“Les retours c’est une école incroyable où l’erreur n’est pas une option, c’est interdit, ça n’existe pas, et c’est très bien comme ça.”
Il a formé avec XaXa Gendron le plus fameux binôme aux retours. Attachant, lucide et humble, il a décidé de prendre du recul avec les poids lourds du showbiz et favorise désormais les projets à taille humaine en retrouvant la face. Né en mai 68, il nous fait sa révolution de velours.
Je n’ai pas le temps de poser la première question que Rémy démarre en trombe. Le propos est limpide, les souvenirs fusent et s’enchaînent à un rythme infernal passant de ses débuts à sa tournée en cours, de la face aux retours, de Lyon à Paris. “Tu sais, moi j’ai un peu l’Alzheimer…” m’avait-il dit quelques jours plus tôt. Bien sûr. Heureusement que j’ai toujours des batteries d’avance !
Flash Back, sur les bancs de l’école Grim
Rémy aux retours de Jean-Michel Jarre à Aalborg au Danemark en 2002 au milieu des éoliennes, sans doute en 1997. Les 2x31 bandes sont pour les ears…
Rémy Blanchet : A mes débuts, il m’est arrivé d’être road, pour la tournée de 91 de Goldman avec Bertin Meynard qui tenait la console retours (et Andy Scott la face NDR), on avait fait quatre ou cinq dates dans le Rhône-Alpes, et j’étais tellement ultra motivé qu’au bout de quelques jours j’ai fini par faire tout le câblage de la scène.
On en reparle encore avec Bertin car je l’avais scotché. Il avait fini par me filer le blouson de la tournée à la dernière date, le sien, et j’étais terrassé de bonheur comme un môme. J’avais 23 ans.
SLU : Ça tombe bien que tu nous parles de ça, tu as commencé comment toi ?
Certes il a l’air jeune mais, IL L’ETAIT ! Rémy surpris par un flash lors de la tournée Oxygène de Jean-Michel Jarre en 1997.
Rémy Blanchet : Par le GRIM, l’Ecole Supérieure du Spectacle de Lyon où d’ailleurs XaXa donne des cours. Je ne savais pas comment entrer dans ce milieu qui m’attirait, et c’est en allant simplement au Salon de l’Etudiant que je suis tombé sur cette école dont j’ignorais l’existence.
Lettre de motivation et McDo pour payer mes études, je me suis lancé à cœur perdu dans l’aventure. Je me souviendrai toujours des mecs qui le matin arrivaient et pionçaient sur les tables…Ils payaient 20.000 Francs l’année d’études, et ils n’en avaient rien à secouer.
Ils refusaient même d’aller sur des opérations où la musique ne leur plaisait pas ! Inutile de te dire que dès qu’il y avait un plan j’étais partant parfois même en plantant les Big Mac ! J’étais jeune, je ne savais pas que c’est cette envie qui allait me donner des ailes.
SLU : L’envie qui fait tellement briller les yeux des jeunes qui en veulent. Tu n’as pas dû finir ton cursus d’apprentissage…
Rémy Blanchet : Ohh non, j’ai quitté le GRIM dès la fin de la première année car j’ai été pris chez Produkscène qui était la plus grosse boîte de son et lights de Lyon où j’ai d’ailleurs fait la rencontre de XaXa. C’est Jean-Louis Berthet, le prof de son, qui m’a fait embaucher. Si je fais ce métier, c’est aussi grâce à lui. Il est toujours prof là-bas. C’est un mec extraordinaire.
SLU : Et ton amour pour la scène et la technique, il est né où ?
Rémy Blanchet : Mon univers a toujours été la musique. Mon instrument de prédilection est la batterie mais à Lyon, en appartement, je n’ai jamais pu jouer ailleurs que sur mes cuisses avec des bouts de bambou et des disques que j’écoutais en boucle. A 16 ans j’ai eu ma période guitare avec une gratte toute pourrie mais je n’ai jamais joué que pour moi et très mal. Je n’ai jamais pensé devenir musicien professionnel.
Les répétitions de Hallyday avec un symphonique pour les shows au Stade de France en 1998. Rémy est debout derrière XaXa Gendron.
SLU : Je ne vois toujours pas le virage technique…
Rémy Blanchet : Quand j’étais tout gamin, avant de déménager à Lyon, j’ai habité en Touraine dans un pavillon qui était équipé d’une chaudière à charbon. Un jour elle a été remplacée ce qui a libéré plein de place. J’ai investi la pièce et je l’ai équipée avec tout ce que j’ai pu trouver d’enceintes et de matos. C’était l’époque des radios libres, je faisais des montages sur cassette et plein d’autres trucs du genre, sans me douter un instant que quelques années plus tard cela allait devenir mon métier. Dans mon esprit cela n’était d’ailleurs même pas un métier ! J’étais à fond dans la musique qui est, d’une certaine manière, mon deuxième sang.
Pense que mon premier concert je ne l’ai vu qu’en 1989 ! A Tours il ne se passait pas grand-chose, je ne savais donc pas ce que pouvaient représenter les différents corps de métier œuvrant dans le spectacle ! Je suis sorti de là en sachant que je voulais faire ça mais sans savoir comment. C’est donc le GRIM qui m’a permis d’y voir clair quelques années plus tard.
SLU : T’as attaqué directement là-bas ?
Rémy Blanchet : Ahh non, d’abord je me suis tapé trois mois de maths appliquées aux sciences sociales. J’ai très vite arrêté. C’est à ce moment-là que j’ai commencé chez McDo. J’y suis resté jusqu’au jour où j’ai été pris chez Produkscène et où je leur ai dit adieu sans regrets !!
La rencontre avec Xaxa (Xavier Gendron)
Rémy Blanchet et Xavier Gendron, le couple le plus fameux des retours français pour Johnny en 2009,.
SLU : Comment s’est passé ta rencontre avec XaXa ?
Rémy Blanchet : A l’époque où j’ai été embauché, il était stagiaire. Il l’est d’ailleurs resté un bon moment. Je me souviens lui avoir dit : “mais tu veux rester stagiaire encore combien de temps ?” (rires !)
Le soir de notre rencontre, à peine rentré à la maison, j’ai dit mot pour mot à ma copine de l’époque : “Aujourd’hui j’ai rencontré un mec, je suis sûr qu’avec lui on peut déplacer des montagnes”. Je m’en souviens parfaitement, et pourtant jamais je ne me serais douté qu’on allait vivre ensemble une telle aventure et qu’il allait devenir comme un frère pour moi. A force de vivre avec XaXa on d’ailleurs fini par croire qu’on était ensemble (rires) ! C’est normal, on rêvait des mêmes choses. Nous avons commencé par être amis avant de bosser et pas l’inverse.
En 1999 à Mériadeck pour Mylène Farmer, XaXa devant sa Paragon.
Après j’ai suivi une route assez classique au dépôt de Produkscène en m’occupant des sorties et des retours, ce qui m’a permis de connaître le matos son comme l’éclairage. Au bout d’un moment, pas très long, je suis allé voir le patron, je lui ai rappelé que je voulais faire du son, et c’est parti assez rapidement grâce aux vieux passionnés qui y bossaient à l’époque. On y est resté avec XaXa jusqu’au moment où Produkscène a décidé de s’étendre via un gestionnaire extérieur qui a torpillé la société en un an chrono. Nous sommes alors partis chez Boîte à Sons, un autre prestataire lyonnais.
Nous avons eu de la chance, beaucoup de chance, avec XaXa car nous avons été mis sur les rails par Jean-Louis Berthet et Yves Mas, deux mecs passionnés, avec un savoir de ouf et une pédagogie top. Je regrette qu’ils ne soient pas assez connus. Ils ont cette merveilleuse envie de partager. Quand je vois le comportement de certaines personnes vis-à-vis de jeunes qui ne demandent qu’à apprendre, c’est la meilleure façon de leur enlever la flamme.
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Les premières armes face/retours de Rémy
SLU : Après la période d’apprentissage, tu as été lâché sur quoi ?
Rémy Blanchet : A l’époque à Vénissieux il y avait une salle géniale, le Truck (devenue depuis le « Bizarre ! » et dédié aux cultures urbaines NDC) qui donnait des concerts tous les soirs dans tous les styles rock, garage, underground ; que des trucs mortels avec des groupes anglais qui débarquaient comme les Pogues. Pendant un an et demi j’y ai fait l’accueil et mes premières régies. Mon premier groupe aux retours a été russe. Je ne me souviens plus de son nom mais il était top. Un concert différent et bien branché chaque soir avec, suivant l’artiste, les loges réaménagées, une boîte, des enregistrements en multipiste, une radio, bref, l’endroit merveilleux pour débuter mais aussi sans doute trop ambitieux, et il n’a pas tenu.
SLU : C’était l’endroit rêvé pour faire ses premières armes !
Rémy Blanchet : Totalement ! En plus il y avait une équipe de mecs plus âgés qui était très bonne. On s’est tapé tellement de gigs et de one shots qu’on a vraiment eu une formation accélérée, ce qui est indispensable. Faire des tournées n’est pas suffisant, il faut bouffer de ce genre de presta pour s’en sortir en cas de galère autrement qu’avec la caisse de spare.
SLU : C’est à cette période que tu t’es dirigé consciemment ou inconsciemment vers les retours ?
Rémy Blanchet : Non, j’ai toujours aimé et fait les retours et la façade, seulement tu sais comment ça marche, quand on a commencé à tourner avec XaXa sur les grosses tournées, l’étiquette est vite arrivée alors que j’ai toujours fait les deux. Ce sont deux approches complètement différentes d’un même métier, et j’aime autant l’une que l’autre. Quand j’ai été pris sur les grosses tournées, je suis d’ailleurs arrivé comme assistant et c’est normal, les gens pour qui je travaillais ne me connaissaient pas, et pour eux je ne savais pas tenir une console. J’ai naturellement fait profil bas, ce qui fait qu’une fois que j’ai pu commencer réellement à faire du son aux retours, avec la notoriété des artistes avec qui j’ai eu la chance de travailler, l’étiquette a été encore plus grosse !
SLU : Mais tu as fait des retours seul ? On te connaît tellement en binôme avec Xavier…
Rémy Blanchet : Bien sûr, lui et moi avant de travailler ensemble on en faisait plein, tout comme j’ai fait des faces avec par exemple St.Germain. Ce binôme, on l’a monté avec Xavier car ça nous trottait en tête depuis longtemps. Ce qui a scellé notre amitié depuis le départ, c’est notre passion commune pour ce métier et la façon de l’envisager. Quand on y pense c’est dingue, on a réussi à faire ce qu’on voulait faire !
Une Paragon s’envole, soutenue par Rémy, nous sommes en 1999 à Mériadeck pour Mylène Farmer. La seconde console est déjà en place, XaXa n’est pas loin..
SLU : Et quand avez-vous tous les deux travaillé ensemble face/retours pour la première fois ?
Rémy Blanchet : Pour Damien Saez, on a mis le temps non ? 25 ans ! (rires !) Mieux vaut tard que jamais ! J’avais pensé à lui dès le départ car c’était une évidence, mais il ne pouvait pas à cause de son planning très chargé. Quand il a pu venir, il a fait ce que j’aurais sans doute choisi mais avec son talent et ses idées.
Ca a immédiatement marché. Plus les années passent et plus on passe pour des vieux cons. Il n’empêche que dans ce genre de situation, il faut de l’expérience et à ce jeu-là XaXa est imbattable. On a été bien élevés. Nous avons eu la chance de travailler avec de vieux ricains et ça, c’est incomparable. L’expérience qui est la leur et l’époque où ils l’ont acquise les rend uniques.
SLU : Tu parles de l’époque Clair Bros ?
Rémy Blanchet : A fond ! Tout n’est pas bon aux USA. Il y a aussi plein de petites boîtes où ça bricole, mais à leur niveau, c’est juste ultra pro. Ils ne sont pas là pour rigoler, ils y vont à fond. C’est sans doute de là que nous vient notre manière de travailler avec XaXa. Pendant au moins 12 ans, on n’a quasiment travaillé qu’avec des anglo-saxons dont un noyau dur de mecs qui revenaient sur chaque tournée, et avec des seniors. Les seniors c’est la catégorie au top dans les grosses boîtes, des mecs avec un CV où tu tombes à la renverse rien qu’en en lisant la moitié.
La première fois par exemple qu’on a bossé avec Jim Devinney et qu’on a bu un verre avec lui, peut-être même deux ou trois d’ailleurs, on n’en revenait pas. Nous étions aux anges ! Je me souviens aussi de nos débuts chez Produkscène, on travaillait sur un spectacle qui tournait en province et s’appelait “Signé Sardou”. Le chanteur avait le physique et la voix proche de celle de Michel Sardou et faisait des reprises. On bossait pour lui par tranches de 24 heures non-stop. Un jour, alors qu’il pliait un câble, XaXa s’est accoudé à un fly assez haut et s’est endormi dessus (rires) ! Pareil pour moi, ça m’est arrivé à l’époque de m’endormir au dépôt debout contre le camion pendant qu’on me parlait. On était pourtant jeunes ! Jamais on n’aurait imaginé se retrouver un jour en face du vrai Sardou… Je crois que ce qui fait notre force, c’est de ne pas avoir oublié ces débuts.
Evolution du matos et priorités
Concert de St Germain au Zénith de Paris le 21 septembre 2001, une face en XL4, la place de concert coûtait 211…Francs !
SLU : Qu’est-ce qui a le plus changé techniquement parlant depuis tes débuts ?
Rémy Blanchet : Sans conteste la venue du numérique, même si cette technologie n’a pas révolutionné mon approche du métier. J’ai d’ailleurs mis très longtemps avant de m’y mettre, directement sur la PM1D qui, soit dit en passant, est la seule table à disposer d’autant d’entrées et de sorties et avec laquelle je n’ai jamais eu la moindre merde. La HF aussi a beaucoup évolué et m’a valu quelques sueurs froides et beaucoup de plaisir.
En 98 au Stade de France, je m’occupais des HF, et j’ai dû composer avec un incroyable patchwork de marques, modèles et fréquences. Cela a été super intéressant même si ça m’a valu quelques nuits blanches pour que tout fonctionne.
On est arrivé à faire cohabiter tout ce petit monde alors que ce n’était pas gagné d’avance et que c’était une première. De nos jours, les produits disposent de plans de fréquence, d’une gestion centralisée de toutes les liaisons et j’en passe. Le seul bémol, et cela est valable dans plein d’autres domaines, c’est qu’on y perd notre capacité à l’initiative et à la démerde. Presque n’importe qui peut mettre en route des HF maintenant. Enfin un HF c’est un bouffeur de signal donc si je peux m’en passer, je le fais avec plaisir.
SLU : Cette démocratisation te gêne ?
Rémy Blanchet : Ce n’est pas qu’elle me gêne mais par exemple il faut faire extrêmement attention avec des ears dont on voit qu’ils sont de plus en plus présents sur nos scènes. Il faut que les artistes et les techniciens soient conscients du risque de confier ses oreilles à quelqu’un parfois d’insuffisamment compétent.
St Germain à Hyde Park un 26 Juillet 2002. Alors, il ne fait pas de face Rémy ?
SLU : Quelles sont tes priorités dans le choix du matériel ?
Rémy Blanchet : Je veux d’abord que ça sonne mais sans courir de risque au niveau de la fiabilité. J’ai eu cette discussion il y a quelque temps avec les gens de Dushow à l’époque où je voulais partir avec une Vi6, avant qu’ils en achètent un grand nombre. Très logiquement, ils militaient pour l’emploi des produits déjà en parc dont la Vista qui est très belle mais que personne ou presque ne maîtrise vraiment, moi surtout ! J’en suis venu à la conclusion que pour qu’une console devienne un standard, il faut qu’elle soit bonne dans trois domaines : le son, la fiabilité et l’ergonomie.
Pour Damien, je suis parti avec une Pro9 Midas qui a une ergonomie très perfectible, est relativement fiable mais sonne vraiment bien. Au départ j’avais prévu une XL4 mais avec un patch en 72 il en fallait deux, ce qui rend le passage en festival proche de la purge (rires) ! J’ai donc passé une journée entière chez Dushow sur une Pro6 avec le multi d’un de mes concerts, et j’ai fini par assimiler cette étrange ergonomie tout en craquant sur le son au point de me dire que si j’avais des sous, j’investirais sans doute dans une table. Tout ceci pour dire que ce type de console ne sera selon moi jamais un standard car tu ne peux pas la mettre par exemple en accueil de festival.
En 2002 dans un lieu parmi les plus prestigieux, le Royal Albert Hall pour St Germain.
SLU : On en revient encore et toujours à la PM1D en somme…
Rémy Blanchet : Quelque part oui, en ce sens que si tu ne sais pas faire de son avec une PM1D, et ce n’est pas la meilleure au monde pour ça, tu n’y parviendras avec aucune console.
De nos jours, toutes les marques et les modèles fonctionnent à peu près bien et permettent de faire du son, que ce soit une console ou de la diffusion. On entre donc dans le subjectif, et c’est intéressant car chacun peut piocher là où ça l’intéresse artistiquement parlant.
J’ai juste du mal avec les systèmes équipés de HP type autoradio qu’on croise dans certains clubs et que je déteste profondément. Comment veux-tu faire un pied correct avec ce genre de mini gamelle. « ahh mais si, ça marche, écoutez ! » et ils te passent un CD… On oublie trop souvent la dynamique !
Le virage de Face
Un moment de détente à Los Angeles lors des répétitions pour la tournée de Johnny 2003. Oui, c’est bien XaXa avec Rémy.
SLU : Qu’est-il arrivé à ce beau tandem Gendron-Blanchet…
Rémy Blanchet : J’ai pris des chemins différents. Cela n’a rien à voir avec Xavier qui est mon frère et le restera toujours, il le sait bien, mais je ne m’y retrouve plus dans les grosses tournées et notamment leur format. J’ai envie de quelque chose de plus petit. En tenant la face de Damien Saez, dont la tournée a commencé dans les clubs, j’ai ressenti plus d’humain et pourtant ce n’est pas, loin s’en faut, une petite tournée puisqu’on fait des Zéniths archi combles.
On est tous dans le même bus, et ça reste à échelle humaine. Une autre raison est que je favorise désormais des formats qui me parlent artistiquement. Je me suis donc payé le luxe de refuser Michel Sardou et Johnny Hallyday l’année dernière. J’ai tout donné jusqu’à la dernière date car la flamme ne s’est jamais éteinte mais j’avais vraiment envie et besoin d’autre chose.
SLU : C’est très courageux…
Rémy Blanchet : Non, je fonctionne comme ça, j’ai besoin d’être en accord avec moi-même, ma conscience et surtout mes envies, et je ne peux pas y aller à reculons même si la période n’est pas propice au changement. Ça me trottait en tête depuis un certain nombre d’années mais c’est long car il faut activer un réseau différent et pour cela il faut faire des rencontres. Ce métier je le fais car c’est ma passion. A chaque fois que je quitte ma maison pour aller bosser, j’ai du plaisir. Ça va bien au-delà d’un boulot..
Photo prise en plein concert de la tournée de Johnny Hallyday de 2003 lors de la date du 20 juillet en Corrèze en présence et à l’initiative du couple Chirac. On distingue Xavier Gendron derrière.
SLU : Tu arrives pourtant à un âge où d’une certaine manière et parfois inconsciemment on commence à lever le pied avec les tournées, les tour bus, les douches dans les salles, les load-in à pas d’heure…
Rémy Blanchet : Message aux jeunes générations. Je ne vais pas lâcher l’affaire tout de suite. (rires) ! Tous les aspects de ce métier me conviennent parfaitement. Je ne le savais pas avant de commencer mais au bout de 25 ans, je n’ai plus aucun doute. J’ai du plaisir dans tous les aspects de ce métier, du tour bus aux douches ébréchées, tout me convient.
Le gros inconvénient c’est que si un jour je dois changer de job, je serai profondément malheureux car je ne fonctionne qu’à la passion. Ce qui me fait rire c’est que je ne bosse essentiellement plus qu’avec des trentenaires, ce qui fait qu’à 45 ans je suis devenu le vieux ! J’ai eu il y a quelques jours Christophe Gobley au téléphone, et malgré le fait qu’il soit officiellement à la retraite, il continue à faire tranquillement des petits plans sympas.
On n’a tourné qu’une fois ensemble mais à chaque fois qu’on se voit ou que l’on se parle, le courant passe. Ma génération a eu la chance de côtoyer les vrais pionniers comme lui, les mecs qui ont commencé quand rien n’existait.
SLU : Tu sens qu’on les pousse dehors les vieux ?
Rémy Blanchet : C’est la vie. Dans tous les métiers c’est comme ça. Il ne faut jamais oublier que la star est sur scène, pas derrière la console. Si la vraie star n’est pas là, aucun d’entre nous ne sera là. Je trouve aussi que certains (artistes, musiciens et techniciens) traînent les pieds et oublient que les spectateurs ont payé chèrement leur ticket pour être dans la salle !!
Une image de XaXa Gendron durant la tournée des stades de Johnny. « On ne quitte jamais des yeux l’artiste.. »
SLU : Est-ce que tu ressens vis-à-vis des technos, avec 25 ans de bouteille comme toi, le même engouement que vous avez eu à vos débuts pour les pionniers ?
Rémy Blanchet : Non pas vraiment. Pour avoir des potes essentiellement trentenaires, je constate qu’ils ne s’intéressent pas plus à eux qu’à leur passé.
Toute la nouvelle génération d’artistes français qui pour la plupart chante en anglais et vers laquelle je me dirige, ne rêve pas du tout devant notre CV et les prods encore moins.
Si tu te pointes la gueule enfarinée croyant être le plus beau, tu vas tomber de haut ! J’ai par exemple glissé un pied dans ce nouveau milieu grâce à Philippe Katrine qui a déliré d’avoir un technicien qui a côtoyé toutes les grandes stars françaises…
SLU : Et après il s’est dit qu’en plus tu bosses bien !
Rémy Blanchet : Oui peut-être mais en tous cas il m’a permis de faire une première étape super importante. Je voudrais aussi remercier Romain Caucal, un régisseur, qui m’a aussi fait très vite confiance. A un moment donné je n’avais pas grand-chose de concret, et ça n’a pas été évident. Il faut y aller tranquillement, avec beaucoup d’humilité car, une fois encore, personne ne t’attend et tant mieux. Je n’ai aucune prétention, je ne pense pas travailler mieux qu’un autre, j’ai juste 25 ans d’expérience et ça, personne ne peut me l’enlever.
Ça ne m’empêche pas de me faire vanner très régulièrement sur mon passé ! Un autre avantage d’avoir complètement bifurqué, c’est que je n’ai rien à prouver à personne et je ne cours pas uniquement après le blé. Bien sûr j’ai besoin de vivre mais mes vrais moteurs sont la musique et le plaisir. Je me tape aussi des plans pour que dalle ou plutôt pour le plaisir que j’en retire. Je suis arrivé à un âge où je suis serein. Si on me brasse ou on me vire, tant pis, je trouverai du boulot ailleurs. C’est important de savoir dire non.
SLU : On m’a dit que tu es perfectionniste. Pire que XaXa ?
Rémy Blanchet : Différent. A une époque je me suis traîné une sale réputation de chieur, et je ne comprenais pas pourquoi car je l’étais d’abord pour moi-même. En fait, sans le vouloir, j’étais devenu super dur. J’en ai fait baver à un certain nombre qui se reconnaitront. On en a reparlé depuis. Ils ont appris à mon contact mais cela a parfois été très rude…
SLU : Le fait de travailler désormais dans un nouveau milieu artistique t’a-t-il facilité le switch face/retours ?
Rémy Blanchet : Non, pas vraiment. J’ai fait des retours durant de nombreuses années, j’ai donc été volontiers vers la face qui est un autre exercice et que j’adore mais rien n’est figé. Dans mes projets à venir il y a les deux de prévus. Je suis aussi heureux et à l’aise au service des musiciens qu’à celui du public et passer de l’un à l’autre me donne pas mal d’avantages car je sais ce qui se passe devant comme derrière. Il y a des différences techniques, philosophiques et éthiques entre les deux métiers mais pour moi ça fait partie d’un ensemble que j’aime. L’avantage de tenir la face est de pouvoir délivrer un signal musical et d’y coller au plus près avec tout ce qu’il porte en soi d’artistique et même au-delà.
Quand tu mixes Damien Saez, tu pousses un message qui a du sens ! Je m’éclate vraiment avec lui, d’autant que musicalement ça me parle et que je dispose de moyens pour travailler. C’était un peu moins évident au début de la tournée dans les clubs, mais heureusement j’ai bénéficié de l’aide bénévole de David Nulli (Waveform-Audio NDR) qui m’a secondé pour checker le matériel de certaines petites salles. A ce niveau-là, j’ai quelques lacunes. La diffusion a pas mal évolué, et les années passées derrière ne m’ont pas aidé (rires) ! Je sais caler une face à l’oreille, mais il est évident que c’est désormais devenu un vrai métier. Je ne connais pas non plus toutes les références et je ne sais pas à l’avance en arrivant dans certains clubs si cela va convenir ou suffire en termes de puissance ou de couverture.
J’en profite pour tirer un coup de chapeau à Damien Saez pour son professionnalisme. C’est un des seuls artistes que je connaisse qui a une vraie approche de ce qui se passe sur scène. Il place les musiciens et se place de telle sorte qu’il y ait une cohésion, une cohérence sonore et musicale entre les amplis et la batterie avant même qu’il y ait des retours. Sur cette base il n’y a plus qu’à ajouter avec les retours ce qui manque, par exemple la voix, et tu obtiens un résultat harmonieux.
Paragon & flammes sur le torse, Rémy durant Hallyday 2003.
SLU : Les salles de province sont de mieux en mieux équipées non ?
Rémy Blanchet : Oui, cela a vraiment bien changé, mais je me suis souvent heurté à l’incompréhension de régisseurs à qui je demande une certaine puissance et qui me certifient que si tel ou tel groupe réputé bruyant s’en est tiré, ça ira pour moi aussi. Je parle de headroom et donc de réserve dynamique afin de ne pas dénaturer mon son en l’écrasant dans les protections, et ça ne passe pas. « Ça va être trop fort ! » Ça me rend dingue car cela n’a rien à voir. Je veux de la marge, pas des morts dans la salle, et surtout je ne veux pas être obligé de dénaturer mes sources pour tenir dans un gabarit imposé.
J’ai constaté que certaines marques sont très présentes dans les clubs et plus que des marques, des configurations type, quelle que soit la jauge, ce qui démontre avant tout la qualité des commerciaux ! Il y a aussi des endroits où il faut se tenir à carreau à cause des émergences, je pense au Fil à St Etienne dont je connais le directeur technique, un ex-intermittent de la belle époque de Produkscène. Le niveau maxi est de 102 dBA, mais avec 98dB à 125Hz. Tout le monde y a mis du sien, et on a trouvé un compromis pour jouer notre show réputé comme fort. A juste titre quand même (rires) ! On n’arrive jamais en terrain conquis mais c’est parfois difficile d’établir le dialogue.
Sans doute les régisseurs et les techniciens qui font l’accueil doivent tomber sur des cas, disons, difficiles. C’est un des problèmes propres à la façade. C’est vrai qu’aux retours, tu as d’autres choses à gérer puisqu’une fois que tu as le matos que tu as demandé, tout le monde oublie ce qui se passe derrière sauf bien sûr les intéressés. On te fout la paix pour peu que tu ne fasses pas n’importe quoi et ne pourrisses pas la face (rires !)
SLU : On est bien d’accord, il y a une réelle interaction entre ce qui se passe derrière et devant…
Rémy Blanchet : Absolument. J’ai d’ailleurs lu ce qu’a dit XaXa à propos du pied (http://www.soundlightup.com/archives/reportages/xavier-gendron-et-sa-paragon-sur-la-tournee-de-damien-seaz.html) Bon, on n’a pas vécu tout à fait la même chose, peu importe (rires) ! Cela dit il y a des confrères qui ne supportent pas qu’il y ait du son qui provienne de la scène…C’est quand même de la musique qu’on fait non ? Il est vrai que parfois, sans parler de l’acoustique des salles, le travail de la personne aux retours fait que tu te retrouves avec une espèce de halo dans les 400 Hz qui vient colorer la face. Quand je coupe le système, ce que m’envoie XaXa est super propre, sauf le pied l’autre jour (!) Cela dit je sais que les gens sur scène sont tellement heureux que si la cage de scène par exemple pourrit un peu les retours et donc ma face, je ne vais pas aller l’emmerder, je vais faire avec. Au pire je délaye la façade pour aller m’aligner avec tel ou tel élément sur scène pour changer la perception globale de l’ensemble.
Bien cachée sous la scène, la régie retours de la tournée des stades 2003 d’Hallyday avec un Rémy surpris et très heureux !
La relation à l’artiste…
SLU : Les relations avec les artistes ont changé avec le temps ?
Rémy Blanchet : Non pas vraiment. Chaque artiste est un être humain différent. Cela n’a rien à voir avec l’époque. J’ai par exemple bien accroché artistiquement et humainement avec Imany en allant faire un jour un remplacement à la face. S’en sont suivies une douzaine d’autres dates, et ensuite elle m’a demandé de faire ses retours. Elle est incroyable de talent mais au-delà de ça, c’est un bonheur de parler à bâtons rompus avec elle. Je me suis aussi toujours super bien entendu avec Mylène Farmer, mais on ne peut pas généraliser. Il y a des artistes qui sont proches de la technique et qui s’y intéressent et d’autres pas.
Rémy et Robin le Mesurier, guitariste et vieux complice de Johnny Hallyday, image faite lors de la tournée 2009 et prise sans doute à St. Etienne
SLU : Est-ce qu’il y a des artistes qui sont justement plus techniciens, qui aiment ça ou décrivent bien leurs besoins ?
Rémy Blanchet : Oui, il y en a quelques-uns. Il y a ceux qui savent parfaitement de quoi ils parlent et d’autres qui ont une oreille énorme mais ne savent pas le dire ou alors partent du principe qu’ils n’ont pas à en faire état car tout doit être parfait et quand ce n’est pas le cas, ils brassent. Parfois tu peux leur expliquer certaines choses, mais il faut choisir le bon moment, ce n’est pas toujours évident. Si par exemple tu veux essayer un autre micro, il faut la jouer à l’instinct. L’âge et l’expérience du technicien comptent, mais pas uniquement. Il faut aussi éviter de survendre la démarche “tu verras, il est mortel” car tu ne sais jamais ce que va donner un capteur avec une voix, mais il faut se lancer car si tu n’essaies pas, tu ne sauras jamais.
Dans ce métier il faut jouer aussi de finesse sans oublier que tu n’as jamais fini d’apprendre. Ça peut faire 20 ans que tu travailles d’une certaine manière, peut-être pas la meilleure, si quelqu’un remet en cause ta méthode et que tu n’es pas trop con, tu vas réfléchir et finir par admettre qu’il a raison. Pour en revenir aux artistes, il y a Lara Fabian, une immense artiste avec laquelle j’adore travailler. Avec elle on fait de l’orfèvrerie. Pour moi elle a le même rapport avec sa voix qu’un musicien classique avec son instrument. Imagine l’effet que ça fait d’entendre d’un coup dans tes oreilles le son d’un instrument que tu pratiques depuis 30 ans ou plus, avec lequel tu vis au quotidien, c’est un choc.
SLU : Tu changes totalement la perception qu’ils en ont …
Rémy Blanchet : Justement pas ! Ce que j’ai toujours adoré dans cet exercice c’est de faire en sorte de se rapprocher au maximum de ce qu’ils connaissent. Pour revenir à Lara, elle sait parfaitement ce qu’elle veut mais elle utilise des images, des termes, un langage qui lui sont propres et qui nécessitent une véritable interprétation basée sur ton propre instinct pour lui donner satisfaction. Elle-même ne décrit que des sensations à l’aide de mots qui en plus varient ! Ça paraît déroutant dit comme ça mais c’est au contraire passionnant car ça ressemble beaucoup à l’approche d’un musicien classique. La difficulté enfin avec un chanteur par rapport à un instrumentiste, c’est que tout se passe dans la sphère ORL. Quand tu bouches les oreilles (avec des ears), la perception change complètement puisque le son de tête prend le relai, ce qui est différent avec un instrument.
Concert de Johnny au Stade de France en 2009
SLU : Es-tu aussi partisan d’un suivi à minima aux retours ?
Rémy Blanchet : Bien sûr. Les intentions ce sont les musiciens qui les font. Nous on ne veut pas les limiter en quoi que ce soit. C’est de la musique et ce sont eux qui la font, pas nous. C’est totalement incohérent de changer constamment de niveau entre chaque titre. Sur les tournées avec des ears je me souviens d’avoir dit aux musiciens “considérez que je ne dispose que d’une analogique jusqu’au moment où je déciderai qu’il est temps de faire des mémoires. On fait une balance, il faut qu’elle marche sur quasiment tous les titres” Il y a bien sûr des exceptions car on fait de la musique électro-acoustique, mais il faut faire en sorte qu’elles le restent.
SLU : Quel type de mix délivres-tu dans les ears ?
Rémy Blanchet : Tu t’adresses différemment à chaque personne pour qui tu mixes. Je pars sur une base pour que les artistes puissent travailler et ensuite je fais évoluer chaque départ tant au niveau des couleurs que du mix. Ce que j’aime bien avec les ears c’est que tu peux aller vraiment très loin dans un sens comme dans l’autre. On peut faire des wedges dans les ears comme pour Johnny ou bien aller vers des mix plus léchés. Il n’y a pas de règles strictes, et rien ne fonctionne tout le temps. Il faut se donner le luxe d’essayer car personne n’a la science infuse, pas plus nous que les autres. Quand un artiste ou un musicien veut essayer un truc, il faut se lancer, c’est comme ça qu’on fait avancer notre métier.
Un des aspects qui m’a fait prendre mes distances avec les grosses tournées, c’est justement l’impossibilité de tester des nouveaux systèmes du fait de la forte baisse des budgets. Je ne suis pas un adepte de l’escalade technique mais c’était sympa de pouvoir tester des configurations inédites. Non seulement c’est fini mais dernièrement je me suis retrouvé avec une PM1D et des vieux racks de préamps. Quand j’ai demandé les RH on m’a dit “non tu comprends, ce n’est pas possible et en plus on a fait des essais, les anciens sonnent mieux que les nouveaux (!)” C’est ça, prends moi aussi pour un…(Rires, et pas qu’un peu NDR). C’est galvanisant cette quête du -toujours mieux- et j’adore être tiré par les demandes des artistes aussi difficiles soient-elles.
SLU : Le fait d’être maintenant à la face ne te prive-t-il pas trop de ce contact privilégié avec les musiciens ? Tu n’as plus 10 personnes mais 6000 à satisfaire !
Rémy Blanchet : Si, il me manque l’osmose, l’influence réciproque entre les musiciens, les artistes et le technicien aux retours, et qui ne peut exister que sur scène. L’osmose se crée car tu leur envoies un signal qui, d’une certaine manière, magnifie leur jeu et leur art. Il se crée alors une conjugaison dont tu fais partie. Quand tu es devant, les musiciens ne ressentent pas ce que tu peux faire, c’est donc un plaisir plus égoïste, même si c’est vrai que tu peux apporter un peu plus artistiquement que derrière, cela dit même aux retours tu peux apporter une certaine touche créative, mais uniquement dans des ears, pas dans les wedges.
…et le public
Rémy aux commandes de sa Pro9 Midas pour Damien Saez.
SLU : Artistiquement, tu mixes comment une face ?
Rémy Blanchet : D’abord j’aime la dynamique et je sais parfaitement ce qui sort de ma console donc je suis en mesure de savoir identifier un problème de diffusion si je n’entends pas ce je devrais. Ensuite j’évite d’insérer des traitements dynamiques pour corriger un son qui ne sort pas, je privilégie le travail à la source.
Je ne pars que rarement dans des délires techniques, ça ne me convient pas. J’ai eu la chance énorme de côtoyer durant quelques dates Dave Natale, un autre senior de Clair. Il s’agissait du Wildest Dreams World Tour de Tina Turner. Même si je ne vois pas tout à fait les choses de cette façon-là, car j’aime aller plus loin dans mon travail, l’exercice est très intéressant et extrêmement formateur. Dave privilégie tout ce qui se passe avant de toucher la console comme le choix des micros, des câbles, les placements bref, tout le synoptique audio lui permettant de juste faire les gains, ouvrir les tranches à zéro et basta. Ça sonne. Bien entendu ce qui se passe sur scène doit être du très haut niveau, il n’empêche que mixer sans même un seul compresseur dans une PM4000 avec juste une réverbe pour Tina, il faut oser ! Peut-être que si j’avais fait plus de studio je penserais autrement mais il faut reconnaître que l’adage “shit in, shit out” est toujours d’actualité.
Si ce que tu reçois n’est pas bon, ça ne sert à rien de t’escrimer à l’améliorer. Si en revanche tu fais du rock et que ça envoie bien velu, tu ouvres les vannes et ça sort tout seul ! Je ne comprends pas, dans certains festivals où j’assure l’accueil, le raisonnement des ingés qui ont à peine le temps de faire un line check, et la première chose qu’ils te demandent ce sont les inserts ! Il serait peut-être plus judicieux de faire du son d’abord, non ? Cela dit, chacun bosse à sa manière et ce que je pense n’a aucune valeur d’exemple. Tu tombes parfois sur des mecs comme Jean-Marc Hauser…
SLU : Qu’est-ce qu’il taille bien !
Rémy Blanchet : Exactement. Si tu n’entends pas ce qu’il fait et regardes juste sa console, tu te demandes vraiment comment il fait, d’autant que les égaliseurs de la Vi sont puissants et l’échelle de la visu écrase tout. On en a parlé tous les deux, et même si on ne fait pas du tout la même chose, on est tombé d’accord sur la conclusion que ce qui compte, c’est le résultat.
A propos des afficheurs, il y a une sale habitude qui se répand et qui consiste à travailler avec les yeux plus qu’avec les oreilles. C’est dangereux car en plus les affichages diffèrent de modèle en modèle, et donc on ne peut pas retrouver une égalisation simplement en recherchant le même dessin ! Je me souviens que la première fois où j’ai eu une PM1D entre les mains, j’ai tout de suite paramétré l’affichage pour que ne surgisse pas automatiquement ma courbe à chaque retouche, une courbe complètement abstraite. C’était presque une hantise pour moi ! On travaille à l’oreille comme le public écoute avec ses oreilles. Je ne veux pas être influencé par des graphiques en couleurs.
SLU : Est-ce que ta manière de travailler a été influencée par XaXa et son style ?
Rémy Blanchet : Non pas du tout. On a toujours été très indépendants. On n’a jamais partagé de surface ni de préamplis. Je sais pour avoir écouté dans des ears ce qu’il fait, qu’on ne bosse pas du tout de la même façon, au même titre qu’on ne travaille pas de la même façon avec Jean-Marc. Bien sûr on a en commun avec XaXa le respect de la dynamique et le fait d’être au service des gens et des musiciens. C’est un tueur XaXa (rires !)
Envie d’évasion ?
SLU : Comment ça se fait que le contact avec Clair ne t’ait pas donné des ailes pour tenter l’étranger ?
Rémy Blanchet : J’ai failli, j’aurais dû mais j’ai manqué de c… J’ai toujours voulu aller en Angleterre. Etant gosse, j’aurais même voulu être anglais c’est dire ! Regarde ma peau (il a cramé sévère durant l’interview. Eh oui, il y avait du soleil… NDR), elle serait parfaite pour un anglais non (rires) ? J’aurais aimé travailler pour Britannia Row. Encore aujourd’hui, si l’occasion m’est donnée, je ne dirai pas non. La seule chose qui me freine, c’est le climat. J’adore les anglais, leur musique et leurs artistes mais pas leur météo !
Willie Williams de Clair avec son fameux fauteuil pour Farmer à Grenoble en 99. Y’a pas que les navigateurs en solitaire qui dorment quand ils le peuvent !
SLU : Comment avez-vous été pris par ce mastodonte qu’est Clair ?
Rémy Blanchet : Le mérite en revient à XaXa. Il est très fort. En 93 il a réussi à être aux retours de la première tournée de Vanessa Paradis, alors que personne ne le connaissait, et il a œuvré pour que Clair soit le prestataire. On était comme des fous. Nous rêvions de cette boîte depuis toujours. Le chef d’équipe Willie Williams et XaXa ont bien accroché, ce qui nous a après coup ouvert les portes de Johnny.
On a beaucoup appris avec eux mais aujourd’hui, avec du recul, je trouve leur mode de fonctionnement trop codifié et strict, il ne me conviendrait plus trop. Je me souviens d’avoir bataillé avec XaXa pour ne pas avoir aux retours leur standard composé d’une Digi Profile et de liaisons en Shure PSM700. Autant les 600 et les gammes d’après sonnent bien, la 700 en revanche… Chez Dushow, et Dieu sait s’ils sont critiqués, ils sont toujours à l’écoute des techniciens car, à la base, ce sont tous des techniciens. Quand tu leurs dis que tu veux essayer une machine, si c’est possible ils vont te l’avoir. Chez Clair tu ne pars pas dans l’ésotérique, en revanche en méthodologie de travail, c’est énorme. Je suis par ailleurs un inconditionnel du S4. Je me souviens d’un concert d’Elton John lors d’un festival avec 90 S4 par côté. J’avais jeté un coup d’œil à la remote TC. Il y a avait -2 dB à 630Hz, -2 à 6,3kHz et c’était juste parfait. Après il y avait eu Rod Steward. Le mec au son avait du matos à ne plus savoir qu’en faire et il avait passé tout le concert à regarder ses racks, fier de les voir clignoter dans tous les sens. Le son était à chier. Le même jour. Le matos ne fait pas tout”.
“ Un grand merci à ma tribu Tom, Johan et Audrey ! ”
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