Après le chapiteau et une première partie de reportage au contact des artistes et du public, place maintenant à l’empaquetage du signal antenne en compagnie de deux spécialistes très complices : Manu Guiot pour le mix musique avec Silence et Antoine Canin pour le mix final avec Visual, sans oublier un certain Shitty pour la bonne humeur et les anecdotes qui ne le sont pas moins. Attention grand moment, au propre comme au figuré.
En route pour le car de Silence et, une fois n’est pas coutume, c’est dans l’Autre que nous sommes accueillis par Manu Guiot qui mixe l’antenne et Morgan Roux qui l’assiste, un mobile de plus petite taille et monté sur porteur. Datant de 1978 ou 1980, Shitty lui-même ne s’en souvient plus, il dispose malgré son âge des outils nécessaires et de la tranquillité indispensable au mix antenne, ainsi que de nombre d’effets et de moyens d’enregistrement modernes.
Deux grosses Genelec 1038B trônent face à la console mais à ce qu’il paraît, Manu leur préfère une paire de K&H O300 désormais appelées Neumann KH310. Comme le dit si bien Shitty, l’idée est d’avoir un truc simple mais efficace. Dans le car lui-même, outre Manu et Morgan qui l’assiste, un troisième poste de travail est dévolu à Stéphane Gaubert, le chef d’orchestre, qui est toujours présent lors du direct et peut donner des tuyaux à Manu. « L’Autre » est aussi très apprécié pour pouvoir écouter dans de bonnes conditions les candidats répéter sans l’ambiance type fourmilière du chapiteau.
C’est une fibre qui apporte les 64 canaux à la console de mix, la stage box étant placée à hauteur des retours et au pied des récepteurs HF et du patch analogique.
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SLU : La première chose que tu fais avec les 64 canaux…
Morgan Roux (assistant du mobile « l’Autre ») : Ils repartent en MADI vers le ProTools via une unité SSL XLogic Delta Link qui émule les 192io ce qui nous fait 64 canaux dans les deux sens. Le deuxième mac à notre disposition peut servir de sécu pour enregistrer les mêmes 64 canaux via le canal auxiliaire des cartes MADI. Tout est enregistré durant les répétitions pour nous permettre de retravailler les titres après coup et encoder des mix.
SLU : Je vois des onduleurs..
Morgan Roux : Oui absolument. L’un sert pour la console et l’autre pour les ProTools. Ils sont là essentiellement pour filtrer les micro coupures et permettre de sauver ce qui est en cours car si le jus tombe chez nous, il ne devrait pas y en avoir non plus sous le chapiteau (rires) ! Si on veut avoir plus de canaux, on ajoute dans le mobile une CL5 et on lie les deux ProTools au TC.
SLU : Votre horloge est maître ou esclave ?
Morgan Roux : Elle référence nos appareils numériques mais elle est esclave du blackburst envoyé par le car Visual.
SLU : Qu’est-ce que tu sors en termes de mix d’ici ?
Morgan Roux : Un AES, un AES sécu, un analogique sécu et le tout prend la direction du car Visual…
La porte capitonnée du car s’ouvre dans un chouette grincement faisant rentrer à la fois une bouffée d’air frais et deux personnes qui ne le sont pas moins, dont un personnage barbu et boulazéroté au look inratable et à la voix propulsant celle de feu Barry White dans la famille des castrats, bien aidé il est vrai, par un microbe farceur…
Shitty : Je te présente Antoine qui mixe et finalise le son antenne dans le car Visual.
« Frame chéri, j’aime quand nous sommes collés l’un à l’autre » dit le son à l’image…
SLU : Antoine, ton travail consiste donc à ajouter au mix musique tout ce qui manque…
Antoine Canin (Ingé son Visual) : Oui, tout ce qu’on entend. Les talks donc les juges, le présentateur, les ambiances sonores avec 10 micros et enfin les machines et autres jingles et musiques d’ambiance. J’ai d’ailleurs recalé ces micros en phase avec la sono de Silence en fonction de leur placement.
SLU : Et du délai de chaque enceinte…
Antoine Canin : Bien sûr puisque chaque enceinte peut avoir un délai différent pour assurer une couverture cohérente de la salle. Après je rajoute aussi le délai dû à l’image. En bout de chaîne, on est environ à 150 ms.
SLU : Tu intègres aussi le retard de la console de l’Autre ?
Antoine Canin : Bien sûr, je peux même te dire combien. Il est de 70 samples !
SLU : Le retard de 150 ms est variable en fonction des effets qui sont calculés à l’image ?
Antoine Canin : Non il est fixe. Ce serait ingérable sinon ! On retarde chaque caméra filaire sur la plus lente des caméras HF, à l’image comme au son et ensuite…
SLU : Mais c’est toi qui doit faire ça ?
Antoine Canin : Oui, je ne veux pas que d’autres s’en occupent et…
<<<<<< Est-ce qu’Antoine est dans le mobile son ? Il peut revenir dans le mobile Visual ? >>>>>>>
Manu Guyot (ingé son antenne) : Sur tous les trucs que j’ai faits avec lui, c’est toujours Antoine qui veut s’occuper de la synchro. Il ne supporte pas…
Antoine Canin : … Une baguette qui frappe un fut et le son qui n’est pas d’équerre ! Bon, je fais de mon mieux, rien n’est parfait.
SLU : Tu as donc la main aussi sur les délais image ?
Antoine Canin : Non, mais je communique les valeurs à mes camarades de la vidéo. Ils ont des chaînes de délai sous forme de cartes et ça ressemble un peu à ce qu’on a pour le son. Il y a un système par caméra. Ca me permet après d’être calé avec mes ambiances. Comme elles repassent dans les micros chant et talk, elles se retrouvent à peu près à un T.0 . Je refais mon calage chaque semaine, ce qui fait rire tout le monde. Enfin comme nous avons deux programmes à des timings différents, je retarde sur deux étages différents. Il n’y a rien de plus moche que de voir des DVD où parfois le son n’est pas calé. Il semblerait qu’aux USA ils soient en train de créer une machine qui calculera automatiquement le retard vidéo, de l’électronique comme des caméras et…Pardon, là il faut vraiment que j’y aille !
Manu Guyot : C’est un malade de ça ! C’est lui qui s’en charge toujours et qui insiste auprès des gens de l’image. C’est un très bon Antoine. Il est en CDI chez Visual, et je crois qu’en interne ils aimeraient bien le faire évoluer vers des postes plus en rapport avec son talent mais il préfère rester à la console. C’est son truc. C’est un homme de terrain qui conçoit tout de même les cars mais il ne veut pas abandonner le son et finir dans un bureau.
SLU : Tiens, quand on parle du loup… Antoine, ça t’arrive aussi de mixer le signal antenne complet ou tu préfères recevoir le mix musique et le finaliser et ambiancer comme tu le fais si bien ?
Antoine Canin : Mais non, toute ma vie j’aurais voulu être à leur place ! Ce sont des choix de vie. J’en fais de temps en temps.
SLU : Tu disposes se toute façon dans ton car régie de tout le nécessaire pour remplacer ce que fait Voyage dans son mobile…
Antoine Canin : Sur la Nouvelle Star ? (il réfléchit NDR) On pourrait le faire oui, mais il ne faut pas le faire. C’est impossible. Ici chez Silence quand ils ne mixent pas, ils préparent la suite. Moi au contraire je bosse aussi et spécialement entre les titres. Ce serait donc totalement ingérable dans mon camion.
Manu Guyot : Nous avons travaillé tous les deux dans son car régie à l’époque de One Shot Not (sublime émission de musique de et avec Manu Katché NDR) mais ce n’était pas du direct et on était à 4 mains.
Antoine Canin : Il faudrait avoir 2 régies séparées pour s’en sortir et, surtout, il faudrait pouvoir n’écouter que la musique et pas la somme d’ordres qui nous arrive sans arrêt dans les oreilles. J’ai appris à le faire, mais c’est difficile de se concentrer sur le signal antenne car les ordres qui fusent peuvent être super importants et je me dois de les intégrer à mon écoute. Il nous manque aussi de la place pour accueillir les gens et du volume pour avoir une meilleure écoute. Ca m’arrive de travailler avec des collègues et leur demander s’ils ont entendu tel ou tel message. C’est fondamental de rester à l’écoute car l’info que tu rates est toujours la plus importante et surtout personne ne te la redonnera. C’est trop tard. Je fais pas mal d’hélico, j’ai peut-être appris aussi grâce à ça.
Shitty : Tu sais ce qu’est le son en général pour un producteur ? C’est d’être certain que la script pourra parler à tout le monde ! Dans l’univers de la vidéo, ils ont une puissance de feu au niveau des ordres qui dépasse n’importe quelle installation audio.
Antoine Canin : Notre job est à 80% le déploiement et la gestion de l’intercom. Pour la Nouvelle Star nous sommes quasiment aux taquets avec une matrice de 110 par 110. (Le carré de 110 J’ai calculé pour vous, cela fait 12100 NDR). Et encore, il y a plus gros ! Je suis aidé par mon assistant pour l’interphonie car ça change tout le temps. Bien sûr il y a des directions qui sont programmées et qui sont assez évidentes, mais aussi plein d’autres qui changent à la dernière seconde. Ca m’arrive de gueuler un coup parce que je n’arrive plus à entendre le direct.
SLU : Comment vous partagez-vous le travail dans votre régie ?
Antoine Canin : Je laisse faire à mon assistant tout ce qui implique que je lève les mains de la console. J’évite de faire plein de choses à la fois et me concentre exclusivement sur le mix. Il lance les séquences à mon top, et s’il est pris ailleurs, je me débrouille.
SLU : Une Vista 9 ce n’est pas un peu gros pour un AES avec le mix musique et les micros des talks ?
Antoine Canin : Il y a plus que ça. J’ai aussi mes 10 micros d’ambiance, les 12 micros des candidats et toutes les machines et les jingles qui ponctuent l’émission et que nous envoyons en direct.
SLU : Tu mixes les voix lead ? C’est Manu qui le fait !
Antoine Canin : En effet, mais je prends la main sur le micro de chant à la fin du titre car le candidat s’en sert pour répondre à Benjamin Castaldi, l’animateur.
SLU : Donc tu fermes ton départ Manu
Manu Guyot : Non c’est Antoine qui nous ferme sur la Vista, et nous redonne la main et l’antenne au titre suivant.
SLU : Remarque il vaut mieux que vous ne jouiez pas le même micro tous les deux, on aurait un chouette peigne…
Antoine Canin : Ahh non, j’ai calé la console de Manu, nous sommes parfaitement en phase. Nous aurions tout au plus trop de niveau !
Manu Guyot : Il est terrible ! C’est un gars du son et il fait chier les gens de l’image pour être synchro ! Il est batteur en plus, tu comprends mieux pourquoi il y tient tellement !
Antoine Canin : Non mais soyons francs une seconde. Ici on est entre gens du son et on en parle, mais du côté de la vidéo, quand est-ce qu’on parle et on s’occupe du son ? Quand il y a un pépin, sinon on n’en parle jamais.
Manu Guyot : C’est vrai que c’est de notre côté que ça se passe avec Stéphane Gaubert le directeur musical et Laurent Marchi le producteur de l’émission. Ils ont la feuille tous les deux. En plus Laurent s’intéresse beaucoup à la musique et au son, ses remarques sont cohérentes, et il existe une bonne cohésion dans toute l’équipe ce qui est rare.
Shitty : Très rare. Nous avons toujours pris du plaisir à faire cette émission. Au niveau de l’esprit, elle est vraiment à part. On aime ou on n’aime pas le résultat à l’antenne mais nous ici, on s’éclate.
Manu Guyot : Bien sûr le son est très important pour la Nouvelle Star mais c’est rare dans l’univers de la télé que notre boulot et les gens qui le font soient autant considérés.
Antoine Canin : C’est certain ! Sans vouloir casser du sucre, il y a une expression qui est désormais ancrée dans l’inconscient collectif et qui résume bien la place qui est celle du son : on fait un raccord lumière, mais il y a un problème de son…
<<<<<< Est-ce qu’Antoine est encore avec vous ? On se débrouille mais ce serait bien s’il revenait dans le mobile Visual ! >>>>>>>
Polysonnant, performant, truculent, c’est Manu Guiot dans le tuyau !
Vous l’avez compris, le moment de grâce vient de s’arrêter net, Antoine bondit vers son car régie, le moment est idéal pour attraper Manu Guiot et lui poser quelques questions.
SLU : Manu ont te voit en studio, en concert, en télé… Plus polyvalent que ça !
Manu Guyot : Je ne saurais pas te dire pourquoi. J’ai mis les pieds dans le broadcast dans les années 90 en travaillant pour Jazz à Montreux, quelque chose de passionnant même si très dur puisque tu travailles une douzaine de jours de suite de 10 heures à 5 heures du matin dans un car garé dans le parking. Tu mixes en direct pour les radios et les télés qui veulent prendre du son sur le boîtier de presse et tu enregistres tout en multipiste pour la prod qui voudrait acheter tel ou tel concert, ce qui arrivait très souvent. Si dans les trois ou quatre jours personne n’était preneur, on effaçait la bande. Le regretté Claude Nobs avait de son côté toutes les images et notre mix. J’ai pris goût au broadcast à ce moment-là puis plus rien jusqu’à un coup de fil il y a quelques années de Manu Katché qui me dit : « Manu, j’ai une émission télé. Est-ce que tu pourrais me la remixer demain ? » Je l’ai fait, et dans la foulée j’ai continué durant les 4 années qu’a duré One Shot Not sur Arte.
SLU : Et Silence dans tout ça ?
Manu Guyot : Je connais Shitty depuis très longtemps puisque j’allais le voir à l’Olympia quand j’étais gamin avec ses groupes. On a aussi bidouillé ensemble chez Mettler à l’époque où je faisais le son de Sacha Distel. Il m’a remplacé pour Distel et on n’a pas cessé de se croiser et se recroiser jusqu’au jour où Stéphane Gaubert, le chef d’orchestre de la Nouvelle Star, m’a branché sur cette émission. Depuis, je collabore pas mal avec Silence puisque je mixe aussi Danse avec les Stars, les NRJ Awards et d’autres émissions. En fait je dois dire que j’aime assez mixer pour la télé.
SLU : Moins répétitif qu’une tournée ?
Manu Guyot : Non, c’est différent. En fait ce que j’adore c’est le direct. Ca me fait penser que dans quelques semaines je repartirai en tournée.
SLU : Skip the Use ?
Manu Guyot : Oui, j’ai été de cette aventure en tant que co-producteur dès le début, et même si mes maigres moyens font qu’aujourd’hui le groupe vole de ses propres ailes, je reste le Papy Mougeot derrière la table. En 5 ans, on a du faire près de 600 concerts ensemble, donc la scène je connais un peu. Je suis un vrai indépendant, vrai de vrai, un intermittent qui ne déclare même pas ses Assedic car je gagne assez correctement ma vie. Je ne réfléchis pas trop et je prends ce qui vient.
SLU : Comment vis-tu le fait de ne pas être au contact avec les artistes en broadcast, de ne les voir qu’au travers d’un écran de télé ?
Manu Guyot : Ca ne me pose aucun problème. Je ne le regarde pas beaucoup l’écran. Je suis désolé de le dire aussi abruptement mais quand je mixe, je me fous d’avoir l’image, belle ou pas. Si un candidat ne chante pas dans le micro, je l’entends et je fais ce qu’il faut pour le corriger au travers de notre réseau d’ordre.
SLU : C’est mieux d’être séparé de celui de la vidéo ?
Manu Guyot : On n’est pas séparé, mais on peut se parler sereinement sans prendre des pincettes pour se dire les choses. Si on doit communiquer avec Visual ou la prod, on a des boitiers à cet effet. Ce double réseau nous permet aussi de parler en code quand on veut rester discret « Les carottes sont cuites ! Dou dou dou dou » (rires) !
SLU : Durant les répétitions tu encodes titre par titre ?
Manu Guyot : C’est ça, je fais les mémoires qui correspondent à l’attaque du morceau, et ensuite je mixe en fonction de ce que je reçois. J’ai suffisamment de temps pour bien travailler, et j’ai Antoine qui derrière finit le travail dans son car. J’ai entière confiance en lui. Je n’ai même pas besoin d’ouvrir ou fermer, c’est lui qui gère ça. J’ai juste le mix live à faire.
Shitty : Antoine est au contact de la prod et de la script. Il vaut mieux que ce soit lui qui ait la main sur l’audio de l’émission en fonction de ce qu’il entend et des instructions qui fusent. Quand deux personnes font la même chose et entendent les mêmes ordres, c’est le meilleur moyen pour se planter.
Manu Guyot : Et puis elle est ultra efficace la script, mais l’entendre mâcher du chewing-gum toute la soirée, ça manque de charme (rires) même si c’est évident qu’on a tous besoin de son travail car sans elle, rien ne marcherait. Les scripts mériteraient d’ailleurs beaucoup plus de considération. Elles sont le nerf de la guerre et ce sont les seules qui savent tout de tout et cadencent parfaitement une émission.
SLU : Tu vas aussi mixer les prochaines Victoires de la musique ?
Manu Guyot : Ohh non, je crois que c’est Jean-Marc Aringoli. (Shitty acquiesce NDR). C’est un vrai, un taulier, un cador, un mec crédible qui fait de la télé et qui ne se balade pas en tourbus. Moi à côté je suis un comic troupier (rire général). Non mais c’est vrai, Jean-Marc est un vrai technicien à l’aise dans cet exercice si particulier !
Shitty : Et le seul aussi qui, quand il a cinq minutes, ne va pas au troquet mais fait un stage (rires) !
Il passe sa vie à se former sur des trucs dont je ne sais même pas qu’ils existent !
Le « paquet cadeau™ Y. Jaget » de Manu Guiot et Antoine Canin. Compressera bien qui compressera le dernier.
SLU : A propos de technique, comment traites-tu ton signal ?
Manu Guyot : C’est très simple. J’envoie tout sauf les voix dans une paire de compresseurs Avalon. J’avais songé à faire un groupe de traitement des voix mais j’ai abandonné l’idée car j’arrive à suffisamment les gérer en amont, sur la console. Enfin le tout passe par un L2 dont je me sers pour sa spécialité, le ratatinage impeccable que ça fait. Dans le temps j’utilisais la M6000 tc mais le Waves fait aussi bien l’affaire. Franchement, je me retrouve à tailler parfois 12, jusqu’à 14 dB de crêtes, et quand je réécoute après coup le résultat, je suis toujours étonné. J’ai sélectionné le peak à -9 et du coup mon signal ne dépasse pas d’un poil.
Shitty : Tu le vois plus que tu ne l’entends le L2 !
Manu Guyot : Si, tu l’entends dans le car, mais pas dans ta télé.
SLU : Mais tu ne lui rentres pas dedans comme un cochon…
Manu Guyot : Comme un [CENSURE]. J’ai même honte. Je me suis affiché sur mon analyseur Flux le signal avant limitation et après. Je peux t’assurer que ça ne bronche pas !
SLU : C’est bon après non ? Antoine, tu ne rajoutes rien..
Manu Guyot : Bien sûr…Bien sûr, un petit peu. Allez Antoine, dis la vérité !
Antoine Canin : (presque timidement) : Je remets une légère compression (fou rire général NDR) mais parfois je me demande pourquoi. Bon c’est vrai aussi que je rajoute pas mal de signaux par-dessus et que je sors un son aux normes. En revanche, je le fais moi-même à la main, je n’emploie pas de machines qui pourtant existent et marchent plutôt bien, puisque même Radio France les utilise sur les mix de classique. Une M6000 d’ailleurs
SLU : Et j’imagine qu’après en régie finale, chez D8, ils finalisent une dernière fois en fonction des départs antenne entre TNT, ADSL, Replay et j’en passe. Remarque, ce n’est plus votre problème.
Antoine Canin : Ahh mais si c’est notre problème. Par le passé, Shitty a même été en régie finale d’M6 car on s’était retrouvé une année avec les ambiances qui rentraient à -20 dans le mix classique, et étaient diffusées au niveau d’une tirette placée à 0, et cela juste par l’effet du traitement en fin de chaîne du diffuseur. On sait donc qu’il vaut mieux tasser nous-même, gérer ce tassement en amont des machines qui le feront quand même et beaucoup moins bien. En plus ça nous permet d’écouter sur le moment notre travail, et donc d’être maître de notre son. C’est sûr que c’est chouette sur le moment de laisser plein de dynamique mais le résultat après n’est vraiment pas bon.
SLU : Tu écoutes le retour antenne ?
Antoine Canin : Parfois. On reçoit aussi les SMS de gens en qui on a confiance. Ils nous donnent leur avis et nous détaillent les points qui méritent notre attention. N’oublions pas aussi qu’en fonction des départs et des types de box chez les gens, de grosses différences peuvent apparaître. Notre problème n’est d’ailleurs pas lié qu’aux compressions multibande et aux limitations en régie finale mais bien aux compressions de débit dans les tuyaux. Dans la Freebox par exemple, une fois que les images ont trouvé leur place, il ne reste pas grand-chose pour le son.
SLU : C’est donc la TNT pour vous qui offre le meilleur son ?
Manu Guyot, Antoine Canin et Shitty : Ahh oui, largement. C’est bien meilleur. Quand la fibre sera généralisée, il y aura moins besoin de tailler dans le débit de l’audio, mais avec le risque aussi que la logique financière ne pousse les opérateurs à ajouter plus de chaînes ou de services et non pas ne pas nous redonner de la place.
Klipsch, une marque historique et un dock qui va le devenir !
SLU : Deux mots sur tes écoutes. Tu utilises les grosses parfois ?
Manu Guyot : Très rarement. Je ne suis pas un fan de Genelec. J’ai du mal à comprendre le son qu’elles produisent. C’est désormais un peu ancré dans ma tête et j’avoue que je ne suis plus un juge impartial. Les K&H O300 (qui sont devenues Neumann KH310 NDR) en revanche je les aime bien. Je les ai découvertes dans ce car régie. Je trouve ça très bien, c’est solide, ça encaisse et j’ai failli m’en acheter une paire à Noël.
Cela dit, ma vraie écoute est un dock pour iPhone de marque Klipsh (posé derrière lui et face à Stéphane Gaubert NDR) dont je me sers depuis des années. Il a une entrée ligne en face avant et me délivre un son qui ressemble le mieux à ce que les gens peuvent entendre de chez eux. Je l’ai payé 50€ et c’est mille fois mieux que le Bose à 200 sacs ! Je l’ai trouvé par hasard chez Pixmania un jour où je partais et je cherchais un dock. J’avais pluggé mon iPhone dans un paquet de trucs tous plus détestables les uns que les autres, jusqu’à tomber sur ce petit machin qui a le son. La voix notamment ne reste pas dedans, elle sort bien. Bien entendu ça n’existe plus, c’était une fin de série et…non, je ne le vendrai pas (rires) !
SLU : Et les Auratone qui ornent ton bandeau de console ?
Manu Guyot : Parfois….mais moins depuis que je j’ai ce petit machin.
Shitty : Ce ne sont pas des Auratone mais des Avantone (rires)
Manu Guyot : J’ai beaucoup mixé avec des Auratone, je suis de cette génération-là, mais elles ont pris un coup de vieux car elles parlent trop du nez et ne ressemblent plus trop à l’écoute telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les télés, mobiles et autres petits HP d’ordinateur sont au taquet à 200 et ensuite pissent de l’aigu.
Antoine Canin : 200 à 500Hz, c’est tout ce que je coupe…
Manu Guyot : Moi aussi le 500..
Antoine Canin : C’est indispensable de tailler car toutes les télés ont tendance à faire « wouwou » dans le bas. Si tu laisses du niveau autour de cette fréquence ça devient horrible.
Tout bon joueur de Tarot vous le dira, il faut amener le Grand au bout, l’atout numéro 1…
Le repas nous interrompt, du moins l’horaire à respecter pour être prêt à attaquer le direct. Le moment est donc idéal pour laisser traîner notre infatigable dictaphone et recueillir en guise de conclusion quelques mots de Shitty.
SLU : Elle paraît super bien étudiée la gamme Axient dont vous avez rentré un système complet.
Shitty : Absolument, elle va vers l’avenir. Nous avons acheté ces 16 liaisons spécifiquement pour faire la Nouvelle Star mais aussi et surtout pour faire évoluer notre parc et pouvoir disposer de suffisamment de fréquences quand on devra dégager de la TNT. C’est aussi un investissement en personnel car par exemple Thomas et Cyrille, que tu as interviewés, ont passé deux jours de formation chez Algam pour bien maîtriser le tout. C’est autre chose que de changer des piles ! Le prix aussi rentre en ligne de compte car si je ne peux pas au minimum louer un système le prix qu’il me coûte, à quoi bon l’acheter, aussi novateur et exceptionnel soit-il. Si je dis à un client que je vais lui mettre un nouveau micro qui vaut une fois et demi le prix de l’ancien, il me dira quoi à ton avis ? : « Mais, il ne marchait pas l’autre ? »
SLU : Comment ça se fait que vous ayez acheté plein d’APG et que vous ayez accroché de l’Adamson ?
Shitty : L’APG est du line-array, et ici cela n’aurait pas du tout marché. J’ai des DX15 et 12 qui auraient très bien fait l’affaire, que nous utilisons d’ailleurs comme retours mais nos excellents rapports avec Lagoona nous ont permis d’avoir des MH121 qui prenaient la poussière chez eux. Comme notre d&b était déjà installé ailleurs, on a été ravi de pouvoir bénéficier de ces têtes Adamson à prix d’ami pour les deux mois que dure l’émission. Nous sommes, de l’avis même de Didier Dal Fitto de DV2, le prestataire ayant le moins acheté de boîtes Adamson au monde et ayant pourtant fait le plus de pub à cette marque grâce notamment aux Victoires qu’on sonorise en E15 et cette année aussi en S10 (et Soundlightup vous racontera tout ça très prochainement ! NDR).
A quoi cela nous servirait d’acheter ces gros systèmes ? Ils ne sortiraient jamais ! On a un très beau partenariat avec Lagoona à qui on passe des régies, des liaisons et des consoles, et pour qui on gère des lieux comme le Palace, et qui en retour nous fournit entre autres la grosse puissance dont nous avons ponctuellement besoin.
Gilles Bedon (DG de Lagoona NDR) a dernièrement remplacé le Metrix d’un des studios de Radio France par un autre système plus puissant et nous a proposé de le reprendre. On a fait avec Incroyable Talent et ça marche très bien.
SLU : Ton APG tu le sors quand alors ?
Shitty : Typiquement sur The Voice. Ca plait au producteur et au chef d’orchestre et ça me couvre bien le studio avec un nombre de boîtes réduit. Le son est bon, et APG a pu convaincre grâce à nous quelques clients de la validité de ce produit et sur la possibilité de taper partout avec moins de boîtes. Mon problème en TV ce n’est pas de porter à 200 mètres, 25 me suffisent, mais il faut que je puisse passer au travers des 15 rideaux de projecteurs qui m’empêchent d’arriver en haut des gradins. Moi de faire un shoot où j’ai ± 0,2 dB d‘écart au siège 134, je m’en fous (rires) ! Je suis ravi de mon achat en APG, mais si tu fais un sondage, tu auras toujours des gens pour tailler telle ou telle marque et ne vouloir que du L, de l’Adamson, du Meyer ou du d&b. Tout le monde a raison, et ça me va très bien ! Je suis prescripteur. On ne me demande jamais une marque en particulier, juste un résultat garanti. Ca tombe bien, je sais faire !
SLU : Et on ne te demande pas non plus de pressions démentes ou de subs en pagaille !
Shitty : Bien sûr que non. Et puis tu sais, le son ça va au-delà de la technique, ça dépend aussi de la culture et de l’époque. Quand on a lancé Silence en 96, on a racheté la sono de Magma (groupe français historique et avant-gardiste mêlant jazz-rock et…tout ! NDR) qui était constituée d’enceintes Apogee, un peu l’esprit Meyer mais plus puissant et qualitativement au top. Ca valait un bras ! On a donc rentré ces têtes, et quand on a voulu les subs… Magma a tourné 10 ans sans subs. La musique ne s’y prêtait pas, Christian Vander refusait catégoriquement qu’on amplifie sa grosse caisse. Il exigeait le son acoustique. Quand il voulait de la basse, le bassiste se débrouillait avec son ampli. Les enceintes étaient réservées aux voix et à tout ce qui était en tessiture de voix qui devait être parfaitement reproduit. La sono résidente de l’Olympia était constituée de colonnes pour le balcon, tu rajoutais tes propres colonnes pour l’orchestre, et les retours, bin tu retournais deux colonnes et c’était bon ! Même à l’époque du Disco, la grosse caisse était devant mais il n’y avait rien à 30Hz. De nos jours on t’en colle partout, à t’en retourner l’estomac. Bon appétit !
Conclusion
Atypique et à la fois indispensable, Silence signe une fois encore un sans-faute, apportant toute son expérience et son talent pour faire du son d’une émission, une star à part entière. Plus que des monceaux de matos dernier cri, elle apporte ce qui fait vraiment la différence sur le terrain et dans les écrans : les hommes. Rompus à cet exercice qu’est le broadcast, ces derniers réussissent la synthèse entre plaisir du téléspectateur et bonheur du spectateur, sans oublier de jeunes artistes qui sont le pilier de l’émission et doivent donc être mis dans les meilleures conditions pour oublier leurs craintes et crever l’écran.
Bien sûr on aimerait que les budgets et les mentalités permettent à Shitty et ses équipes d’aller encore plus loin dans la diffusion sous chapiteau qui se révèle très piégeuse, mais même comme ça, on ne peut que saluer le résultat, et c’est bien là l’essentiel.
Ca sonne efficace en salle, ça mixe bien dans sa télé, et en Replay on peut savourer le travail alliant embonpoint et finesse de Manu Guiot. Chapeau aussi à Stéphane Gaubert et aux musiciens qui déchirent et font beaucoup plus qu’accompagner les candidats. Ils les portent. N’hésitez pas à savourer les titres postés sur D8, ils ne sont pas trop massacrés question compression de données.
Enfin n’oublions pas un dernier maillon sonore indispensable et qui prolonge le travail de Silence en s’y emboîtant comme une XLR dans son embase. : Antoine Canin. Il réussit la prouesse qu’image et son ne fassent qu’un. Il parvient à le salir proprement et il le cisèle dans le vacarme d’un car régie. On lui décerne volontiers un « le Silence est d’or » !
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