
Depuis quelques mois, Justice exporte l’électro français sur de nombreux continents. En concert et en festival, le duo emblématique produit un spectacle impressionnant de créativité et de maîtrise technique. Le style musical s’impose dans un exercice plutôt original, car sur scène, il n’y a aucun micro. Juste les deux artistes aux commandes de leurs séquences. Une démarche créative particulière dont la restitution sur la tournée a été confiée à Intelligence Audio, qui a su déployer l’environnement technique indispensable pour produire des concerts uniques et vivants.
[private]
Mais séquences ne rime pas avec simplicité, bien au contraire. Elles ont nécessité un énorme travail de préparation sous la gouverne de Romain Berguin et de Nicolas Fradet au sein de leur structure Playback Solutions. Quand le concert commence, la puissance musicale interpelle. Nos oreilles flirtent avec les extrêmes. Les infras font presque peur. L’espace sonore semble pousser les murs de l’Accor Arena et le spectre s’étend outrageusement. Sébastien Roblin est aux commandes pour un concert unique, impressionnant et vivant, même sans micro.

SLU : Quelle est la mission d’Intelligence audio ?
Sébastien Roblin : J’ai fondé Intelligence audio avec Patrick Passerel et Philippe Gloaguen en 2007. Notre principe est d’accompagner les artistes en concevant un son live sur mesure, non pas avec le matériel disponible mais avec le matériel nécessaire dans un souci constant d’optimisation. Cet accompagnement peut concerner tous les postes, comme ici pour Justice, l’optimisation des sources de l’album studio pour le live.
Patrick s’occupe de toute l’ingénierie du système de diffusion et nous le retrouvons ici aujourd’hui au calage. Philippe et William Duvet se chargent de la partie régie et mixage, et l’optimisation de la matière audio. C’est avec eux que j’échange sur l’artistique pour déterminer la direction du projet et avec quel matériel nous allons le gérer. De mon côté, je gère globalement le projet et j’ai la charge du mixage façade. J’échange avec les artistes pour comprendre leurs besoins et ensuite avec tous mes associés pour finaliser le cadre de ce projet.

SLU : Et ceci en s’intégrant dans une scénographie ?
Sébastien Roblin : L’intégration sur mesure est une de nos marques de fabrique. Par exemple, sur la tournée de PNL en 2022, nous devions concevoir un système de diffusion contraint par la présence d’un ascenseur au milieu de la salle. Nous devons souvent faire preuve d’inventivité pour trouver des solutions afin de produire un son ultra qualitatif.
SLU : Sur cette tournée, tu es l’interlocuteur principal pour la gestion du son ?
Sébastien Roblin : Oui, c’est ça. Dès le début de notre collaboration avec Justice, j’ai cherché à comprendre quelle est leur musique et ce qu’ils veulent faire ressentir à leur public, en mettant en œuvre tout un ensemble de processus pour que le son soit très bon, pour le public mais aussi dans les oreilles des artistes. Ensuite, une fois les directions établies, une deuxième phase de réflexion consiste à déterminer quels outils ou solutions techniques utiliser.

SLU : Toutes les consoles sur le show sont des AVID S6L ?
Sébastien Roblin : Nous avons l’habitude de travailler avec des consoles AVID. Elles ont la particularité d’être très neutres et de simplement faire ce qu’on leur demande, sans rajouter de coloration. Et c’est à mon avis indispensable sur de la musique électronique où je n’ai pas toutes les contraintes d’une source acoustique.
Ces sources électroniques proviennent soit d’un synthétiseur joué en live ou de séquences audio accompagnées de leur traitement. À la différence d’une source acoustique dont la qualité est dépendante des instruments, des musiciens et du lieu, je dois maintenir la qualité de restitution de la musique dans la diffusion et dans les oreilles du public.
SLU : Qui gère la production et la diffusion des sources et des séquences audio ?
Sébastien Roblin : Produire les séquences et les procédures pour les gérer est totalement une démarche musicale. Ce n’est pas nous qui gérons ceci mais Playback Solutions qui travaille directement avec l’artiste pour produire la matière sonore. Elles sont gérées ici par Nicolas Fradet, opérateur playback sur le show.

SLU : On pourrait penser que cela simplifie le travail technique, mais pas tant que ça ?
Sébastien Roblin : Les sources acoustiques demandent des réglages plutôt souples d’un jour à l’autre. Pour la musique électronique, la source étant tout le temps la même, l’artiste l’ayant mûrement réfléchi pendant de nombreuses années avant de faire son album, sa restitution en live doit être parfaite. Les fans de ce type de musique sont très pointus.
Ils connaissent parfaitement les productions de l’artiste et ont envie de retrouver en live une grande partie de ce qu’ils entendent sur les enregistrements. Pour cette raison, cette tournée de Justice est très intéressante. C’est là tout le génie de Gaspard et Xavier qui vont ajouter des éléments et mixer les morceaux les uns avec les autres de manière extrêmement fine et intelligente, pour continuellement surprendre leur public. Et chaque concert est différent.

SLU : Comment les artistes interviennent-ils en live sur ces sources ?
Sébastien Roblin : Ils jouent en live à partir de claviers qui commandent des instruments virtuels dans les séquenceurs Ableton. Ils disposent également de nombreux contrôleurs pour agir sur les séquences en commandant des filtres ou des effets en temps réel.
Ils ont développé avec Playback Solutions des systèmes de commande offrant un champ de possibilités quasiment infini. Ils veulent s’amuser. Pendant le spectacle, ils accèdent à un énorme potentiel de jeu qu’ils peuvent exploiter à volonté suivant ce qu’ils ont envie de faire ce soir-là. Et pour moi à la console de face, c’est aussi extrêmement excitant, car chaque concert est unique.
SLU : Ce type de concert pourrait être ennuyeux à mixer ?
Sébastien Roblin : On pourrait faire le raccourci de penser que, comme tout sort d’un ordinateur, tout le show va se dérouler de manière automatique. Ce serait une grande erreur. Comme Vincent Lerisson (Lewis) qui est à la régie lumière et qui travaille sans time-code, je mixe en temps réel. C’est une manière de garder une fraîcheur de mix et de s’assurer qu’on va vivre un moment unique à chaque date. Bien évidemment, j’ai une conduite pour me permettre d’amener différentes manipulations ou effets, mais je n’utilise aucun snapshot. Le mix est ainsi guidé par ma propre sensibilité et le ressenti de la salle et de son public le jour J.

SLU : La diffusion elle aussi doit être particulièrement adaptée à ce type de musique ?
Sébastien Roblin : Avec Patrick, nous avons réfléchi longuement à un système qui correspond à mes attentes car la musique électronique a la particularité de remplir tout le spectre. L’idée est donc de pouvoir exploiter pleinement toute la bande passante sans jamais atteindre les limites de l’amplification.
J’ai besoin d’un maximum de réserve de dynamique pour éviter toute compression et permettre un son très aéré. Quand des DJs jouent des mp3 surcompressés très fort, c’est hyper fatiguant et pas du tout agréable.

Gaspard et Xavier avaient justement en tête de faire la différence avec une musique qui soit effectivement énergique, qui gratte un peu à des moments parce qu’ils ont ce côté rock’n’roll, mais en en même temps qui reste agréable à écouter. Cette musique, c’est ma passion et un peu ma carte de visite. J’adore l’écouter extrêmement fort à condition qu’elle reste agréable ;-).
J’ai eu la chance de pouvoir utiliser beaucoup de systèmes de diffusion différents sur les festivals de la tournée, et déterminer ainsi celui qui répond le mieux à ces exigences de dynamique et de bande passante. Notre choix s’est porté sur un système K1 L-Acoustics qui en plus dispose d’un très bon rapport charge / puissance.

Le système de diffusion se compose d’une face de deux arrays de 4 K1SUB, 12 K1 et 4 K2 en bas de ligne. Deux outfills composés chacun de 14 K2 les accompagnent. Le grave et l’infra sont ici à l’honneur avec deux lignes de12 K1SUB placés derrière K1, et à côté, deux lignes de 9 KS28 en montage cardioïde. Enfin 24 KS28 au sol devant la scène en 8 stacks de 3 en montage cardioïde, jouent avec l’effet de sol.
Le front fill est géré par huit X12 sur pied et le downfill par deux clusters de 6 KARA II, plus deux autres clusters identiques sur scène en débouchage latéral. Deux rangs de rappel gauche / droite avec chacun un array de 6 K2 redonnent air et précision au lointain.


SLU : L’importance des subwoofers est déterminante sur cette musique ?
Sébastien Roblin : Les séquences comportent beaucoup de son dans des fréquences en dessous de 60 Hz que les artistes traitent en temps réel avec des filtres. La diffusion doit supporter leur dynamique et pour l’aider, j’utilise des routings particuliers. Ces infras sont traités un peu comme les effets spéciaux d’un mix cinéma.

SLU : Combien de sources mixes-tu ?
Sébastien Roblin : Je mixe une quarantaine de lignes entre les sources provenant de la scène et ma production additionnelle. La S6L n’est pas surchargée d’autant que j’ai deux cartes HDX. En 2024, nous pouvons jouer dans des salles qui sont extrêmement traitées et donc avec un son très mat.

Une production comme celle-ci avec des sources proches du disque et jouées à fort niveau, restera très mate dans ce type de salle, sans compter l’absorption du public. Pour du live, j’ai besoin de beaucoup d’ampleur et pour l’obtenir j’ajoute des effets.
La console est parfaite car au lieu de colorer le son avec les traitements internes, je peux créer comme je le veux une couleur live pour Justice en utilisant des plug-ins. Ma préférence va vers les plugs Sonnox dont j’utilise beaucoup les EQ et la réverbération Oxford Studio qui conviennent parfaitement.
SLU : Vous n’aviez pas envisagé de faire du spatialisé ?
Sébastien Roblin : C’est quelque chose que j’ai tout de suite évoqué au début de notre travail avec les artistes. Je suis fan de cette technologie de diffusion et nous avons de plus en plus de salles qui commencent à s’équiper. Malheureusement la tournée alterne avec des festivals où la technique de spatialisation ne serait pas présente.
La musique électro me fait vibrer depuis 30 ans et je l’imagine en immersif 360 depuis 20 ans. Aujourd’hui les technologies nous permettent de vivre ce rêve. J’espère le faire bientôt avec eux, d’autant plus que nous avons notre studio immersif 18.2.5. J’invite d’ailleurs tous les artistes à venir le découvrir à Bayonne.

SLU : A défaut de pouvoir faire du mix objet, comment abordes-tu le mixage de ces sources stéréo ?
Sébastien Roblin : Quand j’ai écouté le dernier album de Justice, et bien sûr je connaissais toute leur discographie, j’avais remarqué qu’ils ouvraient et faisaient vivre les sons à leur manière dans la stéréo. Ça m’a mis la puce à l’oreille. Je me suis dit que je pourrais utiliser cette façon de créer pour faire vivre le live et que le public ne reste pas sur une image sonore tout le temps figée.
Pour cela, nous avons développé des outils de travail en Mid/Side. Je décompose le traitement sur la partie mono et la partie side. Je peux ainsi facilement traiter les sources et les centrer ou les écarter à volonté dans la diffusion. Cette méthode me permet de suivre en temps réel les intentions des artistes sur scène et d’augmenter l’expérience sonore.

SLU : Tout est fait à l’intérieur de la S6L ?
Sébastien Roblin : Oui. Je n’ai aucun élément externe. Parfois ils vont filtrer la partie rythmique, ou les basses, ou les deux en même temps et ceci demande une configuration de chaque titre qui doit pouvoir le permettre. Il n’était pas question de les brider. Il y a donc un peu de gymnastique à faire mais je m’en accommode facilement.
J’établis une conduite qui me permet de suivre les patchs des séquences de chaque titre. Autre point important, je n’utilise pas la compensation de latence automatique de la console. Essentiellement parce que je réalise beaucoup de configurations particulières dans le mix, je préfère mesurer les latences et les gérer par moi-même.
SLU : Un travail particulier à été fait pour garantir l’intégrité des signaux numériques ?
Sébastien Roblin : Nous avons recherché la meilleure manière d’amener les sources, qui ici proviennent d’un ordinateur, jusqu’à la console sans modification ni altération. Si ça peut sembler trivial, c’est assez compliqué en fait. Les signaux qui viennent de l’ordinateur sont en MADI, via le logiciel Ableton LIVE et des RME MADIface USB. Nous sommes en 96 kHz. Ils doivent alimenter en même temps la console de face, celle des retours et celle de l’enregistrement. Nous avons mis au point une technique particulière qui nous permet d’unifier l’ensemble des flux MADI.
Nous avons créé un écosystème qui fonctionne au même temps 0, sur la même horloge et qui garantit la synchronisation de signaux à l’échantillon près. Il y a deux ordinateurs, machine A et B, qui peuvent ainsi être commutés à n’importe quel instant sans qu’aucune coupure ni artefact sur les signaux ne soit généré. C’est une sécurité inaudible pour le public. Nous utilisons ici de la fibre, dû à la dimension de la salle. Mais je préfère les liaisons cuivre que je trouve pour finir plus fiables dans tout type de conditions.
SLU : Dans cette configuration il semble important de communiquer avec les artistes ?
Sébastien Roblin : Primordial.
Kaj Oppenheim : Je gère tous les circuits d’ordre. Je dois en toute circonstance être capable de leur expliquer ce qui se passe et ce que nous allons faire. C’est très, très important de les assister au mieux car ils ont énormément de manipulations à faire sur scène. À la différence d’un musicien qui est toujours maître de son instrument, quand un artiste doit exploiter des séquences sur scène, c’est beaucoup plus stressant, même si nous avons essayé de tout prévoir.

SLU : Les sources ont-elles été traitées pour le live ?
Sébastien Roblin : C’est une des missions d’Intelligence Audio. Depuis une dizaine d’années, nous avons développé un pôle d’’optimisation de la matière audio pour le live. Nous nous occupons de beaucoup d’artistes dans des styles musicaux très variés. Nous avons travaillé pour Jain, NTM, PNL, Gesaffelstein, JehnnyBeth, Irène Dresel, PLK, etc…
Nous optimisons la matière audio issue des enregistrements studio pour qu’elle soit restituée par des systèmes très puissants. Le problème est que nous ne pouvons pas avoir la salle pour cela. Nous avons donc développé nos processus d’optimisation sur des archives de quinze années d’expérience de tournées communes avec mes associés et sur de nombreux paramètres psychoacoustiques.
SLU : Cela consiste en quoi ?
Sébastien Roblin : Nous recherchons de la dynamique. Xavier et Gaspard de Justice sont aussi des ingés son. Ils ont tout de suite compris cette démarche qui représente 80% de mon travail de préproduction. J’optimise, une sorte de mastering, si besoin en temps réel, pour être en accord avec les réactions du public dans la salle et du jeu sur scène. Cette démarche m’a inspiré lorsque j’ai écouté Kraftwerk en festival il y a quinze ans. Toute la journée sur la grande scène les groupes se sont enchaînés avec un son moyen. Le soir, depuis l’arrière scène, j’entends les premières notes qui lancent le concert de Kraftwerk et de derrière la sono, je trouve ça déjà incroyable.
Je suis parti au milieu du public et j’ai vécu pendant 90 minutes un délice pour les oreilles. En live, on a une marche supérieure qui permet de faire ressentir plus d’émotions au public. Nous avons aussi des effets audio liés aux effets visuels. Pour cela, ma conduite suit beaucoup celle de la lumière. C’est une source importante d’inspiration. Si Lewis (Vincent Lérisson à la lumière), qui suit les concerts de Justice depuis le début, imagine un effet ou un mouvement de lumière sur une partie d’un morceau, je vais l’accompagner au son.
Il est temps maintenant d’aller en arrière scène pour découvrir de plus près le setup mie en place par Romain Berguin et Nicolas Fradet de Playback Solutions pour la gestion des séquences et leur commande. Tout tient dans une somptueuse station intégrée dans un rack mobile…

SLU : Pour ce concert de Justice, quel était le cahier des charges pour les séquences ?
Nicolas Fradet : Nous devions mettre en place un système qui permet la commande et le contrôle des séquences, des instruments virtuels et des traitements en temps réel par les artistes.
SLU : L’intégralité des sons du spectacle sort de vos machines ?
Nicolas Fradet : Oui. Tout est hosté dans Ableton Live sur deux Mac Studio M2. Chacun dispose d’une interface audio MADIface USB de RME. Nous sortons de chaque machine 32 channels que nous envoyons en MADI vers la console façade, retour et enregistrement.
SLU : Les artistes sur scène disposent de synthés mais aussi de contrôleurs sur mesure ?
Nicolas Fradet : Il n’y a pas d’audio exploité sur scène. Le plateau est juste une télécommande des séquences. Ce sont les artistes qui les déclenchent pour chaque titre et les manipulent en temps réel, quand et comme ils veulent. Nous leur avons créé toutes les commandes qui leur permettent de faire ce qu’ils désirent. Les claviers des synthés commandent des instruments virtuels joués en direct dans Live et les contrôleurs déclenchent des séquences et contrôlent des effets qui leurs sont appliqués.

L’ensemble de ces outils de commande est relié en réseau via deux switchs, entre la scène et notre rack avec redondance de fibre. Nous renvoyons simplement pour le contrôle visuel, via un petit rack de scène, la sortie audio de nos machines pour alimenter le vu-mètre des « DJM » des artistes.

SLU : C’est le même setup utilisé en festivals?
Nicolas Fradet : Oui, identique. Il nous permet de couvrir toutes les dates. Comme le plateau est juste une télécommande, nous pouvons sans problème checker toute la partie audio en backstage avant la mise à disposition de la scène.
En festival, où la durée d’installation est très courte, c’est particulièrement utile. Nous sommes beaucoup plus sereins. Notre setup ne prend pas beaucoup de place, on s’installe en 45 mn, on travaille en local, et comme tout l’audio est un stream MADI, si ça fonctionne, on a tous les canaux.

SLU : Il te faut néanmoins pouvoir comprendre ce que font les artistes ?
Nicolas Fradet : Nous avons créé une interface de monitoring des contrôleurs. Je peux ainsi voir en permanence sur cette fenêtre ce que font les artistes, quels contrôleurs ils actionnent, quel clavier ils jouent, etc…
Nous avons aussi développé un autre élément qui permet de propager tous les paramètres nécessaires au lancement du titre et l’avons intégré à leur système de commande.
SLU : On peut parler de sur mesure ?
Nicolas Fradet : Nous avons développé au fil de notre activité des templates et des setups de bases qui sont toujours identiques. Nous les personnalisons ensuite en fonction des besoins des artistes. Nous créons beaucoup de subtilités et nous développons des scripts sur mesure pour tout ce qui n’existe pas. En réalité, rien n’est impossible… Un artiste nous dit qu’il aimerait bien faire ceci, nous le faisons. Si l’outil pour y parvenir n’existe pas, nous le créons.
SLU : Comment avez-vous créé les séquences ?
Nicolas Fradet : Les musiques sont créées par les artistes, à la suite de ça les Stems sont exportés en prenant en compte les besoins et contraintes de contrôle pour le Live. Ces stems sont ensuite intégrés à la session Ableton du show avec tous les outils de contrôle et les instruments virtuels pour tout ce qu’ils souhaitent pouvoir jouer.

SLU : Et je suppose que nous avons beaucoup de sécurité ?
Nicolas Fradet : Sur une show comme ça, où toute la musique est jouée depuis les ordinateurs, la sécurité est extrêmement importante. Nous avons envisagé plusieurs niveaux de redondance. En premier lieu, la redondance des machines A et B. Elles commutent automatiquement à l’échantillon près dès qu’une défaillance est détectée sur le flux MADI. (NDLR – Nicolas commute à volonté entre les deux machines pendant la balance, c’est juste inaudible).
Nous avons un autre niveau de sécurité pour pallier un défaut de la console retour. Si elle tombe, les artistes perdent les ears mais retrouvent dans leur wedge un retour depuis la console de face et également si la console de face tombe, un deuxième mix est automatiquement repris d’une autre console pour la diffusion.
SLU : Qui dit ordi dit forcément latence ?
Nicolas Fradet : Nous choisissons toujours les ordinateurs dans leurs configurations les plus pertinentes pour le projet. Ici, nous maîtrisons tout l’ensemble avec une taille de buffer de 256 échantillons pour une latence de 3.35 ms. Difficile de réduire encore à cause des instruments VST. Mais grâce à la chaine numérique avec la partie audio nous réussissons à garder la latence globale suffisamment basse pour que cela soit le plus confortable pour les artistes sur scène.

SLU : En réalité pendant le show, tu n’interviens pas ?
Nicolas Fradet : Non, je n’ai pas à intervenir. Tout notre travail est de prévoir en amont tous les scénari et de développer les outils adaptés. Une fois le show lancé, je surveille simplement ce qui se passe sur scène à l’aide de la fenêtre de monitoring que nous avons créée. Je contrôle en temps réel ce que les artistes font. Donc si tout se passe bien, je n’ai pas à prendre la main sur le système. Je n’interviendrai que si un problème survient.
SLU : Des séquences aux retours il n’y a qu’un pas, re-bonjour Kaj
Kaj Oppenheim : Oui en effet, je suis juste à côté de Nicolas. Je reçois ses sources en MADI. Toutes les consoles ont deux cartes MADI sur chaque engine et nous utilisons la deuxième pour faire une sortie. Une Masterclock cale les horloges de tout le monde pour une parfaite stabilité. Chaque engine récupère une horloge, idem pour les deux Madiface USB. En direct out, j’envoie les sources à la console pour l’enregistrement.
SLU : En quoi consiste le mix de retours dans ce type de configuration ?
Kaj Oppenheim : C’est beaucoup plus stable que le mix façade. Je travaille avec un snapshot par titre. J’alimente les ears des artistes en Wisycom, c’est à l’heure actuelle à mon avis la meilleure solution pour privilégier la qualité audio. Je gère aussi l’ensemble de tous les réseaux de communication en façade et en retour. Sur scène les artistes disposent chacun d’un micro d’ordre qui s’ouvre automatiquement dès qu’ils s’en approchent (les seuls micros sur scène… mais que le public n’entend pas). J’envoie également le mix retour dans les wedges et le subwoofer juste derrière eux.

SLU : C’est particulier, un concert sans micro sur scène ?
Kaj Oppenheim : Oui, il n’y en a pas. A part juste les micros d’ambiance pour les ears, une paire de Schoeps et une paire de Sennheiser MKH. Je fais au plus simple pour ne pas perturber l’image sonore de leurs retours.
Nous avions essayé des configurations plus complexes mais on est revenu à l’essentiel. Je ne leur envoie pas les ambiances en permanence, pour ne pas les polluer et les laisser se concentrer sur le travail de commande qu’ils doivent opérer.
La balance est terminée, tout est calé. La technique m’invite à sortir de la salle pour aller retrouver l’équipe broadcast / enregistrement qui a été hébergée dans une loge à part afin de s’affranchir de toute nuisance sonore. J’y retrouve William Duvet et Johann Simon, qui ont improvisé un mini studio.
SLU : Vous utilisez aussi une S6L ?
William Duvet : Oui, pour garder le même écosystème. Nous avons installé en plus 14 micros numériques Neumann fournis par YASTA pour les ambiances : des omnidirectionnels, des couples de cardioïdes de chaque côté de la régie, une rampe cardioïde en front de scène, des hypercardioïdes sur les latéraux pour les gradins et pour chercher du détail. Ils sont connectés au préampli DMI8 en AES42 qui permet de recevoir le signal audio et de contrôler le gain/pads et filtres accessibles. Nous avons complété par deux micros surround placés derrière la régie façade, un DPA 5100 et un Schoeps DORTF. Nous récupérons ensuite les 32 paires de séquences en MADI synchronisé.
SLU : Un direct live est prévu demain sur Amazon, vous le mixez sur la même console ?
William Duvet : Oui, même si ce n’est pas vraiment une console broadcast, au niveau des solos par exemple. Mais c’est cohérent au niveau de la tournée. Nous utilisons les correcteurs Oxford en EQ dynamique pour contrôler les fréquences gênantes avec en plus la possibilité de faire du M/S. Et aussi la réverbération.

SLU : En revanche vous ajoutez des traitements externes ?
William Duvet : Ils sont là pour traiter le mix général. Le Master Bus Processor de Neve, je ne sais plus vraiment m’en passer. Son circuit propriétaire Super SILK permet, dans sa dernière amélioration, de créer de la distorsion harmonique indépendamment sur le haut et le bas du spectre.

Ça colorie, c’est beau, c’est Neve. Avec des filtres qui permettent de travailler le Mid/Side, ça peut donner beaucoup d’air au master. Ensuite, j’utilise un véritable compresseur SSL, ça a du sens sur ce style de musique et le résultat est encore une fois flagrant. Je termine dans un convertisseur analogique numérique Rupert Neve utilisé pour fournir du 48k pour Amazon.
SLU : Et pour l’enregistrement ?
William Duvet : Nous enregistrons dans deux Pro Tools en miroir. Évidemment avec la S6L, c’est pratique. Elle propose un port dédié pour cela.

SLU : En recalant les ambiances, on ne reproduit pas précisément l’acoustique de la salle ?
Johann Simon : C’est une question de dosage et de mixage. Dès qu’on ouvre une ambiance, cela crée une pièce qui ressemble à l’Arena. L’idée est de ne pas tout laisser ouvert en permanence et de gérer des ambiances ponctuelles. Mais pour ma part, les nombreux délais des micros d’ambiance vont perturber le mix. Nous sommes très sensibles à ça et si une piste n’est pas calée, ça fait un vrai son live mais pas très bon. Nous préférons les recaler.

SLU : Comment procédez-vous pour la retransmission Amazon ?
Johann Simon : Le car régie nous envoie un time code et il délaye la vidéo pour se caler sur l’audio ; en tenant compte des nombreuses machines pour le transport du signal, console, ampli, diffusion… On mixe à 4 mains. Habitué au broadcast, je gère les ambiances et William la musique.
SLU : Et bien sûr vous enregistrez tout ?
Johann Simon : Nous enregistrons toutes les ambiances bien sûr. Les deux micro surround, les omnis suspendus ça donne déjà une très belle masse que l’on peut ensuite équilibrer avec les ambiances de proximité. Et comme le système de diffusion est plutôt bien proportionné et très ouvert, nous avons des ambiances très dynamiques, larges et précises.
Ce soir il y aura un peu de pression. Pour ma part, mixer au-dessus de 87 dB pendant plus d’une heure, le lendemain j’ai l’impression d’avoir une feuille de papier sur les oreilles.
Intelligence Audio et Playback Solutions portent bien leur nom. Quand l’intelligence et les solutions sont au rendez-vous pour construire sur mesure un écrin sonore aux artistes, cela donne avec Justice un show électro de référence.
Non, il n’y avait pas de micro mais oui, il y avait des séquences, pensées pour donner un show unique, vivant et musical, comme le font tous les musiciens. Les infras pouvaient faire peur, il en restait encore sous le fader. La largeur était immense, l’Accor Arena paraissait encore plus grande. Associé à une lumière au niveau de l’inventivité des créateurs sonores, ce show restera dans la mémoire du public.

[/private]