Je voulais consacrer cette deuxième partie à ces hommes et femmes, dont les spécificités techniques de leurs métiers les rendent indispensables au bon déroulement d’un spectacle. Ils ne font partie d’aucune équipe, mais ils sont à l’écoute de toutes leurs problématiques.
En attendant ….(crédit Philipe Leblond)
Partons à la rencontre de ces aiguilleurs de la data, ces as de la communication, ces maitres du temps, afin d’appréhender leur monde, celui de l’interphonie, du topage, de l’administration réseau ou celui du show control.
Pénétrons dans le monde de l’invisible qui ne se dévoile à nos yeux que lorsqu’il y a un problème technique.
Allô Papa Tango Charlie
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Les hommes de l’ombre régisseurs, machinistes… (crédit Claude Cellier)
Doum en préparation d’un deuxième Watergate (crédit Emmanuelle Husson)
Intercomie, interphonie, il n’existe pas de dénomination spécifique à ce métier et pourtant…. Oh combien important, comme nous l’explique Philipe Leblond plus connu dans la profession sous le nom de Doum.
Cet ancien ingénieur du son télé, habitué des stades, des cérémonies d’ouvertures, d’évènements sportifs comme le Dakar, de concerts ou de conventions, est devenu la référence en matière de communication.
Qui parle à qui ? Qui entend quoi ? Voici les deux questions auxquelles il est confronté quotidiennement et auxquelles il se doit de répondre…instantanément.
« Tout d’abord, définir le cahier des charges. Combien de directions vais-je devoir déployer, combien de personnes vais-je devoir équiper avec un câble ou sans câble et pour quelle zone de couverture ? Régie son, lumière, video, plateau, mise en scène, chorégraphie autant de directions principales sous lesquelles se dissimulent des sous réseaux, et de réseau privatifs car c’est long 2h45 de spectacle sans quelques plaisanteries. Ce qui se dit dans l’intercom, reste dans l’intercom.
Bienvenue dans la matrice : 200 in/out….(crédit Philipe Leblond) Matrice Clear-Com EHX MEDIAN, 2 cartes MVX-A16, 1 carte E-Dante 64, 1 carte E-IPA 64 HX, 1 carte IVC-32
L’aiguillage de toutes les informations primordiales se fait via la matrice Eclipse de la marque Clear-Com sur laquelle est interfacé via la carte IPA, le système sans fil Freespeak complété par le réseau Helixnet, le tout pilotable à distance via le logiciel EHX.
L’implantation se résume à 26 panels en Ip ou en analogique aux multiples clés, de 12 à 32 selon l’importance du trafic, dispersés aux 4 coins de l’arène afin d’équiper chaque régie. A cela s’ajoutent 60 beltpacks HF, 70 talkies et une dizaine de boitiers filaires disséminés de droite à gauche.
Pour les 5 500 figurants costumés, les loges ont été éparpillées dans toute la ville. Ces 8 sites distants, gymnase, écoles…ont été équipés par la Romande Energie de fibre optique, afin de tous les interconnecter.
Ce maillage réseau m’a permis d’installer dans chaque lieu un panel IP afin d’assurer une communication temps réel avec la logistique de l’Arène. Et si jamais la liaison était interrompue pour quelque raison que ce soit, j’ai mis en place sur la matrice un routeur Ubiquity. Celui-ci, grâce à une adresse IP publique, me permet de créer des panels virtuels (agent IC) sur tablette ou smartphone, de contrôler la matrice à distance et surtout de me connecter sur un serveur SIP.
Je vous donne un numéro de téléphone compatible et vous communiquez directement sur le panel ou beltpack concerné. »
Je confirme le don d’ubiquité de Doum, pendant les répétitions il s’est absenté quelques jours. Il était à Cannes sur l’Amfar, bref pas du tout avec nous. En tant que professionnel, il avait placé Margaux pour le remplacer. Le metteur en scène demande une modification de clé et là miracle, Doum lui répond, lui fait sa modif, trois petits tours et puis s’en va, nous laissant, Margaux et moi…émerveillées.
Les répétitions, un long fleuve tranquille
Pour cause de pluie imminente, les répétitions sont décalées. Table de la régie artistique (crédit Philipe Leblond)
Après 6 journées intenses consacrées à l’installation, Doum pensait pouvoir rester confortablement assis sur son fauteuil, afin de superviser le bon fonctionnement de son réseau. Oui mais non ! C’était sans compter sur la magie de la création !
« Généralement durant un spectacle, » m’explique-t-il, « c’est au topeur que revient le rôle de chef d’orchestre. C’est à lui de donner les tops au bon moment et à bon escient, à tous les corps de métiers techniques et artistiques.
Daniele en plein travail de mise en scène (crédit Philipe Leblond)
Devant l’ampleur de la tâche à diriger tout ce monde, figurants, choristes, techniciens, régisseurs …qui je le rappelle sont tous équipés de récepteurs FM ou de in-ears ou d’intercom, Daniele, le metteur en scène, a gardé la main sur les tops concernant la mise en scène. Il a délégué à Bryn Walters, le chorégraphe principal, les tops concernant les danseurs et Maria Bonzanigo, compositrice principale, en a fait de même avec les différentes formations de musiciens.
Cette configuration inhabituelle m’a permis de pousser le système Clear-Com dans ses derniers retranchements. Grâce aux logiciels de commande embarqués EHX et Dynam, j’ai pu, en fonction des tableaux répétés, changer à la demande et quasi en temps réel les affectations des clés ou laisser la possibilité de le faire par exemple aux régisseurs. »
A la question, pourquoi ne pas avoir utilisé la bande UHF ? La réponse de Philippe est sans appel. Impossible. Toute la bande passante disponible entre 470 et 698 MHz est utilisée par les liaisons HF des micros et des porteuses in-ears. La seule solution était de sortir de cette partie du spectre surchargée, en utilisant la norme DECT qui travaille entre 1.880 et 1.920 GHz. Cette technologie est basée sur l’allocation et la répartition dynamique des canaux et de la bande passante en fonction du nombre de connections mises en route. Pour faire simple, le principe de fonctionnement est similaire à nos téléphones portables.
Le calme avant la tempête, mais où est Priscille l’assistante de Doum ? (crédit Philippe Leblond)
Chaque beltpack est en recherche permanente d’une antenne disponible, de préférence la plus proche, tout en tenant compte du déplacement de l’utilisateur. Ce qui s’appelle le roaming en jargon technique. La limitation du système est que l’on ne peut dépasser 10 communications simultanées par antenne, ce qui implique que la 11e s’interconnectera automatiquement ou pas avec une autre, d’où l’importance de bien les répartir. Leur placement va donc dépendre de la distribution des boitiers Freespeak. Sur les 60 utilisés, 40 sont dédies aux régisseurs et machinistes.
Ceux-ci se trouvent aussi bien à l’arrière des quatre scènes situées au niveau 1 (5.5 m de hauteur), qu’au niveau zéro où se dressent les 2 escaliers montés sur vérin hydraulique qui s’ouvrent complètement, mais également sur le FOP via les 4 vomitoires. La zone de couverture est donc composée de la totalité de l’ARENE, des backstages et du déambulatoire dissimulés sous les gradins.
10 antennes Freespeak IP ont été installées à 30 mètres sur les mats à l’arrière de chaque scène, ainsi qu’au niveau des portes principales Nord et Sud. Cette dernière génération d’antenne TCVR-IP est reliée à la base via le réseau AES-67 en utilisant des switchs configurables et surtout compatibles. Justement partons à la rencontre d’un petit gars plutôt grand, discret mais très efficace.
Mutualisation, inter-opérabilité. Où en est-on en 2019 ?
Nouveau métier, place aux jeunes et Baptiste Huguet a tout pour plaire ! Son DUT administrateur réseau en poche, il aurait pu postuler dans une banque. Raté, lui il voulait faire du spectacle et vivant ! Il intègre donc la formation en alternance sur deux ans au CFA de Paris, le bien nommé CFPTS.
Entre son, lumière, vidéo son cœur balance, mais il choisira lumière. Il lui faut à présent un employeur. Ce sera le groupe Dushow qui a très bien compris son besoin d’intégrer ce genre de profil au sein de son personnel pour appréhender les vingt prochaines années sereinement.
Dans les locaux de Dushow montage à blanc des 4 Gigacore 16 XT et 12 Gigacore 14 R. Le tout relié par des fibres (crédit Baptiste Huguet)
Dès l’obtention de son diplôme, il est embauché en CDI. Il ne restera pas seulement confiné à l’entrepôt, sa mission est sur le terrain. Son job est d’assurer le déploiement du réseau lumière et son bon fonctionnement.
Pouvait-on sur cette fête, à haute valeur technologique ajoutée, mutualiser les réseaux audio lumière vidéo et intercom ? Personne n’a osé relever le challenge. Trop tôt. Peut être lors de la prochaine ?
L’audio overIP est distribué par deux réseaux Dante distincts, en double étoile. Le premier est dédié aux sources live, aux sorties vers les différents systèmes de diffusion et vers la matrice d’intercom. Le second est consacré au virtual soundcheck, aux enregistrements quotidiens et aux envois playback de l’Ovation en AES67.
Un début d’interopérabilité : un petit pas pour Audinate, un grand pas pour AES67. Vous l’aurez compris, pas de place pour les canaux intercom et les antennes AES67 et encore moins pour l’ArtNet malgré la présence de 34 SG 350 Cisco 24 ports dont 4 sont équipés en fibre et 8 SG 350 48 ports. Ce sera une mutualisation light / intercom.
Pour les myopes, une vue de plus près, le rouge dans le rouge et le bleu dans le bleu. (crédit Baptiste Huguet).
722 projecteurs, 2 grandMA2 Full, 1 Grand MA2 light, 1 Ultralight, 2 Command Wings, 8 NPU, 4 poursuites asservies RoboSpot Robe et 12 Node8 MKII Luminex pour la distribution du data vont cohabiter sur le réseau conçu par Baptiste :
2 anneaux pour l’ArtNet, le MA-Net, le RTSP pour les caméras RoboSpot et l’IVC 32 de la matrice Clear-Com pour l’interphonie filaire, plus un troisième dédié à AES67 pour les antennes IP de Clear-Com et les nouveaux panels.
« J’ai privilégié les switchs Gigacore Luminex, car je disposais de 170 watts de POE manageable par port pour les alimenter » me confie Baptiste. « Sur ce LAN interne à l’arène, j’ai également interconnecté des sous réseaux physiques en étoile composés de switchs POE (GS110 TP Netgear) pour alimenter en électricité et en data les panels de communication.
Face au besoin de Doum de relier tous les sites distants, j’ai créé un réseau externe en topologie étoile que j’ai interconnecté sur les anneaux de l’arène via des switch Netgear GS724T en utilisant des fibres noires fournies par le prestataire local.
Pour surveiller le bon fonctionnement des Gigacore, j’ai utilisé le logiciel Araneo du fabricant, ainsi que le logiciel client de serveur The Dude avec un routeur de la marque Mikrotik implémenté en serveur dans le réseau pour vérifier tous les états des switchs mais aussi celui des onduleurs et la bande passante des Trunk.
Le logiciel de monitoring, quand c’est vert tout va bien quand c’est rouge, le début de la fin et que dit le Dante Controller ? Copie d’écran lors de la phase de test réalisé en janvier à Nice par Ludovic Morin (crédit Ludovic Morin)
Pour faire fonctionner l’application Agent IC de Clear-Com et le système d’appel de numéro téléphonique émis depuis un mobile vers la matrice, j’ai fait la demande d’une adresse IP publique que j’ai administrée grâce au routeur Edge de Ubiquiti.
Les fibres multi-brins ont été soudées aux longueurs sur place par Hugo (crédit Hugo)
Grâce à ce système, en cas de défaillance d’un panel par exemple, on pouvait joindre Doum via sa matrice de n’importe où en France. Merci Baptiste grâce à toi, nous nous sentons un peu moins désœuvrés face à cette nébuleuse.
Elasticité temporelle : le Show Control
Voyons à présent ce qui se passe du côté de la synchronisation. Il aurait été déplacé de cacher ma relation plus qu’étroite avec Ovation, cette application qui, selon moi, est devenue incontournable lors de ce genre de spectacle. A un moment donné de ma vie d’intermittente, j’ai fait le choix de quitter le terrain pour devenir chef produit chez SCV Audio. Merging Technologies faisait partie des marques dont j’avais la charge.
Les techniciens studio et broadcast connaissent bien le logiciel de recording, de montage et de mixage Pyramix qui a su faire sa place dans le monde élitiste de l’enregistrement d’orchestre classique grâce à ses cartes aux préamplis analogiques et convertisseur très haut de gamme.
Ovation, entouré de ses amis, les Mif4 de chez Rosendhal sur la console Mackie à droite le dernier né de chez Merging Technologies, le Merging+ANUBIS. Il s’agit d’une interface réseau qui veille entre autres au passage d’AES67 dans les méandres du réseau DANTE (crédit Florian Baume)
En 2011 je découvre Ovation qui répond à la demande de transversalité entre les différents acteurs son, lumière et vidéo, indispensable au bon déroulement d’un show.
Cet outil est employé sur nombre de spectacles dont tous ceux du Puy du Fou ou bien Le Roi Lion et les rythmes de la terre le dernier né du parc Disneyland Paris.
L’effet sonore, lumineux, le lancement de la vidéo ou l’entrée d’un personnage peuvent être l’élément déclencheur.
Il est possible de coordonner via les différents protocoles de commandes proposés par Ovation (Ip, Midi, TC, OSC) tous les corps de métiers, en répondant ainsi aux desideratas du metteur en scène. Pour la Fête des Vignerons, chaque tableau utilise un time code LTC 25 frames, calé à des heures différentes.
Ensuite, il est distribué via le réseau DANTE à l’ensemble des consoles audio, lumière ainsi qu’au SMODE qui gère la diffusion de tous les media du FOP et des blades, les écrans positionnés en fond des quatre scènes pour en délimiter l’espace. L’enchaînement des mémoires des consoles, tous corps de métier confondus, est asservi au bon fonctionnement du time code.
Les topeurs, de gauche à droite : Sébastien Fevre, Daniele et Pietro Paolucci le jour de la dernière. (crédit Sebastien Fevre)
Les éléments déclencheurs, généralement des placements de mise en scène à vue, sont orchestrés par Sébastien Fevre et Pietro Paolucci, les deux showcallers (topeur en français), car c’est un spectacle live.
La possibilité de travailler avec plusieurs time lines, une par cue liste, a permis de répéter en simultané jusqu’à 4 tableaux différents, une fonctionnalité très appréciée les jours de pluie.
Sous chaque scène, nous avons pu improviser des salles de répétition indépendantes. En plus d’assurer que tous les évènements divers et variés soient synchrones, Ovation également, un player de cues multipiste ayant pour toile de fond Pyramix. A tout moment, vous pouvez éditer, combiner, merger les sons à diffuser. Ce qui est très utile au vu des nombreux changements qui ont eu lieu !
Le playback orchestre a été agrémenté au fur et à mesure des stems stéréo des différentes chorales afin de renforcer l’intelligibilité de celle-ci. La fonction matrice a été très utile pour envoyer, dans les différents canaux FM, les cue tracks, les clicks et les différents décomptes, avec une gestion indépendante des niveaux, selon la finalité. Un figurant n’a pas besoin d’entendre le click alors que celui-ci s’avère indispensable aux différents musiciens. Il en va de même pour les playbacks orchestre dans le canal FM des choristes. Alors show must go on !
Cycle de la vie
De l’invisible nous pénétrons dans le monde de la création, celui des lumières d’Alexis Bowles, la poésie des images de Roberto Vitalini, qui ont su sublimer cette histoire, celle du cycle de la vie.
Je voudrais remercier tous les techniciens vidéo d’Alabama que je ne peux malheureusement tous citer de peur d’en oublier un, de même pour ceux de la lumière. Il y en a un qui a bravé toutes les tempêtes. Merci à Jean-François Leclercq, l’interface logistique du groupe Dushow.
Je vous laisse avec des photos, de belles photos …