Vincent Vinnie Perreux

La rencontre avec Vinnie se fait dans les couloirs d’un salon, sur le stand d’Audio Concept qui représente Clair Bros en France. Sa présence attire forcément du chaland, ravi de pouvoir échanger quelques mots avec lui dans un français parfait et Dominique Maurel savoure. Du vrai support comme on l’aime.

On profite d’un moment de calme pour nous isoler avec Vinnie et en découvrir quelques facettes.

SLU : Tu as l’air chez toi ici…

Vinnie : Mais c’est le cas. Je me sens très vite bien partout. C’est peut-être pourquoi je pars aussi très vite (sourires) ! Je n’ai pas d’attaches.

SLU : Tu as un accent français construit de mille nuances, je ne saurais dire d’où tu viens.

Vinnie : Je suis Druze. Je suis né dans les montagnes en face de Beyrouth. Je ne connais pas mes parents. J’ai été adopté par une famille française. J’étais à l’orphelinat chrétien des sœurs Saint-Vincent de Paul et ma maman adoptive, infirmière à l’Hôtel-Dieu, connaissait une des sœurs. Je m’appelle Vincent Perreux mais je pourrais m’appeler tout aussi bien Mohamed Dupond. Mon premier voyage, je l’ai fait très jeune et voyager n’a jamais été un handicap dans ma vie.

Dominique Maurel et Vinnie sur le stand d’Audio Concept.

SLU : Quel âge as-tu ?

Vinnie : 53 ans.

SLU : Etant petit, ces racines si différentes pour l’époque t’ont pesé ?

Vinnie : Un peu. Les petits y vont fort. « Pourquoi t’es différent ? Ton papa il fait quoi ? T’es né où… » Quand je répondais que j’étais libanais à l’époque où les Casques Bleus français se faisaient canarder, je devenais une sorte de bête noire, quelque part responsable de cette guerre.

Le son c’est d’abord de la musique

SLU : Comment le son est-il entré dans ta vie ?

Vinnie : La base de tout a été la musique. Mon papa voulait que je devienne militaire. Ça n’a pas marché, pas plus que mécanicien ou cuisinier. J’ai abandonné cette dernière filière car j’étais trop rebelle et quand on me gueulait dessus, je répondais, mais au moins, la passion des fourneaux m’est restée. Parallèlement je jouais dans un groupe qui s’appelait les Rockin’ Kronenbourg et comme il se doit, on est parti jouer à Londres dans la rue.

L’ex batteur des Rocking Kronenbourg en grande forme…

SLU : Instrument ?

Vinnie : Batterie. Très nul. Formation à la Stray Cats ce qui pour moi était très simple en termes de matos. Je te la fais brève, de Rockin’ Kronenbourg on n’a retenu que la seconde partie de notre nom et on a bu beaucoup de coups. On a malgré tout réussi à gagner un peu de sous et à tenir jusqu’à l’arrivée du monsieur tant rêvé qui dit qu’il va te faire faire une démo tape dans un studio… Glauque, mais un studio d’enregistrement !

Là on s’est rendu compte à quel point on jouait mal et pas du tout en place. Je me souviens à un moment de m’être levé de mon siège et d’être allé dans le studio. « Vous faites quoi sur vos boutons ? » J’étais fasciné. Je suis revenu de l’autre côté de la vitre et j’ai dit : « J’arrête de jouer les gars, je veux faire ça. » Et ça a été le dernier jour où j’ai tapé sur une batterie, un petit pas pour moi et un grand pour la musique (rires). On était en 1985.

SLU : Et après ce déclic ?

Vinnie : Après la période Kro, je suis revenu en France et comme mes parents habitaient dans le centre, j’ai pu effectuer une formation à Bourges qui s’appelait je crois « Technique d’enregistrement de son et de plateau. » On était stagiaires au Germinal (souvenirs ici) et on est aussi devenus stagiaires du Printemps de Bourges ! Je suis donc un petit gars de Bourges qui déchargeait des caisses pour Régiscène.

On ne pouvait pas les rater les porteurs de Régiscène. Pour les nostalgiques, plein d’images et d’infos ici : www.regiscene.fr

Peu de rock, mais beaucoup de taf

Vinnie : Ensuite et toujours à Bourges, j’ai commencé en tant que régisseur son au théâtre Jacques Cœur, et j’ai travaillé sur des festivals de jazz, des créations théâtrales, des ballets et on a gagné par mal de récompenses. C’était une époque artistiquement très intense mais malgré tout, ça manquait pour moi de rock’n’roll (rires). J’avais beau garer ma Harley devant le théâtre, ça jouait surtout du jazz !

SLU : Déjà une Harley ?

Vinnie : Non t’as raison, c’était une Norton Commando. A l’époque je roulais en anglaise. Du théâtre, je suis monté à Paris, comme beaucoup de monde et, je ne sais plus pourquoi, je suis parti en Italie à Forlì pour un festival de danse. J’avais acquis une certaine compétence dans la multi-diffusion et cela m’avait sans doute aidé. J’y ai aussi rencontré ma première fiancée italienne et je me suis installé dans son pays. Bye-bye Bourges.

Ivano Fossati en séance à Maison Blanche. Le matériel était sans doute chouette, l’acoustique du salon, pardon, de la cabine euhhhh…

J’ai commencé à travailler avec des super studios d’enregistrement comme Maison Blanche à Modena (une très grande partie des gros tubes italiens y compris de dance ont été enregistrés là-bas. NDR).
Comme ces studios faisaient aussi des captations live et parfois de la sono, j’ai pu découvrir le marché musical italien qui était plus qu’actif avec des gens comme Zucchero.
C’est ainsi que je suis parti sur la première tournée mondiale d’Eros Ramazzotti en tant qu’assistant régie façade. Eros avait voulu garder son ingé son studio et ce dernier m’avait proposé de l’accompagner. Honnêtement on n’y connaissait pas grand-chose tous les deux, mais on a appris. Le prestataire italien collaborait avec Brit Row et on était en Turbosound.

SLU : Du Lourd ?

Vinnie : On a tourné plus d’un an et en Italie les concerts peuvent être très, très gros (sourires). La tournée avance et je finis par me trouver aux retours. On part aux USA et on fait une date au Ballroom de l’Hilton Midtown à New York. Je suis stage left avec l’Heritage 3000 flambant neuve que Midas vient de nous envoyer et à la face on a l’XL4. Le système est du Clair. C’est la première fois que j’en vois et pourtant je me dis : « je veux travailler avec eux… »

La S4, le rêve d’une époque. « La puissance de feu d’un croiseur et des flingues de concours » comme aurait dit Blier.

SLU : Pourquoi, tu connaissais cette boîte ?

Vinnie : De nom bien sûr. Tous les pros connaissaient Clair. En ce temps-là, l’Italie était historiquement tournée vers les US et l’exemple à suivre était Clair Bros. Milano Music Service avait des copies de S4 et s’en servait pour Vasco Rossi. En Italie tout le monde faisait des copies car Clair faisait rêver. Ces copies étaient bleues mais ne sonnaient pas exactement comme les vraies (rires).

SLU : Et cette rencontre ?

Vinnie : Elle a eu lieu. Et je leur avais dit à quel point j’étais chaud de les rejoindre. Problème, j’avais rencontré un free lance qui voyait sans doute d’un mauvais œil qu’un italien mette le pied dans la boîte, à la fin il m’a balancé : « bah, t’as qu’à les appeler ! »

SLU : On te prenait pour un italien…

Vinnie : Forcément. Je parlais avec Eros en italien et mon côté caméléon a toujours joué en ma faveur. Je m’adapte ! Je finis donc la tournée et j’essaie d’appeler les US à deux reprises, rien. On me dit alors de contacter Audio Rent qui venait de passer sous pavillon Clair, sans plus d’effet. Démarre la tournée d’une autre grosse pointure italienne, Renato Zero. On était parti en V-Dosc car Paul Bauman et moi avions formé les équipes d’Agorà, le prestataire de cette tournée.

Un simple coup de fil et tout devient plus Clair

« Durant ta carrière tu rencontres certaines personnes qui te rendent fier de faire le métier que tu fais depuis toutes ces années. Un énorme merci a Monsieur David W. Scheirman, ex-président de l’AES. »

SLU : Tu tournes donc avec Renato Zero…

Vinnie : Et là, coup de fil. Un numéro suisse : « Bonjour Monsieur Perreux, Audio Rent en ligne. On a eu votre contact par les US. On a besoin de quelqu’un pour monter le système de Carlos Santana… ».
Je respire un grand coup (rires) et je demande pendant combien de temps ils ont besoin de moi : « Ahh c’est court, 2 semaines maxi. » Problème. J’ai un contrat de 4 mois, et avec Agora ça semble bien parti. Le dilemme classique.
« On vous paie tant et on vous donne une heure pour réfléchir. » A l’américaine ! Evidemment j’ai dit oui, j’ai tout quitté et me suis retrouvé… en Italie du sud (rires) où Santana passait avec Joe Satriani en première partie.

« Cette image est pour moi la représentation de ma vie sur la route depuis l’âge de 20 ans. »

SLU : Pour ceux qui n’aiment pas la guitare…

Vinnie : L’enfer ! 5 heures de gratte non-stop avec les balances ! Mais à partir de là j’ai enchaîné 22 ans de tournées non-stop.

SLU : Sans faire tes classes ?

Vinnie : Ahh mais bien sûr que si ! Quand je suis arrivé ils m’ont dit : « Tu oublies tout ce que tu sais faire. Ça, c’est du Camlock. Ton boulot c’est de tirer du câblage électrique. Point barre. »
J’ai démarré comme ça. Rien d’étonnant, puisque aujourd’hui Clair a une école qui forme les jeunes en deux ans. C’est devenu un programme universitaire aux USA. Il y a 30 ans ils avaient déjà la même mentalité.

« Dans la série des incontournables Big Mick ! Je ne me rappelle plus si c’était en Amérique du Sud ou en Asie, mais Metallica, c’est certain ! ».

SLU : Tu as pourtant fait un break chez eux…

Vinnie : Oui, quand j’ai arrêté les tournées j’ai travaillé pour Harman. Je me suis installé à Kuala Lumpur en Malaisie et je suis devenu Monsieur JBL. Ensuite je suis rentré en Italie où j’ai pris la carte Outline pendant deux ans.

SLU : No comment ?

Vinnie : Sur cette dernière expérience, non. Quand Clair a su que j’avais arrêté avec cette marque italienne en 2019, ils sont revenus vers moi et m’ont proposé de collaborer à nouveau avec eux mais pour la branche vente dite Clair Bros.

SLU : Et tu t’es installé chez toi en Toscane.

Vinnie : J’y vis et j’ai mon bureau. Je rayonne cela dit sur toute l’Europe voire au-delà si nécessaire. Une Europe très élastique qui peut aller jusqu’à Dubaï ou à Orlando (rires). J’avais d’ailleurs déjà commencé une sorte de reconversion plus tôt puisqu’en pleine période des tournées pour Clair Global, on m’avait demandé d’ouvrir Clair Bros Indonésie en formant le personnel qui est toujours en place. J’y étais resté plus de 6 mois.

SLU : En gardant ton look !

Vinnie : Ahh oui, pas question de passer en cravate et chemise blanche. Je viens du touring où ça se pratique assez peu !

« Je vous présente la meilleure équipe son au monde. Tournée U2 – 360° en 2009. »

SLU : Tu as arrêté la tournée avec le grade d’Audio Crew Chief, mais j’imagine que de câbleur à responsable, cela a nécessité des étapes.

Vinnie : Bien sûr, comme tout le monde ! A la fin, chez Clair, j’étais responsable de régie et d’équipe mais surtout je m’occupais beaucoup des mixeurs, des cadors comme Joe O’Herlihy, Jon Lemon ou Pooch Van Druten. Je m’occupais de leur régie et je calais leur système en fonction des besoins de chacun.

« Comment ne pas parler de Monsieur Pooch pour qui j’ai été assistant, collaborateur, responsable système et bien sûr ami depuis que Clair Global a repris Showco. »

Joe te laisse faire et écoute le résultat final là ou Pooch travaille avec toi pas à pas. J’ai adoré le challenge du : « Impec, je veux ça tous les soirs », qui est loin d’être évident. Je pense avoir laissé un bon souvenir même si pas mal de monde te dira que je suis une tête de con.

SLU : Efficacité avant tout ?

Vinnie : J’avais un boulot à faire, il était donc fait, quoi qu’il arrive. Il faut être le premier à se lever le matin et le dernier qui ferme les portes de la semi. De toute manière, la taille de certaines tournées, je pense à U2, ne permettait pas la moindre erreur.
On était tellement nombreux qu’il y avait plusieurs Crew Chiefs, mais chacun à sa place. Mon boulot c’est de te donner la Ferrari clefs en main et le plein fait, et rester à tes côtés si quelque chose ne tourne pas rond car je connais les moindres détails de l’installation. J’adore !

« Mon mentor, mon gourou, mon ami, mon confident, mon p’pa irlandais. Joe O’Herlihy avec qui j’ai fait divers tours du monde pour U2, REM, The Cranberries… »

SLU : 53 ans. Comment te vois-tu continuer et évoluer.

Vinnie : Je me vois très bien continuer en tant que support technique et je pense qu’il serait intéressant de disposer d’une structure Clair Bros, une sorte de dry hire ou rental qui travaille en collaboration avec tous les services Clair Europe. Être au milieu et supporter, compléter une tournée là où c’est nécessaire.

« Une photo essentielle pour moi. A droite Jo Ravitch, l’un des plus anciens Responsables d’équipe de Clair Global qui m’a appris tout ce que je sais sur les systèmes et m’a toujours fait confiance. Au centre Joel « Lunch Box » Merrill qui a fait son premier tour mondial sur U2-360° et maintenant est responsable des systèmes Clair Global sur leurs plus grosses tournées… Trois générations d’Audio Tech. ».

SLU : Mais ce n’est pas le rôle d’Audio Rent ?

Vinnie : Non, Audio Rent c’est Clair Global (ahh cette segmentation… NDR) mais c’est important que ceux qui utilisent des systèmes Clair Bros disposent du même type de support que ceux qui utilisent les services de Clair Global. Pour cela il faut quelqu’un qui vienne du monde Clair Global et qui puisse faire en sorte qu’une tournée Clair Bros soit faite à un niveau Clair Global.
Cela arrive déjà que des équipes de Global viennent en renfort sur des tournées Clair Bros, effectuées par exemple avec le matériel acheté par certains groupes. La puissance de Clair c’est la capacité par exemple de Josh Sadd de dessiner des enceintes ultra-spécifiques pour des bateaux, des églises ou des restaurants et de les rendre invisibles, mais à la fois capables de faire du très bon son.

« Quelle tristesse… Pour les Cranberries j’ai été Assistant régie salle, Responsable du système, Responsable d’équipe et jusqu’à Ingé son retour. Dolores O’Riordan était une superbe personne, une grande artiste et avant tout une amie. Tu me manques… »

SLU : Quand on t’écoute on pense à Zaza et d’autres qui ont aussi eu cette envie, voire cette passion pour Clair. Ça vient d’où selon toi.

Vinnie : Je pense que le marché français ne leur suffit pas. Bien sûr certains artistes hexagonaux te font voyager mais ils sont rares comme l’est le nombre de dates à l’étranger. Ce n’est pas simple de combattre la routine et pour ça, Clair c’est parfait.
Xav, je l’ai vu comme assistant sur des grosses tournées Clair alors que c’est un super ingé son, mais il a compris que pour atteindre certaines stars, il fallait analyser comment bossent les américains et gagner sa place tout doucement. Il y est arrivé et le mérite pleinement.

SLU : Est-ce que ta vie de bâton de chaise sonore te manque ?

Vinnie : Oui, mais il faut savoir lever le pied. Je me suis retrouvé à Lagos au Nigeria devant gérer du son avec peut-être 500 000 personnes et en présence du Premier ministre. On a beau être pro, ça stresse un peu.

« Marc Carolan au premier plan et Andy O’Brien son assistant derrière lui. Un méga ingé son salle avec qui j’ai travaillé sur différentes tournées de U2 où il venait avec le groupe en première partie, jusqu’au jour où nous sommes partis en tournée pour Muse ensemble ! Encore deux points de plus pour l’Irlande ! »

C’est chouette de quitter le Groenland pour partir sur la Lune puis déjeuner à Tokyo et le soir prendre l’apéro à Paris, mais avec l’âge, c’est plus dur de récupérer ne serait-ce que le décalage horaire. Mon corps m’a dit stop à sa façon et il faut savoir l’écouter.

Les souvenirs se bousculent dans ma tête et le frisson, le côté mercenaire où rien n’est impossible sera toujours là. On m’a interviewé un jour et à la question de savoir ce qui me manque, j’ai répondu : « J’espère vivre assez longtemps pour faire le premier concert Clair sur la lune ! »


« Last but not least, un homme seul peut être courageux et foncer sempre più forte, mais il y a toujours derrière une femme encore plus forte. Ma femme, ma pote, ma conseillère, mon bras droit, ma camomille… Eleonora ! ».

SLU : Quittons la technique et en guise de conclusion, une question plus personnelle. Tu as des enfants ?

Vinnie : J’en ai un, mais pour faire écho à mon histoire, je l’ai adopté. En quelque sorte j’ai payé ma dette. J’ai rencontré une femme pendant que je vivais à Paris et elle avait un enfant de 4 ans et demi. Jusqu’à ses 18 ans on a vécu ensemble. Je l’ai fait grandir et il m’appelle papa.
Je suis arrivé il y a quelques jours à Paris et la première personne que j’ai voulu voir c’est lui. Il a 24 ans et travaille dans les assurances. Il est adorable avec un cœur énorme et c’est un vrai français. Il râle tout le temps contre tout le monde (rires) !

 

Crédits -

Texte :Ludovic Monchat - Photos : Vinnie et SLU

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