La vidéoprojection dans tous ses états

Ep1. La vidéoprojection face aux écrans: Les compromis sur l’image

Lorsqu’on cherche à obtenir une image animée de très grande taille dans des applications de grande envergure (concerts, festivals, événements divers, architecture…), deux principales voies technologiques se présentent :
Celle des grands écrans (murs d’images) constitués d’assemblages d’écrans de taille élémentaire ou de panneaux émissifs couverts de LED de couleurs dans une structure rigide, et celle de projecteurs vidéo séparés formant une image sur un écran passif, voire sur la surface naturelle du fond de scène.
Les deux solutions possèdent leurs propres spécificités, et elles ne sont pas équivalentes ou interchangeables. Dans la plupart des cas, le choix s’impose de manière assez immédiate.

Le compromis luminosité/dimension d’image

La moindre des choses pour une image spectaculaire, c’est d’avoir suffisamment de luminosité pour avoir l’impact souhaité tout en cohabitant, le plus souvent, avec des éclairages ambiants (cas des spectacles, des studios de télévision…). La plupart des solutions à base de panneaux actifs juxtaposés est extensible presque à volonté, chaque panneau conservant sa luminosité indépendamment de la configuration dans laquelle il est intégré.
La luminosité, qui s’exprime le plus souvent en candelas par mètre carré (cd/m2), l’unité du système international(1) , ne dépend donc pas de la surface de l’écran. On notera par ailleurs que n’importe quel format d’image peut être réalisé, car on peut le plus souvent ajouter des rangées ou des colonnes de modules de manière indépendante au gré des besoins.

(1) : on rencontre parfois aussi pour cette unité l’ancienne appellation nit, mais celle-ci est désormais déconseillée.


Avec un vidéoprojecteur, on peut également réaliser l’image de la taille qu’on veut, du moins théoriquement. Pour agrandir l’image, il suffit d’éloigner le projecteur et de refaire la mise au point optique (voir figure 1), ou, sans changer la position du projecteur, d’agir sur la commande de zoom quand l’objectif de projection est à focale variable, ou bien encore, si cela ne suffit pas, d’échanger l’objectif pour un type à focale plus courte, car la plupart des vidéoprojecteurs à haute luminosité sont à objectif interchangeable.

Figure 1 : Comment augmenter la taille de l’image ? Avec des écrans à vision directe, la seule solution est de multiplier les écrans (en haut). Avec un vidéoprojecteur, on peut jouer sur la distance de projection et la focale de l’objectif avec plus de souplesse… au prix d’une perte de luminosité (en bas)

Malheureusement, le flux émis par le projecteur ne change pas et il se répartit sur la totalité de la surface de projection.
Par conséquent, la luminosité est inversement proportionnelle à la surface de l’image projetée, c’est-à-dire inversement proportionnelle au carré de la taille d’image (base ou diagonale), et, à focale constante, inversement proportionnelle au carré de la distance de projection. Au-delà d’une certaine taille d’image, la diminution de la luminosité de l’image n’est plus acceptable, et il s’impose de la compenser en utilisant plusieurs projecteurs.

Deux procédés peuvent être mis en œuvre :

– Plusieurs projecteurs projetant la même image superposée et ajoutant leurs flux.
– Plusieurs projecteurs projetant des fractions juxtaposées de l’image, avec un raccordement adéquat (comprenant éventuellement des zones de superposition) de manière à ce que les images se fusionnent de manière indécelable (voir figure 2).

Figure 2 : Comment compenser la perte de luminosité due à l’augmentation de la taille de l’image projetée ? En superposant avec précision l’image fournie par plusieurs projecteurs (à gauche) ou en juxtaposant les images de plusieurs projecteurs façon « mur d’images » (à droite). Un traitement particulier est nécessaire pour un raccordement harmonieux (médaillon).

Le compromis résolution/luminosité

Avec les modules à LED, l’augmentation de la taille de l’écran se traduit par une augmentation de la résolution totale de l’image, puisqu’elle s’effectue en ajoutant des « pixels » sans changer leur espacement. Il convient à la source de s’adapter au format de l’image (qui peut s’éloigner de manière très sensible des formats normalisés par l’industrie de la visualisation électronique et de l’audiovisuel).
Certains écrans à LED augmentent la luminosité en multipliant le nombre de LED composant chaque « pixel », ce qui n’est possible qu’avec des grands pas, c’est-à-dire des résolutions spatiales relativement faibles. Ces modules sont bien adaptés pour les écrans de très grandes dimensions à regarder de loin (grands festivals, par exemple).

La résolution
Le concept de résolution (plus exactement résolution spatiale) est confus dans l’esprit des gens et interfère souvent avec celui de définition d’image. Il est toutefois beaucoup plus simple avec les systèmes d’imagerie numérique modernes qu’avec les systèmes analogiques, pour lesquels il était plus approprié d’évoquer la FTM (Fonction de Transfert de Modulation), assimilable à une réponse en fréquence optique. Bien que la FTM soit toujours d’actualité, on n’y fait plus appel que dans les cénacles de spécialistes et d’ingénieurs de recherche.
En effet, en imagerie moderne, l’image fait l’objet d’une manière on ne peut plus claire et évidente d’un échantillonnage spatial. Elle est, en effet, constituée d’une matrice orthogonale d’« éléments d’image » (littéralement : « pixels ») indivisibles, qui représentent la plus petite portion d’image dotée d’une intensité et d’une teinte (représentée, par exemple, en termes de couleurs primaires R,V,B ou de luminosité + teinte Y, CR, CB). Peu importe si cette image est codée numériquement (donc échantillonnée dans chacune de ses composantes) ou sous forme de grandeurs analogiques.
Dans la technique moderne, la définition d’une image s’exprime en nombre de pixels dans chaque direction (horizontale x verticale). Il s’agit, en fait, de la taille de l’image exprimée en pixels. Il existe un certain nombre de formats d’image normalisés, avec des définitions standards, issus des domaines de la télévision, de la prise de vue et de l’informatique.

La résolution spatiale s’exprime de diverses manières selon la technique : soit on parle de nombre d’éléments d’image par unité de longueur (habituellement, on considère principalement l’horizontale), et cela se chiffre en pixels/mm ou par cm ou par m selon la taille d’image (évidemment, on trouve aussi des pixels par pouce ou dpi [points par pouce]) En télévision, il est d’usage de parler de lignes ou de paires de lignes (cela correspond à deux pixels).
La résolution peut également s’exprimer en termes d’espacement (pas) de pixels (« pitch »). Cette manière de faire est généralisée sur les écrans géants à LED, où elle correspond physiquement à l’intervalle d’implantation des LED homologues ou des centres de deux pixels (triplets de LED ou de puces de LED) voisins. Les pas de pixels courants sont de quelques millimètres à un centimètre ou plus. Bien évidemment, les pas de pixels peuvent aussi s’exprimer dans des unités anglo-saxonnes en fractions de pouce ou même en mils (millièmes de pouce). Ce que nous avons décrit représente la résolution intrinsèque (ou « native ») des systèmes d’imagerie, elle ne présume en rien de la résolution réelle des images projetées.


La luminosité
La luminosité est significative de l’impact visuel de l’écran lorsqu’il est au blanc maximal. Avec les écrans émissifs, elle s’exprime sous forme d’intensité lumineuse par unité de surface de l’écran. L’unité usuelle est la candela par mètre carré (Cd/m2)
Il n’est pas facile d’établir des comparaisons directes avec les vidéoprojecteurs dans ce domaine. En effet, d’autres éléments interviennent dans la luminosité d’un écran de projection, dont l’écran lui-même, l’objectif et la distance de projection. Un projecteur est spécifié par l’énergie lumineuse totale qu’il émet, exprimée dans le domaine photométrique (flux). Cela revient à considérer les vidéoprojecteurs comme de banals appareils d’éclairage, leur performance se chiffre en lumens. 3 000 à 5 000 lumens représentent quelque chose d’assez banal, la haute performance s’établit entre 10 000 et 20 000 lumens, voire au-delà, jusque 50 000 à 70 000 lumens.


Certains modules utilisent des LED multipuces en boîtiers CMS entièrement transparents(2), qu’il est possible de monter de manière jointive (voir figure 3). Il s’ensuit des résolutions élevées avec des luminosités importantes (et un coût souvent aussi spectaculaire !). De tels écrans sont en général de dimensions relativement modestes et plutôt réservés aux usages de prestige en intérieur.

(2) Contrairement aux composants traditionnels, les CMS (Composants pour Montage en Surface) ou SMD (Surface Mounted Devices) se montent d’un seul côté du circuit imprimé et ne nécessitent pas de trous métallisés pour souder leurs connexions. Généralement miniaturisés, ils peuvent s’implanter avec une densité considérable, d’autant qu’on peut monter des CMS sur les deux faces d’un circuit imprimé.


Figure 3 : à gauche, triplet de LED RVB en boîtier traditionnel (3 ou 5 mm) à connexions traversantes, pouvant constituer un pixel de très grand écran au pas centimétrique (photo By PiccoloNamek – English wikipedia, CC BY-SA 3.0).
A droite, LED RVB en boîtier CMS à 6 broches, incluant son circuit d’adressage. L’« énorme » boîtier 5050 (5,0 x 5,0 mm) avec 6 connexions sur le dessous forme un pixel complet qui peut être implanté avec une forte densité (ce genre de composants se trouve aussi dans des boîtiers encore plus petits). Photos Worldsemi.

Figure 3a

Figure 3b


Figure 3c

Figure 3d


Avec des vidéoprojecteurs, le compromis est différent. Il est toujours préférable d’utiliser des images conformes à la résolution du dispositif d’imagerie interne à l’appareil (dite résolution native). L’électronique interne est capable d’accepter un certain nombre d’autres formats et de les redimensionner pour les adapter à la résolution de l’appareil, mais cela peut causer une certaine dégradation de l’image.
Le nombre de « pixels » effectifs étant figé par construction, lorsqu’on agrandit l’image, c’est leur dimension qui s’agrandit (voir figure 4). Par conséquent, lorsque se pose la question d’utiliser plusieurs vidéoprojecteurs pour réaliser une image lumineuse de grande taille, la question de la définition de l’image finale se pose également.

Figure 4 : Comment varie la résolution avec la taille d’image ? Lorsqu’on juxtapose des images (solution incontournable avec les panneaux à LED), augmenter la taille d’image sans changer de technologie augmente la résolution. Avec un seul projecteur, la résolution diminue au même titre que la luminosité (le motif en damier simule la matrice de pixels).

Si on superpose les images de plusieurs projecteurs, on ne modifie pas la résolution de l’image. En revanche, si on juxtapose l’image de plusieurs projecteurs, on multiplie la résolution de l’image.
Ainsi, lorsqu’on souhaite une image au format 4K, on peut avoir intérêt à utiliser quatre projecteurs 2K accolés, car non seulement on obtiendra de cette manière le même résultat qu’avec un projecteur 4K (aux pertes dues aux zones de recouvrement près).
Mais en plus, on aura une luminosité multipliée par plus de 4 (car, pour des raisons technologiques, toutes choses étant égales par ailleurs, un projecteur 4K est généralement moins lumineux qu’un projecteur 2K).
Bien entendu, cela nécessite que la source soit capable de gérer le découpage de l’image et de fournir les signaux nécessaires au pilotage de 4 projecteurs.

Le contraste réel

Le contraste (improprement appelé « rapport de contraste » par traduction littérale de l’expression anglo-saxonne « contrast ratio ») est une manière d’exprimer la dynamique d’un système d’imagerie. C’est un nombre sans dimension qui représente le rapport entre la plus haute luminosité d’image (vulgairement « le blanc ») et la plus basse luminosité d’image possible (pratiquement « le noir »). Plus le chiffre est élevé, plus la spécification est flatteuse.
Mais les méthodes pour obtenir ce chiffre sont assez discutables, et, comme nous l’avons expliqué dans le texte, la spécification obtenue en laboratoire (avec ou sans artifices) n’a pas beaucoup de rapport avec les conditions réelles d’utilisation, notamment en projection. Aussi, il ne semble pas nécessaire de courir après des chiffres de contraste pharamineux dans des conditions où il peut y avoir une forte lumière ambiante (en plein jour, en concert…).
Dans ces conditions, c’est plutôt la forte luminosité qui doit être recherchée. On notera que, malgré les chiffres très divers et parfois élevés, on ne fait pas (encore ?) usage d’unités logarithmiques, contrairement au domaine de la photographie.


Bizarrement, avec les modules à LED, on ne se pose jamais (ou presque) la question du contraste. C’est qu’en réalité, comme avec toute technologie émissive à vision directe, le principe n’éprouve aucune difficulté à fournir un contraste très élevé, et potentiellement « infini ». La raison est que le « blanc » est ce qu’il est, mais que le noir s’obtient en éteignant les LED, et que, par conséquent, il s’agit d’un « vrai » noir.
Dans des conditions de laboratoire (environnement totalement obscur), le contraste statique (rapport écran entièrement blanc/écran entièrement noir) est infini. En utilisation réelle, il n’en est pas très éloigné, dans la mesure où l’espace entre les LED est habituellement noir et donc peu susceptible de réfléchir la lumière environnante.

Le problème est tout autre pour la vidéoprojection. En premier lieu, le contraste propre au projecteur, mesuré dans des conditions de laboratoire, n’est pas infini. Il diffère selon les technologies, la qualité de la réalisation et la méthode de mesure (statique ou dynamique, etc.). Cela n’empêche pas certains de ces appareils de s’approcher de l’idéal en satisfaisant les recommandations pour le cinéma… qui tiennent compte des réalités de l’exploitation (donc ont des exigences réalistes en termes de contraste) et partent du principe que la projection s’exploite dans une salle obscure(3).

(3) Pour le cinéma, la spécification Digital Cinema System Specification (DCSS) de la Digital Cinema Initiative (DCI) se réfère aux spécifications RP 431-2:2011 de la SMPTE en ce qui concerne le “projecteur de référence”.


Mais l’utilisation de vidéoprojecteurs dans un milieu lumineux (concerts, événements festifs…) pose un réel problème au niveau du contraste. En effet, la projection conventionnelle (frontale) s’effectue sur une surface réfléchissante (idéalement un écran blanc spécialement traité).
Or cette surface réfléchit tout sans distinction, qu’il s’agisse de la lumière émise par le projecteur ou de la lumière environnante (éclairage ambiant, éclairage scénique, poursuites, effets, etc.). Par conséquent, ces lumières « parasites » viennent éclairer les parties sombres de l’image projetée et en dégrader considérablement le contraste.

De fait, une image de vidéoprojection vue en plein jour suscite souvent une impression de fadeur, de mollesse, de manque d’énergie, à moins d’avoir un, voire plusieurs projecteurs extrêmement lumineux et énergivores… et de risquer l’éblouissement.
L’utilisation de vidéoprojection en plein jour est donc problématique (les écrans géants à LED sont plus adaptés à cet environnement d’utilisation), et même en salle fermée ou de nuit, les éclairagistes doivent prendre garde à ne pas illuminer les écrans de projection afin de ne pas « tuer » les images en anéantissant leur contraste (voir figure 5).

Figure 5 : Lumière d’un projecteur d’éclairage interférant avec une projection frontale sur un écran réfléchissant et aspect d’une image projetée partiellement « tuée » par l’impact d’un faisceau de lumière blanche.

De ce point de vue, la problématique de la vidéoprojection est exactement l’inverse de celle des écrans à LED, où les éclairagistes craignent plutôt que les vidéos trop « tape à l’œil » affadissent les effets de leurs éclairages sophistiqués.

Figure 6 : Effet de la lumière d’un projecteur d’éclairage sur une image en rétro-projection. La face avant de l’écran, sombre et éventuellement spécialement traitée, n’étant pas réfléchissante, la lumière extérieure ne perturbe pratiquement pas l’image.

Une solution à ce problème, fréquemment utilisée dans les studios de télévision, consiste à utiliser non pas un écran réfléchissant et une projection de face, mais un écran translucide diffusant et une projection par l’arrière (rétro-projection). La face avant de l’écran peut ainsi être traitée de manière à être peu réfléchissante pour la lumière venant de l’avant (voir figure 6).

L’inconvénient de la rétro-projection est l’espace important qu’elle nécessite derrière l’écran si on souhaite de grandes tailles d’image. Cet espace peut être significativement réduit par l’usage d’optiques à très courte focale et par le repliement du trajet optique entre le projecteur et l’écran à l’aide de miroirs. Ce type de configuration peut également s’intégrer dans des décors ou des éléments de décors spécialement conçus (Voir fig. 7).

Figure 7 : Une configuration de rétro-projection implique un encombrement considérable (à gauche), qu’on peut réduire en repliant le chemin lumineux au moyen de miroirs.

On l’aura compris, le choix n’est pas immédiat. Un prochain article abordera la comparaison des écrans à LED et des vidéoprojecteurs sous d’autres aspects, notamment architecturaux et environnementaux.

La suite… Dans le prochain épisode, vous découvrirez qu’il n’y a pas que les questions d’image qui déterminent le choix entre un ou plusieurs vidéoprojecteurs et des écrans à LED. Il y a de nombreuses contraintes liées à l’application ou au contexte, par exemple lorsque la forme de l’écran est biscornue ou qu’il s’agit de parer de belles images la façade d’un bâtiment.

Retrouvez ici les épisodes déja publiés

 

Crédits -

Texte et Figures : Jean Pierre Landragin