Le son si je veux, où je veux, quand je veux

Cela a pris des années, mais il semble bien que le son revienne sur le devant de la scène, décidé à ne plus se laisser tailler des croupières par les lumières, la vidéo et la scénographie, les grands fournisseurs de rêve de nos plateaux. Il était temps.

En dehors du ligne source qui a révolutionné le son au milieu des années 90, pas grand-chose n’est venu apporter de l’eau au moulin de la maxime qui dit qu’un concert en panne de lumières peut avoir lieu, mais pas en panne de son.


On a ainsi vu apparaître, les plus anciens diront réapparaître, les têtes cardioïdes, mais aussi un guidage mécanique et électronique de la dispersion horizontale, un lisseur de celle verticale et surtout l’immersif par objets. Ce dernier procédé a ouvert une formidable brèche dans le gauche/droite en offrant à un plus grand nombre de spectateurs, une image large, cohérente avec la scénographie et surtout reléguant aux oubliettes les interférences de la pseudo stéréo qui forcent à surtraiter les sources pour en garder l’essentiel. Du coup aujourd’hui le son est devenu ample, précis, dynamique, fidèle et peut même, si le show s’y prête, emmener la salle en immersion totale.

Il y a de quoi se faire plaisir sans se faire mal

Et le SPL des boîtes dans tout ça ? Il grimpe imperturbablement aidé par la sensibilité tout comme la fiabilité en hausse des transducteurs, bien emmaillotés dans des presets évitant la casse, malgré d’incroyables pics de tension apportant une dynamique et un impact génial au son.

Les gros moteurs 4” font désormais de l’aigu et du bon. Les doubles moteurs annulaires rencontrent un grand succès et un nouveau dôme Kevlar très prometteur vient même d’être présenté. Ajoutons des guides qui arrivent à créer et mettre en phase des arrangements coaxiaux délivrant une fois encore plus de précision, de portée et une finesse étonnante au haut du spectre.

Les niveaux ont beau être potentiellement déments, les nouveaux systèmes sont devenus linéaires et on peut avoir un super son à 95 dBA. On a bien les 5 P, puissance, précision, poids, portée et prix, mais avec la fidélité en plus. Il y a de quoi se faire plaisir sans se faire mal. Il se dégage, du son d’aujourd’hui, une force nouvelle plus dure, plus pure mais aussi une justesse et une douceur que la course au SPL et à la portée d’antan avaient relégué dans un flight. Jamais l’expression une main de fer dans un gant de velours n’a mieux décrit la diffusion moderne et tradi à la fois.

Seulement voilà, on rêve encore et toujours de totalement domestiquer le son, de le rendre aussi malléable que la lumière. On s’extasie devant une découpe, on soupire en regardant les arabesques d’un spot asservi, on rêve face au parfait couplage entre des faisceaux de lumière. On a certes progressé dans l’uniformisation verticale, dans celle horizontale, dans la portée, mais on veut aller encore plus loin.


On veut aller encore plus loin

On a donc imaginé, pour faire une analogie avec certains avions, ce qu’on peut appeler les systèmes instables, à savoir incapables de fonctionner de manière additive sans autant de DSP et d’amplis que de transducteurs. Et il peut y avoir beaucoup de transducteurs. Des diffuseurs conçus avec la promesse de l’absolue agilité et démocratie sonore.

Le son si je veux, quand je veux et où je veux devient la raison d’être de certaines maisons, la philosophie même de leurs produits et pas une simple option. Est-ce que ça marche ; oui, les résultats sont stupéfiants et les interfaces utilisateur sont impressionnantes. Est-ce que ça sonne ? La réponse est plus complexe et demande d’élargir la réflexion.

On sait tous, ne serait-ce que pour l’avoir essayé, que plus on appelle à la rescousse des armées de DSP, plus le son perd ses transitoires, sa dynamique, et in fine sa netteté. On se demande si le remède vaut plus que le mal qu’il combat. J’ai le souvenir d’un bon line array capable d’éviter une zone, en mesure de « mapper » du son avec une bonne efficacité, mais au rendu trop travaillé, trop artificiel, surtout pour une oreille française, attentive et parfois très critique.

Un son qui meut et émeut les spectateurs

Prenons le cas d’une salle de jauge moyenne avec balcon, quelques zones d’ombre et des parties réfléchissantes. Peut-on y garantir un bon contour, de l’impact dans le grave et une excellente distribution et définition du haut du spectre partout ? La réponse est oui pour un classique gauche / droite et encore plus pour un déploiement frontal par objets avec un point infra central et quelques rappels pour les deux solutions.

Il en va de même avec un système processé moderne capable d’offrir la dispersion horizontale comme verticale sur mesure, un guidage allant jusqu’au grave et suffisamment de ressources pour, attaqué par une matrice par objets, délivrer un positionnement sonore égal à celui visuel.
En admettant que le coût des deux systèmes soit comparable, la différence va se situer sur la flexibilité et la simplicité de la mise en œuvre, et la nature du rendu. Dans le cas du système traditionnel distribué et par objets, il faudra en passer par quelques enceintes pour boucher les trous, une négociation avec le scénographe pour le placement du bois et la possibilité d’accrocher les subs en central.
On disposera en revanche d’un excellent son, potentiellement cardioïde par l’infra mais aussi les têtes, et une surface de membranes et un nombre de moteurs identifiés, offrant la dynamique et le contour propre à une bonne exploitation musicale. Un son qui meut et émeut les spectateurs.


La façon dont fonctionnent les modules permet de pousser du son partout

Dans le cas du système processé, la nature du guidage et de la façon dont fonctionnent les modules permet de pousser du son partout, avec, si besoin, un niveau SPL et une balance tonale quasi équivalente pour tous les sièges. Ce même système offre aussi la possibilité d’isoler ce qui doit l’être, d’éviter les réflexions et les retours du plafond, et de « fermer » un gradin si le public ne s’y trouve pas, le tout d’un simple clic de souris. La flexibilité est non seulement incroyablement puissante, mais aussi totalement inédite à ce stade.
Le seul problème est que pour délivrer cet éventail de possibles, le système processé conforme le son ce qui implique une perte de transitoires, de profondeur et de naturel, quelque chose que l’on peut aussi ressentir quand on pousse dans ses derniers retranchements un algorithme de lissage du SPL et des aspérités dans la réponse en fréquence des line arrays d’une grande marque.

A cela s’ajoute un effet de proximité avec, par exemple, un chant lead qui vous mappe la tête comme si vous portiez un casque alors que la chanteuse est au bas mot 30 mètres plus bas… Ce type d’effet peut séduire un auditoire avide de sensations, beaucoup moins celui désireux d’assister à un concert qui peut réclamer une très grande fidélité en classique ou jazz. Peut-être est-il possible de faire jouer ces systèmes à plat, sans trop d’optimisation et de zonage mais en pareil cas, à quoi bon les déployer.

N’oublions pas le bas du spectre

Enfin la construction du grave et l’obtention à la fois du contour, d’une dose d’infra et d’un impact indispensables en concert, tout comme d’une distribution homogène, demandent de la surface de membrane et la possibilité de moduler entre renforts de grave en tête de ligne pour l’allonger, subs en accroche, subs au sol, les deux, les trois, bref, la meilleure stratégie et design possible pour le lieu et la demande artistique.

Cela est facile à faire avec les kits tradi mais beaucoup moins avec des systèmes processés full range intégrant pas ou peu de transducteurs aptes à générer un bas dynamique et conforme aux besoins des musiques modernes et, pour le moment, pas d’unités de graves additionnelles ou de subs.


Est-ce à dire que ces incroyables systèmes manquent leur cible ? Non, mais leur côté spectaculaire se fait aux dépends de certains critères objectifs qui les rendent plus désirables pour faire le show que pour le reproduire. Cela dit on n’imagine pas que cette technologie ne soit pas exploitée dans des lieux à la volumétrie, au TR ou aux dimensions telles à rendre indispensable la concentration de la pression spécifiquement sur les zones souhaitées.
Il en va de même en cas de besoins de zoning dynamique ou d’effets très marqués. A ce propos, de nouveaux modèles d’enceintes processées plus discrètes et prévues pour la seule voix ont fait leur apparition pour apporter leur flexibilité à des applications aux budgets plus serrés et aux besoins en SPL et largeur de spectre moindres.

Cette technologie étant très récente, on se doit enfin de garder à l’esprit que, la puissance des DSP ne cessant d’augmenter, rien n’empêche de croire que dans quelques années, n’apparaisse le produit capable de délivrer un rendu aussi naturel qu’efficace, accompagné par toute la panoplie d’enceintes de grave générant la pression et le guidage nécessaires à « coller » à ce que les têtes savent faire et à satisfaire les artistes en quête de contour. Vaste programme.

D’ici là mon cœur battra toujours plus fort pour les luthiers du multiplis, du titane et du Kevlar, les grosses têtes de l’électro-acoustique pour qui le DSP est un condiment plus qu’un ingrédient.
Marcel Dassault disait : « Un bel avion est un avion qui vole bien » Je crois vraiment qu’un son intègre est un son qui sonne bien.

 

Crédits - Texte : Ludovic Monchat - Photos : SLU

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