
Cerise sur le gâteau, disons même cerisier, Christian Heil nous a accordé une interview. Nous avons passé en revue l’essence même du projet L-ISA, les outils informatiques nécessaires à sa mise en œuvre et enfin sa vision du son amplifié moderne.
Plus que passionnant. Indispensable.
SLU : Une légende tenace raconte que vous avez imaginé L-ISA un jour où, après un concert où comme 90 % des spectateurs, vous étiez mal placé.
Christian Heil (Président L-Acoustics & bien plus encore…) : Ce n’est pas arrivé un jour, c’est depuis très longtemps que ce problème existe. Quand j’ai fondé ma société il y a 30 ans, je ne savais pas ce qu’étaient la sonorisation et le spectacle, je ne m’intéressais qu’à la technologie que nous avons contribué à faire avancer et cela nous a satisfaits durant de longues années.
Petit à petit, j’ai intégré des équipes d’ingénieurs du son et d’ingénieurs application. J’ai travaillé en proximité d’amis dans le spectacle et j’ai remarqué qu’ils étaient souvent contents du travail qu’ils faisaient, grâce au fait qu’ils occupent une place privilégiée en salle, mais les spectateurs n’avaient pas le même niveau de satisfaction. Je me suis donc mis dans la peau d’un spectateur, ce qui m’a permis de constater que je m’ennuyais. J’étais obligé de faire un travail cérébral qui consistait à recoller le son avec ce que mes yeux voyaient, un processus qui gâche l’expérience artistique d’un show.
Contrairement à un technicien, un spectateur recherche du plaisir, du naturel, de la sensation et du réalisme. Il ne cherche pas à savoir si l’aigu est propre ou la phase bien droite, et c’est ce qui m’a fait petit à petit penser à recentrer son et image, à les faire fusionner. Un autre facteur est l’élargissement des cadres de scène pour donner de la place à la scénographie, ce qui repousse le son vers l’extérieur et décorrèle son et image.

SLU : Dérive contre laquelle on lutte à l’aide de petits renforts centraux…
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Christian Heil : On essaie de faire ça mais ça ne marche pas très bien. Je me suis donc dit que nous devions tenter d’entrer dans le domaine multidimensionnel et hyperréaliste, en corrigeant par là même une erreur historique, celle d’avoir mis des enceintes à gauche et à droite alors que les gens sont au centre.
SLU : Au début on mettait une grappe centrale…
Christian Heil : C’était une très bonne idée ! On a dû par la suite tomber dans l’illusion de la stéréo alors qu’on n’a jamais cessé de faire de la double mono. La solution ne pouvait venir que d’un fabricant apprécié, innovant et suffisamment bien implanté pour pouvoir essayer de changer la donne. Mais ça ne va pas être facile. Nous n’allons pas nous opposer à d’autres fabricants de haut-parleurs, au contraire, mais aux éclairagistes et aux scénographes qui ne vont pas vouloir de lignes d’enceintes dans le champ visuel.
J’ai une anecdote. J’ai été invité au concert d’un artiste de stature internationale à Londres. Le show commence et je ne le vois pas. L’immense mur vidéo projette des images psychédéliques. On finit par me le montrer, tout petit et au centre du plateau. Honorait-on vraiment l’artiste qui revenait sur scène après une longue absence ?



L’expérience d’un concert n’est plus assez sonore. L-ISA est un pari qui a besoin de l’adhésion des ingénieurs du son, mais ils sont encore rares à assumer ce choix. François Gabert, Stéphane Evrard et toute l’équipe de l’ONL ont dit banco, appelons cela un bon alignement de planètes.
SLU : L-ISA a pris forme quand ?
Christian Heil : Nous avons commencé en 2012 avec Sherif El Barbari, notre homme de terrain, qui a spécifié le projet et a participé activement au développement, et avec Guillaume le Nost qui a pris en charge le développement et a réuni l’équipe nécessaire pour cela. Pendant quelques années nous avons travaillé dans l’ombre d’un laboratoire, faisant des tests algorithmiques et des tests de compatibilité en vue de créer des designs sonores.
Les systèmes on les avait, mais commuter du gauche/droite au multicanal allait changer leur dimensionnement. Cela dit nous disposons des modèles nécessaires avec Kara, Kiva II et Syva. À ce propos, nous aurions dû avoir du Kiva II pour cette opération mais malheureusement c’est une enceinte trop récente, et nous n’avons pas pu trouver le nombre de têtes nécessaires.

SLU : Il faut dire qu’en étendu, donc 7 lignes, ça commence à faire ! Combien en faut-il pour un déploiement typique ?
Christian Heil : On a deux parties sur L-ISA. Une première, que l’on appelle Scène, couvre avec 5 lignes ou plus l’étendue de la zone de performance où se trouvent les musiciens. La seconde partie, appelée la zone Étendue, offre un panorama plus vaste dans lequel on va mettre des réverbérations, les ambiances, certains synthés et des chœurs. Une sorte de côté panorama.
Il n’est pas obligatoire que le système Scène et Étendu aient la même densité. Si on tournait avec une grosse formation de rock dans des Arenas comme l’AccorHotels à Paris ou l’O2 à Londres, il ne serait pas inenvisageable d’accrocher K2 qui ouvre très large, a naturellement plus de contour et rassurerait immédiatement les ingés son qui seraient dans leur zone de confort.
L’inconvénient majeur est qu’au lieu de mettre deux grosses lignes classiques, nous en mettrions cinq à peine plus courtes. Ajoute les étendues et le compte n’y serait plus. Nous travaillons en respectant un rapport d’échelle et un nombre de composants précis, que ces derniers soient dans K2 ou Kiva II.
L-ISA. Plein de petites enceintes ou moins de plus grosses…
SLU : D’accord pour des moteurs, mais pour les HP de grave et l’aptitude de certains modèles à être full range comme K2, cela change la donne vis-à-vis de Kiva…
Christian Heil : Nous sommes absolument d’accord. Dans le cas de ce soir, il s’agit d’une configuration où le besoin en contour du classique n’est pas très élevé, mais même en cas de musiques plus exigeantes, la quantité de matériel ne va pas changer de manière spectaculaire. Pour le comprendre, repartons un peu dans l’acoustique de base.
Quand on place une centaine de membranes entre 15 et 18 pouces d’un système traditionnel dans une audience, c’est un peu le chaos, un peu comme ce qui se faisait avant le V-DOSC quand on multipliait les boîtes. Les graves suspendus se combinent uniquement dans la médiatrice, et quand on s’en écarte, on a des accidents. Quand on y ajoute des subs qui sont de temps en temps distribués frontalement pour avoir un rendu plus diffus, on ne gagne pas beaucoup d’énergie à cause des pertes en ligne.

Le concept de L-ISA va spécifier que tout le grave et l’infra soit au centre, car tout le monde sait que si on pouvait placer toutes les sources de grave au même endroit, à l’intérieur d’un espace d’une demi-longueur d’onde, on aurait le boulet dans toute la salle. Idéalement et même si cela ne va pas plaire aux gens des lights, accrocher les subs dans un point central, quand cela est techniquement possible, est bon pour le son. Quand c’est irréalisable, une solution peut être de dissocier les sources pour éviter les interférences, mais pour ça il faut convaincre des ingés son qui naturellement privilégient leur zone de confort.

Même un ami et aventurier comme Madje, qui a longuement employé L-ISA sur Renaud, ressent parfois le besoin de revenir vers un mix plus conventionnel. Enfin il me semble que, toujours dans le bas du spectre, on atteint la surenchère. Pour un groupe de heavy metal très connu, ont été déployés 64 subs à l’AccorHotels Arena. Je pense que cela marche de manière…un peu chaotique (rires).
SLU : Heureusement, ce serait sinon intenable ! Si je vous comprends bien, vous voulez confier, à un point d’émission unique et central, le grave et l’infra, et tout le reste du spectre irait aux lignes L-ISA.
Christian Heil : Tout ce qui est en dessous de 100 Hz peut être rassemblé en un seul endroit, ce qui permet d’utiliser des arrays de plus petites dimensions. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas K2 en array central. On raccorde tout au centre avec des subs, qui ont aussi la fonction de grave.
SLU : Ils ont un preset spécifique ?
Christian Heil : Ils doivent monter jusqu’à 100 Hz. Nous avons fait des essais en plein air, et même si je prends la ligne la plus extérieure en Kara par rapport à un unique point d’émission central de grave et infra, cela fonctionne quand même mieux que si j’accroche du K2 et j’ajoute du grave au centre parce que ça interfère. Cela n’est bien sûr pas extensible à l’infini à cause de la distance relative entre sub et tête. J’aurai un problème de retard et de niveau. Je ne dis donc pas que dans un stade, avec un système central et une scène de 70 mètres, on placera du Kara à 30 mètres du point de grave, mais dans beaucoup d’autres lieux plus ramassés, on aura un résultat meilleur qu’avec le gauche/droite.
SLU : Kara est donc la boîte de référence de L-ISA. Un seul moteur 3’’ ne pose pas de problème ?
Christian Heil : Le nombre de moteurs importe peu, c’est un système de ligne source, je mets le nombre de boîtes qu’il faut.
SLU : Comment établit-on le nombre de boîtes avec L-ISA justement…
Christian Heil : On commence le design L-ISA par la base, le gauche/droite. Ici à Lille on a regardé le design de 2016, le mapping SPL et on a proposé la « même chose » mais avec un autre système. On fournit la même énergie répartie dans la salle.

L-ISA c’est fournir la même énergie répartie dans la salle qu’avec du tradi. Mais en mieux.
SLU : Je pose la question au créateur et ingénieur. Est-ce que l’octave 60-120 Hz reproduite par un système à petits HP équivaut en impact et en ressenti qualitatif à celle délivrée par un système de surface émissive égale mais embarquant par exemple des 12’’.
Christian Heil : Cette question, on se l’est posée aussi. La réponse se situe entre oui et non. Je pense qu’avant tout il s’agit de repères de mixage mais à la fois je ne suis pas un mixeur, et si Madje était là il ne serait peut-être pas d’accord (rires !). Sur tout ce qui se passe entre 60 et 100 Hz, je préférerai toujours ce que reproduit un 15 et même un 18 pouces qui a moins de distorsion. Quand on passe au-dessus de 100, je ne vois plus la différence.
Prenons le problème maintenant à l’envers. Est-ce que je ne préfère pas une série de 8 pouces qui se partagent l’énergie sonore dans la bande 80 à 120 Hz, plutôt que de rassembler toute cette énergie sur deux 15 pouces. Cette fois, la réponse n’est pas aussi claire. Si je mets un seul signal sur une membrane de 8 et de 15, je préférerai le 15 pouces.
Seulement la musique ce n’est pas du tout ça. Quand j’assemble plein de signaux différents et que je les route tous dans le 15 pouces, leur combinaison n’est pas idéale, je préfère plus de petites membranes. Quand on parle de Madje et de Renaud (Madje et Potar ont accompagné Renaud en L-ISA dans une très longue tournée. NDR) mais c’est vrai aussi pour tous les bons mixeurs pop et rock, ils ont tous tendance à ramener leur mix au centre.

SLU : Ce qui donne depuis toujours le boulet…
Christian Heil : Exactement, seulement si on met pied, basse, bref, les éléments fondamentaux, dans peu de Kara et uniquement au centre, le système souffrira plus que par exemple dans une ligne de K2. Il faut apprendre à élargir et mieux exploiter le nombre de boîtes en l’air, ce que font très bien les ingés son en classique. Cela dit, si Madje n’est pas d’accord, ouvrez-lui vos colonnes !
SLU : C’est quand il veut et il le sait (Madje, si tu nous écoutes…) C’est pour ça que vous préférez pour L-ISA des spectacles de pop plus « tranquille » ?
Christian Heil : En tout cas d’un style musical qui tire avantage de la spatialisation et moins de la puissance de la manière que l’on vient d’évoquer. Je pense à Jarre par exemple, la nature même de sa musique irait très bien à L-ISA.
SLU : Et pourrait bénéficier de l’automation des déplacements…
Christian Heil : Bien sûr, il y a plein de possibilités avec les mouvements qui, dans certaines musiques, peuvent apporter beaucoup.
Quelle enceinte pour L-ISA ?
SLU : Est-ce que vous ne pensez pas que la limite actuelle de L-ISA est Kara, à la fois par son impact assez limité dans le grave, sa dynamique et surtout son ouverture qui à 110° ne joue pas assez la carte du recouvrement propre à votre technologie multicanale. Autrement dit, est-ce qu’une enceinte spécifique qui servirait mieux L-ISA n’est pas nécessaire pour lui permettre de s’imposer ?

Christian Heil : Bien sûr Ludo, mais laisse le temps au temps. La réponse est claire. Si L-ISA, et plus généralement les systèmes multidimensionnels prennent, il faudra réinventer les systèmes de sonorisation pour les rendre plus légers, plus rapides à installer et plus ouverts.
Si on rencontre des succès au-delà de l’enthousiasme du public, à savoir la volonté des productions de se lancer, il est vraisemblable qu’on se mette à la table à dessin. Je pense que c’est encore prématuré. De toute manière ce seront les prestataires qui nous réclameront des systèmes conçus plus spécifiquement pour le multidimensionnel.
SLU : Il y a déjà Syva…
Christian Heil : Oui et c’est une enceinte magnifique pour L-ISA. On pourrait très bien sonoriser une formation classique ou de jazz dans une salle de 1 500 places avec ce modèle (Rêve prémonitoire de Christian Heil. Alain Français l’a fait au Théâtre des Champs Elysées en octobre NDR)
SLU : Avec son ouverture très, très large, c’est la seule du catalogue L-Acoustics qui corresponde parfaitement au principe L-ISA qui veut que chaque groupe du système frontal couvre de manière optimale une aire commune représentant plus de 75 % de la zone d’audience.
Christian Heil : Cette enceinte était un pari et le résultat est très bon, en résidentiel comme en live. Son ouverture latérale nominale est de 140° et garantit effectivement un excellent recouvrement qui est la clé de L-ISA.
L-ISA partie soft
SLU : Où en est-on des outils informatiques pour gérer L-ISA ?
Christian Heil : On avance en parallèle. Aujourd’hui la dernière génération de Soundvision est en mesure de qualifier un design multidimensionnel car on sait que c’est différent et forcément complexe. On fait du gauche/droite depuis 40-50 ans sans trop se poser la question de savoir où ça recoupe, jusqu’où va la stéréo centrale, plus proche d’ailleurs du dual mono. En fait, personne ne sait quel est le pourcentage de chaque catégorie.

SLU : Si, vous pouvez le voir avec Soundvision
Christian Heil : Exact, nous avons désormais une couche de Soundvision qui est presque une certification de nos propres designs, que ces derniers soient du gauche/droite ou du multidimensionnel, et ce par le biais d’une note.
Cette nouvelle couche est le fruit de différents critères retenus comme le pourcentage de l’audience couverte, celle vers laquelle tous les signaux convergent. Il y a un critère de distribution du SPL. On vérifie aussi, et c‘est une nouveauté, l’impact temporel lié aux trajets acoustiques différents en fonction de là où l’on se place dans la salle. On s’y est habitué, mais en dual mono comme en stéréo, on vit avec un filtre en peigne et la pollution sonore de la seconde source. On a aussi un critère qui est lié à la capacité de résolution des sources, la faculté qu’a un spectateur à reconnaître et séparer les sources qu’il entend.
C’est une sorte de résolution spatiale, comme un pixel dans une image. On va regarder aussi la déviation angulaire qui existe entre la source réelle et celle sonorisée. On donne une note à la déviation horizontale et verticale. Souvent ce qui pêche de par le placement des lignes, est celle verticale ce qui nous pousse à négocier une accroche le plus bas possible, mais cela est difficile car un spectacle mélange son, lumières, images et décor, et tout doit coexister pour l’ensemble du public. L’ensemble de ces notes agrégées donne une note finale. On ne se ment plus. On sait exactement et objectivement où en on est d’un point de vue qualitatif.

SLU : L-ISA demande donc un vrai savoir-faire de l’exploitant…
Christian Heil : Oui, mais je fais comme avec le V-DOSC il y a 20 ans. L-ISA marche avec des principes que nous établissons presque comme une règle d’école, règle faite pour être en un second temps dépassée. Les techniciens qui vont utiliser ce système vont sortir du cadre et vont inventer d’innombrables autres utilisations. Le Puy du Fou avec sa scène circulaire et d’autres parcs à thème ont adoré les possibilités offertes par L-ISA.
L-ISA, work in progress ?
SLU : Est-ce que l’algorithme du processeur L-ISA va encore progresser ?
Christian Heil : Guillaume le Nost qui le développe et Sherif El Barbari qui l’exploite ont passé près de trois ans à travailler sur la façon dont l’audio est manipulé dans le processeur.

Sherif qui, un peu comme toi, est extrêmement attentif aux détails, me rapporte souvent des pistes d’amélioration, mais des microdétails, surtout comparé à ce que nous sommes habitués à entendre avec le bon vieux gauche/droite dont les interférences sont inhérentes au principe même des deux lignes. Mais la réponse est oui, ça va forcément évoluer. Si tu avais vu le premier preset que j’avais fait pour le V-DOSC alors qu’en plus je ne connaissais pas les spécificités inhérentes au spectacle, c’était…
SLU : Pas bon ? (rires)
Christian Heil : Il y a eu par la suite des générations de presets, de mémoire il y en a eu 7, et maintenant on a compris ce qu’il fallait faire.
SLU : Comment harmoniser ce que jouent les enceintes du haut et celles du bas ?
Christian Heil : Celles du bas jouent une réduction mono. C’est logique car si tu es à l’extrémité de la scène et très près de cette dernière, tu ne vas entendre que ton enceinte de lip fill, or si je ne joue pas une réduction mono et que la soprane est à l’opposé, tu vas passer à côté de son chant. Avec un lip mono tu l’entendras. Il est cela dit possible qu’à l’avenir, et en fonction des circonstances, on panache du mix mono et non mono. Nous travaillons sur cet aspect et peut-être irons-nous vers une stéréo.
SLU : Quoi faire pour les côtés, là où pas mal de public se retrouve ? À l’heure actuelle il y a du K2, ici à Lille ou même dans la tournée de Renaud. On ne peut pas jouer la carte d’une spatialisation même réduite ?
Christian Heil : Nous y avons pensé, on a essayé une certaine forme de duplication mais pour le moment on abandonne car la pollution l’emporte largement sur la fourniture d’un son de qualité à plus de spectateurs. Pour revenir plus généralement à L-ISA, nous apportons des améliorations substantielles par rapport à ce qui se faisait avant mais nous ne supprimons pas certains défauts.

La verticalité, donc la distance par rapport au public, sera toujours un problème. Une comédie musicale, où les enceintes sont placées très haut, ne fonctionne pas aussi bien qu’elle devrait en L-ISA, mais pas plus qu’avec les systèmes actuels. Simplement on y est habitué et par essence, on trouve toujours plus de défauts au système nouveau qu’à celui que l’on connaît.
SLU : On est donc presque au bout de la phase de développement de L-ISA alors…

Christian Heil : Non, ce serait mentir de le dire, mais nous sommes sacrément avancés. Nous avons commencé en 2012 et on n’a pas fait que de la théorie, nous avons mis en pratique nos idées sur le terrain donc L-ISA est tout à fait prêt à être commercialisé. La seconde phase, qui va commencer en parallèle, c’est son appropriation par les ingés son.
SLU : Peut-on dire que L-ISA est la nouveauté et le futur de L-Acoustics ?
Christian Heil : La nouveauté du fabricant de systèmes audio L-Acoustics, est Syva. Nous sommes avant tout en train d’introduire dans le groupe une branche différente qui traite de design sonore, qui s’intéresse à ce que fait le produit quand il est mis en situation et plus seulement à ce qu’il délivre en termes de couverture ou SPL. Je dirais que L-Acoustics s’intéresse de plus en plus à l’application, la mise en œuvre de ses produits.
L-ISA est tout en tête de ce que l’on voudrait faire dans le design sonore frontal multicanal simple à déployer. A ce propos, le mérite de cette installation lilloise L-ISA en revient à Fred Bailly et à Sherif. Ma signature a été essentiellement les boîtes N° 1 et 7, celles qui étendent (rires !) Il faut tricher, étirer l’orchestre pour bien remplir une salle aussi grande. Le processeur L-ISA sait générer 32 sorties dont 6 sont pré-affectées à des downmix.
Et le secret de L-ISA est…

SLU : Quelle distance faut-il laisser entre chaque cluster ? Il y a ici 4 mètres me semble-t-il…
Christian Heil : Il y a 4 mètres pour des questions de fluidité. Il pourrait y avoir un peu plus puisque nous sommes à des distances assez importantes. Au-delà d’un certain écart, le son ne raccorde plus bien entre un cluster et un autre et surtout s’il faut suivre le déplacement d’un artiste avec, par exemple un tracker, on perd en fluidité dans la transition entre les clusters et on gagne un effet « magnétique » de saut de l’un à l’autre. Cela dépend aussi de l’ouverture des enceintes, mais quoi qu’il en soit, la raison est purement acoustique et de design.

SLU : L-ISA va quand même avoir besoin d’une grosse dose de pédagogie pour expliquer les nouveaux fondamentaux…
Christian Heil : C’est vrai ! On rebat les cartes. On m’a dit dernièrement… « mais, tu as toujours dit qu’il ne faut pas mettre deux line arrays à moins de 7 mètres l’un de l’autre ! » C’est vrai, mais surtout quand on a le même signal dans les deux sur toute la bande. L-ISA travaille en mode séparatif, il n’y a pas le même signal sur deux enceintes adjacentes… (je l’interromps)
SLU : Pourtant si, on peut ouvrir le même signal sur plusieurs lignes via le contrôleur !
Christian Heil : Effectivement, on a un mécanisme dans l’algorithme qui essaie de minimiser les questions d’interférences et corrige le timbre pour faire en sorte que deux systèmes sonnent comme un seul, ce qui n’est sinon jamais le cas. Il faut aussi faire du détimbrage et de la rotation de phase pour éviter que les interférences ne s’entendent. On a passé des années à le mettre au point avec des gens pointus qui ont écouté et ont coupé les cheveux en quatre. L’algorithme est bon. Ce qui peut être amélioré encore aujourd’hui est la distance verticale et donc la crédibilité pour les premiers rangs.

SLU : Parfaitement d’accord. Le raccord et le son des premiers rangs n’est pas optimum. Il vaut mieux être plus reculé et dans le tir de L-ISA seul.
Christian Heil : Celui qui m’invente des near fills qui marchent et sont efficaces pour les 5 premiers rangs, je dis chapeau. J’assiste à beaucoup de spectacles à Londres où je réside, et très rares sont les shows où le champ proche est convaincant.
SLU : J‘imagine que l’intégration d’une partie de L-ISA dans les consoles DiGiCo va aider à son adoption…
Christian Heil : Bien sûr. Sherif et Guillaume ont œuvré pour qu’on passe cet accord avec DiGiCo, et cela rend sa mise en œuvre encore plus simple et pratique. L-ISA est une aventure commencée il y a 5 ans mais dont la maturité va intéresser les productions. Je ne suis pour autant pas convaincu que le rythme s’accélère d’un coup. Il faut que des gens qui ont confiance en moi et dans la marque, et qui ont du pouvoir, fassent le premier pas, des gens par exemple comme Stéphane Plisson en France mais aussi l’ingé son d’Adèle ou de Radiohead.

Cogitations en guise de Conclusion
Rendons d’abord à César ce qui appartient à François Gabert. La plus belle diffusion ne sert pas à grand-chose si on lui pousse dedans du bizarre. Heureusement le bonhomme est aussi serein et équilibré que son mix. On s’est régalé une heure durant, savourant dans les moindres détails le travail de Jean-Claude Casadesus et de l’Orchestre National de Lille. Chapeau aussi aux architectes qui ont conçu le volet « showbiz » du stade Pierre Mauroy. La polyvalence de cette salle est une réalité sonnante et trébuchante. Surtout sonnante. La capacité d’accueil, l’accessibilité, les possibilités d’accroche mais surtout l’acoustique archi saine en font une remarquable salle de spectacle, une Arena avec un A majuscule.

L-ISA, c’est quoi. Pour faire simple je dirais que c’est le meilleur compromis possible dans un domaine qui n’est que compromis. L-ISA, c’est la façon la plus rationnelle économiquement comme acoustiquement et sans doute la plus aboutie d’obtenir un front sonore immersif, cohérent et spectaculaire en termes de zone de couverture, réponse en fréquence, phase, dynamique et SPL. L’idée et la technologie qui se cachent derrière ne sont pas nouvelles, mais leur intégration au sein d’un processeur puissant, mû par un algorithme très raffiné et piloté par un contrôleur à objets, le sont tout à fait. Quand un mastodonte comme L-Acoustics s’implique dans un projet, ce n’est jamais à la légère et L-ISA n’y fait pas exception. Plusieurs questions se posent alors.

L-ISA est bon à tout faire ? Théoriquement oui. Offrir un champ sonore vaste et une localisation précise des sources à plus de la moitié du public, voire dans certains cas beaucoup plus, est bon pour toutes les applications et styles musicaux. En plus la gestion simple, automatisable et pilotable à distance des objets ouvre une infinité de possibilités créatives.
Confronté à des solistes trop clairs, trop en avant et sans doute trop « amplifiés » François Gabert a par exemple fait le choix durant le concert de les reculer dans l’espace, une façon simple de les fondre plus dans le mix et leur redonner plus d’authenticité. L-ISA est une clé dont les techniciens mais aussi les artistes peuvent s’approprier. N’oublions pas que c’est sous l’impulsion des Floyd que la quadraphonie a existé en grand.

L-ISA peut-il exceller aussi dans des styles demandant de la membrane et du SPL ? Une fois encore la réponse est oui, en tirant parti des enceintes au catalogue, mais ce serait sans doute encore plus facile avec des modèles dédiés à cette norme. Une tête spécifique dans ses formes comme dans ses fonctions, capable de reproduire avec la puissance et la dynamique moderne, le spectre 100 Hz à 16 kHz, avec une ouverture très large et peut-être ajustable par des volets, une enceinte capable de faire plus de SPL mais avec un nombre de boîtes limité pour faciliter son intégration visuelle.
Une enceinte enfin qui gagnerait à être cardioïde pour lui permettre d’être placée à la verticale du plateau sans risquer d’impacter ce dernier, ce qui offrirait une couverture L-ISA plus large et qui servirait aussi les premiers rangs. Une enceinte nerveuse et actuelle qui aiderait les mixeurs à sortir d’une vision trop monophonique du boulet. Ce qui est vrai pour le haut, l’est aussi pour le bas du spectre. Il faudrait idéalement une enceinte très puissante, associant renfort de grave et sub, capable de reproduire entièrement les deux premières octaves avec une directivité cardioïde native afin de pouvoir concentrer cette usine à grave et bave dans un espace restreint et central.

L-ISA est-il créatif et simple à utiliser ? La réponse à la première partie de la question est clairement oui, mais plus encore c’est aussi un outil de mixage à part entière qui a toute sa place sur une console de mélange et pas simplement relégué dans son écran et derrière sa souris. Son intégration au sein des consoles DiGiCo sera à cet effet très bénéfique et devrait faire des émules. Simple à utiliser, peut-être pas si on se place du côté design.
Le besoin par exemple de concentrer le grave dans un point unique complique quelque peu son exploitation en plein air et partout où le poids en accroche pose problème. Il faudra aussi un peu de temps pour que les mixeurs prennent la mesure de l’ensemble d’enceintes à leur disposition pour ouvrir leur mix et surtout comprennent qu’il faut employer plus de boîtes pour bénéficier de la pression que requiert tout show.
L-ISA sonne-t-il bien ? Ici la réponse est nettement oui. Les stratégies déployées au sein du processeur permettent de jouer un même message de façon la plus constructive possible dans deux ou plus de lignes espacées. Pas évident sur le papier. Et pourtant ça marche bien mieux que ce qu’offrent actuellement deux points principaux qui ne s’aiment déjà pas trop, et auxquels on ajoute les down, out, lip, front, les renforts de grave accrochés et les subs au sol. Soyons honnêtes. On y est habitué, mais c’est très souvent interferland… Alors oui, parfois on perçoit quelques queues d’artefacts, mais l’ensemble est infiniment plus honnête et généreux en couverture et en audio de qualité que l’habituel gauche/droite.


Enfin, L-ISA est-il une bonne réponse aux nouvelles normes de niveau ? Sans hésiter oui. Par la plénitude de son rendu à pression raisonnable, et par le fait de jouer loin du public et avec un seul groupe d’enceintes point source, la partie du spectre qui vient d’apparaître sur les écrans des analyseurs désormais chatouilleux au dBC, L-ISA va régaler le public, comme les pouvoirs publics. Pour info, le Requiem n’a atteint lors de ses magnifiques fortissimi que 98 dBA et à peine plus en C. À 4 dB des limiteurs. Autre avantage qui facilite la vie du mixeur, le rendu en régie n’est pas chargé à +6 dB comme d’habitude puisque têtes comme subs distribuent au mieux le SPL.
En fait, on en vient à se poser une question simple. Et si le gauche/droite c’était le passé ?

Peut-être avez-vous raté les parties 1 et 2 de notre dossier sur L-ISA, retrouvez-lès ici :
- 1ère partie – Le Requiem de Verdi avec Gabert, Blanc-Garin & Duvet
- 2ème partie – Interview de Guillaume Le Nost
Et d’autres informations sur :
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