Guy Vergnol et José Tudela, les deux dirigeants d’On-Off, ont vendu des parts de leur entreprise à Eric Barthélemy et Yannick Bétis en juillet 2014.
Cette info sonnerait-elle le retrait de nos deux amis Guy et José ? Que nenni, nous découvrons vite au cours de notre entretien dans les locaux de Chelles qu’ils restent très impliqués dans le fonctionnement du célèbre interrupteur.
Mais qui sont donc Eric Barthélemy et Yannick Bétis, à priori inconnus dans l’univers de la prestation technique ? Nous étions curieux de faire leur connaissance et de découvrir les raisons de cette tractation, même si, il faut bien l’avouer, nous en avions une petite idée quand même.
Guy Vergnol : Eric Barthélemy et Yannick Bétis cherchaient à acquérir une société de prestation technique et se sont rapprochés de On-Off. De notre côté, nous préparions notre sortie, et étions à l’écoute de solutions qui nous permettaient de mettre en place une transition. La réussite d’une telle étape impose de l’anticiper.

SLU : Vous n’avez jamais envisagé de faire participer le personnel de On-Off à la continuité de l’entreprise ?
Guy Vergnol : Si, nous y avons bien pensé. La reprise d’une société, que ce soit par les enfants des dirigeants, ou par leurs propres équipes, nécessite une volonté forte des candidats à la reprise, mais aussi la capacité de diriger l’entreprise et de pérenniser l’activité, sans parler d’aspects financiers qui font forcément partie de la réflexion. Dans notre cas, ce n’était pas envisageable, nous avons donc vite abandonné cette piste. Par ailleurs, nous ne ressentions pas de réelle urgence. Puis un soir, nous avons reçu un appel téléphonique : « Bonsoir, je m’appelle Yannick Bétis… »
Les discussions ont donc débuté en Septembre 2013 pour aboutir en Juillet 2014 avec la vente de la majorité des parts de On-Off à Eric et Yannick. Au-delà du fait que José Tudela et moi-même restons dans l’actionnariat, nous accompagnerons Yannick et Eric dans le développement de la société pendant plusieurs années.
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SLU : Les parts se répartissent comment ?
Eric Barthélemy : Nous sommes majoritaires, largement.
SLU : Guy et José, vous accompagneront pendant combien d’années ?
Eric Barthélemy : Comme l’a dit Guy, José et lui resteront pleinement intégrés dans la vie de l’entreprise et son développement pendant encore plusieurs années. Notre projet est ambitieux, et nous ne serons pas trop de quatre pour le faire avancer. Guy et José sont enthousiastes, ils ont vraiment envie de vivre cette étape de l’entreprise qu’ils ont portée jusque-là.
Guy Vergnol : Et surtout on retrouve dans les projets d’Eric et de Yannick, un désir d’évolution en phase avec la philosophie et l’esprit de On-Off.
SLU : Quel est le nouvel organigramme ?
Eric Barthélemy : Yannick et moi dirigeons la société, José et Guy nous accompagnent dans le développement commercial et l’ensemble des grandes décisions qui concernent la société.
Guy Vergnol : Yannick et Eric sont beaucoup plus jeunes que nous, ils arrivent avec une vision, une ambition… Leur enthousiasme et leur énergie vont donner un énorme coup de fouet à l’entreprise.

SLU : Pourquoi On-Off ?
Eric Barthélemy : Parce que cette société et ses dirigeants nous ont tout de suite plu. La société était saine, et nous avons aimé ce qu’elle représente, la philosophie des anciens dirigeants, leur respect des hommes, du matériel, leur proximité avec leurs équipes aussi bien qu’avec les clients.
On sent qu’il y a à la fois une rigueur dans l’organisation et dans la gestion de l’entreprise, et enfin on sent que se sont des gens qui aiment profondément ce qu’ils ont construit. Nous avons exactement le même état d’esprit, nous ne sommes pas des investisseurs financiers dont la seule préoccupation est la rentabilité maximum. On est dans un projet de vie.
SLU : Vous avez vu d’autres sociétés de prestation ?
Eric Barthélemy : On a vu pas mal d’autres sociétés.
SLU : C’était la boîte la plus saine ?
Eric Barthélemy : C’est une société saine, mais ce n’est pas la seule. C’est surtout la société avec laquelle nous avons eu les atomes crochus les plus immédiats car il s’agit de travailler ensemble, c’est important.
Guy Vergnol : C’est même fondamental !
Eric Barthélemy : Oui, c’est un ensemble de choses. Il y a aussi ce qu’On-Off représente sur le marché. C’est une société qui est connue et reconnue pour savoir faire du gros live, de la grosse tournée et du gros festival, de la comédie musicale et il n’y en a pas non plus cinquante en France.

SLU : C’est quoi votre passé ?
Eric Barthélemy : Nos passés professionnels ne sont pas dans le monde de l’audio. On a occupé des fonctions de direction commerciale, de direction générale et d’entrepreneuriat dans d’autres secteurs d’activités, et en partie dans d’autres pays. Nous avons géré des équipes importantes, on a développé du business, on a créé des structures…
SLU : Pourquoi avec-vous choisi ce secteur de l’audio pro ?
Eric Barthélemy : Yannick est un audiophile passionné de musique. C’est quelqu’un qui a une collection de pratiquement 10000 CDs chez lui, un système Hifi complètement hallucinant et c’est quelqu’un qui comprend vraiment le fond musical ; il a une vraie sensibilité pour ça. Moi je suis musicien depuis longtemps.
SLU : Quel instrument ?
Eric Barthélemy : Basse. Un peu de guitare et de batterie, mais surtout basse. Je joue dans plusieurs groupes semi-pro. On se produit dans des salles comme La Maroquinerie, Le Divan du Monde, le Bus Palladium …
SLU : En plus de votre métier ?
Eric Barthélemy : Je trouverai des espaces de temps pour faire ce que j’aime faire.
J’évolue depuis un bon moment dans le monde de la musique, j’y connais pas mal de monde, certes plus parmi les artistes que parmi les prestataires ou les techniciens. C’est un secteur dans lequel Yannick et moi avions vraiment très envie d’aller.
SLU : Donc vous conjuguez la passion et le travail…
Eric Barthélemy : Exactement, et c’est quand même une chance extraordinaire. On a effectivement la quarantaine tous les deux et nous souhaitions avoir une activité qui nous ressemble, qui nous anime et qui nous donne la pêche tous les matins quand nous nous levons. Nous avons tous les deux décidé d’abandonner des situations très confortables, qui nous permettaient d’envisager de belles poursuites de carrières, pour nous consacrer pleinement à ce projet de rachat. A 40 ans passés, on ne voit pas les choses comme à 25. On s’inscrit aujourd’hui dans un projet à long terme, qui nous ressemble. Notre parcours professionnel se terminera certainement avec On-Off.
SLU : Vous envisagez de mettre les mains dans le cambouis, suivre des formations techniques, c’est déjà lancé ?
Eric Barthélemy : Pas que les mains, on est dans le cambouis jusqu’au cou. On ne débarque pas non plus dans un monde inconnu, loin s’en faut. Nous n’avons pas vocation à sonoriser nous-même le Stade de France, mais nous savons ce qu’est une console, une diff,…notre compréhension technique s’affinera rapidement.
Guy Vergnol : Si je puis me permettre, on n’est pas obligé d’être ingénieur du son pour faire ce métier, j’en suis une preuve vivante.
SLU : C’est ce qui va différencier les nouvelles entreprises des anciennes, car si mes souvenirs sont bons, José est ingénieur du son comme la plupart des gens qui ont créé leur entreprise de prestation technique.
Eric Barthélemy : C’est probable. Yannick et moi avons une très forte sensibilité pour ce milieu. Nous ne sommes pas complètement perdus quand on parle de son ou de technique, loin de là, mais on est aussi des entrepreneurs. Le profil “type” du fondateur de ces sociétés est effectivement l’ingénieur du son. Les patrons historiques ont fait des choses admirables. Mais ils ont parfois buté sur certaines évolutions ou hésité à prendre certains virages faute de compétences de gestion, par exemple la gestion du changement pour ne prendre qu’elle.
SLU : Quel est votre cursus ?
Eric Barthélemy : Yannick a fait un parcours un petit peu atypique : bac C puis Math Sup, et il a arrêté ses études pour se lancer dans un début de carrière de sportif de haut niveau. Il a été pendant un an au centre de formation de l’OGC Nice, un club de ligue 1, mais il n’a pas été au bout car c’est extrêmement compliqué et sélectif. Au lieu de reprendre ses études, il a décidé de se lancer dans la vie active. Yannick est un fonceur qui aime prendre les choses à bras le corps. Il s’est lancé dans une carrière commerciale et il a franchi progressivement les échelons avant de devenir DG puis de créer sa première boîte.
Moi j’ai fait une école de commerce et j’ai eu des fonctions financière d’abord, puis de dirigeant de Business Unit, de filiales. J’ai dirigé des équipes de 300 personnes. A nous deux nous avons dirigé des structures qui font cinquante ou soixante millions de CA.

SLU : Vous avez déjà des objectifs de développement de On-Off ?
Eric Barthélemy : Oui, on a des projets de développements importants. Notre volonté, c’est de faire de On-Off un des leaders de la prestation technique en France dans les 5 à 6 années qui viennent.
Guy Vergnol : L’idée est quand même de faire largement évoluer On-Off. Ces derniers mois par exemple, nous avons, en plus du rock’n roll ou de la variété, développé une véritable expertise sur la comédie musicale, avec la tournée de Robin des Bois et ses 200 dates, puis l’installation récente de la comédie musicale Flashdance, qui part pour 170 dates au moins.
Eric Barthélemy : Nous voulons jouer notre rôle de spécialiste du son dans le spectacle vivant, mais aussi dans l’événementiel, l’audiovisuel, l’intégration…Et continuer à améliorer une qualité de prestation qui nous permet de nous assurer la fidélité de nos clients.
SLU : On-Off est aujourd’hui full d&b. Est-ce que vous pensez à l’avenir vous diversifier en diffusion de puissance ?
Eric Barthélemy : Ce n’est pas d’actualité aujourd’hui. Pour commencer, nous avons une relation très privilégiée avec d&b. Nous sommes l’ambassadeur de cette marque en France, et comptons bien le rester. Notre relation s’inscrit dans un partenariat gagnant-gagnant et la nature de nos relations nous permet de nous faire mutuellement progresser. Ensuite, les systèmes produits par d&b sont parmi les meilleurs, et sont sur toutes les fiches techniques des artistes du monde entier. Enfin, la question d’un choix d’un deuxième partenaire de diffusion ne se pose pas avec la taille d’On-Off aujourd’hui.
SLU : Vous avez prévu de réinvestir cette année en matériel : consoles, systèmes de diff…
Eric Barthélemy : Oui, et c’est l’une des différences de notre approche par rapport à celle qu’avaient José et Guy jusqu’ici. Ils géraient l’entreprise en « bon père de famille », et ce n’est absolument pas péjoratif. Notre projet de développement va nous amener à avoir une stratégie d’investissement plus dynamique.
SLU : Et les banquiers, comment réagissent-ils en ce moment par rapport aux demandes de prêts sur ce marché du spectacle ?
Eric Barthélemy : On n’a aucun problème avec nos partenaires bancaires qui sont enthousiastes et ont envie de nous accompagner. A partir du moment où l’entreprise est saine, le projet cohérent et les perspectives prometteuses, les discussions avec les partenaires financiers sont plus simples.
SLU : Quelle est votre vision du spectacle vivant en France ?
Eric Barthélemy : Avec la crise du disque et le bouleversement des modèles de diffusion de la musique, le live est devenu la principale source de revenu des artistes. Si l’on observe la fréquentation des festivals cet été, on constate que malgré la crise économique, ils ont tous ou presque battu leur record de fréquentation. Le spectacle vivant s’est beaucoup développé ces dernières années ; le public a aussi besoin de trouver un peu autre chose que de la grisaille ambiante et de vivre des moments d’émotion comme il peut en trouver lors d’un concert.
Mais en même temps, les budgets sont de plus en plus serrés, et ce secteur d’activité fait l’objet d’une gestion financière plus fine, avec un impact réel sur les prix des prestations. Aujourd’hui, on voit évoluer les profils de nos interlocuteurs dans les sociétés de production. Beaucoup d’acteurs financiers ont pris des positions dans ce secteur d’activité. Demain, nous devrons être capables, les uns et les autres, de parler le même langage. Nous sommes convaincus que le salut pour nos sociétés de prestations techniques viendra à la fois d’une amélioration de l’organisation et des processus, voire même leur industrialisation. Et la capacité à se positionner sur plusieurs segments et à atteindre une taille critique.

SLU : On commence à voir de la prestation technique délocalisée et puis la baisse des tarifs qui continue, comment une société française de prestations peut-elle s’en sortir ?
Eric Barthélemy : Eh bien elle peut s’en sortir en étant très proche de ses clients, en étant très réactive, en ayant une qualité de prestations et d’accueil irréprochable. Le live ne permet pas d’erreurs et la délocalisation de certaines prestations constitue une grosse prise de risques pour l’organisateur. Moi je suis aussi organisateur de concerts par ailleurs donc je sais ce que c’est.
SLU : C’est du vécu ?
Eric Barthélemy : Disons que j’ai vécu des délocalisations dans d’autres vies, en l’occurrence dans l’informatique. J’en connais les attraits et j’en connais aussi les risques. C’est vrai que l’on peut raisonner en termes de coût mais c’est vite dangereux. Sur des prestations qui ne laissent absolument aucune place à l’erreur, notre réponse sera une gestion optimisée de l’entreprise mais aussi une qualité irréprochable et une réactivité immédiate, une proximité. Nous serons bien évidemment de plus en plus présents sur l’ensemble de nos opérations, et nous serons le plus possible au contact de nos clients.
Je pense que la dimension humaine est importante dans ce secteur d’activités plus que partout ailleurs. Tout ca joue et jouera contre la délocalisation. Il y a encore une dimension d’artisanat dans nos métiers, pas incompatible avec l’industrialisation dont je parlais plus tôt. Je ne suis pas trop inquiet par rapport à ce type de menace.
SLU : Comment le personnel de On-Off a t’il réagi à ces changements ?
Guy Vergnol : Ce serait plus à nos techniciens de répondre. Mais avec José, on a informé nos équipes dès que nous avons eu la conviction que les discussions allaient aboutir. Aujourd’hui, ils ont à la fois le côté rassurant des anciens qui restent à bord et l’enthousiasme du projet des nouveaux dirigeants. Ils ont tout de suite adhéré à cette évolution. Le personnel est une des richesses de notre société, à la fois les fixes et les intermittents fidèles à On-Off. Ils ont un véritable savoir-faire et c’était une question très importante de les garder avec nous et puis de les faire évoluer avec l’entreprise.
SLU : Guy, que feras-tu après ?
Guy Vergnol : Après, après ? Je ne sais pas moi, j’irai à la piscine ou à la pêche…
SLU : Vous allez prendre un peu de vacances ou vous gardez le même rythme ?
Guy Vergnol : Nous avons pris 3 semaines cet été. Une éternité que nous n’étions pas partis aussi longtemps… Sinon on reste à fond dedans. On suit nos affaires comme on le faisait avant, sauf qu’on en parle à quatre au lieu d’en parler à deux.
Aussi étonnante qu’inattendue, cette reprise sonne sans doute le début d’une réorganisation plus large du parc de prestataires français dont l’âge des dirigeants rend le bois de la canne à pêche plus attrayant que celui des flight-cases.
Le choix de Guy et José de céder leur entreprise à de jeunes managers portés par la passion mais aussi une indéniable rigueur entrepreneuriale sera un plus déterminant pour la continuité d’On-Off et de ses équipes à qui Soundlightup souhaite bonne chance et toute la réussite qu’ils méritent.
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