La presse papier ne fait plus recette, c’est donc vers le spectacle dans sa plus belle facture que le célèbre quotidien Le Monde a décidé de se tourner en guise de diversification avec, pour la première édition de son festival à l’occasion de son 70e anniversaire les 20 et 21 septembre derniers, la complicité de l’Opéra Bastille.
Un plateau extrêmement éclectique mêlant classique, moderne, jazz, World, ballet, avec principalement des artistes talentueux en devenir et en provenance du Monde entier, mais aussi de nombreux films, une conception et mise en scène de Robert Carsen, et enfin la présence de Silence ! pour donner une unité technique à tout ce ensemble artistique paraît couler de source.
Au plan purement technique, la diffusion était assurée par un système Fohhn Focus Modular se prêtant parfaitement aux contraintes, notamment de discrétion, avec son étroitesse et sa facilité d’accroche, mais aussi de difficulté de diffusion dans cette salle avec deux balcons, conçue pour des représentations purement acoustiques.

Les régies façade et retours exploitaient des consoles Yamaha CL5, raccordées en Dante avec un partage de gain des nombreuses sources microphoniques.

Timing serré des répétitions oblige, nous commençons notre périple par la régie retours gérée par Katia Brayard (ingé son retours) où nous rencontrons Gilles Hugo de Silence !
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SLU : A quoi devez-vous votre présence ici à l’opéra Bastille ?
Gilles Hugo : Nous sommes ici sur la suggestion de l’Opéra en raison de la diversité des artistes, le fait que ces derniers soient amplifiés, ce qui n’est pas une habitude en ces murs, et en raison aussi des très nombreux changements de plateau. En plus on s’apprécie mutuellement. Nous sommes engagés par Le Monde.
SLU : Quand le choix de Fohhn pour la diffusion de cet événement a-t-il été fait ?
Gilles Hugo : Nous avons fait des essais il y a quelques mois ici-même avec Daniel Borreau car le produit présente des atouts décisifs comme la directivité variable qui permet d’aller chercher certaines zones difficiles ou encore sa discrétion, et ayant été séduits par ce qu’on a entendu avec des extraits sonores et des voix, le programme typique d’un essai, nous avons pensé qu’un vrai spectacle serait idéal pour vraiment juger ce système. Un spectacle aussi varié et compliqué que celui qui nous est proposé par Le Monde.

Pour des raisons de planning, nous n’avons pas disposé du temps nécessaire pour effectuer le meilleur calage. On n’a eu accès à la salle qu’à minuit hier car en ce moment se donne le Barbier de Séville. Les artistes dans leur grande majorité ont pu répéter dans la salle Gounod à l’arrière de Bastille et qui est la réplique exacte du plateau, ce qui a permis de caler les retours.
Les gens de la façade ont dû attendre minuit où une équipe de nuit à installé la diffusion jusqu’à 5 heures du matin. A partir de 7 heures nous avons accédé à la salle pour être prêts à 8 heures avec le premier artiste donc, pas de vrai calage ou de balance. Ce n’est pas l’idéal pour découvrir un nouveau système dans de bonnes conditions. Je n’aurai donc pas de jugement définitif même si ça reste un bon test proche des conditions d’exploitations réelles.
SLU : Est-ce que Silence! pourrait le cas échéant vendre une solution pérenne en Fohhn à Opéra Bastille si ces derniers s’avèrent séduits ?
Gilles Hugo : Non, la marque dispose de ses forces de vente (Fohhn Distribution France), en revanche Silence! pourrait intervenir sur des demandes précises de l’Opéra.

SLU : Est-ce que Silence! en tant que prestataire emploie cette marque ?
Gilles Hugo : Oui beaucoup en multidiffusion. Quelques centaines d’enceintes, mais pas en grosse diffusion. Comme on ne fait pas beaucoup de tournées, on n’en ressent pas l’utilité. Nous avons déployé pour la Nouvelle Star le même système la saison dernière et ça s’est bien passé. La discrétion de ces enceintes très étroites est un avantage essentiel avec certains réalisateurs et metteurs en scène. Celui de ce spectacle à Bastille n’a pas vu qu’il y avait une diffusion (rires). Nous avons installé notre console dans la salle à l’emplacement prévu à cet effet car la régie technique de l’Opéra est fermée et trop haut placée pour faire du son.
SLU : Qui tient la console et gère le son pour votre compte ?
Gilles Hugo : Nous avons choisi quelqu’un qui va vite et bien, Stéphane Pelletier. La diff est brute de fonderie et quand tu penses qu’on n’a même pas le temps de faire un line check, il faut être très efficace. Les musiciens arrivent sur des pratos du lointain, on ouvre et on y va. 12 mesures et on nous demande « ça va pour le son ? » Si le technicien a besoin d’une demi-heure pour faire des shoots et égaliser, ça ne va juste pas être possible (rires !!). Appelons-ça un exercice de style très compliqué et stressant avec une pointe de frustration.
Il y a des artistes monstrueux pour lesquels tu aimerais avoir ne serait-ce qu’une vingtaine de minutes pour faire une balance car ils ne jouent qu’un titre. S’ils en faisaient cinq, le premier règlerait les quatre autres, mais ce n’est pas le cas. C’est vrai aussi que les artistes viennent pour la plupart de loin et restent très peu à Paris. Disons que c’est excitant, frustrant et que t’es content après coup quand tout a marché.
SLU : Que fournit Silence! précisément ?
Gilles Hugo : Tout. Le personnel plateau, les régies face et retours, la diffusion, les ingénieurs du son et même le backline et les relations avec les artistes afin que ces derniers disposent de tout ce dont ils ont besoin pour leur prestation.
SLU : Avez-vous rentré de nouveaux jouets chez Silence ?
Gilles Hugo : Non, rien de très important. Nous avons changé les consoles de notre mobile (désormais une console Studer) mais en dehors de ça, nous sommes pleinement satisfaits de notre parc de matériel, et profitons de son abondance pour ne pas investir en ces périodes assez « profil bas » d’un point de vue financier. Je ne suis pas non plus convaincu qu’il soit sorti des produits suffisamment novateurs et utiles à un prestataire comme nous pour justifier un investissement. Un individu partant en tournée, et ayant le temps de comprendre une nouvelle console peut trouver son bonheur.
La vraie nouveauté chez nous est le rachat de Multi Concept à Evreux devenue depuis Silence Evreux ! et qui nous apporte le savoir-faire en éclairage, vidéo, multidiffusion, streaming et intégration qui nous faisait défaut. Nous avons ainsi de nouveaux marchés, de nouveaux collaborateurs et de nouvelles cartes dans notre jeu.
La tournée de la Triplette de Belleville va partir grâce à ça entièrement équipée par Silence ! Ca va nous apporter une assise créative nouvelle dans notre travail, et pour en revenir à l’intégration, nous travaillons sur des systèmes novateurs de diffusion du son dans des lieux comme, par exemple, des magasins. Pour une fameuse course cycliste à étapes, nous avons beaucoup travaillé la HF et avons par exemple développé 120 enceintes fonctionnant sur batterie et reliées en HF, un vrai plus garantissant la meilleure écoute possible. Nous allons développer cette activité qui va passer du sur-mesure à la petite série car nous pensons qu’il existe un marché pour de la sono propre, sans fil, fiable et simple à déployer.
Inutile de vous dire que nous allons bientôt vous reparler de ces produits dans SLU.
En restant à coté de la régie retours, nous apercevons Julien Périlleux de Fréquence et le rack de liaisons HF bien pourvu avec des ensembles Axient de Shure.

SLU : Tu nous dis quelques mots de la configuration HF et surtout des micros Axient ? Ils ont la capacité de se tirer d’un mauvais pas semble-t-il…
Julien Perilleux (Fréquence) : C’est exact. Le récepteur analyse en temps réel ce qui se passe au niveau spectral autour de la fréquence avec divers réglages possibles de sensibilité.
S’il voit arriver quelque chose à 50, 100, 150 ou 200 kHz de sa fréquence porteuse, il signale qu’il va peut-être subir une gêne.

Dans ce cas, je vais demander au manageur de spectre une fréquence libre. Elle va être d’abord analysée puis envoyée au récepteur qui va la faire suivre à l’émetteur du micro qui va acquitter et donc provoquer la réouverture du récepteur. Tout cela prend au maximum 400 ms et peut être aussi fait manuellement.
SLU : D’autres ordres peuvent être passés au micro ?
Julien Perilleux : Bien sûr, et notamment la puissance d’émission. Dans les micros main, il y a deux émetteurs reçus par deux récepteurs différents qui effectuent une sommation du signal, et un choix est fait en temps réel pour ne garder éventuellement que le meilleur signal audio. On appelle ça de la diversité de fréquence sur de la diversité de réception.

Nous avons aussi aujourd’hui huit micros numériques Shure ULXD. Ils font partie du système sans être pilotables à distance. Ils se marient très bien avec les autres liaisons puisque les ingés son à qui j’ai parlé, ne se sont même pas rendus compte de leur présence.
SLU : Quelle est la latence des deux modèles ?
Julien Perilleux : Le Shure ULXD est à 2,9 millisecondes là où l’Axient ne retarde le signal que de 0,57 ms, autant dire quasiment rien même comparé à d’autres modèles similaires d’autres marques qui flirtent avec les 2 ms.
L’audio des Axient est hybride, ce n’est pas du numérique à proprement parler, mais offre 10 à 15 dB de dynamique en plus que les systèmes analogiques conventionnels. Le signal arrive en UHF mais le contrôle s’effectue en 2,4 GHz codé (crypté).
SLU : Combien de micros de cette gamme y’a-t-il en France ?
Julien Perilleux : Très peu. J’en ai 20, Seb de MF Audio a 4 émetteurs main et autant de récepteurs, Lumière et Son en a quelques-uns et Dushow en a rentré pour la tournée de Stromaé. A ma connaissance c’est la première fois qu’en France on en retrouve 24 sur une opération. Le prix explique aussi sa rareté.
SLU : Combien de liaisons sont actives ici à Bastille ?
Julien Perilleux : 95 fréquences fixes qui tournent tout le temps, 6 ears boostés et des micros HF qui jouent dans toutes les salles. Le but n’est donc pas seulement de ne pas être perturbé mais aussi de ne pas nous perturber nous-mêmes.

Nous passons de la régie retours à la salle pour rencontrer Stéphane Pelletier à la face et les ingénieurs de Fohhn qui ont fait le déplacement (et les réglages), Ralph Freuenlberg et Samuel Hartmann, pour leur poser quelques questions sur les choix techniques opérés.
Le système de diffusion très discret se compose de part et d’autre de la scène d’un ensemble de cinq colonnes Focus Modular à directivité contrôlée électroniquement, deux FM-110 (haut médium-aigu), une en bas et une en haut de colonne, et trois FM-400 (bas médium – médium) au centre, relayées dans le grave par un sub PS9 de chaque coté.
Le débouchage du nez de scène est confié à dix LX-10ASX du système en réseau AIREA alimentées par un module AM-40. Il s’agit d’enceintes amplifiées alimentées via le réseau (PoE, Power over Ethernet).
Voir SLU http://www.soundlightup.com/flash-and-news/airea-le-systeme-de-distribution-audio-en-reseau-de-fohhn.html

SLU : Comment est déterminée la couverture dans la salle ?
Ralph Freuenlberg (Fohhn) : Tout d’abord, il faut déterminer la distance de « tir », la largeur et la hauteur. Notre système est par la suite capable de diriger le front d’ondes là où il est utile.
Dans notre cas, nous avons des enceintes Focus Modular composées de modules dédiés aux fréquences aigues et d’autres dédiés aux fréquences plus basses.

Nous avons accroché ici trois modules « basses » entourés en haut et en bas par des modules aigus, ce qui forme une très longue colonne, environ 5 mètres pour le grave, prolongée par 2,70 m pour l’aigu, soit pas loin de 8 mètres en tout.
J’ai mesuré au laser les distances et les angles et j’ai divisé le module aigu du bas de ma colonne en deux sources d’émission (deux faisceaux), une couvrant l’orchestre et l’autre venant s’insérer précisément dans l’étroite zone du premier balcon. Cette précision n’est absolument pas possible avec un line array traditionnel.
Avec le module d’aigu placé en tête de colonne, je ne couvre que le balcon supérieur. Les trois modules de grave sont aussi séparés électroniquement en deux sources sonores (deux faisceaux), allant ici aussi couvrir orchestre et 1er balcon pour l’un des deux et le très grand 2è balcon pour le second.

L’avantage pour nous aujourd’hui a été le fait d’avoir effectué une démo sur site en février de cette année. J’ai juste accroché le même matériel au même endroit, rechargé le preset spécifique créé il y a quelques mois et j’ai retrouvé exactement le même rendu.
Dans cette configuration, le contrôle de la directivité des faisceaux opère jusqu’à 140 Hz grâce au couplage des trois modules FM-400.
Les Focus Modular sont des modules existant en trois modèles. les FM(I)-100 et FM(I)-110 sont en charge du spectre aigu, le FM(I)-400 s’occupe quant à lui, du haut de ses 160 cm, du grave.
Chaque module embarque des packs de puissance et des DSP capables d’alimenter individuellement chacun des transducteurs qui le composent, ce qui permet d’en contrôler électroniquement la directivité.
Dans le I-110 on retrouve par exemple 16 moteurs néodyme d’un pouce et 16 amplis en classe D délivrant 120 W, ce qui offre la pression max impressionnante de 108 dB à 100 mètres dans un spectre allant de 1 à 19 kHz.

Le module de grave ou plus exactement de bas médium embarque 32 haut-parleurs de 4 pouces à longue excursion équipés d’un aimant au néodyme.
Les amplis au nombre de 16 délivrent ici encore 120W par pack et le DSP est capable d’isoler 8 groupes de HP.
Le poids reste faible eu égard à la taille avec 41 kg. La réponse en fréquence tient entre 60 et 1,7 kHz avec un SPL max de 94 dB à 100 mètres d’où le besoin d’aligner plus de modules que pour le haut du spectre.
Le sub en charge de regonfler le bas du spectre et soutenir les 192 petites gamelles de 4 pouces n’est autre que le PS-9 et son 21 pouces poussé par un module ampli de 8,5 kW, dont un exemplaire a été posé à même le plateau à l’aplomb de chaque colonne.
Pour plus de précisions :
http://www.soundlightup.com/flash-and-news/fohhn-ps-9-un-sub-mi-lourd-qui-a-du-punch.html
Indisponible avant le spectacle, nous avons après ce dernier, pu avoir l’avis de Stéphane Pelletier en charge de la régie façade.

SLU : Stéphane, tu peux nous dire deux mots sur la diff. On sait que tu n’as pas vraiment eu le temps de régler.
Stéphane Pelletier : Eh bien pour tout dire ce qui est bluffant, c’est qu’en arrivant je n’ai pas vu le système de diffusion ! Au départ j’ai testé sur un micro. Le système projette bien, on n’est pas gênés par le feed-back.
Je n’étais pas vraiment rassuré mais je n’ai pas eu à faire d’égalisation. J’ai juste placé un délai de 3 ms pour « ramener » le son sur le plateau. Bien sûr j’aurais aimé pouvoir faire des mesures et connaître le processing…
Mais au total j’ai juste été amené à nettoyer vers 8 kHz (environ -6 dB) dans certains cas sur des micros cravate et de 3 dB à 125 Hz. Je n’ai pas eu besoin non plus de tailler le grave, le sub utilisé a beaucoup de profondeur. Je suis très content du résultat, surtout où j’étais placé, la régie dos au mur en haut de l’orchestre.
SLU : Et les consoles CL5 ?
Stéphane Pelletier : Elles sont très simples à utiliser et stables, le preview marche bien. Le spectacle était un peu compliqué et les gains partagés entre les deux consoles (retours et face). Katia a fait une partie des gains et moi une autre et ça s’est très bien passé avec le système de compensation de gain. J’avoue aimer le compresseur Portico qui fonctionne très bien et moins aimer les compresseurs incorporés. L’appli iPad fonctionne très bien aussi. Je trouve que sur les CL, il n’y a pas assez d’E/S AES en local. Par contre sur les QL (qui en disposent) la gestion des VCA est moins bonne. En revanche la carte Dugan (mix auto) fonctionne très bien, c’est un plus.

Nous ne pouvons pas, en croisant Serge Dupont, régisseur son de l’Opéra bastille, manquer de lui demander son avis sur le système de diffusion.

SLU : Que pensez-vous des performances de la diffusion. De toute évidence, il a manqué du temps aux équipes pour effectuer un calage en bonne et due forme.
Serge Dupont : Que du bien. C’est déjà très bien. Il y a des choses à préciser car nous connaissons bien les défauts de la salle. Idéalement, il aurait fallu des petits rappels à certains endroits pour encore améliorer le résultat mais globalement nous sommes satisfaits, la couverture est homogène.
SLU : Un appel d’offres va être lancé pour équiper l’Opéra Bastille d’une diffusion ?
Serge Dupont : Oui, nous devons définir précisément le cahier des charges et ensuite lancer la consultation auprès des marques en espérant qu’elles souhaitent y répondre, dont bien entendu Fohhn. Il ne faudra quand même pas oublier que notre choix ne validera que la réponse optimale qui tiendra dans le budget dont nous disposons.
Pour notre part, nous avons pu écouter pendant le spectacle, du haut du deuxième balcon et nous pouvons dire que le son était très propre et plein, sans altération de certaines parties du spectre.
Gageons que le système Fohhn sera bien placé parmi les concurrents en lice du prochain appel d’offres.
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