
On savait que Shitty dans la plus grande discrétion, que dis-je, dans le plus absolu Silence !, nous préparait un gros coup. « On en parlera après si ça marche. »
Bien entendu cela a été le cas, et la ville rose et sa place du Capitole se souviendront longtemps de la fête de la musique 2016 qui s’est déroulée en direct sur France 2 et surtout devant 16 000 personnes… sans boîtes accrochées ! Mais avec plein de tubes !
SLU : Comment en êtes-vous arrivés à sonoriser une place aussi grande là où votre spécialité est plutôt le plateau de télé.

Shitty (directeur technico-commercial et co-fondateur avec Gilles Hugo de Silence) : Le lien est forcément la télé puisqu’il s’agit de la fête de la musique de France 2 avec un plateau d’artistes français et internationaux de toute beauté, le tout présenté par Garou.
SLU : Tu nous détailles le projet ?
Shitty : La problématique a été pour nous de faire avec un décor basé sur le principe d’un carton, une boîte vidéo posée au milieu de la place du Capitole de Toulouse. Il ne fallait rien voir d’autre et surtout ne pas élargir cette boîte par des enceintes qui, même cachées par des tulles, auraient compromis le design très épuré d’Olivier Illouz ( Concepteur de décors télé via sa société Studio 40 NDR).
Impossible aussi de placer des tours de rappels à même la place pour des questions de charge vis-à-vis des parkings qui se trouvent en dessous. Impossible donc de déployer du « gros » pour sonoriser la place.
SLU : Il y a un peu de place derrière les écrans latéraux en cherchant bien…
Shitty : C’est précisément là où le son aurait dû atterrir dans l’esprit des concepteurs, seulement il s’agit des écrans en charge de tout l’habillage de la scène et surtout pas suffisamment transparents acoustiquement, sans parler de la structure qui supporte ces écrans et qui constitue un obstacle de plus.
Nous avons donc beaucoup réfléchi et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait monter des colonnes qui puissent aussi servir d’une certaine manière de cadre de scène. On a quand même dû intégrer un proscénium placé à plus de 15 m du plateau et deux scènes latérales placées à un mètre et demi de la façade.
SLU : Comment avez-vous fait pour ne pas « tirer » sur ces deux scènes déportées ?
Shitty : Nous avons rusé. Nous avons bien de part et d’autre une colonne Focus Modular Fohhn de 8 m de haut, mais l’élément du bas qui effleure le sol et termine cette dernière, est une coque vide de salon. Cela met le premier module actif, un FM-100 avec 8 moteurs 1”, à près d’un mètre soixante-dix de hauteur ce qui « épargne » ces deux scènes ainsi que les artistes qui sont passés devant pour rejoindre les deux scènes.
Peu de bois, beaucoup de HP
SLU : Tu nous détailles ton système ?
Shitty : En haut de la colonne nous avons une unité d’aigu longue portée FM-110 avec 16 moteurs 1”, puis 4 unités de grave/bas médium FM-400, avec dans chaque module 32 haut-parleurs de 4” et enfin en bas, notre unité d’aigu FM-100 et ses 8 moteurs 1”. Le tout est amplifié et processé à même chaque élément.
L’ensemble des 7 modules dont 6 actifs est protégé par une sorte de chaussette individuelle pare-pluie, acoustiquement transparente.
Enfin ces deux colonnes principales ainsi que deux autres plus petites, placées sur les côtés de la scène et servant à déboucher les spectateurs mal placés, sont enchâssées dans des coques absorbantes que nous avons construites sur mesure afin d’éviter que le son qui est produit par ces modules, ne revienne sur scène par l’arrière.



SLU : Quelle est la directivité de ces enceintes ?
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Shitty : Par définition elle est extrêmement variable mais elle génère une forme en 8 avec beaucoup d’énergie utile à l’avant et un peu derrière. Pour laisser la scène aussi propre que possible, on absorbe cette onde arrière.

SLU : Des subs j’imagine…
Shitty : Oui absolument, nous avons 4 subs Fohhn sous la scène, des PS-9. (8,5 kW crête d’ampli, 21’’ pour le HP, 1Ω pour l’impédance, 145 dB de SPL Max et 76mm d’élongation, une magnifique collaboration entre Fohhn, B&C et Powersoft.
(Pour plus d’infos sur cette enceinte superlative, cliquez ici.)
SLU : Sur le papier, cela ne fait pas beaucoup de son et de watts pour une place. Tu es sûr du nombre de spectateurs ?
Shitty : Oui, pour une fois on va croire le chiffre donné par la police car pour des raisons de sécurité, chaque personne a reçu un bracelet et 16 000 ont été distribués. C’est donc la première fois au monde que ce genre de système a été employé pour couvrir une telle audience en dehors d’événements ponctuels comme ceux que nous avons montés, par exemple à l’Opéra Bastille pour le festival du Monde.
(Salle qui depuis s’est équipée en fixe, lire l’article ici.)

SLU : Avais-tu des objectifs en termes de SPL à atteindre ou bien as-tu joué sagement pour faciliter le travail du mix antenne ?
Shitty : Pas du tout. La Mairie étant de la partie pour cet événement, il fallait que le son soit bon. On ne m’a pas dit qu’il fallait 105 dBA à la console façade, on m’a juste demandé de faire en sorte que les gens soient contents, cela étant nous avons atteint des pointes entre 105 et 107. Etonnant !

Daniel Borreau de Rock Audio nous a aidés dans le déploiement du système et dans le calage de base, essentiellement la directivité, quelque chose d’indispensable tant nous avons dû jouer avec des presets afin d’éviter des zones bien précises en fonction des scènes utilisées.
La directivité d’un click
SLU : Des presets changés en temps réel ?
Shitty : Oui, il fallait ouvrir le faisceau quand les artistes étaient sur le proscénium par exemple. C’est Nicolas Delatte (Dir Tech d’OnOff, un prestataire oeuvrant pour B-Live le même groupe qui possède Silence NDR) qui s’est occupé de ça.
SLU : Le marché de Silence a comporté les lots habituels ?
Shitty : Oui, face, retours et musique dans notre mobile, derrière lequel France Télévision a effectué la jonction et ajouté les ambiances.
SLU : Et c’est France Télévisions qui vous a proposé de sonoriser une place où allaient se trouver 16 000 spectateurs.
Shitty : Oui absolument, avec la mairie de Toulouse très présente. Tout le monde était confiant dans les choix techniques de Silence, mais tout le monde attendait aussi de voir comment cela allait marcher (rires) !

SLU : D’autant que vous n’avez pas de gros Fohhn…

Shitty : Non t’as raison. On a des petites colonnes mais pas les gros FM-110 et 400. Nous les avons loués en Allemagne. Nous avons aussi ajouté quelques subs sur les côtés, dans le doute, mais nous les avons coupés très vite, nous n’en avions pas besoin.
Les LS-9 sont des subs énormes par leur pression et ça frisait le trop. On a aussi ajouté 4 XM-4, des wedges Fohhn, en guise de front fills et des Linea LX-601 avec des FM-100 sur les côtés de la scène.
SLU : Nous n’étions pas conviés, tu es donc obligé de nous faire un débrief de la façon dont cela s’est passé et surtout du rendu de ces petits boudins !
Shitty : J’ai été étonné par plusieurs choses et d’abord la portée hallucinante de ce système.
Ensuite le bas médium que tu arrives à avoir en partant d’enceintes qui, par rapport aux gros formats qu’on emploie d’habitude pour ce genre de prestation, sont ridiculement petites.
Enfin le Focus Modular est pour moi un vrai ligne source parce que ça part d’un seul plan même si la directivité peut être changée, et d’un seul coup, les voix sortent avec une limpidité étonnante, presque comme si elles provenaient d’une seule enceinte.
On a parfois du mal à parvenir à ce résultat avec un line array. C’est le but, mais il faut travailler pour y arriver, alors qu’avec ce système et de ce point de vue-là, c’est quasiment tout de suite. Il ne te reste après qu’à travailler ton timbre.

SLU : Qui a mixé la face ?
Shitty : C’est Fabien Chanier qui a tenu la façade assisté au système par Nicolas Delatte, et aux retours il y avait Stéphane Jacottin et Yann Lebigre. Sans oublier Jean-Marc Aringoli dans notre car.
SLU : Fabien a-t-il souffert d’une configuration pas évidente et d’un système plus que nouveau ?
Shitty : Il était content même s’il a dû pas mal jongler avec les trois scènes devant la façade, en plus de la grande scène.
Car bien entendu, on s’est retrouvé à certains moments avec du monde des deux côtés, une configuration assez classique en télé. Nous avons donc vécu des moments un poil chauds et rien qu’en regardant le plan, tu te demandes comment cela a pu être fait…
On y est parvenu, en travaillant dur, et tard (rires) !
Petit système, gros son ?
SLU : Revenons au Focus Modular. Si tu fermes les yeux, tu imagines quoi ?
Shitty : Pas forcément d’être face à un gros système, un douze ou un 15 pouces, mais il faudrait faire un test A/B pour en être certain car c’est vraiment étonnant d’apercevoir un tout petit truc que tu perçois pourtant si fortement. Je veux bien admettre qu’il y ait moins d’air remué puisque tu as moins de surface de membrane (ohhh ça se calcule ça Shitty, il y a tout de même 128 HP de 4’’ par côté plus 24 moteurs 1’’ NDR) mais bizarrement il y a beaucoup moins de trous entre des 4’’ et des subs en 21’’ qu’on ne pourrait le redouter. C’est vraiment étrange comme sensation.
SLU : Les gens de Fohhn ont été contents ?
Shitty : Ils ont été ravis. Il n’y avait que Daniel Borreau sur place mais l’expérience les a beaucoup intéressés. Ils sont contents de nous. Il y a pas mal de monde qui a pris sa claque, nous les premiers et pourtant on a déjà travaillé avec des enceintes différentes, je pense aux K-Array. Il y a des circonstances où je n’emploierai jamais ce type d’enceintes modulaires, en revanche d’autres où cela rend des services inestimables. De toute façon le système qui fait tout n’existe pas.

SLU : Pour la télé c’est royal.
Shitty : Les petites enceintes oui, on les a sur le Grand Journal et nous les avons déployées aussi sur le Tour de France, en revanche le gros c’est quasiment un système de touring. Pour des petits plateaux TV c’est trop. Il y a en revanche quelque chose de magique même avec les FM, c’est leur poids.
Nous avons utilisé en tout et pour tout un moteur de 500 kg par côté. Les 6 modules mis bout à bout ne pèsent que 380 Kilos. Le mec qui a monté la structure m’a embrassé d’amour ! On a en plus monté sous la pluie et joué en plein cagnard et malgré le paquet d’amplis intégré dans chaque module, tout a marché comme sur des roulettes.
SLU : Vous envisagez d’en rentrer ou vous comptez en louer quand le besoin s’en fera à nouveau sentir ?
Shitty : On verra ce qui va se passer. Il y a de fortes chances que cette opération fasse des petits car les décorateurs adorent faire disparaitre du son et du poids or là, c’est précisément ce qui s’est passé donc on risque de nous le redemander.
SLU : Une dernière question. Comment cela s’est-il passé avec les artistes et le management de ces derniers. Y-a-t-il eu des doutes ?
Shitty : D’abord personne ne s’est posé la question car on ne voyait rien. Les gens se sont dit que les enceintes étaient derrière les écrans ce qui était faux mais bon, quand tu arrives place du Capitole et qu’il y a du son, inutile de se faire des nœuds au cerveau.
Quelques personnes ont compris le truc et sont tombées sur le cul. Ceci étant, on sait que ce genre de système existe, mais pas grand monde n’avait eu la chance de l’écouter dans de bonnes conditions et cela a fonctionné, qu’on joue des PBO et PBC (30% de l’émission) ou du vrai live.

De toi à moi, j’avais hâte que ça marche car c’était un drôle de pari pour nous. Nous avons testé la configuration avec la moitié du système chez Silence, donc on connaissait le potentiel, mais nous n’avions pas de repères précis par rapport à la place du Capitole. L’avantage énorme est le guidage très fin de la directivité à colonne droite, uniquement grâce à l’informatique. On a visé précisément là où on voulait, en épargnant les immeubles ce qui est bien pour éviter d’avoir deux batteurs et plein d’ennuis à cause des nuisances.
J’ai enfin trouvé le son très naturel et agréable. On a passé du temps à le fignoler mais le résultat a donné pleine satisfaction et sans avoir une latence gênante ce qui est habituellement le lot des systèmes très processés. On était dans les moyennes habituelles. Les artistes qui se sont produits sur le proscenium n’ont pas été plus gênés que d’habitude.
SLU : Ils étaient aux ears !
Shitty : Oui, mais il y a du son qui rentre dans leur micro, autant qu’il n’arrive pas après le show ! Heureusement on a calé les aigus pour passer au-dessus de leurs têtes !
SLU : Et puis tu as demandé à avoir des chanteurs avec une vraie voix sur tes scènes mal placées ?
Shitty : Malheureusement on ne peut pas choisir mais on a été verni, pas de purge de ce côté-là (rires)
Nous avons demandé à Nicolas Delatte, le directeur technique son de B-Live qui s’est chargé de ce projet avec Daniel Borreau, de nous fournir quelques graphiques pour appuyer les propos de Shitty et le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont parlants.
Nicolas a aussi tenu à préciser que la variation de directivité en vue de protéger les différentes scènes a été cantonnée aux deux seuls modules FM-100 du bas de telle sorte à ne pas troubler le travail des mixeurs et garantir à ces derniers comme au public une continuité de rendu.




Le raccord entre les FM-100 et les FM-110 à longue portée se situait au bout du proscenium, légèrement au-delà de 20 mètres. Il a enfin et surtout insisté sur le travail d’égalisation indispensable et assez pointu de ce type de système.
Après les colonnes grecques et romaines, voici les allemandes
8 m de son de 22 cm de large et 27 de profondeur, comptant un total de 128 HP de 4’’, 24 moteurs 1’’, disposant d’une puissance embarquée dans les différents modules ne dépassant pas les 9 kW, tout cela laisse rêveur, en sachant qu’en plus ce boudin sonore pèse 380 kg et avec ses 4 subs, peut couvrir 16 000 personnes en plein air.
Cela ouvre en grand les portes du touring « tranquille » autant sur scène qu’au niveau calage par sa faculté à concentrer précisément l’énergie là où elle est la bienvenue. Inutile de vous dire à quel point nous serons présents lors de la prochaine sortie du Focus Modular pour entendre ce qui semble être la belle trouvaille acoustique du moment.
Bravo enfin à Silence pour avoir eu l’idée, le courage et le savoir-faire pour se lancer dans cette aventure. Pas qu’accrocher des boîtes soit devenu banal, mais des tubes, chapeau ! Remarquez, on va s’y faire. « Tu roules les tubes de la semi ? »
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