Vous n’y aviez pas échappé. LA comédie musicale française de la rentrée s’est installée pendant 3 bons mois au Palais des Sports avant une tournée déjà programmée comme triomphale.
En s’imposant avec force publicité, Dove Attia, Albert Cohen et leur équipe trustent depuis longtemps ce créneau si particulier, les familles françaises, de l’adolescente enflammée aux grands-parents béats, se précipitant vers ces romances historiques.
Cherchant sa place entre les shows élitistes de Mogador, les ”musicals” incontournables de Londres ou la grandiloquence des shows de Las Vegas, cet opéra populaire s’offre des moyens techniques inédits et une mise en scène démesurée.
Bienvenue au Show !
Déjà les spectateurs se pressent aux portes. Nous suivons le mouvement et avançons à travers la foule, mêlant nos pas aux charentaises et aux Converse à travers le Palais des Sports. Cette grande salle fourre-tout, s’étalant en largeur dans un bleu ronronnant, se remplit rapidement.
Un immense tulle remplace l’habituel rideau de scène sur lequel s’écrivent les chiffres 1789 avec une lenteur infinie. La justesse et la résolution de cette vidéo géante m’impressionnent.
Je passe le temps bercé par les murmures de la sono jouant les tubes du spectacle en sourdine. J’en profite pour jeter un coup d’œil au livret : un beau programme sur papier glacé.
Si l’idée et les musiques viennent essentiellement de Dove Attia et ses fidèles lieutenants, je remarque avec plaisir le nom de Giuliano Peparini à la mise en scène et aux chorégraphies. Ancien danseur étoile, il devint l’assistant de Franco Dragone sur plusieurs spectacles dont « Le Rêve » du Cirque du Soleil : des shows puissants et décalés, souvent oniriques, à la mise en scène spectaculaire.
Aux lumières, Xavier Lauwers, concepteur belge venant de l’Opéra, de la danse et du théâtre, est connu en France pour les éclairages du ”Roi Soleil”.

Les images sont signées Patrick Neys, collaborateur de Franco Dragone depuis de nombreuses années. J’ai beau chercher, je ne décèle aucun indice quant à la présence d’un orchestre. Je suis perplexe, partagé entre mon amour du live et l’espoir d’un show si millimétré qu’il doit se passer de musiciens. Ma lecture prend fin quand les rangées de PAR prévues pour l’éclairage public baissent d’intensité tandis que, sur l’écran tendu au travers de la scène, un immense 9 finit de se dessiner. Les poursuiteurs ont gagné leur poste, la musique s’est tue et une voix off s’élève tandis que la pénombre envahit les fauteuils. Les lucioles des téléphones photos s’agitent comme une réponse mutine aux instructions clamées par les haut-parleurs, jurant que les flashs sont inutiles tant ”l’éclairage de la scène est largement suffisant”. Bref instant de répit, le public retient son souffle.

Un spectacle transporté par Giuliano Peparini
Spectacle à trois visions, 1789 tisse des liens entre la comédie musicale à la française, chansons pop pour ados et romance à l’eau de rose en fer de lance, la reconstitution théâtrale historique, portée par de solides comédiens et une justesse visuelle incroyable, mais surtout le souffle moderne d’un cirque contemporain avec ses inventions, sa démesure et sa prise de risques.

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Il y a de la Commedia dell’arte dans cette mise en scène où les caractères sont très marqués, les traits exagérés et la bouffonnerie jamais très loin. Chaque rôle a son moment de gloire, les retors comme les faibles, les héros comme les victimes. Le casting, assez resserré, réunit chanteurs et comédiens typiques de ce genre de production, complétés par des acrobates et des artistes venus de l’univers décalé de Giuliano.
Le choix musical s’inspire sans vergogne des titres à la mode des radios adolescentes, mélange de pop, un peu rock, un peu électro, farci de chœurs et porté par des voix typées comédie musicale. Rien de très marquant mais cependant très efficace.
Les décors physiques et vidéo sont autant de pièces maitresses de l’esthétisme grandiose du show, que sa partie la plus spectaculaire et la plus technique. Tour à tour grandiloquents ou intimistes, figés ou mouvants, sages ou fous, le metteur en scène les utilise comme un vecteur émotionnel, miroir amplifiant les sentiments des comédiens. Tous ces tableaux, aidés par la lumière et les effets spéciaux de fumée, brouillard ou vent, jonglent entre les 3 visions entrelacées de ”1789”

Certaines scènes particulièrement théâtrales montrent un réalisme saisissant lors des passages les plus historiques. Grâce à l’autorisation exceptionnelle donnée aux graphistes de photographier sous toutes ses coutures le Château de Versailles ou le Palais Royal, les images fourmillent de 1000 détails. La lumière se fait ambiance, souligne les décors et le mobilier, recrée les conditions naturelles d’aube, de nuit ou d’éclairage urbain.

Dans les parties romancées, le décor se déconstruit, les images se font plus esthétiques, les détails sont amplifiés, les couleurs plus saturées. L’éclairage joue sur des contrastes simples et puissants : la nuit et le jour, le rouge de la révolution, le rose de l’amour, les ors de la royauté, le bleu dramatique composent l’essentiel de la palette.

Et lorsque l’onirisme et la folie du cirque entrent en piste, la scène explose ses repères, les mouvements du décor ou des films surprennent les spectateurs tandis que la lumière devient décor, damier d’acrobate ou prolongement des corps.

Pour mieux identifier les principaux protagonistes, souvent un peu perdus dans les immenses décors et les ballets très animés des danseurs, les projecteurs découpent les zones de jeu tandis que les poursuiteurs surexposent les vedettes. Les transitions lumière innombrables, pratiquement sans temps mort, avec ses immenses décors cheminant devant les projecteurs, ont demandé une programmation aux petits oignons pour atteindre cette fluidité. Cette envergure du décor, souvent en mouvement, donne une contrainte supplémentaire à l’éclairagiste et ses opérateurs.
La quasi absence de latéraux et le nombre réduit de ponts lumière disponibles oblige à mille petites ruses pour utiliser le moindre projecteur disponible et l’insérer dans une conduite très complexe.
La précision et la fiabilité des Alpha Spot Clay-Paky, sources principales du plan de feu, se marient idéalement aux surpuissantes Robin 1200 LedWash et VL3500 wash. Les très discrètes rampes de Led Senzo, insérées sur l’avant-scène et sur les panneaux latéraux, assurent un travail très intéressant. Les poursuiteurs et le pupitreur font aussi preuve d’une coordination exemplaire pour se plier aux très nombreux changements de rythme d’une mise en scène très riche et mouvementée.
En régie avec Olivier Legendre

Très chaleureusement accueillis par Olivier Legendre et son équipe, nous partageons un café en régie pour une longue et précise conversation. Il me parlera avec passion de son rôle, de son parcours et des contraintes techniques de ce show très complexe.
C’est sa 4e comédie musicale pour la production de Dove Attia, après les 200 dates d’”Autant en Emporte le Vent”, les 400 du ”Roi Soleil” et les 350 de ”Mozart”. Il retrouve ici Xavier Lauwers, éclairagiste de théâtre, déjà à l’œuvre sur le « Roi Soleil ». Ce concepteur lumière a dû composer avec une immense machinerie dont la mécanique et les effets ont réduit à 5 le nombre de ponts d’accroche pour les projecteurs : les principaux.
L’idée n’étant pas de proposer des lumières de show biz mais des ambiances typées théâtre, dans la continuité du spectaculaire décor en image géré par l’équipe vidéo, la nécessité de travailler avec des machines à couteaux s’est imposée naturellement.
Olivier Legendre : ”Sur 1789, on ne fait pas du show lumière, on ne recherche pas de gros effets. On est dans une comédie musicale, un opéra populaire, pas dans un spectacle de variétés. La lumière sert à comprendre l’histoire, décorer les chansons, elle pose des ambiances et travaille en complément des images vidéo. Les poursuites aident à mettre en avant les intervenants et à rapidement retrouver ceux ci, et sur une scène de cette taille c’est important. Suivant les tableaux la lumière pourra cependant proposer des couleurs irréalistes, assurer des effets spectaculaires ou se faire décor, mais toujours pour enrichir l’histoire”.
La place des projecteurs étant limitée, les besoins de forts contres ont nécessité d’une part de surpuissant Wash 1500 W, mais aussi pour un travail plus saturé de gros projecteurs à led. Le manque de place dans les latéraux, associé aux allées et venues incessantes des 35 danseurs, s’est négocié par le remplacement d’automatiques par des barres de Led.
Olivier, jouant aussi le rôle de conseiller technique, put traduire les besoins de l’éclairagiste en amenant à la face les projecteurs Alpha Spot 1500 Profile (à couteaux) Clay Paky, complétés en douche et contre par des alpha spot 1200 Profile et des 700 Profile en latéraux haut (pour des raisons de place et de budget). La fiabilité et la précision de ces machines furent plébiscitées par toute l’équipe lumière. Les Wash Vari Lite VL3500 furent choisis pour leur exceptionnel rendement et la précision des teintes. Placés à la face et en contre ils assurent les pleins feux.
Olivier Legendre sut aussi lui proposer des projecteurs à Led, comme le Robin 1200 LedWash Robe, rapidement indispensable grâce à la puissance de ses couleurs saturées, permettant d’assurer de forts contres ou d’aller chercher des détails dans les décors, mais aussi les barres Senzo, filtrées à 40°, dont l’efficacité et la discrétion permettent de les placer là où aucun projecteur ne pouvaient s’aventurer. Elles sont incrustées dans le nez de scène ou, à la verticale, dans les découvertes extrêmement réduites des coulisses.
Pour certains effets spécifiques, les Sharpy, produit phare de Clay-Paky, furent utilisés alignés sur le 1er pont du plateau. Enfin, quatre barres de PAR à la face réchauffent le plein feu et servent de sécurité au cas improbable d’une rupture de DMX affectant les machines de face ( ??). La gestion forcément délicate des couleurs sur des marques d’appareils différentes ne se pose pas ici grâce à un plan de feu astucieux où chaque type de projecteurs s’utilise sur des axes et pour des besoins différents.
Chef d’équipe lumière, en binôme avec Cédric Babin au pupitre GrandMA2, Olivier Legendre retrouve ici le matériel et les techniciens de Régie Lumière, la société de Fredo Santilli qui repart encore une fois dans l’aventure de la comédie musicale grâce à ses choix judicieux d’investissement.
Le choix du pupitre lumière, une grandMA2 et son NPU, s’impose naturellement à ce grand spécialiste des consoles. D’une part par sa programmation typé Opéra, avec une longue et principale séquence de plus de 300 cues, remplis de liens, de transitions et de temps décalés, dont la construction et les updates se feront incessants suite à une mise en scène toujours en mouvement, inversant des tableaux, essayant de multiples effets tout au long de la création. Mais aussi par sa qualité de restitution et ses possibilités de sécurisation, ou backup.

Pour simplifier le futur travail de tournée, les projecteurs furent répartis sur 8 univers DMX, permettant de tirer seulement 1 ou 2 lignes data par pont. Les ClayPaky et les Robe, actuellement câblés en DMX 5 points, seront commandés en Artnet sur la tournée, afin de recevoir des informations précises en temps réel sur leur fonctionnement, et ainsi d’anticiper leur maintenance ou leur dépannage. Le show lumière est entièrement restitué à la main, sans time-code, tout comme la majorité des vidéos*, les envois de son, toute la machinerie et les effets spéciaux. C’est François Chouquet, le régisseur général et clé de voûte du show, qui coordonne toute l’équipe et donne les nombreux tops. Olivier a mis cependant en place une timeline d’informations, comme un topeur virtuel qui donne en temps réel le déroulé du show avec la conduite et les prochains GO, grâce à un petit boitier de la société Adrem, véritable couteau suisse d’automatisation. Sur la tournée, pour garantir une synchronisation parfaite maintenant que le show est figé, certaines chansons seront vraisemblablement timecodées.
*La vidéo reçoit et utilise du time code pour certains effets. Certaines vidéos contiennent du son, certaines sont déclenchées par des mouvements de machinerie dont certains sont maintenant déclenchés par la console lumière. Mais beaucoup de déclenchements restent manuels.

Giuliano Peparini avait des idées très précises des ambiances à créer avec les décors, les vidéos ou les lumières. Durant les 5 semaines de création, (…) puis durant les 4 mois de représentations au Palais des Sports il affinera constamment sa création, une attitude très appréciée des pupitreurs, car le « work in progress » casse un peu la routine et permet de parfaire au maximum les choix artistiques.
L’équipement vidéo, nourri par les images de l’équipe du designer Patrick Neys et ses trois graphistes, fut fourni par XL vidéo, la gestion du média-serveur confiée à D-Labs et Thomas Besson, société parisienne dont le logiciel Fusion s’avère l’un des seuls à gérer autant de plans de vidéo, qui plus est en mouvement.
En effet, la projection en DUAL, c’est à dire avec deux projecteurs superposés pour gagner en puissance, impose naturellement des réglages spécifiques par surface de projection pour compenser les perspectives faussées.

Je vous laisse imaginer la difficulté supplémentaire quand il existe 6 panneaux coulissants, 6 panneaux en mouvement et rotation, des vélums, des toiles, des patiences et que le tout se doit d’être synchronisé parfaitement.
L’équipe des 12 machinistes de la régie plateau gère les accessoires, les nombreuses machines à fumée, le brouillard, la carboglace, les kabukis, ventilos, artifices, mais surtout les multiples ponts de décors, les patiences, tulles, murs mobiles, panneaux coulissants, pont-levis et les 4 tampons du plancher.
Maxime, opérateur, gère les 6 immenses panneaux mobiles, en rotation et en translation, grâce à une console d’automatisation dédiée, développée par la société de décor Artefact. Tout comme avec une console lumière, il gère des enchainements de mémoires, applique des temps de déclenchement et de déplacement. Pour une sécurité accrue, le logiciel calcule une zone de collision autour de chaque panneau, interdisant le moindre choc. Les moteurs sont débrayables en cas de collision avec un des artistes.
NDLR: 1789 est partie en tournée (programmée jusqu’en juin 2014) avec quelques modifications. Le nombre d’univers DMX, initialement de 8 a été réduit à 5. Tous les projecteurs Clay Paky étant maintenant câblés directement en Artnet (RJ45 et switch dans les ponts) le NPU n’est plus nécessaire. Olivier Legendre nous informe aussi qu’une bonne partie des Alpha 1200 Profile Clay Paky a été remplacée par des Alpha 1500 Profile.
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