Après quelques représentations en France à sa création en 1980 puis en 1991, c’est au West End puis à Broadway que la comédie musicale Les Misérables, créée par Claude Michel Schönberg pour la musique et Alain Boublil pour le livret, rencontre le succès sous la production de Cameron Mackintosh.
Son adaptation au format anglo-saxon en fait rapidement un triomphe, pour se maintenir pendant toutes ces années parmi les comédies musicales les plus admirées.

Pour des raisons d’exclusivité, l’œuvre ne pouvait être représentée en France. Le théâtre du Châtelet l’accueillit exceptionnellement pour l’anniversaire de ses 25 ans dans sa version anglaise. Après toutes ces années de succès, il était inconcevable qu’elle soit privée de représentation dans son pays de création.
L’exclusivité ayant été reconsidérée, le livret et la musique ont été adaptés et une nouvelle mise en scène signée Ladislas Chollat fait revivre cette œuvre dans un spectacle démesuré de 2h40 au Théâtre du Châtelet et peut-être bientôt en tournée à travers la France.
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Pour accompagner cette nouvelle création, un nouveau sound design signé Unisson Design a été créé par Cyril Auclair et Léonard Françon avec un équipement technique fourni par le Théâtre du Châtelet, B Live et mixé par Vincent Portier.
SLU : Quel est le rôle d’Unisson Design dans cette nouvelle version “française” des Misérables ?
Cyril Auclair : Avec une réadaptation de la musique et du livret, une nouvelle mise en scène, de nouveaux décors, un orchestre et une programmation de salles en France, il était indispensable de repenser complètement le sound design de la comédie musicale. Notre rôle a été de définir toute la microphonie d’orchestre et le système de diffusion sonore. Nous avons aussi créé l’intégralité des effets sonores et l’encodage complet de la console pour accueillir le mixeur dans les meilleures conditions possibles.

SLU : Quels étaient vos interlocuteurs ?
Cyril Auclair : En tout premier lieu les créateurs. Ils avaient une vision très précise de leur nouvelle œuvre qui leur permettait une direction artistique extrêmement efficace. Les chanteurs étaient parfaitement dirigés en recevant beaucoup d’indications sur la projection, la façon de chanter.
C’était très productif car le rendu artistique ne reposait pas seulement sur les capacités de la prise de son et de la diffusion. Simultanément, une parfaite collaboration avec le metteur en scène nous permettait, dans nos préparations de mixage et de création d’effets sonores, d’accompagner au mieux l’esthétique d’une scénographie particulièrement impressionnante.
SLU : Par quoi commencer ?
Cyril Auclair : En tant que sound designer, la première question était de savoir comment allions-nous capter les voix, en proximité serre-tête ou sur le front ? En sachant que les comédiens n’auront pas de ears, car nous sommes sur une comédie musicale à l’anglo-saxonne, et donc que les voix seront suffisamment projetées dans une salle type théâtre à l’italienne avec une diffusion sonore qui excitera la salle, nous nous sommes dirigés tout de suite vers la solution micro front. Seuls les enfants, comme on le verra plus tard, ont été équipés en serre-tête.
SLU : Pas de ears pour les artistes, mais des retours quand-même ?
Cyril Auclair : Oui des retours, mais uniquement avec l’orchestre. Il n’y a aucun retour de voix. Avec leur façon de chanter et la topologie du lieu, les artistes s’entendent suffisamment bien. La problématique des ears est très connue. L’artiste se retrouve dans une situation très confortable qui, au fil du temps, l’incite à moins projeter sa voix et donc à un appauvrissement de la dynamique.
Clairement, la solution sans ears est la meilleure pour le rendu vers le public. Nous privilégions toujours cette formule en comédie musicale. Ici nous avons au plateau dix enceintes d&b E8 en douche, deux derrière les stacks en side et deux en devant de scène. Les retours sont mixés sur la console de face. C’est une des parties de notre travail de fournir ses retours sur lesquels le mixeur n’a pas à intervenir en représentation.

SLU : Cela demande un effort plus important aux artistes ?
Léonard Françon : Nous devons leur faire comprendre que cette méthode est idéale pour les spectateurs et qu’ils ne seront jamais dans une situation totalement confortable sur le plateau. Sur ce casting, le chanteur principal vient de l’opéra et d’autres viennent de la comédie musicale anglo-saxonne, ils sont donc totalement habitués à ce fonctionnement. D’autres viennent de la comédie musicale française et n’avaient jamais chanté dans ces conditions. Nous les avons accompagnés et mis en confiance.
Cyril Auclair : C’est ça le sound design. Cela implique des choix techniques importants dont on ne peut se dissocier. ll était de toute façon inenvisageable de mettre les voix dans les retours plateau qui sont diffusés avec des enceintes en douche. Avec des dizaines de micros omnis sur scène, nous aurions rapidement eu du feedback et nous aurions récupéré une sorte de halo sonore plutôt gênant.
Évidemment, cela se fait dans la confiance et l’artiste qui n’a pas l’habitude, découvre que c’est parfaitement acceptable. Nous leur donnons aussi d’autres points d’appui, comme les retours vidéo de la Cheffe visibles de tout le plateau pour les indications de départ ainsi qu’un très bon retour orchestre pour bien prendre la note.

SLU : L’orchestre n’est pas en fosse, mais en fond de scène ?
Léonard Françon : L’orchestre est derrière un double pendrillon en tulle donc très étouffé. On ne voit l’orchestre que deux fois dans le spectacle. Cette solution est également valable dans le cas d’une tournée potentielle du spectacle en salle de type zénith. En fait, ce n’est pas gênant.
A Broadway, par exemple, les orchestres jouent souvent dans des salles annexes non visibles. Évidemment, à la différence d’un orchestre en fosse qui bénéficie de l’acoustique de la salle, nous sommes obligés de le sonoriser. Cela nous permet d’offrir un son beaucoup plus maîtrisé car moins soumis à l’acoustique du théâtre.
Cyril Auclair : Historiquement, le Théâtre du Châtelet a été conçu pou l’opéra et l’opérette, avec un orchestre en fosse non sonorisé. Les artistes chantent devant, et quand ils se retournent, ils ne parlent pas et ne chantent pas. Jean-Luc Choplin a été le premier des directeurs à amener la comédie musicale au Châtelet. C’est à ce moment que le théâtre a pris son envol en termes de design sonore, car avant il ne s’agissait que de faire quelques retours d’orchestre sur le plateau.

SLU : Cette acoustique, êtes-vous arrivé à la maîtriser ?
Léonard Françon : La salle est très sonore. Cela fait sa beauté mais aussi sa complexité. Elle n’aime pas la sono et si on l’excite trop, elle commence à saturer. Sa réverbération est en plus assez haute en fréquence et difficile à maîtriser.
Cyril Auclair : Et avec ses cinq niveaux au-dessus de la corbeille, il y a aussi un problème d’élévation à gérer. Le système de diffusion permanent de type line array a une angulation assez importante, environ 10 degrés par boîte. Un premier système d&b a été installé en 2017. Comme il était de petit format et qu’à l’époque il y avait de la programmation de concerts, un complément était souvent nécessaire, ce qui nous a permis d’essayer plusieurs solutions du même fabricant. Avant la refonte totale en 2019, les équipes internes du Châtelet, dont j’ai eu la chance de faire partie, ont eu la maîtrise d’ouvrage. Nous savions donc parfaitement quel type d’enceintes d&b nous voulions.
SLU : Ce système de diffusion, de quoi est-il composé ?
Cyril Auclair : C‘est un line array avec un cluster central qui exploite la série Y de d&b. Il dispose d’une ligne de sub-array permanente. Deux stacks en bas gèrent la corbeille et un front fill. Chaque étage dispose d’enceintes de rappel et arrière pour la plupart encastrées dans les murs.

SLU : Lui avez-vous apporté des modifications pour Les Misérables ?
Cyril Auclair : Oui, cela fait partie de notre mission d’adapter le système de diffusion à la comédie musicale. Nous avons modifié la ligne de front-fill composé de quatre T10 exploitable quand on a un orchestre en fosse. Avec ici un public en proximité directe du front de scène, nous avons préféré plus de sources de plus petites tailles en utilisant huit E5. Nous avons aussi complété le système avec deux SL-SUB pour gérer l’ultra grave nécessaire à la bonne restitution des effets sonores.
SLU : Et comment l’exploitez-vous ?
Léonard Françon : On a juste traité le bus de mélange principal différemment. Dans la configuration standard du Théâtre du Châtelet, on travaille beaucoup en “group to matrix”. On dirige le groupe voix vers le cluster central et le front fill, le groupe musique dans le L/R, avec un mélange qui se fait très bien dans l’air. Pour Les Misérables, nous avons choisi de travailler à partir d’un véritable mixage LCRS fait entièrement dans la console de face qui est une DiGiCo SD7Q Théâtre.

SLU : LCRS, vous faites du surround ?
Léonard Françon : Comme nous avons 8 canaux d’enceintes arrière sur tous les niveaux, nous avons choisi de les utiliser pour faire du surround. Au niveau des claviers, une création complète a été réalisée par Steward Andrews, de la nappe aux effets sonores, avec des sons modernes plus électro. Nous récupérons 4 sorties stéréo pour chacun des deux claviers, que nous exploitons en diffusion surround.

Cyril Auclair : C’était une demande de faire ce type d’effet. Produire du son qui vient de l’arrière, c’était une manière simple de faire de l’immersion sonore en utilisant le système de diffusion existant.
SLU : Un système spatialisé aurait un sens ici ?
Cyril Auclair : Ce serait compliqué de faire du spatialisé ici à 100% pour l’audience car beaucoup de zones mortes en seraient exclues. La définition frontale pourrait être améliorée en passant de 3 à 5 lignes, pour faire du mix objet via une ligne WFS, mais qui ne pourrait pas être sur le même plan pour des raisons d’accroche. Le spatialisé n’est, à mon avis, pas le sujet le plus important dans un théâtre à l’italienne comme celui-là, même si très intéressant.
SLU : Et avec un temps de préparation apparemment très court ?
Léonard Françon : Le planning était en effet très serré. Nous avons eu quatre scéniques orchestre pour répéter, soit douze heures de travail sur 2h30 de spectacle musical non-stop et 55 lignes de micro pour l’orchestre plus les voix. Ensuite la générale et deux previews, mais comme nous ne pouvons plus nous déplacer dans la salle pour tout vérifier durant ces moments, le calage complet des mixes dans les systèmes de diffusion doit être au point avant.
Ensuite à partir de l’opening night, vu le travail exigeant qui est demandé au mixeur, nous ne pouvons plus le déranger sur sa console pendant les représentations. Il a pu néanmoins bénéficier de 8 jours de scénique piano pour répéter sa mécanique. Malgré cette frustration de temps de préparation, nous avons pu délivrer un sound design propre et créatif, heureusement dans un lieu que nous connaissions déjà très bien. Un vrai défi.
SLU : Vous avez géré toute la topologie de la console ?
Cyril Auclair : Oui, nous livrons à l’ingénieur du son une console clef en main prête à mixer. Il n’a plus qu’à gérer la mécanique des faders. Il arrive sur un bac de 12 dont 10 pour les voix, le 11ème pour le niveau de leur réverbération et le 12ème pour le niveau orchestre. Nous lui donnons des indications sur chacun de tableaux, correspondant au rendu souhaité dans l’équilibre voix / musique. A lui ensuite, à chaque représentation, de le reproduire au mieux.

SLU : Vous écrivez en fait la dynamique du spectacle ?
Léonard Françon : Oui. Nous donnons à chaque tableau le caractère intimiste ou dynamique demandé. Le mixeur ne gère que les mixes voix et le master musique. ll n’interviendra jamais sur les pistes instruments, sauf s’il y a un problème.
Cyril Auclair : Nous faisons l’encodage du mixage orchestre à la première répétition. Nous avons bien sûr préparé au maximum en amont en se basant sur les partitions et en échangeant avec les compositeurs, sans musiciens. On sait déjà que tel micro sur tel instrument impose tel traitement.
SLU : Vous devez utiliser des templates ?
Léonard Françon : Nous recommençons à zéro à chaque production. Mais nous travaillons toujours sur du matériel que nous maîtrisons parfaitement. On peut parler de template pour la diffusion. Nous utilisons intégralement une matrice 48×48. Nous avons des bases qui nous permettent d’envoyer immédiatement une source dans la diffusion avec un gain et une distribution parfaitement bien répartie. Heureusement, car avec quatre jours de répétition, sans ça, nous serions battus.
Cyril Auclair : C’est l’avantage d’avoir travaillé des années ici. Nous connaissons les zones problématiques et savons ce qu’il faut faire pour que ça sonne. Nous avons juste passé une journée pour recaler la diffusion. Notre mixage en LCR dans la console imposait un réalignement du cluster central, celui-ci étant taillé pour la voix en standard. Nous avons terminé par une balance tonale. Nos matrices gèrent les délais de zones tandis que les délais inter-enceintes sont maintenus dans l’amplification.

SLU : J’ai été stupéfait par l’intelligibilité et la qualité sonore des voix, et ceci avec des micros sur le front ?
Cyril Auclair : Tous des DPA. Pour les voix, c’est du 6061 sur le front, sauf pour les enfants qui sont équipés en serre-tête 6066. Avec une petite voix pouvant être stressée, le frontal est compliqué s’ils ne projettent pas assez.
Léonard Françon : Un enfant qui assure en répétition peut facilement s’effondrer en représentation face à un public de 2 000 personnes. Dans ce cas, tu es très heureux avec le serre-tête de pouvoir pousser le niveau sans mettre ton mix en danger. En plus, le casting enfant se compose de trois équipes différentes car ils ne peuvent pas travailler tous les soirs. Ils ont donc eu moins de répétitions et sont plus sujets au stress.

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SLU : Et si le front n’est pas disponible, par exemple à cause d’un chapeau ?
Cyril Auclair : Nous faisons ce que nous appelons des earloops en utilisant un arceau métallique pour accompagner le micro et le poser où nous le voulons. Nous avons souvent envie de le descendre sur le visage mais la scénographie nous demande de ne pas le voir.
Un chapeau avec un micro sur le front, procure un effet de masque, modifie la réponse en fréquence et ajoute des bruits de frottement. Avec un boost dans le bas médium et un rendu sonore devenant trop flou, ce n’est pas exploitable.

Léonard Françon : Tu peux essayer de corriger à l’EQ. Si jamais tu t’en sors, tu es bon pour tout recommencer d’un chapeau à un autre. La solution est de mettre le micro sur le chapeau et l’émetteur dedans.
L’artiste est ainsi équipé de deux micros, un front et un dans le chapeau, car évidemment il ne le porte pas tout le temps, parfois juste deux mesures. Dans ce cas tout est prêt dans la console, on passe de l’un à l’autre de manière totalement transparente pour le mixeur.

SLU : Toute la HF est en Sennheiser 6000 ?
Cyril Auclair : Si la qualité de transmission est primordiale, l’important pour nous est la taille des boîtiers émetteurs qui doivent se faire oublier par l’artiste et s’adapter à tout type de costume. Nous avons en tout sur le plateau 36 artistes équipés de micros DPA pour les voix, soit 43 micros DPA plus 5 spares, exploitant 43 fréquences sur un total de 48 disponibles. Toute la HF est gérée en représentation par trois opérateurs HF. Merci à eux.
Léonard Françon : Et parfois si on a des claquettes dans le spectacle, on ajoute un pack supplémentaire pour deux micros Sennheiser MKE 2 qui descendent le long des jambes. L’artiste a alors sur lui trois émetteurs, un pour la voix, le spare et celui des claquettes. Et on fait les deux jambes avec un seul émetteur, au diable les problèmes d’impédance. Ça ne fonctionne pas avec tous les pockets !
SLU : Si nous passions à l’orchestre ?
Cyril Auclair : La captation de l’orchestre est plutôt complexe et a mis en œuvre un grand nombre de micros de proximité par sa formation très compacte. Il se compose de 13 musiciens : un quatuor à cordes, flûte – hautbois – clarinette, deux cors, un tuba, un trombone, une trompette, un set de percussions plutôt exceptionnel (23 lignes micro) et deux claviers. Tout ceci arrive sur le SD Rack comportant des cartes d’entrée et de sortie 32 bit pour partir en Optocore vers la console. Même principe pour les sources HF.


Léonard Françon : Les claviers jouent live et envoient des séquences et des effets sonores. Beaucoup de changements de patch et de type de son nous arrivent sur 8 pistes stéréo. Ça a été un travail complexe de mettre tout ceci en ordre pour la diffusion dans les snapshots de la console.


SLU : Chaque musicien dispose de ses propres retours ?
Léonard Françon : Oui. Les musiciens disposent tous d’un mélangeur personnel ME-1 d’Allen & Heath pour alimenter soit des casques ou des in-ears à leur convenance, plus des retours en Genelec pour les claviers. Ceci nous fait gagner beaucoup de temps car il suffit de leur envoyer 16 stems depuis la DiGiCo.

SLU : Pour terminer avec les sources, une dernière est plus qu’importante, il s’agit de QLab ?
Cyril Auclair : Effectivement, QLab gère la diffusion de tous les effets sonores. Nous les créons et les encodons pour être ensuite déclenchés soit par le mixeur par le rappel de snapshot depuis la DiGiCo, soit par la Cheffe d’orchestre par une commande MIDI manuelle. Tout ce travail de programmation est fait dans Q-Lab.
Nous avons pour cela deux mac mini, un main et un spare, qui partent en MADI dans la console. Nous n’avons pas besoin de commutation automatique. En cas de problème, nous avons le temps de passer de l’un à l’autre. Comme pour les spares de micro ou de HF. Ici, rien n’est en automatique mais tout est possible.
SLU : Vous créez les effets sonores aussi dans QLab ?
Cyril Auclair : À la suite de la demande du metteur en scène, nous créons entièrement les effets en raccord avec le visuel. C’est un travail important de recherche pour trouver le son qui convient et en proposer plusieurs versions. Écouter les sons en dehors de la salle n’a pas vraiment beaucoup de sens. Pour cette raison, nous essayons de tout faire dans QLab qui nous propose l’exploitation de plusieurs couches d’éléments audio sur une time line. On évite d’utiliser un autre logiciel pour gagner du temps et éviter les opérations de transfert. Si le metteur en scène nous demande des modifications, nous pouvons les faire immédiatement.

SLU : Et on peut aussi générer des commandes OSC ?
Cyril Auclair : C’est primordial ! Nous envoyons de l’OSC à la lumière pour la synchro. C’est nous qui l’encodons également. La lumière n’a pas de conduite, c’est le régisseur général qui donne les tops pour enchaîner les cues, à la différence du son ou il y a un véritable mixage temps réel. C’est un sujet très chronophage sur cette production où il y a beaucoup d’effets d’explosions.

SLU : Votre travail ne s’arrête pas là ?
Cyril Auclair : Oh que non ! Nous gérons aussi la partie vidéo appelée CCTV, qui est un retour visuel de la Cheffe. Il y a quatre écrans pour les artistes sur scène, un à la console de mix et des rappels en backstage où nous y associons des points de diffusion dont on gère également le mixage et qui permettent aux artistes partout en coulisses de voir et d’entendre ce qui se passe sur scène.
Et maintenant, si nous allions voir la régie. Nous montons les 5 niveaux d’un des plus grands théâtres à l’italienne d’Europe et nous allons à la rencontre de Vincent Portier, qui a la charge de mixer chacune des représentations.

SLU : 2h40 de comédie musicale continue à l’exception de l’entracte, ça s’appréhende comment ?
Vincent Portier : Comme un marathon ! La musique ne s’arrête jamais, c’est la particularité de ce show. Il n’y a pas de pause à la console. Généralement il y a un tableau où j’ai le droit de boire un coup. Ici impossible. Même la Cheffe ne peut se désaltérer que pendant deux instants sur tout le spectacle. Tu ne peux jamais te déconcentrer. Les musiciens tiennent le rythme et même le public est un peu déstabilisé, il voudrait parfois applaudir, mais n’a pas le temps.
SLU : Comment garder le public attentif ?
Vincent Portier : La dynamique du spectacle a été beaucoup travaillée pour obtenir un relief entre chaque tableau et ne pas fatiguer le public. Nous soulignons en permanence le travail de l’orchestre. Parfois pendant deux couplets, il y aura juste un violon. Je ne m’interdis pas de descendre à 70 dB pour profiter de ces moments-là. Nous sommes en moyenne à 85 dB avec un max à 90 dB. Quand le public parle, on est déjà à 75.

SLU : Tu accompagnes cette dynamique ?
Vincent Portier : Certains tableaux sont très chargés sur des petits espaces du plateau comme la scène de l’auberge où il faut réussir quand même à capter l’ambiance sans perdre le texte du rôle principal alors que tous les comédiens sont en train de taper dans des chopes. Et comme ce sont des vraies, cela fait beaucoup de bruit. Le metteur en scène veille à maintenir le niveau de perturbation acceptable pour préserver la qualité du mixage.
SLU : Ce n’est pas compliqué de ne pas voir l’orchestre ?
Vincent Portier : Pas vraiment. J’échange beaucoup avec la Cheffe d’orchestre quand je sens des différences entre deux musiciens. Leur position de jeu est importante. Nous avons eu un flûtiste qui en changeant de position nous a fait perdre 8 dB. Je suis aussi en liaison avec Laurent Dussault le régisseur son plateau, et j’ai le retour vidéo de la Cheffe pour pouvoir la suivre. Pour finir, nous enregistrons et archivons le show tous les soirs. Cela permet de comprendre les problématiques de la veille.
SLU : Et je suppose que vous devez faire face à des imprévus ?
Vincent Portier : Oui, comme un comédien qui met son chapeau équipé du micro à l’envers. Quand tu ouvres le fader tu te dis, mais qu’est que c’est que ça ? Le comédien a senti que le son n’était pas correct, il a enlevé le chapeau, l’a secoué et remis cette fois dans le bon sens. Sur le coup, nous n’avions pas compris ce qui se passait. L’analyse nous a permis de comprendre et que nous devions, pour les prochaines représentations, nous assurer, à la prise de rôle, que le chapeau est bien dans le bon sens. Dès que nous avons le moindre doute, un souci, je fais évoluer ma conduite.

SLU : La conduite est sur l’Ipad ?
Vincent Portier : Oui. C’est le livret de la comédie musicale avec toutes les informations dont j’ai besoin. Soit 90 pages. Pour chaque scène, j’ai en bleu les indications de numéros des faders utilisés, en rouge les snapshots, et en vert les niveaux d’orchestre et de réverbération. Elle se construit et s’optimise au fur et à mesure des représentations. À la fin de cette saison, je suis à la version 40. On commence les répétitions dans une version 5 ou 6.
J’ajoute aussi des indications sur les faders qui n’interviennent plus ce qui me permet de les écarter de la scène à venir, c’est très utile pour gérer les enchaînements très rapides. La conduite n’est pas synchronisée. Je tourne les pages manuellement. Je prépare sur la page de la scène en cours un résumé de ce qui arrive sur la scène suivante. A sa création, je fais un gros travail d’analyse de la partition dont je note bien entendu les numéros de mesure pour aller très vite en répétition.

SLU : Cela donne une utilisation particulièrement formatée de la console de mixage ?
Vincent Portier : Sur la console, je travaille avec uniquement 12 faders. J’exploite aussi pleinement les 8 layers des macros de la console qui me permettent de tout commander sans avoir à toucher à d’autres équipements, de manière à toujours être concentré sur le mix.
Les macros gèrent aussi les circuits d’ordres, ainsi que des situations d’urgence comme désarmer le MIDI de la Cheffe d’orchestre. Celui-ci déclenchant les coups de feu, ce serait navrant, par sa défaillance, d’en produire sur une scène qui n’en a pas. Je peux aussi par exemple couper la M6000 si besoin de la redémarrer, ou désactiver le MIDI de la console si je dois faire une modification de dernière minute.
Cyril Auclair : L’idée est que Vincent intervienne le moins possible sur des éléments extérieurs pour qu’il reste concentré sur son mix. Pour cela, nous avons même demandé aux équipes du Théâtre du Châtelet la possibilité de déplacer le panel de communication Riedel juste au-dessous du bandeau d’appui. Il n’a ainsi même pas besoin de bouger.
Léonard Françon : Tout est fait pour que son attention soit disponible à 100 % pour ne faire que du son et écouter. Par exemple, utiliser des chiffres pour les faders au lieu de mettre les noms des comédiens. C’est notre démarche de rendre tout plus simple.

SLU : Cela permet aussi de réagir encore plus vite ?
Vincent Portier : Oui. Ces simplifications sont très utiles si tout d’un coup tu as un événement extérieur non prévu qui te déconcentre, comme si tu communiques avec ton technicien plateau pour résoudre un problème. Quand tu reviens au mix, tu as immédiatement toutes les infos pour le resituer.
SLU : As-tu une base de mixage ?
Vincent Portier : La base c’est pour moi l’indication de niveau d’orchestre. C’est la référence de mon mix, je place ensuite mes voix. Rien d’étonnant à faire un +3 dB sur une voix pour rejoindre un niveau d’orchestre. En revanche, si je devais bouger le niveau d’orchestre de manière importante, je serais amené à me poser beaucoup de questions. Le mix retour qui n’intègre que l’orchestre est préparé et envoyé pré fader donc mon mix n’influe pas. Il y a juste une accentuation de son niveau dès que je pousse en salle au-dessus des -5 dB, pour équilibrer le niveau plateau.
SLU : Côté réverbération ?
Vincent Portier : Une t.c. M6000 avec deux moteurs de réverbération pour les voix et deux autres pour l’orchestre et les effets. Le changement de presets en fonction des scènes est géré à la console qui commande QLab par ses snapshots, qui ensuite pilotent les presets par MIDI.

SLU : Tout est centralisé dans les snapshots de la console ?
Vincent Portier : Oui, c’est important de savoir que tout est centralisé par une commande unique, surtout quand les enchaînements sont très rapides. Tous les effets sonores sont envoyés en Live par QLab qui est triggé par la console en MIDI. Dans la Cue List, toutes les mémoires en rouge indiquent qu’elles contiennent du MIDI qui va générer un effet son. Cette centralisation des commandes est aussi très pratique pour se déplacer dans les scènes pendant les répétitions, et en cas d’incident technique, revenir au tableau est immédiat.
SLU : Les snapshots gèrent aussi les retours pour chaque tableau ?
Vincent Portier : Oui. Je ne m’occupe pas du mix retour. Il a été préalablement préparé par Cyril et Leonard. A chaque tableau, un snapshot rappelle le mix retour correctement ajusté pour satisfaire la position des comédiens sur scène et suivre les variations d’instruments de l’orchestration. Nous avons aussi placé des micros d’ambiance en balcon et corbeille, que nous envoyons dans les ears de la Cheffe d’orchestre pour lui permettre d’entendre les applaudissements afin de bien gérer le lancement des scènes.

SLU : Wavetool est un logiciel utile pour toi ?
Vincent Portier : J’utilise Wavetool comme monitoring. Si j’ai un doute et que je vois un trou dans les courbes vertes (niveau audio) ou rouge (qualité HF), je sais que le problème vient de la HF et que l’équipe va le gérer. Je peux alors continuer à mixer tranquillement. Si en revanche je ne vois rien d’anormal sur Wavetool, c’est que cela vient de l’orchestre. La messagerie de Wavetool est aussi un super outil de communication silencieuse qui permet de gérer des problèmes sans se déconcentrer du mix.
Par exemple, hier, une comédienne s’est blessée dans l’acte 1. Nous n’étions pas sûrs qu’elle puisse continuer sur l’acte 2. J’ai pu être prévenu de la décision facilement par un message. Le technicien plateau a aussi Wavetool sur un iPad pour communiquer avec nous. Wavetool est relié à une interface RME MADIFace USB qui récupère le son du SD-Rack dédié aux HF
SLU : Comment gérez-vous les changements de casting ?
Vincent Portier : Dans cette comédie musicale, nous en avons beaucoup. C’est très sensible sur les ensembles de voix car les changements de partenaire influent sur la manière de chanter. Je dois donc suivre ces variations et les corriger au mix. Par exemple, aujourd’hui on a la doublure sur le rôle principal. Il n’a pas la même dynamique et pas les mêmes intentions. Nous avons aussi des effets sonores qui dépendent de son jeu. Nous devons nous assurer avec le metteur en scène que toutes les informations nécessaires lui sont bien transmises.
Noir salle
Tenir en haleine le spectateur sur un show de 160 minutes à une cadence impressionnante et avec une orchestration musicale permanente, est un véritable défi. Unisson Design le remporte en accompagnant avec précision et subtilité une scénographie exceptionnelle. Si le respect de l’œuvre originale et l’interprétation pleine d’émotion des chanteuses et chanteurs ont touché les spectateurs, la scénographie est également au rendez-vous.
Il fallait concevoir un son au niveau d’une des plus grandes références de la comédie musicale et capable de magnifier la force de cette œuvre majeure de la littérature. Mission accomplie. Les Misérables, la plus française des comédies musicales à l’anglaise, est une réussite totale.
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– Les misérables en images
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