Quelques mois sont passés depuis la présentation au Zénith de Paris du système de guidage et d’uniformisation tonale numérique de d&b appelé Array Processing. Nous avons demandé à quelques prestataires équipés avec la marque allemande leurs premiers retours d’expérience et avons été écouter par nous-même « le son qui n’en finit pas » a Rock en Seine où On-Off en a fait largement usage.

Rappelons rapidement d’abord de quoi il s’agit. L’Array Processing (AP) est un plug livré gratuitement avec ArrayCalc V8, le logiciel de prédiction de d&b. AP exploite les ressources DSP des amplis de la série D à deux chiffres, D80, D20, 30D et 10D pour optimiser le rendu en termes de linéarité quelle que soit la distance, uniformiser la réponse tonale de la gamme J, V et Y et enfin pouvoir, sous certaines conditions, sculpter le tir en évitant certaines zones ou en en favorisant d’autres.
Ceci implique l’utilisation d’un nombre supérieur de canaux d’amplis afin que chaque élément composant une ligne acoustique, reçoive un signal spécifiquement processé et amplifié. Le preset comportant l’action souhaitée est créé sur le terrain via un certain nombre de réglages dont un « souhait d’efficacité » allant de -11 Power, priorité au SPL à + 11 Glory, tout pour le résultat.
Rendez-vous a donc été pris pour une écoute dans des conditions réelles d’emploi et quoi de mieux qu’un plein air. Nous avons retrouvé les grenouilles d’On Off et de d&b France dans les flaques de Saint Cloud. Nous nous sommes concentrés sur la Grande Scène et la Scène de la Cascade.
La Bretagne dit oui

Le premier à nous parler de son expérience avec l’Array Processing est Bob Lelouarne le PDG d’Eurolive.
Bob Lelouarne : « On a attaqué avec l’AP directement après la démo au Zénith, précisément 3 jours après. En Bretagne on est du genre fonceur. Nous avons été le premier prestataire à avoir adopté l’Array Processing. On s’est lancé sur une prestation sous chapiteau Jaulin pour le Rock’n Solex à Rennes. Je n’ai jamais eu autant de compliments du style : “ mais qu’est-ce que vous avez fait au son cette année ! ” Un technicien en charge de l’accueil m’a dit : “ Mais…elle est où la bâche ! ” Le technicien de chez nous qui a géré le son m’a avoué être épaté par le résultat qu’il a obtenu. Il était vert.
[private]
On a aussi eu de très bons résultats lors de plein airs tels les Vieilles Charrues, mais là où l’Array Processing est le plus bluffant c’est en salle, et plus elle est pourrie, mieux c’est. Cela s’est très bien passé aussi à Laval au Festival des trois Eléphants. La salle a sonné beaucoup mieux et, en sortant et laissant la porte ouverte, j’ai constaté que le son me suivait. La cohésion qu’apporte cet algorithme au front d’onde et le contrôle sur la distance sont assez incroyables.
J’ai un dernier exemple, un plein air à St Brieuc, le Festival Art Rock. Placebo a joué à 98 dBA avec une belle dynamique, et en régie on pouvait se parler, quelque chose d’inconcevable partout ailleurs. Bref, tout l’été on a fait tourner notre diff en Array Processing, on s’est régalé et beaucoup de techniciens et de régisseurs ont été très étonnés.
Matthieu Le Failler, ingé son & système

Matthieu Le Failler : Pour les Vieilles Charrues nous avons laissé notre preset en marche tout le temps et tous les ingés son ont été informés de son existence et ont apprécié. On ne cherchait pas à faire de folies donc réglage sur Glory 5 et une décroissance nulle de 0 à 12 mètres, -1 dB de 12 à 45 mètres où se trouvait la régie et enfin de -3 à -4 dB de 45 à 60 mètres.
On a laissé le système calculer jusqu’à 60 mètres car au-delà notre cahier des charges ne nous imposait plus rien, les gens veulent moins de son quand ils s’éloignent et surtout à trop vouloir tirer sur le Processing, on a tout faux.
On a malgré tout constaté que la portée augmente considérablement au-delà des 60 mètres et même au-delà de notre shoot, ce qui est assez nouveau et mérite d’être analysé. Un point positif est le fait d’avoir pu jouer à 98 dB en générant des sensations identiques à celles que l’on ressent à 102, 103 dBA. Le processing mange du headroom, mais en voulant, on peut encore aller très haut sans que cela ne soit par ailleurs ni utile, ni agréable.

Pour répondre à ta question, je n’ai pas trouvé les mixeurs perdus ou mal à l’aise avec une matière sonore nouvelle, simplement il ne faut pas hésiter à se balader un peu pour bien percevoir le son et surtout il ne faut pas être étonné de l’avoir là, dans la face. C’est normal. La sensation physique dépasse beaucoup la mesure. Le bémol est que la décroissance des subs qui reste à 6 dB fait qu’on les perd encore plus vite. Il faudra à terme faire des rappels de subs (rires !)
SLU : Expliques-nous la stratégie sonore adoptée pour cette scène de La Cascade.
Matthieu Le Failler : On a choisi d’avoir 0 dB de pertes de 0 à 10 mètres du système, puis entre 10 et 96 mètres on a choisi 1 dB d’atténuation. (Ce qui correspond à 3 dB d’écart entre les crash et un point à 80 mètres NDR). Enfin au-delà de 96 mètres on demande 6dB d’atténuation. Nous avons choisi de ne jamais dépasser 2 jaunes, cette couleur annonçant le début des excès acceptables dans la jauge Realizer, et +5 Glory.

SLU : Pourquoi 0 entre la scène et 10 mètres ?
Matthieu Le Failler : On répond simplement au désir qu’a un certain public d’avoir la tête dans la gamelle.
SLU : Tu n’as pas égalisé le système, il est bon tel quel ?
Matthieu Le Failler : Du J en plein air sonne tel quel, mais en plus j’ai le sentiment que l’Array Processing et son algorithme finit de gommer et lisser les dernières imperfections.
Quand on voit ce que prévoit ArrayCalc pour notre montage de 14 J en termes de réponse en fréquence sans processing, on n’a plus envie de s’en passer.
J’insiste en revanche sur le besoin de savoir se contrôler. Oui, on peut envoyer du son à 200 mètres, mais il ne faut pas oublier les lois de la physique et ce que peut pousser un HP, même si c’est vrai que ce soir à 96 mètres je n’ai que 4 petits dB de moins qu’au nez de scène Ca ne détimbre pas, ce n’est pas choquant, c’est…plutôt pas mal. (En line-array traditionnel c’est 20 dB de moins et en point source…le double ! NDR).
SLU : Vous avez connu quelques déboires avec le haut du spectre cet été lors d’un festival je crois.

Matthieu Le Failler : Oui, l’algorithme provoquait à partir de 13 kHz et 55 mètres de distance, des choses assez bizarres dans l’aigu. Nous l’avons signalé à d&b et très rapidement on nous a fourni une version qui corrige ce défaut.
On ne sait pas trop ce qui a été fait puisque nous naviguons dans la psycho-acoustique mais le fait est que maintenant ça marche (L’algorithme aurait été désactivé au-dessus de 13kHz dans l’attente de trouver une solution plus pérenne NDR)
Ce que j’aime en fait avec l’Array Processing c’est cette possibilité qui nous est donnée d’avoir le choix du ressenti en tant qu’auditeur. Ca ne s’exprime pas forcément avec des graphiques, mais ça s’entend !
14 J, une arme de sonorisation massive
La scène de la Cascade a beau être la seconde en ordre de taille et d’importance à Rock en Seine, elle n’en reçoit pas moins un plateau d’artistes de toute première bourre. C’est aussi celle qui nous a le plus convaincus en termes de rendu et d’exploitation de l’Array Processing, et ce malgré un choix assez exigeant pour le système à qui il est demandé de charger une incroyable quantité d’énergie entre 0 et 96 mètres. Nous avons eu le plaisir d’écouter assez longuement des morceaux le jeudi soir, veille de l’ouverture du festival, ce qui nous a permis de bien cerner le comportement de l’algorithme en plein air.

Le système est certes conséquent avec des lignes de 14J et 18 J-Sub au pied du plateau en stacks de deux, le son que nous avons entendu, dépasse de beaucoup son potentiel. Outre une portée sensiblement améliorée, voire trop puisqu’à 75 mètres on a l’impression d’être à 20 mètres de la scène si ce n’est une petite baisse des J-Sub, l’effet qui nous a bluffés le plus est celui de la perception quasi omnidirectionnelle du son, un peu comme si on était en plongée. On a beau tourner la tête dans tous les sens, on est habillé, léché comme par un liquide ou un foulard qui recouvre le visage.
On a souvent parlé de son dans la face, d&b pousse le bouchon encore plus loin et d’une certaine façon on retrouve des sensations plus proches du point source que du line-array. Un vrai bon point aussi la réserve de puissance des D80. L’AP a beau grignoter son dû, surtout si le curseur est poussé un peu loin, la sensation de plénitude sonore est totale et intervient au moins 3dB plus tôt que le même système sans AP. Si malgré tout on pousse le système à 105dBA, ce qui a été fait, il ne souffre d’aucun tassement louche, juste un trop plein manifeste et qui devrait conduire les mixeurs à calmer le jeu.
La Grande Scène qui n’en finit pas..

Après la cascade, nous sommes allés découvrir le rendu de la Grande scène, à la fois le jeudi de calage comme le vendredi, premier jour d’exploitation.
Avec ses 24 J et ses 48 J-Sub, elle a aussi bénéficié de l’action de l’Array Processing mais a posé plus de fil à retordre aux équipes techniques d’On-Off et de d&b France.
Nous avons interrogé Pierre Scalco, ingénieur d’application de d&b France et Nicolas Delatte, directeur technique d’On-Off.
SLU : Faut-il prévoir différents presets pour suivre par exemple l’évolution de la température ou de l’hygrométrie ?
Pierre Scalco : Oui ce serait une bonne idée. Nous avons calé avec 80% d’humidité et hier soir (le jeudi précédent l’ouverture d festival) on était collé à 100% d’humidité et sous une pluie battante, alors que les trois jours du festival vont se dérouler au soleil de fin août, il faut donc forcément en tenir compte. Il suffit de prévoir 3 ou 4 presets et de switcher entre deux groupes. C’est à nous dans le cadre de l’accueil système de proposer un système avec une balance tonale régulière et optimale quelles que soient les conditions atmosphériques.
Nicolas Delatte : Aux mixeurs qui s’y intéressent, on montre le gabarit du process. Le mixeur de Kasabian nous l’a demandé indirectement ce matin puisqu’il voulait connaître l’égalisation du système conduisant au rendu qu’il entendait et qui en réalité n’était le fruit que de l’algorithme.
Il connaissait l’existence de l’AP et en apprécie le résultat.

SLU : Il m’a semblé que le son va assez loin..
Pierre Scalco : C’est exact, on va essayer de rectifier cela. Le système principal perd de son énergie à 110 mètres, nous avons paramétré une chute assez forte, mais c’est l’ensemble avec les délais qui porte loin. Je vais modifier le preset pour qu’au-delà de 80 mètres les délais plongent plus vite.
L’Array Processing semble donner au son une portée largement supérieure et il faut arriver à respecter les autres scènes et les zones de transition avec les commerçants.
SLU : Le raccord entre principal et délais semble difficile à trouver.
Nicolas Delatte : Il l’a toujours été, même l’année dernière nous avons dû batailler pour lutter contre une accumulation de bas médium au pied des tours. Cette année nous avons fait le choix de laisser –continuer- le principal et ne faire ressortir le délai qu’à partir d’une quinzaine de mètres plus loin. On casse de 15 dB sur ces 15 premiers mètres.
Pierre Scalco : Nous avons choisi pour le système principal une atténuation d’un dB par doublement de distance jusqu’à 110 mètres où l’on a sélectionné 10 dB de chute au profit des délais.
J’ai aussi constaté un effet assez nouveau et qui est une ombre moins prononcée des régies, un peu comme si le son se reformait plus vite ou que la régie était transparente (tout à fait d’accord NDR)

SLU : Comment s’opère le raccord entre les lipfill qui ne sont pas processés et le système principal qui lui l’est ?
Pierre Scalco : Bien, mais les Y8 ne jouent pas fort et sont en mode Cut, il n’y a rien en dessous de 100Hz. Ca raccorde aussi parce que cette enceinte a une belle brillance qui rappelle le rendu du J avec l’AP et puis il fallait apporter un contrepoint à la ligne de subs qui est assez sérieuse.


SLU : Avez-vous égalisé le système principal ?
Pierre Scalco : Non, on est flat, juste un peu de coupling dans les bananes pour atténuer un peu l’effet de longueur de ligne.
Les mixers peuvent s’ils le souhaitent égaliser le système et ne s’en privent d’ailleurs pas. Ils voyagent avec un Lake ou bien se servent de ce qu’offre leur console numérique.
Le gros avantage de l’AP à ce sujet est de lisser le point d’égalisation au proche comme au lointain. Ce qu’ils ont choisi est répercuté partout. C’est très rassurant.
L’array Processing porte si loin qu’il n’aime pas les délais

15 heures 30. Sans tambour ni trompette, enfin si, avec des tambours et plein de guitares, le groupe Ghost ouvre Rock en Seine 2015 et plaque son premier accord.
On quitte Pierre et Nicolas et l’on profite d’une affluence encore pas trop dense pour nous balader. Sur le parterre face à la grande scène et jusqu’aux délais, c’est un régal, le son est plein, indiciblement plein et ne vous abandonne pas. On a beau s’éloigner du plateau, les 48 J et autant de J-Sub ne laissent aucun répit.
Titre après titre en revanche ce bel édifice se fissure un peu. Un regard vers le mixeur clarifie tout. Il paraît un peu perdu entre ses sensations, ses snapshots, une position naturellement déportée de la régie et surtout un placement tout en arrière sous le dais. Trop. Il finit par trop retoucher son mix rendant impossible tout jugement objectif du son.

Une petite heure plus tard le John Butler Trio apporte une simplicité bienvenue dans ses arrangements et un mix net, sec et précis. Le système suit parfaitement et sans manifester aucun effet gênant trahissant la présence de l’Array Processing. Une balade à cour dans la zone bénéficiant d’un outfill en V affiche en revanche un filtre en peigne dans le bas mid qui déshabille la zone de recouvrement.
Pierre Scalco nous rappellera plus tard que cette ligne de renfort latéral se retrouve à une hauteur qui interfère pas mal avec les 8 J12 qui composent le bas des lignes. Il va parvenir, en baissant le niveau des V du bas et en modifiant le réglage de l’AP, à grandement améliorer le couplage entre les deux arrays.
Les mêmes doutes se retrouvent au point de recouvrement entre système principal et délais. L’entrée des deux lignes placées à 75 mètres a beau se faire « discrètement » via un choix d’atténuation du son le long des 15 premiers mètres de diffusion, leur influence sur le système principal encore très présent, est évidente. Le résultat est une zone où le son se resserre comme en mono puis plonge assez nettement et où ne subsistent que les subs.

Quelques mètres plus loin, comme par enchantement, les délais prennent vie et vont pousser largement et très généreusement le son au bout du terrain accueillant le public, soit à plus de 200 mètres de la scène…

Vision quasi incroyable, même à de telles distances, les gens portent encore des bouchons, mais il faut dire que les deux fois 12 J crachent 105 dBA à 30 mètres.
Ici encore Pierre va apporter des modifications de telle sorte à les baisser et limiter leur portée ainsi que celle du système principal, tout en travaillant à améliorer le raccord entre les deux et corriger quelques interactions entre 400 et 800 rendant par moments le son moins naturel. Un super bon point au montage et au calage des 48 J-Sub.
A 140 mètres ils offrent encore un effet bœuf et plein d’énergie.
Vienne accueille d&Berlioz
Quittons On-Off et le parc de St Cloud et ses rockeurs pour parler d’un autre événement qui s’est tenu à la fin de cet été à Vienne avec Fa Musique et a bénéficié de l’Array Processing : le Festival Berlioz.
C’est Fabrice Leblanc, le directeur technique de Fa, qui a répondu à nos questions.
SLU : En étant le directeur technique de Fa, es-tu la personne référente et à même de mieux échafauder la stratégie sonore d’un événement avec l’AP ?
Fabrice Leblanc : Oh non, nous sommes nombreux à savoir nous en servir à Fa Musique, et je ne suis pas forcément celui qui sort le plus souvent sur le terrain vu mon poste, il y a des gens qui l’ont plus expérimenté que moi.
SLU : Raconte-nous ce super concert classique qui a vu interpréter un majestueux Te Deum en plein air !
Fabrice Leblanc : Il s’agit du Festival Berlioz qui s’est tenu dans le théâtre antique de Vienne. Nous avons eu à sonoriser un concert classique avec tout d’abord beaucoup de musiciens sur scène, 120 pour être précis, puis 250 choristes derrière l’orchestre et, en dernier, un chœur de 600 enfants placé devant l’orchestre et donc devant la diffusion. Le challenge a donc été le repiquage de ce chœur, le public venant tout autour.

SLU : De quoi était constituée la diff ?
Fabrice Leblanc : 12 V par côté avec 6 Y en outfill pour couvrir un espace très large, 6 V-Sub par côté plus un J-Infra.
SLU : Qui a assuré le mixage ?
Fabrice Leblanc : Moi-même, assisté du directeur artistique du Festival Berlioz et de l’assistant du Chef d’orchestre.
SLU : Vous avez assez de micros chez Fa pour ce type de repiquage ?
Fabrice Leblanc : Non bien sûr, nous en avons sous-loué. Ceci étant, j’ai mixé deux techniques dont l’une se serait contentée de deux micros. J’ai placé un couple d’ambiance au-dessus du chef et ensuite 6 à 8 micros en renfort par pupitre ce qui correspond à environ un micro pour deux à trois musiciens. Pour les chœurs d’adultes j’ai installé 3 rangées de 4 micros et pour les enfants 14 micros en tout. Mon patch faisait 92 entrées.

SLU : Combien de spectateurs étaient présents ?
Fabrice Leblanc : 6000 personnes.
SLU : Tu as pu avoir un peu de son direct ?
Fabrice Leblanc : Oui et non. La fosse étant réservée à la chorale, personne n’a pu apprécier comme il se doit le son de l’orchestre qui ne sortait par ailleurs pas très fort, contrairement aux 600 enfants qui eux étaient très sonores. Le repiquage de l’orchestre a évité de submerger les premiers rangs de public au contact des enfants. Il a fallu clairement rééquilibrer le tout au proche comme au lointain.
SLU : Tu n’as pas eu de problèmes avec les différentes latences et surtout les quasi 6 millisecondes du couple D80 + Array Processing vis-à-vis du son direct ?
Fabrice Leblanc : Oui absolument, la latence a été l’un des points les plus délicats à gérer, pas spécialement à cause des 6 ms d&b, qui ne représentent que deux mètres dans l’absolu, mais surtout lors de la remise en phase de l’ensemble des micros qui ont assuré la captation. J’ai choisi le couple au-dessus du Chef d’orchestre comme point 0 et j’ai retardé tous les autres…
SLU : Oui mais tes 600 mioches ils sont devant ton temps 0, si tu me les alignes avec le chœur des adultes..
Fabrice Leblanc : Effectivement et du coup ce sont eux qui se sont retrouvés à temps 0 (rires !) car ils étaient les plus proches. On a un peu triché et le son de la diffusion a couvert le tout.

SLU : Est-ce que les gens du classique ont été contents, ils peuvent être si difficiles…
Fabrice Leblanc : Cela c’est très bien passé. Il y a eu un certain nombre de chefs qui se sont alternés à la baguette et tous sont venus à la régie écouter ce que l’ensemble donnait en manifestant leur satisfaction.
SLU : Raconte-nous ton design pour la diffusion et ton travail avec l’Array Processing. L’idée était de ne pas taper dans les gosses (Ca ne se fait pas ! NDR)
Fabrice Leblanc : On a effectivement évité la plus grand partie de la chorale, juste un petit croissant de lune s’est retrouvé avec un peu de son, mais avant même l’AP, mon design lui-même avait tenu compte de cette problématique.
J’ai volontairement évité le centre avec les deux lignes de V. Le processing a beau bien marcher, si on lui demande de réaliser des choses qui s’éloignent trop des contraintes physiques du son et des enceintes, et que l’on peut faire par d’autres moyens, le résultat sonore en pâtit. Bien sûr il n’y avait aucun front fill.
SLU : Comment as-tu géré tes subs par rapport au repiquage. Ils ne sont pas pris en compte par l’AP et un J-Infra ne doit pas faire bon ménage avec des statiques…
Fabrice Leblanc : Mes micros à risque ne servaient qu’au chant, je les ai donc soigneusement délestés du bas du spectre et j’ai veillé à avoir une égalisation très neutre, la plus plate possible. Enfin j’ai profité du spectre assez haut des voix d’enfants pour programmer un égaliseur spécifique que j’ai inséré lors de leur passage pour être certain de ne jamais accrocher et pour éviter surtout de « casser » le système durant tout le concert.
SLU : Pourquoi le choix du V ?
Fabrice Leblanc : Comme presque toutes les enceintes d&b, le V a un respect de la dynamique assez important et un rendu très homogène et sans colorations. J’ai l’ai choisi en lieu et place du J pour m’adapter à des contraintes de place dans les tours, et aussi pour pouvoir constituer des lignes plus longues. J’ai voulu rester sur des angles serrés pour me donner le plus grand choix de réglages. De toute façon 12 J n’auraient pas tenu, et avec 8 je n’aurais pas eu le son que je voulais et j’aurais arrosé le bas, chose que je devais éviter.
SLU : Quel preset as-tu programmé sur l’AP ?
Fabrice Leblanc : J’ai commencé par programmer dans l’ArrayCalc le gradin et le parterre, et bien que le parterre n’ait été qu’effleuré par le système tel que déployé, j’ai demandé à ce qu’il soit atténué de 3 dB. J’ai après laissé aller le son à la décroissance naturelle de 3 dB par doublement de distance.
SLU : C’est très léger comme paramétrage..
Fabrice Leblanc : Oui, mais lors des démos, on s’est rendu compte de certains effets négatifs sur le son si on exagérait trop sur les écarts. Je préfère garder le Realizer dans le vert et le réglage d’intensité sur 0. J’aime bien jouer mais prudemment. L’algorithme a beau être très bien conçu, on fait à un moment ou un autre une petite concession.

SLU : Tes outfills en Y ont bien raccordé avec les V ?
Fabrice Leblanc : Etonnamment très bien. C’est par ailleurs très pratique à caler. On règle délai et niveau et ça roule tout seul avec une couleur uniformisée entre V et Y.
SLU : As-tu fait des essais avec et sans ton preset ?
Fabrice Leblanc : Oui. Dans un site comme celui-là, la propagation est bonne car les romains avaient compris pas mal de choses en ce qui concerne le son et même si le mur en arrière scène a disparu, c’est relativement facile à sonoriser. L’AP apporte un réel gain en homogénéité notamment dans le haut du spectre qui se retrouve distribué partout. Ce concert était une très bonne occasion de tester et à la fois exploiter les possibilités qu’il offre.
« L’Array Processing c’est sans retour… »
Puissant, impressionnant d’efficacité, grisant même, l’Array Processing est un outil dont on aura du mal à se passer dans le futur, mais qu’il est essentiel d’apprendre à maîtriser pour éviter, dans les cas extrêmes, d’abimer le son ou de le rendre difficilement contrôlable en portée.
L’exemple du Festival Berlioz tombe à point nommé. Là où il aurait été possible de charger la mule sans risques grâce à la conformation en amphithéâtre des lieux, la sagesse a primé contrairement à St. Cloud où du coup, il a fallu réécrire des nouveaux presets plus sages.
L’AP est en mesure de créer un front d’onde tellement cohérent et massif, qu’une fois qu’on l’a programmé pour qu’il ne décroisse quasiment plus, il file droit devant échappant aux écrans radars et à toute stratégie du type « tu ne chutes que d’un dB, mais à 100 mètres tu t’arrêtes net » L’effet Tchernobyl et son nuage frappe encore.
Maitriser l’AP passera peut être par de la formation, de la documentation, des exemples type, un forum d’utilisateurs, tout ce qui facilitera la prise en main d’un algorithme par définition évolutif mais déjà sacrément fonctionnel et donc potentiellement source d’excès. En attendant, il va falloir continuer à travailler à une meilleure intégration dans le système principal des latéraux, des lipfill et très rapidement disposer d’un preset qui englobe au moins un rang de délais.
Va se poser aussi le problème de la diffusion de la première octave, abandonnée à sa décroissance préhistorique de 6 dB. Ca va phosphorer sec pour aller plus loin sans tuer du spectateur en champ proche.
On dit enfin d’un avion qu’il vole mieux, consomme moins et dure plus longtemps si c’est l’ordinateur de bord qui pilote, ça ne m’étonnerait pas qu’apparaisse bientôt un soft à même de caler la diffusion en fonction des lieux, des moyens techniques déployés, des conditions climatiques et de la nature du rendu projeté. Si tel était le cas, d&b aurait une avance plus qu’enviable.
Je ne sais pas vous, mais moi j’ai hâte de connaître et d’écouter la suite de cette aventure du logiciel qui a mis sur des rails les ondes cylindriques.
Comme me l’a glissé malicieusement Didier Lulu Lubin : « L’Array Processing c’est sans retour même si c’est vrai qu’on n’a pas encore tout découvert. La seule solution c’est d’aller encore plus loin ! »
[/private]