La vidéoprojection dans tous ses états: Les sources solides-LED et lasers 2è partie

Dans une très large majorité des cas, on n’a pas besoin d’un flux aussi énorme que les 60 000 lumens qu’atteignent les lasers vus dans l’épisode précédent, la moitié, voire le quart, c’est largement suffisant. Revue d’effectifs.

Panasonic Large Venue Projector

De plus, la règlementation concernant l’usage des lasers en public n’est pas favorable à des projecteurs dont émerge directement le faisceau de lasers puissants. Mais les lasers possèdent tout de même un intérêt considérable en vidéoprojection, du fait de leur faisceau nativement parallèle.
Contrairement aux autres sources (lampes à décharge et même LED), la source laser s’utilise sans aucune perte de lumière, et ce, sans requérir d’accessoires comme les réflecteurs nécessitant des réglages précis mais sujets à compromis.

La technologie laser/phosphore

Figure 1b

Le plus souvent, lorsque les fabricants parlent de projecteurs à source laser, il ne s’agit pas de « pure laser », mais d’une architecture dite laser-phosphore, qui inclut une unique source laser bleue, constituée d’un réseau de diodes laser (soit des diodes individuelles groupées dans un montage mécanique qui en assure à la fois le positionnement et l’évacuation des calories dissipées, soit un boîtier spécialement conçu pour recevoir un certain nombre de puces laser bleu, (voir figure1.B). Cette source illumine des phosphores* qui créent les autres primaires.

*Note1 : on rappelle que les phosphores dont il est question n’ont rien à voir avec l’élément chimique 15P du même nom, mais sont des substances minérales composées qui s’illuminent sous l’effet d’une radiation ou d’un faisceau de particules.
Citons par exemple les écrans de tubes cathodiques (lumineux sous l’effet du faisceau d’électrons), le revêtement interne des tubes fluorescents (sous l’effet du rayonnement ultraviolet) et les phosphores des LED blanches (sous l’effet de la lumière bleue ou violette). Les phosphores sont le plus souvent des mélanges complexes issus d’une « cuisine » assez confidentielle.


La primaire bleue est obtenue soit en prélevant une fraction du flux émis par le laser, soit en utilisant une source auxiliaire bleue (par exemple un deuxième laser bleu). Eventuellement, les insuffisances spectrales peuvent être palliées par l’ajout de sources auxiliaires (LED).

Figure 1 : Une roue de phosphore avec son moteur (document Orange Bright Optic Inc.)

On notera que les phosphores sont disposés sur un disque tournant (« phosphor wheel », voir figure 1) intercalé dans le trajet lumineux, de manière à éviter la surchauffe du matériau actif, et qu’il faut même parfois refroidir énergiquement.
Ce disque peut être divisé en plusieurs secteurs renfermant différents phosphores, voire pas du tout de phosphore, de sorte que la technique laser phosphore est particulièrement adaptée aux systèmes de trichromie séquentielle, c’est-à-dire qui n’ont qu’un seul relais optique illuminé successivement dans les trois primaires et modulé de manière synchrone par les signaux vidéo correspondants. On se rappelle qu’une telle configuration a déjà été rencontrée dans les premiers Eidophor couleurs*.

*Note2 : Un système de télévision en couleurs utilisant une telle méthode séquentielle de captation, transmission affichage des primaires avait fait ses preuves dès les années 1940 et avait été proposée très précocement au Mexique et aux Etats-Unis, mais elle a été recalée au profit du système NTSC aux USA du fait de son incompatibilité avec les téléviseurs monochromes (noir & blanc).


Selon les fabricants, le disque de phosphores fonctionne en transmission ou en réflexion. Le système à réflexion est le plus répandu car il causerait moins de pertes de lumière que celui par transmission. Il existe plusieurs technologies de disques de phosphores. Il faut trouver un compromis entre la difficulté de réalisation, la performance (rendement lumineux, colorimétrie, comportement thermique) et la tenue dans le temps (constance du rendement, stabilité de la colorimétrie, résistance aux températures élevées).

Parmi les diverses options, les plus satisfaisantes actuellement en termes de compromis coût/performances semble être les technologies Phosphor-in-Ceramic (PiC) et Phosphor-in-Glass (PiG). Cette dernière, parfois dénommé « glass phosphor », est concoctée en faisant fondre et en recuisant le verre avec des particules microcristallines de phosphore dispersées à l’intérieur du matériau à la pression atmosphérique, à une température inférieure à 800°C.
Cette technique est plus accessible que les autres types de phosphore en verre/céramique, qui nécessitent une pression élevée et des hautes températures (1 200°C et plus). Grâce à sa relative simplicité, le procédé PiG peut être commercialisé assez facilement en gros volumes à faible coût. De plus, les composants PiG peuvent être réalisés avec des formes diverses et, on peut agir sur les coordonnées colorimétriques en modifiant l’épaisseur de différentes couches incluant chacune différents mélanges de phosphores.

Figure2 : Configuration avec roue de phosphore transmissive avec une transparence dans le bleu. C’est la plus simple (appliquée sur des projecteurs LCD – d’après document Sony)

Il existe un grand nombre de configurations qui reflètent les préférences de chaque constructeur, mais aussi l’évolution de la technologie. C’est un sujet en mouvement et le débat est très loin d’être clos.
A titre d’exemples : des configurations laser-phosphore assez simples peuvent convenir aux projecteurs en véritable trichromie (non séquentielle). La plus simple est celle qui utilise une roue de phosphore en transmission, qui présente une émission dans le jaune (rouge + vert) et une certaine transparence dans le bleu.
De cette manière, la fraction du rayonnement laser bleu qui traverse le disque est utilisée pour la primaire bleue du moteur optique (Technologie « True laser » de Sony, voir figure 2).

Figure 3 : configuration avec roue de phosphore réflective réfléchissant aussi ou réémettant du bleu. Cette configuration la plus simple dans le genre réflectif est appliquée sur des projecteurs à trois imageurs LCoS (d’après document Canon).

On se trouve ainsi dans une configuration de source qui est proche de celle d’une LED blanche à phosphore usuelle (sauf que la puce est de type laser et que le phosphore est à distance et tourne au lieu d’être directement collé sur la puce).
Le même stratagème peut être appliqué avec une roue de phosphore jaune fonctionnant en réflexion, si une partie du rayonnement du laser est réfléchie par la roue sans être convertie ou bien convertie en bleu. Le surcroît de complexité est modeste, il suffit juste d’ajouter un miroir semi-transparent pour orienter correctement le faisceau bleu du laser (voir figure 3)

Figure 4 : Si la roue de phosphore ne renvoie pas de bleu, on peut prélever une partie du faisceau du laser et la fusionner au faisceau jaune produit par la roue. Cette configuration est utilisée dans un projecteur D-ILA (d’après document JVC).

Avec des roues de phosphore qui ne réfléchissent ou n’émettent pas de bleu, les choses se compliquent un peu. Deux méthodes permettent d’ajouter du bleu. La première consiste à détourner une fraction de la lumière du laser pour l’ajouter à celle qui est émise par la roue de phosphore (voir figure 4).
Une autre méthode, peut-être un peu plus simple quant à la configuration optique, consiste à ajouter une source de lumière bleue supplémentaire, par exemple une autre diode laser ou une LED (voir figure 5).

Certains projecteurs utilisent des configurations qui sont à cheval entre le laser-phosphore et le laser direct, comme le RB Laser de NEC. Le principe consiste à utiliser deux lasers bleus distincts (comme dans la configuration Epson de la figure 5, à cette différence près que le phosphore de la roue émet du vert pur et non du jaune.

Figure 5 : une autre solution pour avoir du bleu dans le moteur optique lorsque la roue de couleurs n’en renvoie pas consiste à ajouter une source bleue supplémentaire, ici une diode laser. Cette solution plutôt simple s’applique aux projecteurs LCD (d’après document Epson).

Figure 6 : architecture de la source RB Laser de NEC. Les primaires bleue et rouge sont fournies directement par des lasers, seul le vert est obtenu par conversion du rayonnement émis par un laser bleu distinct au moyen d’une roue de phosphore vert. Utilisée avec un moteur optique à 3 matrices de micro-miroirs, cette configuration permet d’atteindre les spécifications DCI (d’après document NEC).

Le rouge est obtenu à l’aide d’un laser rouge (voir figure 6.). Selon le constructeur, cette configuration est capable de reproduire un domaine de couleurs plus large que celles utilisant le rouge produit par un phosphore (le but est d’obtenir une colorimétrie satisfaisant les spécifications pour le cinéma électronique).
Pour sa part, Digital Projection utilise un stratagème similaire avec sa technologie ColorBoost+. Le bleu est fourni par un laser et la roue de phosphore excitée par un second laser bleu est jaune, mais un laser rouge vient améliorer le spectre.

Dans les systèmes à affichage séquentiel des couleurs, la succession des flux lumineux colorés peut se gérer directement à partir de la source. Ainsi, la roue de phosphore est une roue à secteurs.
Cela ne dispense pas d’avoir aussi une roue de couleurs portant des filtres sélectifs. Les deux roues doivent être synchronisées. La structure peut paraître assez compliquée, mais son intérêt réside surtout sur l’économie d’investissement liée à l’obtention des primaires à partir d’un unique émetteur laser et à l’utilisation d’un seul relais optique.

Figure 7 : Architecture laser-phosphore à colorimétrie séquentielle pour projecteur mono-DLP.

Là aussi, plusieurs variantes coexistent, les figures 7 et 8 donnent un exemple d’une réalisation concrète et détaillent son fonctionnement.

En Figure 7, Architecture laser-phosphore à colorimétrie séquentielle pour projecteur mono-DLP, toutes les primaires sont obtenues à partir d’un unique laser bleu et de deux disques tournants. La roue de phosphore et la roue de couleurs (filtres) sont présentées ici dans la position qui donne la primaire bleue directement à partir du laser (chaque roue possède un secteur transparent).
Le secteur jaune de la roue de couleurs correspond au secteur transparent des roues de couleurs associées aux sources à lampe dans les projecteurs à couleur séquentielle. Il est destiné à augmenter la luminosité des images « issues du monde réel », au détriment de la caractéristique de « luminosité des couleurs » (Color Light Output, CLO, voir encadré « Color Brightness and White Brightness. Color Light Output ou Color Brightness » de notre épisode « La vidéoprojection dans tous ses états – Part Two : Spécifier un vidéoprojecteur »). D’après document NEC.

En Figures 8 a-c, les quatre positions des deux roues de la configuration de la figure 11. Le jaune (c) n’est pas à proprement parler une primaire, il sert seulement à renforcer la luminosité des images claires mais peu saturées, plus fréquentes dans les sources réelles que dans les sources de synthèse (graphiques). D’après document NEC.

Figure 8b

Figure 8a


Figure 8d

Figure 8c

Les technologies laser/phosphore hybrides

On l’aura compris, les constructeurs visent toujours plus haut en matière de colorimétrie. Et comme le laisse supposer NEC lorsqu’il évoque son architecture RB Laser, la technologie laser-phosphore classique (avec un phosphore jaune) ne donne pas entière satisfaction en la matière (on pourrait aussi le prévoir en considérant les médiocres performances colorimétriques des LED blanches réalisées avec une puce LED bleue et des phosphores jaunes, sauf que dans ce cas, le but est différent : il s’agit d’obtenir un spectre le plus large et uniforme possible, alors que pour la projection, il faut deux raies – rouge et vert – les plus étroites – monochromatiques- possibles).

Laser et dérives colorimétriques

Figure10 : Dérive thermique du flux des LED de couleurs primaires à courant constant (typique). On notera que chaque couleur dérive de manière différente, et que la plus sensible est la rouge… celle qu’on associe souvent aux laser-phosphore pour compléter leur spectre.

Un phénomène bien connu avec les LED, c’est leur propension à dériver avec l’élévation de température. La longueur d’onde dominante se déplace et l’intensité varie (en général dans le sens de la baisse), et ce, de manière différente selon la couleur de la LED (voir figure 10), ce qui, dans un système trichrome à LED, provoque des dérives colorimétriques, par exemple la variation de la température de couleur du blanc.

En comparaison, les lasers sont d’une stabilité exemplaire. Pourquoi ? D’une part parce que leur longueur d’onde est déterminée par les dimensions géométriques d’une cavité (généralement l’espace compris entre deux miroirs parallèles). Si cette cavité est parfaitement stable, la longueur d’onde n’a pas de raison de changer. Dans les diodes lasers, les miroirs sont souvent constitués d’un empilage de couches très minces réalisées dans le matériau lui-même. Ils sont donc parfaitement fixes par construction (si on fait abstraction d’éventuels phénomènes de dilatation thermique du matériau).

Les propriétés du matériau entre les deux miroirs interviennent aussi dans la résonance de la cavité, et comme il s’agit de semi-conducteurs, on sait qu’ils sont sujets à fortes variations thermiques. Mais en général, les diodes laser sont stabilisées en température (d’où la nécessité d’un refroidissement efficace, en particulier avec les systèmes frigorifiques qui accompagnent les gros projecteurs laser direct). Par ailleurs les alimentations des diodes laser incluent souvent une bouche de rétroaction avec un capteur photoélectrique, réalisant une stabilisation de la puissance optique de sortie. Par conséquent, la stabilité des diodes lasers est pratiquement garantie.

Là où ça se corse, c’est quand les projecteurs mélangent des lasers (par exemple laser-phosphore) avec des LED pour en améliorer le contenu spectral. La dérive des LED étant très largement supérieure à celle des lasers, il est à craindre une variation de la colorimétrie de tels projecteurs, d’une part avec la température (notamment dans la phase d’échauffement après la mise sous tension) et d’autre part au cours du temps. La dérive en intensité peut se compenser par une boucle de rétroaction avec capteur opto (voir figure 9.), mais cette rétroaction est incapable de compenser la dérive de longueur d’onde (qui, certes intervient au second ordre).


Certains fabricants de projecteurs proposent donc des structures de type laser-phosphore « améliorées » dans lesquelles les insuffisances du spectre sont compensées par l’ajout de sources supplémentaires, en l’occurrence des LED. Néanmoins, ce genre de solution pose divers problèmes tels que la différence d’étendue entre les sources laser et LED et surtout les comportements différents vis-à-vis des dérives thermiques et du vieillissement.

Dans la pratique, cela mène à introduire un système de compensation électronique des dérives des LED, ce qui implique que, dans les conditions normales de fonctionnement, les composants ne fonctionnent pas à l’optimum, de manière à préserver l’indispensable marge de dynamique pour la compensation.
A titre d’exemple, la figure 9. présente le dispositif intégré par Panasonic dans son PT-RS470 (mono-DLP « full HD », 3500 lumens) avec sa technologie baptisée Solid Shine.

Figure 9 : configuration hybride laser-phosphore/LED introduite par Panasonic. On notera le capteur en sortie de faisceau, destiné à la compensation électronique de toutes les variations et dérives. Les projecteurs concernés sont à affichage séquentiel des couleurs. Cette fonction est obtenue non pas « mécaniquement » à l’aide d’un disque rotatif, mais électroniquement, par commutation rapide des trois sources (d’après document Panasonic).

La polarisation

Les moteurs optiques utilisant les cristaux liquides nécessitent une lumière polarisée linéairement. Dans certains cas, le polariseur n’est pas intégré aux relais optiques, mais à la source, qui est donc chargée de fournir directement une lumière polarisée de qualité. Avec les sources de type laser, il est possible d’obtenir directement une lumière polarisée. L’un des problèmes des polariseurs est que, s’ils prennent en compte une lumière naturelle (comme une source Xénon ou mercure), la plupart perdent au moins la moitié de la lumière incidente (la polarisation non-utile est bloquée). Il existe des types de polariseurs capables de récupérer la composante perdue, et qui offrent donc un rendement optique proche de 100%. Nous reviendrons ultérieurement sur ce sujet.

Conclusions

Avec les sources les plus récentes, les chiffres de flux des projecteurs s’envolent et atteignent des sommets. Des flux de 10 000 à 15 000 lumens ne sont plus rares et plusieurs modèles sur le marché dépassent largement les 50 000 lumens. Même si la vision de volumineux systèmes de réfrigération et d’une grande baie externe autour des projecteurs les plus puissants n’est pas sans nous rappeler l’épopée héroïque du Titus, au niveau des performances, nous sommes dans un autre monde !

On ne peut pas ignorer le sens de l’histoire : les sources « solides » gagnent du terrain et sont indiscutablement l’avenir (les LED semblent déjà hors course dans cette application). Un avantage supplémentaire est que la source comprenant habituellement une multitude de puces laser (souvent plusieurs dizaines), la défaillance d’une puce ne se traduit que par une faible perte de flux et, à la limite, passe totalement inaperçue).
La seule réticence qu’on peut avoir vis-à-vis de cette technologie, c’est l’équation économique, qui reste partiellement en faveur des solutions à lampe, face au prix exorbitant des solutions laser les plus performantes. Mais le laser est un semi-conducteur, et il est donc sous l’influence de la loi de Moore. C’est donc l’affaire de quelques années avant qu’on ne discute plus des mérites relatifs des deux filières, au moins dans les applications professionnelles.

On ajoutera à cela deux arguments environnementaux : d’une part un rendement énergétique supérieur des lasers et d’autre part l’absence totale de mercure. Outre les avantages purement techniques, l’écoconception pourrait bien influencer de manière décisive la bataille des sources !

La suite … Dans le prochain épisode, nous verrons comment l’image est formée dans les vidéoprojecteurs modernes, en commençant par la technologie LCD.

Et avec les épisodes précédents :

Crédits - Texte et illustrations : JP Landragin

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