La vidéoprojection dans tous ses états Part Three: Mettez de l’optique dans votre moteur! D-ILA, LCoS, SXRD et compagnie

Descendants directs du projecteur Hughes, les cristaux liquides réflectifs (D-ILA, SXRD, LcoS) ont donné les premiers l’accès aux très hautes définitions. Promise à un grand avenir, la technologie reste limitée à de rares applications. Qu’est-ce qui lui fait défaut ?

Qu’on se souvienne : les cristaux liquides utilisés en réflexion ont été la première voie technologique aboutie permettant d’obtenir des images correctes sans subir les affres de l’Eidophor et de ses dérivés. Hughes, puis JVC, en avaient fait leur cheval de bataille sous l’appellation ILA.
Mais à partir de l’éclosion des LCD fonctionnant en transmission, puis des micro-miroirs (on en reparlera plus tard), le LCD réflectif a suscité d’immenses espoirs….déçus. Malgré le potentiel de cette technologie, resté en grande partie sous forme de promesses, elle est demeurée discrètement cantonnée à peu de réalisations concrètes, pourtant de très hautes performances.

C’est à cause de la configuration particulière en « 3D » du moteur optique que des projecteurs célèbres comme le SRX-110 de Sony ont ce look particulier à la « Dark Vador »

De l’ILA au D-ILA puis au LCoS

Jusqu’aux années 70-80, on ne savait pas adresser directement les cristaux liquides pour faire des images à haute résolution. Le tube cathodique était le seul dispositif d’imagerie électronique digne de ce nom, et à ce titre, il était incontournable. L’ILA, développé chez RCA, Hughes, puis JVC, reprenait l’image fournie par un tube cathodique, puis la convertissait en image électrique à l’aide d’une galette de matériau semi-conducteur optoélectronique (photorésistant ou photovoltaïque), utilisée pour adresser une lame de cristaux liquides.
Exploitant une image optique pour restituer une image optique plus lumineuse, l’ILA justifiait donc son nom : Image Light Amplifier. Mais obligatoirement fixé contre la dalle de son tube cathodique, le relais optique ILA ne pouvait pas fonctionner en transmission, il était donc exploité en mode réflectif. L’un de ses gros avantages, puisque la lame LCD, tout comme le dispositif optoélectronique, était parfaitement continue, était l’absence de structure de pixels. La définition de l’image était donc imposée par le balayage du tube cathodique, avec toute la liberté de choix de résolutions et de définitions qu’offrait la technologie disponible.

Mais l’ILA ne manquait pas d’inconvénients. De fait, il avait tous ceux des projecteurs tritubes de l’époque (comme les fameux « Barco » originels) : un poids et un encombrement importants dus aux longs cols des tubes, et la superposition des couleurs, qu’il fallait (re)régler en permanence. On a donc finalement trouvé un moyen d’adresser les cristaux liquides directement, sans passer par l’intermédiaire cathodique : c’était le D-ILA (D pour « Direct », mais l’appellation ILA ne se justifie plus puisqu’il ne s’agit plus d’un convertisseur optique-optique, mais d’un système électrique-optique).

Figure 1 : Constitution d’un relais optique à cristaux liquides réflectif (les diverses épaisseurs ne sont pas à l’échelle). L’électronique de commande est enfouie sous la surface du substrat, seules les électrodes déterminant les cellules affleurent.

L’idée est assez simple :
puisqu’on doit avoir un semi-conducteur pour adresser la couche LCD, au lieu d’une couche optoélectronique uniforme, il suffit de le remplacer par un semi – conducteur comportant des transistors de commutation et des électrodes affleurant à la surface pour créer le champ électrique de chaque cellule… c’est-à-dire quelque chose qui ressemble beaucoup à la surface TFT d’un LCD conventionnel (voir épisode « Mettez de l’optique dans votre moteur ! LCD part 1 »), mais réalisé sur un unique substrat semi-conducteur (voir figure 1).

En un mot, il s’agissait d’utiliser pour l’adressage du LCD réflectif, un circuit intégré spécialement conçu. Les électrodes métalliques (et l’ensemble du substrat) réfléchissant la lumière (à défaut, il était possible d’y déposer un miroir constitué de couches diélectriques), et le tour était joué.

Micro-écran LCD réflectif (LCoS) de 0,74 pouce Epson

Pour réaliser un composant LCD réflectif en configuration TN, il faut disposer les couches d’alignement des deux faces (celle qui est sur le circuit d’adressage réfléchissant et celle qui est sur l’électrode transparente collée sur la face transparente en verre) à 45° l’une de l’autre, et l’épaisseur de la lame de cristaux liquides doit être la moitié de ce qu’elle serait avec un composant transmissif de caractéristiques équivalentes.

Un immense espoir

Les dernières décennies du XXe siècle ont connu un développement extraordinaire dans le domaine de l’intégration électronique, aussi la perspective d’unir les circuits intégrés et les cristaux liquides dans les composants réflectifs a été perçue comme une aubaine.
Les grands fabricants de circuits intégrés et de mémoires, qui ont toujours considéré la vidéo comme une terre promise, se sont rués là-dessus en y voyant un nouvel Eldorado. Fabriquer des circuits numériques avec des millions de transistors, voire de choses beaucoup plus complexes, ils savaient déjà le faire.
Donc fabriquer des composants LCoS d’une résolution très élevée, de manière industrielle et économique, leur semblait accessible, voire évident. De plus, qui dit circuit intégré dit miniaturisation, et là aussi, on entrevoyait la possibilité de banaliser la très haute définition dans des appareils aussi compacts que légers et bon marché…

Plus facile à dire qu’à faire !

Hélas, il a fallu rapidement déchanter. Pour fabriquer un composant LCoS qui « marche », il ne suffit pas de maîtriser le silicium. Il y a aussi une multitude d’autres aspects qui entrent en ligne de compte et conditionnent les performances de l’ensemble.
En premier lieu, la « cuisine » des cristaux liquides n’est pas familière des fabricants de composants électroniques. C’est de la chimie organique, avec un bon zeste d’assaisonnement de divers additifs savamment dosés, notamment pour maîtriser l’alignement des molécules sans rendre le milieu trop conducteur. Par ailleurs, l’épaisseur du milieu optique est minuscule et doit être parfaitement contrôlée.

Ensuite, il y a les divers traitements de surface au nombre desquels on compte les couches d’alignement, les zones réfléchissantes et l’électrode transparente. Bref, tout cela n’est pas simple, et les fabricants de mémoires et processeurs, qui avaient fait de bruyantes annonces à l’époque, sont retournés tout penauds à leur cœur de métier.
En revanche, il n’est pas interdit de penser que les rares fabricants de LCoS ou assimilés puissent se faire aider par des fabricants de semi-conducteurs ou sous-traiter à ceux-ci certaines phases de la fabrication.
La difficulté du LCoS est l’inverse de celle du LCD. Avec le LCD, on cherche à miniaturiser au maximum les matrices, mais cela pose des problèmes de réalisation des faces TFT d’une part et réduit l’ouverture (rendement optique) d’autre part. Avec le LCoS, il faut réaliser des circuits intégrés d’adressage les plus grands possibles, mais plus on augmente la taille des circuits intégrés, et plus le rendement de fabrication est faible, car le risque d’avoir au moins un défaut sur un composant est d’autant plus élevé que sa surface est grande. Au-delà de 1 cm2, le coût augmente très rapidement.

Or pour traiter des flux lumineux importants, les matrices doivent tout de même avoir une surface minimale pour ne pas subir un échauffement rédhibitoire. Typiquement, une matrice de 0,6 pouce 16/9 mesure 12,4 x 7 mm et a une surface de 0,872 cm2, mais une matrice de 1,48 pouces (37,6 mm de diagonale), nécessaire pour les flux plus élevés, a une surface de 6,35 cm2 (voir encadré, … sans compter les pads de connexion et les bords).

Diagonale, dimensions utiles et surface : Qu’il s’agisse d’écrans à vision directe ou de micro-écrans, il est rarissime qu’on indique les dimensions qui nous intéressent vraiment (hauteur, largeur, surface), et encore plus qu’on les indique en unités internationales (malgré plus de 220 ans de système métrique !). Toutefois, on peut, moyennant quelques petits calculs, s’y retrouver assez facilement.

Avec la diagonale D et le format (« aspect ratio » α), la largeur L et la hauteur H (On suppose l’écran dans un plan vertical), on a :

D2 = L2 + H2 (théorème de Pythagore) et puisque L = αH, D2 = H2 (1 + α2),
d’où et (1)
Quant à la surface : S = L H = α H2
D’où (2)

Pour ce qui est des unités, on n’oubliera pas que :
1 inch = 25,4 mm = 2,54 cm et 1 foot = 304,8 mm = 30,48 cm = 0,3048 m.

La relation (2) est représentée par le tracé de la figure 7 pour les formats 1,000 (rouge), 5/4 (= 1,250, vert), 4/3 (= 1,333, violet), 16/10 (= 1,600, bleu) et 16/9 (= 1,777, orange)

Figure 7 : Surface d’un micro-écran en fonction de sa diagonale pour différents formats.


Là, on entre dans l’exceptionnel et on retrouve le même problème de prix prohibitif des grandes surfaces de silicium qu’avec les capteurs d’images (8,64 cm2 pour le plein format !) et les relais optiques à micro-miroirs qu’on verra plus loin. Les matrices réflectives à cristaux liquides sont encore un sujet d’études très actif. L’espoir d’un débouché industriel rapide et massif est donc pour le moment déçu et le LCoS reste une technologie rare et élitiste.

Moteurs optiques : la réflexion totale à l’ordre du jour

Figure 2 : Séparation des faisceaux d’un LCD réflectif à l’aide d’un prisme polarisant (PBS)

Dans la réalisation d’un moteur optique à LCD réflectif, il y a deux aspects à prendre en charge : d’une part l’aiguillage des faisceaux lumineux direct et réfléchi, d’autre part la polarisation de la lumière.
Dans l’immense majorité des cas, le composant clé qui réalise ces deux fonctions est un prisme de verre à diagonale semi-réfléchissante dit PBS.
La lumière directe est réfléchie sur la diagonale et subit, de ce fait, une polarisation linéaire. Le faisceau réfléchi par la matrice traverse directement le prisme sans être perturbé par la diagonale (voir figure 2).

Une solution alternative est utilisée par JVC. Le prisme plein est remplacé par un polariseur à grille.

Figure 3 : Séparation des faisceaux d’un LCD réflectif à l’aide d’un polariseur à grille.

Il s’agit d’une lame qui porte un réseau de traits parallèles très fins, dont l’espacement est du même ordre de grandeur que la longueur d’onde de la lumière.
Cette grille est obtenue par dépôt sous vide ou par gravure d’une fine couche de métal uniforme déposée sur une lame transparente (verre ou silice).
La lumière qui traverse la lame est « filtrée » avec une polarisation parallèle aux traits de la grille. La lumière en retour est réfléchie en subissant une discrimination similaire (voir figure 3). Cette solution offrirait un contraste supérieur.

Trichromie mono ou tri-LCoS ?

Les matrices LCD réflectives sont suffisamment rapides pour permettre, du moins théoriquement, de réaliser une trichromie de type séquentiel. Le moteur optique permettant cela serait très simple puisqu’il se limiterait à un PBS, une matrice, et un disque tournant portant des filtres colorés (similaire à celui des premiers Eidophor couleur), intercalé entre la source et l’entrée du prisme.
A notre connaissance, cette disposition n’a été adoptée sur aucun projecteur digne de ce nom, et serait en tout état de cause destinée à des appareils très miniaturisés, de faible puissance et de grande diffusion (par exemple embarqués dans des tablettes ou ordinateurs portables, voire des Smartphones). C’est là que les grands faiseurs de circuits intégrés auraient un rôle majeur à jouer.

La trichromie exploite donc habituellement trois matrices. La configuration est assez semblable à celle des projecteurs LCD transmissifs, avec un prisme à diagonales collées classique, dans laquelle on aurait remplacé les matrices LCD par des ensembles comprenant une matrice réflective accolée à un PBS. La séparation des couleurs fait habituellement appel à deux miroirs dichroïques collés sur leur diagonale, formant un prisme en croix creux (voir figure 4).

Figure 4 : Configuration optique détaillée d’un projecteur D-ILA à lampe (d’après document JVC).

Il est fréquent que les PBS soient orientés de manière à ce que les micro-écrans soient horizontaux. Ce genre de configuration est plus épais que les configurations standards et donne lieu à des appareils d’aspect plus massif (voir photo d’ouverture)). On notera que l’émergence des sources laser risque de modifier de manière assez substantielle les configurations optomécaniques avec une plus grande intégration entre les sources et le moteur optique.

Il reste quelques émules

La technologie LCD réflective n’a pas fait beaucoup d’adeptes, et, hormis ses deux principaux promoteurs, peu de fabricants l’ont adoptée. Comme nous l’avons vu, JVC a été un précurseur et commercialise toujours les produits sous le label D-ILA. Sony, qui produit aussi des LCD transmissifs, en a fait son haut de gamme qui porte l’appellation SXRD.
En dehors de ces deux-là, on voit de rares projecteurs qui utilisent cette technologie sous l’appellation générique de LCoS. Les projecteurs à LCD réflectifs n’ont pas très bonne presse et sont considérés comme fragiles et sujets au vieillissement prématuré. Cela reste à vérifier. Toujours est-il que la technologie a été la première à donner accès à la « vraie » haute définition (2K), puis au 4K natif.

JVC propose quatre modèles avec une résolution native 4K (matrices D-ILA de 1,27 pouce) et « faux 8K » avec un décalage en diagonale « e-Shift »). Deux d’entre eux fournissent 5 000 lumens avec deux lampes UHP de 330 W, les deux autres, référencés DLA-VS4810 et (consommation totale < 1,1 kW).
Les quatre modèles revendiquent un contraste de 10 000. Ils sont destinés en premier lieu à la simulation, mais sont aussi adaptés à toutes sortes d’installations fixes, et même à l’événementiel en ce qui concerne les deux derniers. Le fabricant propose toute une gamme d’appareils moins puissants pour le même usage, et aussi pour le cinéma à la maison.

Sony propose plusieurs modèles professionnels destinés à la simulation et à l’événementiel avec des matrices 4K de 0,74 pouces (jusque 5 000 lumens avec source laser) et 1,48 pouces, atteignant 18 000 lumens avec 6 lampes « au mercure » de 450 W (SRX-T615). Les chiffres de contraste annoncés sur certains modèles sont époustouflants.
Il y a aussi plusieurs modèles dédiés au cinéma numérique 4K (y compris en 3D relief), et deux modèles moins puissants destinés au cinéma domestique. Les projecteurs professionnels d’usage plus général utilisent la technologie 3LCD, dont Sony caracole en tête du marché avec Epson.

Canon propose sous le label XEED quelques modèles LCoS de résolution WUXGA ou 4K (matrices de 0,76 pouces). La série atteint 6 000 lumens avec une source laser-phosphore (XEED 4K600STZ). Le système optique dénommé AISYS utilisé sur les projecteurs de la série se démarque nettement des configurations habituelles (voir figure 5).

Figure 5 : Moteur optique AISYS utilisé sur les projecteurs LCoS de Canon. On appréciera l’extrême simplicité et la compacité potentielle, en comparaison du moteur classique de la figure

Toujours une technologie d’avenir ?

Bien que la technologie LCD réflective reste confidentielle et n’ait pas une réputation fameuse auprès des utilisateurs, elle conserve de nombreux mérites. En premier lieu, elle permet assez « facilement » de monter en définition, puisqu’elle a été la première à atteindre le 2K, puis le 4K natif, et il ne fait pas de doute qu’elle sera la première à faire du « vrai » 8K (sans doute sous l’impulsion de la NHK et de Sony ?).

De plus, l’aspect de l’image D-ILA/SXRD/LCoS est l’un des plus « naturels » parmi toutes les technologies de vidéoprojection actuelles. En effet, il n’y a aucune séparation franche entre les « pixels », pas de matrice noire ou autre réseau opaque, aucun obstacle optique venant souligner la structure de l’image. La transition entre pixels est douce et progressive. Lorsqu’on regarde, même de très près, l’image projetée à partir d’un transfert télécinéma à haute résolution d’un film argentique brut, c’est un véritable enchantement.
L’image 4K (et même 2K) est d’un naturel époustouflant, et notamment, grâce au temps de réponse très bref, le rendu du grain du film est d’un réalisme saisissant. L’image a un « look and feel » très analogique. On assiste à une projection argentique, mais sans ses imperfections opto-mécaniques (instabilité, papillotement, vignettage…). C’est l’une des raisons qui font que la technologie LCD réflective est certifiée pour le cinéma numérique (contrairement au LCD transmissif).

Les projecteurs destinés à cet usage approchent d’ailleurs les spécifications colorimétriques de la directive BT. 2020 et présentent un contraste qui excède largement ce qui est nécessaire dans une salle de projection. Evidemment, pour ce qui est des images de synthèse et des graphismes, le rendu est superlatif. Le seul reproche qu’on peut faire à cette technologie, c’est son incapacité à accéder aux flux très élevés (au-delà de 15 à 20 000 lumens), notamment en raison de la fragilité des matrices. Enfin, on attend toujours l’approche des fabricants de semi-conducteurs pour fournir un accès réellement démocratique à la très haute définition avec des LCoS.

Glossaire contextuel

La suite : Le prochain épisode nous fera découvrir une technologie de projection où tout est basé sur la réflexion. Pas de polarisation, pas de modulation de lumière, seulement des surfaces réfléchissantes. Issue d’un des développements les plus novateurs et extraordinaires de ces 15 dernières années unifiant microélectronique et micromécanique, elle ouvre la voie à des projections simples, brillantes, efficaces… et même à des applications d’éclairage avancées encore insoupçonnées.

Et avec les épisodes précédents :

 

Crédits -

Texte et illustrations JP Landragin

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