d’une méthodologie propre ?

Camille Béchet : Oui, ceci permet, en cas de remplacement sur une tournée, une passation sécurisée entre ingénieurs. Pour chaque projet, un dossier technique rassemble tous les synoptiques. Les shows peuvent être snapshotés.
Le remplacement se gère par une préparation à distance ou en présentiel. Nous sommes tous compatibles, autant dans l’approche technique qu’humaine, pour que le suivi soit le plus transparent possible pour l’artiste.

Timothy Bickford : Cette passation est aussi un moyen de renforcer notre façon de travailler ensemble. Sur certains festivals, nous pouvons mixer jusqu’à six groupes. Souvent nous échangeons nos places. Chacun notre tour, nous pouvons générer des améliorations sur le show et échanger sur nos façons de travailler. C’est aussi ça la force d’un collectif d’ingés son.

Toute la batterie est prise en AUDIX.

SLU : Imposez-vous des choix techniques ?

Timothy Bickford : Nous avons des partenariats comme avec Audix pour les micros. C’est une véritable chance de pouvoir travailler avec les capteurs que nous avons toujours aimés et avec lesquels nous avons débuté. Et maintenant, nous pouvons en plus tester les nouveautés.
Parmi les incontournables, le D6 est très typé pour une utilisation sur le kick, très creusé, ce qui convient bien au Metal. Le SCX25A est idéal pour les overhead et la nouvelle série OMX parfaite pour les voix. Sur scène, nous n’utilisons que cette marque.

Camille Béchet : Fondamentalement, toutes les marques de micros sont performantes. Là où j’ai vraiment, vraiment ressenti une différence avec Audix, c’est au niveau de tout ce qui est overhead et spot mic sur les cymbales, et en particulier le micro Hi-Hat. Nous sommes d’accord que c’est toujours un peu compliqué. Avec le SCX1, un condensateur pinceau qui est dans la même couleur tonale que le SCX25A, le raccord entre proximité et général cymbale est incroyable.

SLU : Et au niveau des consoles, des préférences ?

Timothy Bickford : C’est intéressant de ne pas rester tout le temps sur la même console, pour se renouveler. Les consoles Allen & Heath proposent des formats d’exploitation et de mise à jour qui nous conviennent, avec la facilité d’être facilement transportables. En tournée, nous opérons aussi sur l’AVID S6L. Cela dépend vraiment des projets. Nous avons également beaucoup travaillé avec MIDAS. Nous les avons rencontrés sur une date à Manchester. L’Heritage-D, nous y pensons.

Camille Béchet : Allen & Heath propose avec la dLive CTi1500 une console qui est quand même extrêmement adaptée aux problématiques du Metal. On peut passer d’une surface full size comme la S7000 et garder le même show sans aucune différence sur une CTi1500, avec laquelle on va pouvoir prendre l’avion à moins de 23 kg, avec du MADI, du Dante et 128 entrées.

Un kit qui prend peu de place : Allen & Heath dLive S7000 et DM32, plus un compresseur SPL Iron pour le master.

SLU : Sur les groupes Metal, avez-vous besoin de beaucoup d’entrées ?

Timothy Bickford : Assez oui, Ici en première partie, j’ai 45 entrées et avec les intercom je monte quasiment à 64. Mais un show d’Avatar en tête d’affiche, c’est un deuxième kit de batterie qui arrive sur scène, avec, en plus des guitares, basse et voix, un trombone et un piano qui font des apparitions tout au long du spectacle. Cela peut faire rapidement beaucoup de sources à gérer.

Des retours spatialisés avec Klang.

SLU : Et au niveau des retours ?

Timothy Bickford : Sur le Metal moderne qui est très produit, il est très fréquent d’utiliser les in-ears afin de garder un plateau propre. Ici sur Avatar, tout est en ears et nous utilisons toujours du Klang pour spatialiser les retours en binaural. Cela fait trois ans que nous avons fait ce choix et les artistes sont vraiment ravis.
Avec la première version, Vokal, nous ne pouvions gérer que 24 canaux ce qui nous imposait un choix d’entrées, mais maintenant, avec la dernière version Vokal+ qui supporte 64 canaux, nous pouvons fournir dans les retours un mix immersif complet.

SLU : A propos de spatialisé, qu’en penses-tu pour la diffusion ?

Timothy Bickford : Quand on me parle de diffusion spatialisée, les premiers systèmes qui me viennent à l’esprit sont le L-ISA et le Soundscape. Je n’ai toujours pas travaillé avec. Il y a aussi quelques contraintes économiques. Et en festival, si ton mix n’est pas prêt pour ? Je suis curieux de voir comment tout cela va évoluer. C’est un outil créatif qui demande de la réflexion. Comment en tirer le meilleur tout en ayant un résultat de qualité stable d’une salle à une autre. C’est la problématique en tournée.

Un écran pour la HF, un autre pour Klang et un streamdeck pour commander tout ça.

SLU : Pour le matériel, vous favorisez la location ou vous avez vos propres systèmes ?

Timothy Bickford : Avec Avatar, on tourne entre des salles de 2 000 personnes qui ont leur système et des petites arènes où on va avoir besoin de faire de la location. Nous travaillons beaucoup avec Potar et RégieTek, qui connaissent bien la particularité de nos tournées Metal. Nous avons des kits dLive CTi1500 conditionnés pour l’avion pour les plus petites tournées et nous nous adressons aux loueurs quand nous avons besoin de rajout ou de plus gros kit. La plupart des groupes achètent une partie de la technique, retours et backline guitare, pour pouvoir répéter tranquillement hors tournée.

Les technologies évoluant si rapidement, il me semble préférable de louer afin de rester à jour sur les nouveaux outils disponibles. À l’international, nous travaillons essentiellement avec Clair Global depuis l’Allemagne pour l’Europe et depuis les Etats-Unis pour le continent américain. Même si c’est une société qui réalise des shows énormes, nous sommes parfaitement considérés et pris au sérieux. Nous aimons soutenir les prestataires de plus petit format, mais pour l’international ce serait trop compliqué de les identifier. L’approche globale de Clair nous garantit d’avoir notre set identique sur toutes nos dates.

SLU : Dans votre collectif vous achetez du matériel ?

Timothy Bickford : Oui, nous l’avons fait dès la mise en place du collectif et continuons à le faire en fonction des projets ainsi que leurs besoins sur du matériel spécifique. Je persiste à penser qu’il vaut mieux avoir une petite console que de faire des line check tous les jours sur des consoles d’accueil. Tu as une consistance du show, tu as un travail dans la continuité. Mais maintenant, vu l’importance des tournées que nous gérons, je préfère passer par un prestataire ou un loueur, qui garantit que nous pourrons travailler en toute sérénité. Même si nous pourrions rentabiliser rapidement sur un projet comme Avatar avec ses 200 concerts par an, la tranquillité n’a pas de prix.

SLU : Ce développement à l’international semble propre au Metal français ?

Camille Béchet : C’est également valable dans d’autres styles de musique. En réalité, la France rayonne musicalement à l’international et en dehors de la francophonie depuis longtemps. C’est juste que nous manquons de médiatisation. Il faudrait dézoomer de la scène nationale pour le voir. La scène française, avec un support de la francophonie imposé aux médias, centre l’industrie musicale sur l’activité nationale. Il aura fallu à Gojira 19 ans de carrière et un Grammy pour qu’ils apparaissent à la télé, quand cela faisait déjà dix ans qu’ils tournaient avec Metallica.

SLU : Comment sommes-nous perçus dans les festivals sur la scène internationale ?

Camille Béchet : Le Metal regroupe beaucoup de sous-genres. Mais de manière générale, la scène française est très respectée dans son ensemble sur le plan artistique.

SLU : Si les productions font appel à vous, c’est aussi que la technique est reconnue ?

Camille Béchet : Le niveau technique en France est élevé et très geek. Nous avons des différences importantes comme l’intermittence et les systèmes de formation qui créent une véritable culture de la technique. L’expérimentation dans nos métiers est fondamentale. On entraîne nos oreilles et nos outils comme un musicien travaille son instrument. Dans les contextes sociaux plus compliqués, c’est difficile de trouver ce temps nécessaire.

Les séquences, click et time-code bien sûr dans Ableton Live.

SLU : Avec une nouvelle génération d’ingés son ?

Camille Béchet : Avec la révolution de la MAO, nous voyons une nouvelle génération de techniciens arriver au live après avoir passé des années à faire du son dans leur chambre avec ces nouveaux outils. Comparé à notre génération, à cheval entre l’analogique et le numérique, ils n’ont pas de limites et n’hésitent pas à aller encore plus loin dans le process de mix parce que les nouveaux outils prennent tout en charge.

SLU : Vous travaillez avec beaucoup de séquences ?

Camille Béchet : Cela dépend des groupes, mais la séquence est bien présente dans le Metal. C’est une musique qui est très, très produite en studio, et le public veut retrouver sur scène les mêmes ambiances. Les séquences prennent en charge des passages électro, des renforts ou des effets de guitare. C’est un style très précis, très écrit, très timé. 99 % des groupes jouent au clic, pas seulement pour le batteur mais pour tous les musiciens.

Timothy Bickford : C’est une pratique courante de jouer au clic dans le Metal. Dès qu’un groupe commence à tourner, il se retrouve avec d’autres groupes sur la même scène. Là, tu n’as le temps de rien, et encore moins de faire une balance. L’arrivée de la Behringer X32 Rack a été magique pour tous ces groupes émergents. Tout le monde aux ears, les mix sont mémorisés. Cela permet aussi l’envoi de time-code pour les projets ayant un show lumière préparé dans ce sens. Pour cela, tu te mets au clic et tout fonctionne. Mais jouer au clic ne veut pas dire jouer sur un tempo fixe.

SLU : Qui se charge de ça, un opérateur playback ?

Camille Béchet : Oui, quand le projet le permet. Sur les petites formations, c’est un classique d’avoir soit le batteur ou le claviériste prendre en charge les séquences. On donne aussi une remote à l’ingé retour qui peut les contrôler si besoin. Les pédaliers peuvent aussi être contrôlés par MIDI pour des changements de patch ou même l’automation d’un paramètre, comme la fréquence du filtre d’une pédale Wah-Wah dans un solo. Nous programmons les séquences dans Ableton LIVE. J’aime aussi beaucoup Reaper qui est très stable, léger et extrêmement paramétrable. Je suis un grand fan des logiciels ouverts.

Les guitares, une affaire de backliner.

SLU : Les guitares c’est une affaire de backliner?

Camille Béchet : C’est un échange continu. Le travail des sources est toujours fondamental pour gérer les niveaux et les timbres pour que le mix fonctionne ; en pédalier, nous avons quelques références comme le Fractal, le Kemper et le Quad Cortex de Neural DSP qui est très typé Metal et est en train de devenir une référence.

SLU : Et bien entendu la batterie a toute son importance dans le Metal ?

Camille Béchet : C’est très spécial. L’accordage d’une batterie Metal est assez spécifique, très bas. On va chercher beaucoup de pression acoustique et très peu de notes. Beaucoup d’attaque pour des sons très courts. Plus ça sonne déjà “gaté” à la source, mieux c’est.

SLU : Certains processeurs sont-ils plus dédiés au Metal ?

Camille Béchet : Non pas vraiment. Nous faisons du son. Ce qui arrive de la scène est quand même déjà très coloré. Nous pourrions parler de spécificités de dynamique et de compression. Dans le Metal, on est déjà bien dans du carré !!


SLU : Vous utilisez des plugs ?

Camille Béchet : J’aime tout gérer dans la console ce qui m’évite d’utiliser un serveur de plugins externe. Sur la tournée de Myles Kennedy, notre préampli habituel, un LA-610 était tombé en panne, et nous ne pouvions le remplacer que par un Manley VoxBox qui était plus froid avec un aigu et un haut-médium beaucoup moins vintage. Malheureusement le chanteur ne s’y retrouvait pas. Impossible de mettre de la compression car il déteste, un de-Esser ne fonctionnait pas.
Quand j’ai inséré le Soothe Live qui tourne en natif sur l’AVID S6L, tout a été réglé. C’est une sorte de multibande intelligent qui va travailler comme un correcteur de résonance sur une bande du signal déterminée. Très utile pour cleaner dans le bas quand ça tourne. Je l’utilise aussi sur les voix et les cymbales comme DeEsser. Le résultat est beaucoup plus naturel.

SLU :: Avez-vous des systèmes de diffusion favoris pour le Metal ?

Camille Béchet : Si certains groupes comme Avatar jouent dans des grandes salles où ils imposent leur choix, pour la plupart des groupes, c’est le système en place dans les salles qui est exploité. Nous avons tous nos petites préférences. Me concernant, j’aime beaucoup les nouveaux systèmes d&b pour leur prédisposition dans le bas du spectre.
Nous avons besoin d’un contour prononcé, et nous devons creuser entre 2 et 5 kHz, pour contrôler l’agressivité de cette bande de fréquence très occupée par les guitares. Nous avons aussi besoin d’un impact dans les basses fréquences. Pas vraiment dans l’infra, on ne s’en sert que très peu. Ce que nous cherchons, c’est une sensation physique des graves, qui se situe entre 70 et 120 Hz.

Ici pour Iron Maiden, la diffusion est basée sur le système Cohesion de Clair. L’important pour le Metal est d’avoir un bel impact dans les basses fréquences.

SLU : Et question pression acoustique, on joue fort dans le Metal ?

Camille Béchet : Le fait que le Metal joue fort est un cliché. Je pense que c’est même un style qui ne joue pas très fort comparé à d’autres. Comme les normes acoustiques évoluent, les nouvelles générations sont habituées à entendre des concerts moins fort. Je mixe en général à 100 dBA. Un mix Metal, très compressé avec peu de nuances, a un niveau moyen déjà très important. Travailler à des pressions élevées deviendrait dangereux. Dans le collectif nous sommes tous d’accord sur cette approche et ravis quand les gens du public viennent nous voir en disant : “C’était super j’ai pu suivre le concert sans mettre les bouchons et ça sonnait quand même puissant”

Timothy Bickford : En Europe, nous sommes habitués à ses limitations sonores. En France 102 dB LEQ(A) sur 15 min, en Suède, 100 dBA sur 1 heure. Aux États-Unis, on est un peu perdu, on peut pousser sans rappel à l’ordre. Pour ma part, c’est une discipline personnelle. Selon moi, cela ne sert à rien d’aller plus fort dès que tu as la pression sonore suffisante pour faire ressentir la musique au public. Le but est de lui permettre une belle expérience.

Saturator dans la dLive.

SLU : La saturation est également très présente ?

Camille Béchet : Complètement, que ce soit sur les guitares et bien sûr la voix hurlée où elle est présente à la source. Ensuite effectivement, on ajoute beaucoup de saturations en studio, pas forcément en live. Sur la dLive, il y a un Saturator qui permet de faire plein de choses, très flexibles. Je l’utilise très souvent mais de manière plutôt discrète.
Le chant Metal se caractérise par sa grande dynamique et une puissance importante, avec des passages chuchotés et des passages extrêmement forts. Les nombreuses variations entre voix de coffre et voix de tête engendre aussi des modifications importantes de timbre. La saturation est ultra pratique pour homogénéiser tout ça sans surcompresser et sans surégaliser, sans détruire le signal et en créant de l’harmonique.

SLU : Pour les réverbérations ?

Camille Béchet : Dans sa V2, la dLive et la carte RackUltra FX proposent une émulation de Lexicon 480 qui fonctionne à merveille. Dès lors, je n’utilise plus de réverbe externe. Dans le Metal, c’est un élément important. Je peux avoir 6 réverbes différentes sur un mix face.


SLU : Et sur les bus ?

Camille Béchet : Je suis vraiment “in the box” donc je prends tout ce qu’il y a dans la console. Sur la dLlive, j’utilise l’émulation du compresseur SSL sur quasiment tous les bus et masters. Du traitement externe peut être ajouté sur le master suivant la taille des projets. Si j’ai l’option, un petit rack avec des 1176 pour les sources avec de l’impact comme le Kick ou la Snare est parfait. Dans le Metal, les transitoires sont très travaillés.

SLU : Et concernant les voix ?

Camille Béchet : Nous utilisons beaucoup le Distressor pour obtenir les voix très compressées propres au Metal, avec en plus la possibilité de pouvoir les saturer un petit peu pour apporter des harmoniques supplémentaires.

Les ears sans fil en Sennheiser G4, largement répandu auprès des groupes Metal.

SLU : Sans oublier la HF ?

Camille Béchet : En tournée, le grand classique est le PSM 1000 pour les ears. Coté guitare, essentiellement du Shure et du Sennheiser. Le G4 est un milieu de gamme que nous retrouvons aussi car beaucoup de groupes en sont déjà équipés. Mais c’est toujours de l’analogique. Je pense que le nouveau système Spectera de Sennheiser va être un game changer pour le Metal.
J’ai croisé cet été le groupe Behemoth au Graspop qui en était déjà équipé. Leur ingé retour est venu complètement excité pour nous le montrer. Le nombre de liaisons dans un seul U est impeccable pour nos tournées, ainsi que les problématiques de latence qui semblent réglées, les 4 antennes possibles en fibre et les liaisons bidirectionnelles qui permettront sans soucis d’ajouter un DPA a un musicien. Pour les guitaristes qui jouent sur plusieurs instruments, c’est moins utile. Perso, j’ai très, très hâte de partir avec.

Timothy Bickford : Cependant nous devons aussi nous adapter aux tournées que nous intégrons. L’année prochaine, nous ferons plusieurs shows sur la tournée Metallica et nous utiliserons du Shure afin d’être plus compatible avec leur environnement lorsqu’il s’agit d’établir les plans de fréquence.

SLU : Et vous faites beaucoup de captation ?

Camille Béchet : Nous enregistrons en multipiste, en stem, en gauche droite et en broadcast tous les jours, avec Reaper en Dante. Le multi pour le soundcheck, la sortie broadcast pour alimenter par exemple un live sur une fan page, le LR pour me permettre de réécouter le mix après show et retravailler dessus, et les stems si le groupe a besoin d’un mix plus tard.

La CTi1500, ici aux retours. Elle convient aussi très bien, par son faible encombrement, pour la face en première partie.

SLU : ici vous êtes en premier partie, cela vous limite un peu ?

Camille Béchet : Nous devons être rapide et ne pas prendre trop de place, sans oublier l’aspect psychologique. Je me souviendrai toujours de ma 1ère partie de Metallica. En arrivant, j’avais demandé à l’ingé système du groupe si j’avais des limitations. Il m’avait répondu : “Sois poli”.

Je me suis calé dans un coin avec ma CTi1500, j’ai mixé 5 dB plus bas à 95, et comme nous avions 30 mn de jeu, nous avons fait une setlist de 27 mn. A la fin du show, il m’a fait « Bah voilà, tu as été poli, c’est parfait. » Il vaut mieux que ça se passe bien sinon on ne te rappellera pas.

En première partie, ne pas prendre trop de place.

SLU : Quand on part à l’international, c’est différent ?

Camille Béchet : Dans le Metal à l’international et aux Etats Unis, le tourneur n’est que tourneur. Il va booker des dates et éventuellement aider à trouver un tourbus, c’est tout. Il ne se mêle pas de la technique, il ne s’occupe pas des équipes. C’est le management qui gère tout ça. En France, les tourneurs interviennent de manière importante dans la vie du groupe, sur l’aspect technique mais aussi personnel.

SLU : Et aux États-Unis, le contexte des salles est différent ?

Camille Béchet : En France, on a des SMAC. Si tu vas au Pays-Bas, en Allemagne, tu as aussi des salles subventionnées qui ont été pensées avec une véritable approche technique. La salle est construite pour faire du son, avec du traitement acoustique et un système de diffusion bien dimensionné, parfois même surdimensionné comme au 013 Poppodium de Tilburg, avec dix E15 et six E219 Adamson par côté pour 3 000 personnes, tu as un headroom incroyable. Idem pour le 106 à Rouen. Je me rappelle la dernière fois que je mixais là-bas, à 97 dB, tu avais l’impression de te prendre des coups de pieds dans le ventre.

Aux US, les clubs de petite et moyenne taille sont quasiment tous privés. Leurs systèmes de diffusion sont souvent sous-dimensionnés et le traitement acoustique est absent. Ce sont généralement d’anciens cinémas ou théâtres qui ont été adaptés. C’est très compliqué de faire du son dans ces salles, par manque de pression et d’impact dans le bas, au point que mes collègues et moi, nous avons tous un show américain et un show européen. On y trouve quand même certaines salles comme les House of Blues où le son est correct parce qu’elles imposent des standards et des protocoles professionnels.

Frogs on Tour aux US. Photos © Amber Parades


SLU : Le collectif Frogs on Tour intervient aussi en studio ?

Timothy Bickford : Notre collectif peut gérer les deux domaines. Pour ma part, j’ai commencé au Studio 180 ou j’étais assistant de Arnaud Bascunana, et j’ai mixé de nombreuses sessions live pour OUI FM entre autres. J’ai été alors en contact avec beaucoup de groupes qui partaient en tournée ou dans les festivals et qui cherchaient un ingé son. Chris Edrich, membre fondateur de notre collectif, est reconnu dans les deux mondes. Jimmy Goncalves vient lui aussi d’ouvrir son propre studio et produit plusieurs projets.
Je vois notre travail, que ce soit en studio ou en live, comme un travail de traduction. En studio, le job est de traduire les émotions musicales du groupe pour que ça soit le plus fidèle possible sur un CD. En live, le job est similaire mais dans une salle. En revanche, pour traduire les mêmes émotions, les deux approches ne seront pas forcément similaires.

En se positionnant comme une entité professionnelle unifiée et en apportant une maîtrise technologique et des méthodes de travail propres à la culture française, le collectif Frogs on Tour affirme son succès à l’international dans le milieu du Rock et du Metal.
Cette réussite réconfortera sûrement les pessimistes qui douteraient du rayonnement de nos équipes techniques et ne peut qu’encourager les ingénieurs du son français à se faire connaître sans crainte ni complexe autour du monde. Le son n’a pas de frontières et Frogs on Tour est un de ses meilleurs ambassadeurs pour confirmer son universalité.

En savoir plus sur Frogs on Tour :

– facebook.com/frogzontour
– instagram.com/frogsontour

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