Il y a à peu près deux ans, on s’est pris une claque avec Ivan Herceg à la face de Lilly Wood & the Prick au Zénith de Paris. Quelle mouche nous a piqué d’y retourner ? Nul ne le sait si ce n’est que paf, il a remis ça le bougre.
Exit le d&b de 2014, cette fois c’est Adamson qui s’y colle et rien ne change. On pourrait lui ressortir des colonnes Golden Sound, ça sonnerait encore, d’autant plus qu’SSL s’est joint à la fête. En route au pays des astuces et du joli son. Qui tape.

La première question de ce reportage est en fait un SMS échangé quelques jours avant de se retrouver au Zénith. Au fait, tu auras quoi en diff ? « Je ne sais pas trop, je me renseigne.» La réponse ne se fait pas attendre. « J’aurai celle de Parov Stelar, le DJ qui joue la veille, ce sera de l’Adamson. »
Bonne surprise, c’est un chouette système en E15 et T21 avec quelques S10 pour n’oublier personne, et il y a de quoi faire. La première partie termine sa balance, le moment est parfait pour aller s’isoler en loge, celle des techniciens, cachée dans la ruche derrière la scène du Zénith où l’on retrouve un semblant de calme. On est accompagné par Ivan, Julien Ravary qui mixe les retours et Bruno Azoto, un backliner qui aime beaucoup la technique et réciproquement !

Des hommes, des machines et Bruno Azoto !
Qui dit Lilly Wood dit pas mal de machines qui viennent compléter les parties jouées live et donner au son le côté produit qui caractérise le groupe. Backliner polyvalent, super à l’aise aussi avec ces machines, Bruno nous explique la configuration mise en place pour la tournée et qu’il déploie et choie chaque soir.

Bruno Azoto : Nous travaillons avec Live, qui synchronise tous les pads, les synthés, les échantillonneurs. Les chansons sont complétées, et de ce même Live partent tous les tops de synchro pour les lumières et tous les “Program Change” pour les machines. Tout le show, sauf quelques chansons acoustiques, est synchronisé.
Tout le monde utilise des ears donc il y a des clicks et quelques tonalités pour démarrer certains titres.
Trouver la bonne note quand le titre démarre par la voix ce n’est pas évident. Il n’y a en revanche pas de décomptes. On a un très bon batteur qui mène la danse et tout le monde s’y retrouve.
SLU : Qui dit ordinateur dit sécu. Tu as quoi comme solution, deux ordinateurs ?
Bruno Azoto : Oui, deux ordis qui peuvent basculer grâce à un switch Radial, le SW8. Chacun a sa carte son avec les niveaux calibrés pour qu’il n’y ait pas de surprise en cas de bascule.
Les deux jouent en parallèle, et si quelque chose ne va pas, c’est moi qui bascule. Il y a possibilité de le faire autrement mais comme je suis présent, on a choisi de le faire de cette façon-là d’autant que c’est plus sûr ainsi.

Ivan Herceg : Il n’y a pas non plus de séquences omniprésentes. Le groupe a enregistré des percussions en Afrique, ou de très jolis cœurs que l’on retrouve sur le nouvel album.
Il faut bien s’en servir pour que le concert ressemble à l’original.
SLU : Tu ressors des stems ou des sources individuelles ?
Ivan Herceg : Oh non des prémix. Dans la paire 1 et 2 j’ai tout ce qui est percussif et dans la 3 et 4 tout ce qui est harmonique, des synthés de guitares, des chœurs, d’autres voix…

Bruno Azoto : Il y a aussi des sons spécifiques qui sont déclenchés depuis la scène par un Akai pour avoir un effet de scène et faire en sorte que tout ne semble pas venir de nulle part par exemple durant les intros.
Ivan Herceg : On a transvasé des sons dans l’échantillonneur. Nili la chanteuse a aussi un sampler de voix RC-505 Boss qui est relié au Live d‘Ableton, ce qui fait qu’il est toujours calé.
Si par inadvertance elle se décale légèrement quand elle boucle sa voix, le tout se remet en place au tempo tout de suite.
Ca fait un sacré réseau entre les machines mais ça marche bien.

SLU : Le MIDI quand c’est chargé engendre une certaine latence. Ce n’est pas gênant ?
Bruno Azoto : Non. Je ne suis pas sur des grandes distances et j’ai un routeur MIDI MX-8, un vieil appareil très simple et pratique.
Le patch via des XLR se fait directement avec lui, sans avoir besoin d’employer des ordinateurs et des plugs. Je peux tirer des longueurs allant jusqu’à 20 mètres.
Je ne passe en revanche pas d’une machine à une autre comme cela se faisait avant. Trois machines en Through et tu perds des infos.
SLU : On parlait de latence du MIDI sous certaines conditions. Vous utilisez des HF numériques Beyer. Eux aussi en génèrent un peu. C’est le revers de la médaille de leur super son.
Julien Ravary : Oui dans les 2 millisecondes mais le groupe s’en accommode très bien et n’a pas manifesté de gêne. Il y a des chanteurs très sensibles et d’autres pas.
Quoi qu’il en soit, 2 ms cela reste très peu marqué. Il y a aussi des ingés retours qui dosent des petits retards dans les ears pour offrir aux artistes un son bien spécifique et déconnecté de la boîte crânienne.
Peut-être cela n’est pas un problème dans le fond (sourire).
SSL, Super Son Ludo !
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Ivan Herceg : Sur les consoles SSL, il y a un réglage de délai et un correcteur de phase avec plusieurs courbes. Tu peux faire tourner la phase à la fréquence charnière qui t’intéresse. Peut-être est-ce possible de travailler une résonnance crânienne de cette façon-là, en opposant la phase uniquement sur la partie qui le gêne. Ca mérite de s’y pencher.
Julien Ravary : De mon côté, et après avoir fait pas mal de tests avec tous les micros, j’inverse la phase de la voix dans des ears. Je propose du moins d’écouter, et avec Lillywood tout le monde a adopté cette méthode.
SLU : Ta console quoi qu’il en soit génère de la latence.
Julien Ravary : Oui, malgré le fait qu’on soit à 96 kHz natif, elle en créé un peu, de là le fait aussi de tenter d’autres combinaisons en termes de phase avec des ears.
SLU : Puisqu’on parle console, qui a lancé l’idée des SSL ?
Ivan Herceg : C’est moi. Je l’ai proposée à Dushow. J’avais découvert cette table il y a quelques années, elle devait encore être en 1 (point) quelque chose et très peu de gens tournaient avec. J’ai écouté un peu d’audio sur un multipiste, la prise d’un concert. J’ai un peu joué avec l’égaliseur qui m’a paru bien et surtout j’ai vu son potentiel en termes d’ergonomie, de personnalisation de la surface et de puissance de traitement. Et puis c’est une SSL…

SLU : Le nom joue autant ?
Julien Ravary : Oui absolument, ça ne peut pas être mauvais
Ivan Herceg : Le nom joue, mais quand tu branches un micro et que tu écoutes ce que cela donne, ça donne.
Julien Ravary : Même si ta mémoire auditive n’est pas apte à te permettre de juger si tel ou tel son est « meilleur » que celui que tu as en mémoire…
Ivan Herceg : Plus précisément une personne qu’on ne citera pas et qui est de la profession prétend qu’on ne peut pas juger le rendu d’un SM58 dans un casque, ou plus précisément, ton cerveau ne peut pas imprimer les caractéristiques d’un rendu pour, par la suite, affirmer que cela est plus ou moins bon que dans d’autres cas de figure. Il faut pour cela travailler en comparatif A/B. Selon cette théorie donc, toute ton éducation de l’oreille tombe à l’eau.

SLU : Cet anathème sur la mémoire auditive a été lancé quand et où, à défaut de savoir par qui ?
Ivan Herceg : Chez Dushow durant la configuration des SSL où j’ai lancé : « viens écouter juste un 58 dans un casque que tu connais ! » avec le succès que tu imagines. Je ne suis, cela étant, pas d’accord avec lui (nous non plus NDR). Quand j’ai branché mon casque, j’ai trouvé que ça sonnait –chantmé-. C’est peut-être le préampli micro, peut-être l’ampli casque voire les deux, mais quoi qu’il en soit, ça s’entend. Quand on a ouvert les premières tranches sur le système, on a tous, tout de suite vu qu’il se passait quelque chose. T’es moins obligé d’égaliser, de chercher. Ca sonne tel quel et plus vite comme une très bonne console de studio.
SLU : Son ergonomie est assez différente de celle des autres numériques. Vous vous y êtes fait rapidement tous les deux ?
Julien Ravary : La grille de routing est la plus déroutante mais sinon ça va assez vite. Les layers se configurent comme tu en as envie. Il y a la possibilité de travailler en tactile avec l’écran principal ou sur des rotatifs juste à côté. Le channel strip entier est mis à la disposition de l’utilisateur et chacun travaille à sa guise et rien que ça c’est vraiment bien.
Ivan Herceg : Tu peux même ajouter une troisième variante à la « DiGiCo style » en te servant de l’écran et des commandes en-dessous de l’écran avec les flip-fader, les query.. Elle ne t’impose pas une manière de t’en servir.

Julien Ravary : Je pense qu’elle doit juste manquer de répondant en prestation quand par exemple on a des grands changements de patch et en festival cela ne doit pas être non plus très simple mais pour une tournée on s’éclate.
Ivan Herceg : Il ne faut pas perdre de vue que par essence cette table est vide et tu créés ton environnement. Il est aussi impossible de rattacher deux tranches en une stéréo. Il faut en créer une et ensuite lui affecter une source.
Julien Ravary : Le gros avantage est de pouvoir restructurer la console pendant que l’audio tourne. Elle ne génère pas de coupures.
Ivan Herceg : Il est possible aussi de retirer une tranche d’un layer sans perdre l’audio qui continue à jouer et de la placer partout ailleurs. Le layer manager est le point fort de cette table.
SLU : Vous partagez les mêmes préamplis via le réseau Blackmagic, mais c’est toi JR qui as la main sur le gain analogique !
Julien Ravary : Absolument. Nous avons un seul préampli avec en plus un coupe-bas analogique et après conversion, chaque console reçoit son signal. Si je touche pour quelque raison que ce soit au gain analogique, de toute façon le niveau de la console façade est compensé automatiquement.
Ivan Herceg : On se parle pas mal. Si par exemple je me retrouve avec une source à admettons -11 ou alors +14 au trim, cela veut dire qu’il y a un problème de gain en tête qui doit être réglé. On parle d’un offset numérique qui doit rester dans les 5/6 dB.
Julien Ravary : Pour avoir une course de fader logique, tous mes trims sont en négatif entre -6 et -7 et le gain est cohérent en entrée. On se connait depuis 4 ans et on a passé du temps à établir ces gains.
Ivan Herceg : On a commencé les répètes avec des stages séparés sans se concerter, et un jour on a comparé. On a trouvé des gains à ¼ de dB près et quelques-uns avec 15 dB d’écart. On a travaillé, fait des choix et trouvé les bons compromis.

SLU : Reste la question de la sécurité qu’on nous objecte fréquemment pour justifier le maintien de deux stages séparés.
Julien Ravary : Oui ce n’est pas faux, d’autant qu’hier soir on a eu 32 préamplis qui ont fait des caprices. On s’est posé la question de quoi faire car nous ne disposons pas d’un secours. Pour bien faire, il faudrait qu’on parte avec un spare. Splitter le signal analogique sonne moins bien. La solution de simplicité et de meilleure qualité est donc, si la production est d’accord et le prestataire en mesure de fournir, d’avoir un stage prêt à prendre la relève, ce que l’on a ce soir. Dushow a assuré.
Ivan Herceg : Dushow a même fait mieux puisqu’on devait partir avec deux Live 300 et en fin de compte on est parti avec une 500 et une 300 avant de revenir à nos deux 300 actuelles.
SLU : Le passage entre la 500 et la 300 n’a pénalisé personne ?
Julien Ravary : Non, c’est moi qui l’avais et comme les User Keys de SSL sont très bien faits, j’ai pu « retirer » un bac de 12 faders où j’avais tous mes départs en visuel et les gérer uniquement à l’aide des User keys à la demande. J’appelle le départ, je le mets en solo et je flipe la console en même temps. C’est grâce à la V3 que cela est possible. Du coup je garde un bac de 12 pour les entrées et un de 12 pour mes groupes avec lesquels je mixe. On a commencé à tourner l’été dernier même si la vraie tournée a commencé en novembre, donc les mix sont bien en place.
SLU : Les titres ont donc évolué ?
Ivan Herceg : Oui, l’été dernier, après une première résidence où nous avions la console, on est parti pour la saison des festivals, et en novembre on a travaillé d’autres titres et le show actuel avec une nouvelle résidence et un passage dans un studio d’enregistrement pour préparer les stems, les éditer et charger les machines : un très gros boulot. On n’a pas tout fait, loin de là, mais on a collaboré à la mise à niveau de l’ensemble.
Attention, Beyer revient !

SLU : Comment vous êtes-vous retrouvés avec du Beyer en HF ?
Ivan Herceg : Il y a trois ans sur la tournée précédente, nous nous étions fait prêter un TG1000 lors du Zénith de Paris qu’on avait trouvé très bien.
Julien a tourné avec Skip the Use avec la même référence, et quand nous avons attaqué cette tournée, on a fait un deal avec la marque pour avoir la possibilité d’essayer plein de modèles assez librement.
Le groupe est endorsé. L’avantage du Beyer c’est de pouvoir prendre d’autres capsules, d’ailleurs nous avons du Telefunken, la M80.
SLU : Pourquoi ne pas être resté avec les têtes TG ?
Julien Ravary : Après avoir fait des tests, on est parti sur la TG V70 qui est hyper cardioïde et isole bien du bruit de la scène. Nili la chanteuse a trouvé l’aigu un peu coloré, quelque chose de très habituel quand la directivité est resserrée, et a demandé à tester d’autres têtes.
Ivan Herceg : Avec la Beyer, on avait une grosse présence, une très belle assise de la voix qui du coup était facile à mixer en façade, un aigu gérable avec les outils de traitements modernes…
SLU : (je l’interromps) C’est Julien qui ne savait pas mixer ses retours (rires) !
Julien Ravary : Non même pas, elle était ravie. Nous avons d’excellents ears, des EM32 d’Earsonics, qui sont assez neutres et pas trop dans l’aigu, assez agréables à l’écoute.

SLU : Comment a-t-elle en ce cas entendu le mauvais côté de tout micro hyper cardioïde ?
Ivan Herceg : En écoutant les enregistrements MADI que je fais des dates, et c’est vrai que quand tu passes ton temps en studio à enregistrer ta voix avec des U47, tu sais ce qu’est un bel aigu et forcément tu ressens un manque avec des capteurs de scène. On a cherché, on en a essayé 8 ou 9 et notamment toute la gamme Beyer comme le 96 statique qui est remarquable mais capte trop de plateau, et le consensus s’est fait autour du M80.
SLU : Il faut dire que ton implantation de scène met la batterie dans la capsule de chant !
Ivan Herceg : Oui elle est très proche et n’est même pas sur un pratos. Si on avait eu plus de recul, le 96 aurait été jouable alors que là, chaque coup de snare ou de charley me déclenchait les délais et la réverbération sur la voix, surtout dans des salles réverbérantes. Ce n’était pas gérable.
SLU : Vous avez essayé uniquement durant les balances ?
Ivan Herceg : Non, balances et concert sont trop différents. On a testé des têtes durant de vraies dates. Comme les statiques ne marchaient pas, on en est revenu aux dynamiques, les modèles approchant le rendu d’un statique dans le haut du spectre pour garder de l’air dans le mix, et dans cette catégorie le Telefunken M80 a fait l’affaire.
Julien, mesure-moi un mouton ;0)
SLU : Vous voyagez avec quoi en tournée ?
Julien Ravary : Toute la scène et les régies, y compris les subs batterie et clavier car on avait du mal à avoir les deux dans certaines salles. La seule chose que je demande ce sont des sides.
Ivan Herceg : La diffusion, on la prend dans les salles où nous nous produisons. C’est notre premier Zénith non équipé. Pour le reste, ce sont des SMAC de jauge entre 800 et 2000 déjà équipées.

SLU : Les sides, alors que tu es à 100% en ears, c’est pour mettre un peu de pression sur scène ?
Julien Ravary : Oui, et aussi pour sauver la situation si tout à coup quelque chose devait planter avec les ears. La scène mesure 10 mètres de large et rentre partout, je n’ai pas besoin de matraquer.
On a un peu triché en écartant la scénographie et en la plaçant un peu en perspective pour donner l’illusion d’une taille plus grande ce soir, mais si tu regardes bien, la largeur de notre scène reste à 10 mètres.
SLU : Tu es serein aussi parce que tu te sers de tes ears, donc tu peux donner à tes artistes un son cohérent quelle que soit l’acoustique de la salle.
Julien Ravary : J’ai fait le même type de tournée aussi en wedge. Je suis un aficionado de la mesure, quelque chose sans doute dû à mon parcours d’étudiant.
Donc je pars du principe que quand j’arrive dans une salle où se trouvent des wedges que je ne connais pas ou qui ont l’air dépareillés, je vais tenter de me rapprocher d’une balance tonale qui me plaît en les mesurant tous.
Parfois, quand Ivan a un gros doute, je mets mon nez aussi devant.
SLU : Non, pas possible, tu ne te souviens pas de ce qu’est un bon son (rires) !
Julien Ravary : Mais si justement, la mesure me permet de m’approcher d’un protocole plus pragmatique.
SLU : Couleur tonale je veux bien, mais comportement dynamique…
Julien Ravary : Ahh c’est sûr, mais l’avantage de mesurer déjà c’est de se reposer les oreilles. On fait une « photographie » de chacun des wedges, une attitude moins empirique qu’en branchant un micro et en parlant dedans avec un micro, d’autant que ces allers-retours incessants entre scène et console pour corriger ce que j’ai entendu, je ne sais pas le faire ! Ce dont j’ai besoin c’est d’avoir un tableau clair pour pouvoir peindre dessus.

SLU : Le gros avantage de la mesure c’est aussi de débusquer les enceintes en panne ou par trop rincées…
Julien Ravary : C’est précisément ce qui nous est arrivé par exemple à la Laiterie, une salle équipée en PS15 où on a trouvé un trou à 1 kHz sur un certain nombre d’enceintes. Cela permet de savoir pourquoi la voix est un peu en dedans et de ne pas creuser le grave pour la ressortir. Cela prend un peu de temps le matin, mais on travaille bien plus sereinement après.
SLU : Ivan, as-tu souvent demandé à Julien de mettre son nez « devant » durant cette tournée ?
Ivan Herceg : Non pas trop. La qualité des installations fixes a bien progressé et nous avons la chance de ne plus trop nous produire dans des tout petits clubs où parfois on croise encore des systèmes un peu –roots-. La moyenne d’âge des installations et leur calage sont satisfaisants, tout comme la compétence des gens qui nous accueillent.
Bruit rose ou bruit de baguettes
SLU : Tu écoutes quoi pour te familiariser avec la diff des salles ? Quelques titres en Virtual ?
Julien Ravary : Non il n’écoute plus rien. C’est vrai, les gars de la salle sont très emmerdés et viennent me voir : « mais il n’écoute rien votre gars à la face ? »
Ivan Herceg : Non, plus de musique ou si peu. J’écoute beaucoup le bruit rose. « Alors maintenant que tu l’as joué en long, en large et en travers ton bruit, tu veux passer de la musique ? » Ce que j’écoute alors c’est le batteur. Grâce à lui, j’ai l’instrument de plus large bande, sinon je joue nos titres en boîte. Retoucher une diff à partir d’un CD masterisé est un non-sens, et quand le groupe arrive, tu relâches tout ce que tu as tripatouillé, alors pourquoi perdre du temps et user tes oreilles. Autant jouer aux échecs, surfer ou aller à la pêche (rires) !

SLU : Mais tu as donc mémorisé la façon dont le bruit rose doit jouer dans une salle et comme tu le sais désormais, c’est impossible (rires) ! Content d’avoir des E15 ce soir ?
Ivan Herceg : Oui absolument, même si j’aurais préféré avoir les nouveaux subs (les E219 NDR) à la place des T21. Cela dit ça marche très bien, et à la régie j’ai un très beau grave. Les T21 sont stackés en cardioïde. On joue aussi dans un petit Zénith à 3500 places ce qui est bon pour le son.
SLU : Etes-vous impactés par une forme de désaffection des spectacles vivants après les attentats ?
Ivan Herceg : Non, pas avec nos artistes, les salles sont quasiment pleines ou bien pleines à chaque date, et il n’y a pas eu une seule annulation, mais on a entendu parler d’autres tournées qui ont plus de mal.
Il faut savoir que le nouvel album de Lilly Wood and the Prick est sorti le 13 novembre 2015, autant te dire que l’actualité ne les a pas aidés… L’avantage avec ce groupe, c’est d’avoir un public très fidèle et pas trop jeune qui les suit et donc pas sujet à des phénomènes de mode, quelle que soit l’actualité discographique ou le buzz.
Julien Ravary : Et quand on dit « quasiment pleines » on est à 80% !
Le plateau nous attend

SLU : On fait un tour sur scène ? Tiens, un canon sur la ride, ça commence bien…
Ivan Herceg : C’est vrai qu’à part pour repiquer des ambiances pour les ears, personne ne sort de micros canon. C’est un préampli AKG 451 E monté en CK8.
Comme tu le vois, les deux cymbales sont très proches, et celle du dessous envoie une note très diffuse là où celle du dessus est intéressante pour son dôme.
Je le repique très précisément avec ce capteur, d’autant que (il prend une baguette et tape, ouch, la vilaine !) elle est assez envahissante. Le canon par au-dessus marche mieux selon moi que le simple cardio par en dessous.

Autre plan que j’apprécie particulièrement c’est le double micro dans la grosse caisse en veillant à bien aligner les capteurs.
J’ai essayé le SM91 mais je préfère le M88 Beyer et le D6 Audix et encore, au départ on aurait dû avoir un Bock mais on l’a cassé donc on s’est rabattu sur le D6 et ça marche pas mal du tout (très bien même NDR), c’est naturel. Le M88 sert à apporter le haut/mid car il n’a pas beaucoup de bas.
Il a un côté très punchy un peu typé « boite à rythmes années 80 » et le D6 fait le reste. Ils s’accordent très bien. Ils marchent constamment ensemble d’où la mise en phase parfaite. Juste dans quelques titres je modifie légèrement l’équilibre entre les deux. Il y a aussi un trigger qui permet de faire varier la sonorité de ce pied.

SLU : Et le reste de la batterie ?
Ivan Herceg : C’est plus classique sauf le nouveau pied K&M qui est très pratique et dégage bien le sol. J’ai un i5 Audix en top sur la caisse claire et du 535 AKG pour le timbre, et pour la charley on a aussi opté pour de l’AKG451 avec la capsule pliable. Pour les over, on a des Beyer MC930 qui sont vraiment top. Un peu plus ouverts que des Neumann. Pour les toms on a des D2 et D4 Audix.

Sur le tambourin il y a un SM57, mais avec un système maison que personne n’utilise. Il faut bien qu’on ait quelque chose à raconter !
C’est un piézo pour tambourin, deux capteurs, un à gauche et un à droite. Leur fonction est de (gaffe, néologisme féroce NDR) sidechainer l’ouverture du gate du tambourin.
Non, un simple gate ne marche pas car j’ai une réverbération très longue dessus et Mathias fait grand usage de ses toms basse notamment, ce qui me génère une queue de comète moche et dont on ne comprend pas trop ce qu’elle fait là.
On a pas mal cherché en changeant le positionnement du micro de repiquage mais rien ne vaut un nettoyage piloté par la source elle-même.
Pour la basse j’en reviens à ma solution de la tournée précédente avec du Radial JDX en sortie de tête et la JDV en classe A. Repiquer avec un micro un ampli de basse n’est pas aisé et les DI marchent très bien en tenant compte de l’impédance du HP.

Mathieu Denis, le bassiste, se sert de son Ampeg pour avoir du son, des sensations physiques dans son dos, mais dans ses ears, il a le mélange des deux boîtes en phase. Le ressenti et la précision.
SLU : Tu parlais avant de son normal pour le pied, mais le groupe est très produit, tu dois donc déclencher des trucs non ?
Ivan Herceg : Oui absolument. La caisse claire a un trigger, le pied aussi et en plus ce dernier a une seconde pédale qui ne sert que pour jouer le kick electro.


On parle un peu retours ?
SLU : Julien, ce sont quand même de sacrés sides pour des artistes équipés en ears deux ARCS par côté et un SB218 !
Julien Ravary : Oui si on veut. Un sub et deux têtes c’est équilibré, et pour moi les sides doivent être un rappel de ce qui se passe en façade. Les ARCS seuls n’envoient pas assez de bas. Je mixe aussi des façades, et j’ai une idée précise de ce que je veux entendre. On a beau être plus près des sources, je veux que le son soit aussi équilibré, mais si Ivan coupe la face, on se rend compte que je ne sonorise pas la salle avec ! C’est un complément, et si j’ai un problème de HF, je suis tranquille.
SLU : Tu as quoi comme émetteurs de ears ?
Julien Ravary : Du Shure, PSM1000. Ca marche très bien.
SLU : Ils s’accordent bien avec les Earsonics ?
Julien Ravary : Oui. Les EM32 sont beaucoup moins brillants et durs que les SM3. Les 32 sont travaillés différemment. Le bas mid et l’aigu sont très agréables. En live on se retrouve avec des capacités nouvelles.

SLU : Pas de générateurs de brillance ?
Ivan Herceg : Avec la SSL ce n’est pas nécessaire (il rigole NDR)
Julien Ravary : Non, j’évolue dans ma petite carrière de sondier et je n’en ressens pas le besoin. On peut très bien mixer en sachant ce qui va manquer une fois passé l’émetteur et le récepteur. Je parle souvent avec Joël Riaud (commercial et coach France pour Variphone), notamment, de la fatigue auditive et de la répétition de cette fatigue. Je fais très attention à ça, surtout aux retours. La surbrillance est quelque chose qui enjolive et te permet de mieux vendre ton mix mais à la fois de fatigant pour l’oreille.
C’est pareil avec les wedges. Les presets semblent souvent être faits pour tirer loin, mais quand tu te retrouves avec le wedge à moins de 2 mètres, l’aigu t’arrache la tête. J’ai pris pour habitude de creuser en plateau au-delà de 4 kHz. Je ne cherche pas de la pression en plus et du Larsen en moins en taillant la fréquence qui accroche, j’agis pour établir la meilleure balance tonale. Enfin quand un musicien te demande plus de niveau, il faut discuter avec lui avant de simplement céder.
Pas d’Ivan sans ses jouets

Un coup d’œil à la régie façade sous la SSL permet de débusquer encore quelques jouets qui en plus, comme d’hab avec Ivan, sont employés avec moult fourberies.
SLU : Le Fatso est attribué à quel groupe ou instrument ? Et tu nous racontes le reste ?
Ivan Herceg : Le Fatso est sur deux lignes de basse, le SSL XLogic est inséré sur le master de la console mais side-chainé avec une matrice.
C’est la matrice du mix sommé en mono et prélevé pré fader master, du coup cela agit en tant que threshold à distance. Cela me permet de toujours avoir la main sur la compression et d’éviter que les morceaux « vénères » soient trop compressés et les slows pas du tout. Le Distressor est sur la voix lead, la M4000 et le D-Two sont insérés en numérique, ce dernier a été modifié pour permettre ça.
Le DBX 120A me sert à ajouter un peu d’infra dans certaines salles et en fonction du système dont je dispose. Ce soir il est relâché. Le Space Echo de Roland…comme son nom l’indique, c’est un original et on n’a pas fait mieux.
SLU : Et l’Avalon ?
Ivan Herceg : Il est aussi inséré sur le master de la table, derrière le SSL. Le compresseur est off, et je me sers du side-chain threshold comme EQ. C’est possible si tu le réinjectes dans le mix. Je m’en sers un tout petit peu pour creuser ou pour ajouter un poil de haut. C’est très variable et ce que tu vois maintenant ne va peut-être pas être affiché durant le show.
Tout ce que tu vois en rack ne m’empêche pas de me servir de pas mal d’effets internes à la SSL, notamment des modulations, une réverbération, des multibandes et des délais. Enfin je me sers du 32 bandes toujours de la console, en EQ façade.

SLU : Tu façonnes à l‘ancienne mais du bout des doigts, et le plus que je vois ce sont -3dB.
Ivan Herceg : Bien sûr, elle a déjà été alignée au Lake, c’est suffisant !
Le système Adamson avec Nico Meynard

On a déjà dit que le système est composé par MPM en Adamson. 12 E15 sont mises en œuvre par côté ce qui, pour un petit Zénith, est gage de gros son et de joli grave qui tape bien. On verra plus loin que c’est exactement le cas.
Côté sub, le T21 est de sortie avec par côté et au sol, 6 unités en stacks de 2 x 3 en montage cardio et 4 dernières unités en 2 x 2 en montage cardio au centre, soit le « whopping » nombre de 16 subs et 16 Lab.gruppen FP7000 pour donner vie au ballet jaune.
Histoire d’adoucir un peu la volée de Kevlar et apporter un semblant d’équilibre aux lécheurs de crashs, quatre S10 en deux fois deux sont prévus en in et outfill sur les deux stacks centraux de T21.
Il en va de même pour le reste du nez de scène où quatre Metrix localisent le son au sol et rééquilibrent le rendu en débouchant les premiers rangs. Vous l’avez compris, c’est une très belle configuration, très généreusement dotée.
Malgré un écartement raisonnable, une bananette de 6 S10 vient renforcer le début du parterre. Les sides bénéficient de la même tête à tout faire avec ici aussi, 6 S10, un nombre suffisant vu la petite taille des tribunes à arroser.

SLU : Nico, tu es en charge du système.
Nicolas Meynard : Oui, mais ce n’est pas moi qui ai conçu, calé ou installé, cela étant j’ai l’habitude de travailler avec MPM et Adamson donc je ne me sens pas trop dépaysé (rires) !
Pour être tranquille, je suis venu hier soir voir cette installation durant le show de Parov Stelar et j’ai accueilli ce matin l’équipe de Lilly Wood sans problème.

SLU : Tu te sens à l’aise avec des designs impliquant trois points d’émission pour les subs ?
Nicolas Meynard : Oui parce que quand tu pars avec deux points en gauche droite, tu vas toujours avoir un trou dans l’infra, en général une sorte de couloir de part et d’autre de la régie.
Avoir un sub central te permet, en jouant sur le délai que tu appliques entre lui et les latéraux, de combler en partie ce trou. Forcément en régie ça te crée un lobe un peu désagréable qu’il faut un peu tailler, mais ça te ramène de l’homogénéité même si le centre est un peu perdant.
Pour d’autres tournées le choix peut aussi être d’accrocher les subs. Tout est possible. Je viens de terminer Gims (Julien, si tu nous écoutes ! NDR) et on avait du E15 avec du E219 accroché et au sol, le raccord entre les deux est parfait.

Le T21 est différent, la charge n’est pas la même mais ça n’en reste pas moins une machine à boulet. Il met tout le monde d’accord. S’il est bien travaillé et en taillant dedans pour le calmer dans le haut, quand tu envoies une grosse caisse avec, ça fonctionne. Très bien même.
SLU : Le montage d’un rappel central en douche, ça ne ramène pas plus de problèmes que de SPL quand l’ouverture est aussi faible ?
Nicolas Meynard : Ca en ramène un peu.. On l’a mis un peu bas. Il aurait été plus haut et moins tilté, cela aurait été plus intéressant. J’ai baissé son niveau car je vais mixer les retours de la première partie et au point de chant lead, on l’entend un petit peu. J’ai retiré 4 dB pour être tranquille.
SLU : Ce n’est pas plus intéressant de monter un peu les lipfills et les infills ?
Nicolas Meynard : Si, mais en même temps c’est utile pour recentrer ton image. Il faut juste passer du temps à aligner tout ce petit monde avec les délais. Les Metrix avec des gens debout devant, ne portent pas bien loin, c’est très petit comme enceinte et il y a quatre T21 qui envoient…

SLU : A ce propos, le montage cardio des subs était nécessaire ?
Nicolas Meynard : Ahh oui, c’est nécessaire parce que sinon c’est vite le bazar. Avec la scène en bois, tu te retrouves avec des résonances hyper désagréables.
Le montage cardio n’est pas utile tout le temps mais c’est sacrément agréable.
Le preset marche bien, mieux avec 3 subs dont un est à 180° qu’avec deux.
Conclusion

Toujours aussi méticuleux, malicieux et adepte du gros son, Ivan forme avec Julien Ravary un joli binôme où l’expertise acoustique se complète d’un sens artistique et d’un flegme indispensables au plateau et au-delà. Quand Ivan précise qu’il écoute la batterie pour se dégourdir les osselets dans une salle, il ne se rend pas forcément compte qu’il a fini par faire de cet instrument sa spécialité.
Cette fois encore, et par la magie du triptyque source, captation et diffusion, il nous a sorti une batterie qui vaut 18,5/20. Je sais, ma fille me dit souvent qu’elle aurait détesté m’avoir comme prof parce que je ne mets jamais de 20/20, mais j’y ajoute la mention « qui déchire » OK ?
La grosse caisse est notamment un modèle du genre que les E15 et surtout les T21 bien taillés viennent magnifier avec leur méchant punch. Bien maîtrisés et sans abus, il peuvent être exploités même dans des « petites » salles. Ce pied gros, dur, et musical à la fois, porte littéralement le groupe.
Il en va de même pour les petits effets grâce à un aigu travaillé en finesse, bien servi par les E15 qui savent garder une infinie douceur dans la démesure de décibels.
Bien aussi la voix de Nili qui, adossée au Distressor en 5:1, est reproduite avec un beau piqué et une clarté totale, sans ressentir pour autant de dureté ou se faire tailler par des sifflantes. Beau boulot.

Un mot enfin sur l’éclairage de Nicolas Brion qui a préféré laisser parler son travail sans oser le commenter. Il aurait pu. Il le fera certainement la prochaine fois, d’autant qu’il a du talent, et a capté l’essence du groupe et d’un effet à la mode de chez Ayrton pour bâtir une offre artistique très belle, changeante, colorée et rock. Pile dans la cible.
Ajoutons les titres et le talent de Lilly Wood et le son un poil trop fort mais terrorisant d’Ivan, et vous avez là un très, très bon moment.
La morale de la morale
Questionné sur son amour du pied, nous avons recueilli quelques jours après le Zénith, une dernière confidence assez révélatrice d’Ivan : « Le premier concert auquel j’ai assisté est AC/DC au Bourget en 1982. Au premier coup de kick sur Hells Bells, j’ai probablement dû reculer d’un mètre… ceci expliquant peut être cela. »

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