La vidéoprojection dans tous ses états Part Three: Mettez de l’optique dans votre moteur! Le nec plus ultra

Une matrice DMD plafonne en flux lumineux et en luminosité des couleurs saturées.
La solution ? Trois matrices DMD pour une trichromie simultanée, des flux qui s’envolent sans limitation pour les couleurs pures et aussi la fin de notre série sur la vidéoprojection.

La technologie à micro-miroirs, telle que nous l’avons présentée dans notre épisode précédent, est certes séduisante et (relativement) économique, mais elle plafonne en termes de performances, notamment sur deux points : le flux lumineux maximal, limité vers 20 000 lumens ANSI, et la luminosité des couleurs saturées.
Mais en associant trois composants à micro-miroirs dans une trichromie simultanée, les performances d’envolent, avec une large ouverture vers des flux situés entre 50 000 et 100 000 lumens, sans limitation pour les couleurs pures… et également sans limitation de prix ! Cet exposé, qui clôt la série sur la vidéoprojection, se conclura par une synthèse des caractéristiques comparées des technologies actuellement disponibles commercialement.

Anatomie d’un composant DMD, jeu de circuits associés

Le cœur de la partie électronique d’une matrice DMD est constitué d’une mémoire SRAM CMOS. Chaque miroir est associé à deux cellules dont les états sont toujours opposés. La position du miroir est associée à l’état de chaque couple de cellules qui lui correspond, à ce détail près : le miroir ne prend l’état déterminé par ces cellules que sur commande d’une impulsion.
Durant le reste du temps, qui est consacré à la mise à jour éventuelle du contenu de la mémoire (après un petit délai suivant l’apparition de l’impulsion de commande), les miroirs sont verrouillés. Les miroirs peuvent aussi prendre une position « neutre » de repos, dans laquelle ils sont parallèles au substrat. C’est la position lorsque la matrice est hors tension. Des procédures particulières de mobilisation, verrouillage et déverrouillage des miroirs s’effectuent à la mise sous et hors tension.

Figure 1 : Diagramme fonctionnel simplifié d’un composant DMD WQXGA. (Famille DLP9000). On notera les quatre canaux d’accès permettant de charger en parallèle les différentes sections de la matrice de micromiroirs (d’après document Texas Instruments).

La mémoire est accessible par un ou plusieurs bus constitué de liens LVDS. Les données sont chargées sur les fronts montants et sur les fronts descendants de l’horloge (selon le protocole DDR).
Les puces DMD disposent de plusieurs modes d’adressage séquentiel en totalité, par blocs ou de manière totalement aléatoire permettant d’adapter le schéma d’adressage à l’application, en termes de vitesse et de succession des phases de couleurs (cas d’un projecteur à puce unique). Plusieurs canaux permettent également d’effectuer le chargement en parallèle de sections de matrice (voir figure 1).

L’unique fabricant de composants DMD, à savoir l’américain Texas Instruments, propose, autour de ses composants à micro-miroirs, des jeux de circuits intégrés destinés à réaliser les diverses applications. En plus du composant à miroirs, ils comprennent un ou deux contrôleurs (selon la résolution) et un ou plusieurs circuits de gestion des alimentations. Cela, pour les applications à un seul DMD. De plus, ces combinaisons incluent souvent des composants programmables (FPGA et/ou mémoires flash), qui permettent de personnaliser et d’optimiser le système.

Pour les applications à trois DMD, dont nous détaillons ci-après le système optique, la part des composants programmables et non-standards est beaucoup plus importantes, même si on ne s’écarte pas beaucoup de l’écosystème de Texas Instruments. Signalons que la technologie DMD vise également d’autres applications que la projection d’images vidéo, comme les imprimantes, les systèmes de gravure et le contrôle « avancé » de la lumière. Il existe aussi des jeux de circuits et des blocs optiques miniaturisés destinés aux pico-projecteurs.

Le moteur optique trichrome à trois DMD

Compte tenu d’un rapport performance/prix plus favorable, la plus grosse part de marché des projecteurs DLP est détenue par les appareils à une seule matrice (trichromie séquentielle). Néanmoins, il existe aussi, chez un petit nombre de constructeurs très en pointe, des machines à trichromie simultanée (à 3 matrices de micro-miroirs), qui tiennent le haut du pavé en termes de performances (et en termes de prix).
Comme elles n’ont pas à partager le flux de la source en trois ou quatre intervalles de temps dédiés à chacune des primaires (et à l’éventuel quatrième canal de soutien à la luminosité des teintes peu saturées), on peut s’attendre à obtenir de des machines, à source identique, ou au moins à source de puissance électrique identique, un flux au moins trois fois plus important. Ce sont les machines préférées dans le domaine du spectaculaire.

Le moteur optique à 3 matrices DMD est constitué d’un ensemble de prismes de verre massifs, auquel sont fixées les trois matrices, généralement montées sur un petit circuit imprimé, accompagnées d’un circuit intégré contrôleur ou d’un circuit d’interface assurant la communication avec le traitement de signal (Back end).

Figure 2 : schéma d’un moteur optique à 3 DMD. Il est constitué de prismes massifs dont les surfaces sont traitées. On distingue un grand prisme à la fonction de séparateur de faisceaux (PBS, en vert) et un jeu de prismes dont la fonction est de séparer les couleurs (en bleu). Le système est représenté avec les trois matrices dans la position « ON ». Figure 2 : L’histoire ne dit pas où partent les faisceaux réfléchis dans la position « OFF ».

Bien que compact, l’ensemble de prismes se divise en deux blocs fonctionnels : un séparateur de faisceau (PBS) semblable à ceux qu’on trouverait sur un projecteur à une seule matrice (mais sensiblement plus gros) pour injecter la lumière de la source et récupérer le faisceau à projeter.

Et du côté des matrices, un ensemble de prismes collés avec des faces dichroïques, permettant la séparation des couleurs, leur orientation sur chaque matrice de miroirs, la récupération des faisceaux réfléchis par les matrices (dans les états « allumé » et « éteint »), et la recombinaison des faisceaux réfléchis dans l’état « allumé » en un faisceau trichrome vers la partie PBS de l’ensemble.

L’une des principales difficultés de réalisation de cet ensemble optique vient du fait qu’il n’y a pratiquement ni angle droit, ni faces parallèles, il s’agit d’un groupe complexe dont l’apparence est assez biscornue (voir figure 2). Cette figure représente les faisceaux des pixels « allumés ».

Figure 3 : Schéma d’un micromiroir montrant la direction dans laquelle est renvoyée la lumière non utilisée lors de la projection de « nuances de gris ». Il faut éviter que cette lumière participe à l’échauffement des composants critiques et à la dégradation du contraste.

Pour les pixels « éteints », on sait que la lumière est réfléchie dans une direction située à 4 fois l’angle de rotation des micromiroirs relativement au faisceau incident (voir figure 3).
Cela implique deux contraintes : d’une part, il faut évacuer la chaleur portée par ces faisceaux réfléchis dans la position « éteinte », et d’autre part, il faut faire en sorte qu’ils ne parviennent pas, même très partiellement, par diffusion dans le verre ou par réflexion parasite sur l’une quelconque des surfaces des prismes, à sortir par l’objectif de projection, ce qui dégraderait inévitablement la spécification de contraste.

Figure 4 : Orientation de l’axe de rotation des micromiroirs par rapport à l’ensemble de la matrice. La position du miroir (0,0) est indiquée par un repère (point ou pan coupé) sur le boîtier. L’axe de rotation (en vert) est à 45° des côtés du boîtier.

Une des difficultés supplémentaires dans la conception optomécanique et le positionnement géométrique des éléments vient du fait que l’axe de pivotement des micro-miroirs n’est pas parallèle à l’un des côtés du composant, mais disposé à 45° de ceux-ci (voir figure 4). Le placement du composant doit donc en tenir compte et cela renforce encore l’aspect étrange du moteur trichrome.
Dans les machines les plus puissantes destinées aux environnements difficiles et à des positionnements acrobatiques, la réalisation est scellée et blindée sous des carters métalliques étanches.
Toutefois, un refroidissement énergique des composants DMD reste indispensable. En effet, ils sont le siège d’une dissipation thermique qui prend son origine dans (note1) l’activité électrique de l’électronique de commande des miroirs, qui est d’autant plus importante que les fréquences mises en jeu sont élevées (très haute définition, fonctionnement à fréquence image multiple, affichage stéréoscopique…) et la fraction de la puissance lumineuse qui n’est pas réfléchie et est absorbée par la puce.

Note1 : par exemple, dans la feuille de caractéristiques « DLP9000 Family of 0.9 WQXGA Type A DMDs » des composants à micromiroirs de 0,9 pouces de la famille 9000.

Même si celle-ci est faible et même si la lumière perdue (pixels noirs) est dûment évacuée, elle n’est plus négligeable aux flux très élevés de certaines machines. Selon Texas Instruments, elle dépend de la position moyenne des miroirs (certains éléments de calcul sont fournis dans les documents du fabricant ).


Figure 5 : Vue des entrailles d’un projecteur Barco UDX-4K32. Au premier plan, à gauche, le moteur optique à 3 DMD. Rien ne laisse présager de quoi il s’agit, c’est assez informe et aucun rayon de lumière n’en sort. On ne distingue clairement que les durites qui apportent le fluide de refroidissement à chacune des trois matrices. Les deux sources laser-phosphore sont également entièrement blindées et capotées et ne laissent voir aucun élément identifiable.

Figure 6 : Les sources solides (laser) et les blocs scellés à refroidissement par circuit de fluide fermé permettent de faire fonctionner les projecteurs dans toutes les positions comme le montre cet UDX-4K32 de Barco équipé d’un objectif périscopique à courte focale, installé verticalement devant l’écran.

Dans les réalisations scellées les plus performantes, le refroidissement est assuré par circulation de fluide. Le circuit fermé, lui-même refroidi par un important ventilateur judicieusement placé sur une paroi de l’appareil, autorise son installation dans toutes les positions (voir figures 5 et 6).

Exemples et état de l’art des performances

Les projecteurs à trois matrices DMD sont actuellement ceux qui ont les performances les plus élevées sur le marché des appareils de série. En termes de résolution, le 4K natif existe en standard. En termes de flux, on atteint 60 000 lumens (Christie D4KLH60) et même 75 000 lumens (BarcoXDL-4K75) avec des sources laser pur, 40 000 lumens (Barco UDX-W40) et 25 000 lumens avec des sources laser/phosphore (Christie Crimson WU25/HD25) et 43 000-45 000 lumens avec des lampes de 7 kW (Christie Roadie 4K45), 33 000 lumens chez Barco avec une lampe de 6,5 kW (Galaxy 4K-32 HFR) ou 30 000 lumens avec 6 lampes de 450 W (Christie Boxer 30/2K30/4K30).

Les chiffres revendiqués pour le contraste sont de 2 000 (Christie), voire 2 800 typ. (sur certains modèles de Barco), variables selon la méthode et les conditions de mesure utilisées (Barco ne revendique plus que 500 en mesure ANSI), voir la partie « Spécifications relatives à l’image ». La colorimétrie dépend de la qualité de la source et peut exceller, notamment avec des lasers. Les projecteurs DLP adaptés au cinéma peuvent atteindre la norme Bt.2020.
Enfin, chaque matrice étant utilisée à 100% de son temps pour une seule et même image, il est possible de multiplier la fréquence de fonctionnement, permettant ainsi une projection moins fatigante pour le spectateur, même en usage prolongé, la projection d’images en relief avec un seul projecteur, et même la projection de deux images en relief, adressées à des groupes de spectateurs différents (avec des lunettes à commutation active). Bien évidemment, dans ce cas, le flux doit être divisé par deux (une moitié pour chaque œil), et encore par deux (une moitié pour chaque image), mais malgré cela, il en reste assez pour bien des applications.

Les tubes intégrateurs
Nous savons que l’un des défis majeurs de l’optique des vidéoprojecteurs à relais optique consiste à collecteur le maximum de lumière émise par la source et de l’envoyer vers le modulateur optique, avec une uniformité la meilleure possible.
Lorsqu’un dispositif simple à réflecteur et lentille condenseur ne suffit pas pour assurer un compromis acceptable, deux solutions sont couramment mises en œuvre pour faire face à cette problématique d’uniformité : l’optique à facettes, utilisée avec les lampes (voir « Les sources de la vidéoprojection – Les lampes ») et le tube intégrateur qu’on rencontre plus volontiers avec les sources LED/laser et/ou les micro-écrans DMD.

Figure 7 : Le tube intégrateur est un guide de lumière à l’intérieur duquel la lumière se propage en se réfléchissant un nombre de fois variable en fonction de l’angle d’incidence à l’entrée.

Le principe du tube intégrateur (alias integrator rod, homogeneization rod, etc.) consiste à effectuer un mélange des distributions d’intensité sur une fenêtre d’entrée en exploitant les réflexions internes multiples dans un guide de lumière.
Celui-ci peut être constitué, à la manière d’une fibre optique à saut d’indice ou d’une fontaine lumineuse, d’un tube plein en matériau transparent (verre, silice) fonctionnant en réflexion totale (TIR), ou bien d’un tube creux dont les faces internes sont tapissées d’un revêtement réfléchissant (voir figure 7). La section de ce tube rectiligne peut être rectangulaire, mais aussi hexagonale ou octogonale. Certains fabricants de composants optiques s’en sont fait une spécialité.

Figure 8 : Effet d’un tube intégrateur sur une source ponctuelle lumineuse à répartition gaussienne de l’intensité. Les réflexions renvoient la lumière vers l’intérieur du tube en repliant la répartition de l’intensité. Les parties symétriques du diagramme d’intensité s’ajoutent et leurs variations se compensent. La répartition en sortie est donc celle de la fraction de lumière qui se propage directement (sans réflexion), augmentée d’un niveau constant correspondant à la somme des contributions des parties latérales du diagramme.

Si on considère une source ponctuelle placée à l’entrée du tube, dont la répartition d’intensité est non-uniforme (par exemple gaussienne), l’effet des réflexions est de replier cette répartition à l’intérieur du tube.
Comme dans le cas de l’optique à facettes, la répartition résultante est la somme de plusieurs diagrammes de répartition décalés de la largeur du tube, et se trouve donc beaucoup plus uniforme que la répartition d’origine (voir figure 8).

Vu sous un autre angle, quand on regarde vers l’intérieur du tube à sa sortie, l’effet intégrateur est similaire à celui d’un kaléidoscope, les réflexions multiples créant une multitude d’images décalées de la source. Il est clair que la performance d’homogénéisation est d’autant meilleure que le nombre de réflexions sur les faces du tube est élevé.

Figure 9 : Schéma simplifié du système nécessaire à la mise en œuvre d’un tube intégrateur.

Ce nombre dépend de l’angle que fait la lumière incidente avec l’axe du tube et du rapport longueur/largeur du tube.
Pour maximiser ce nombre, il faut que la lumière soit focalisée sur l’entrée du tube, avec une grande ouverture (0,5 à 0,7 sont des valeurs courantes).
Un tube long et mince donnera de meilleurs résultats, mais des contraintes de fabrication limitent le rapport longueur / largeur typiquement à des valeurs de 10 à 15.
La figure 9 montre schématiquement le dispositif de mise en œuvre d’un tube intégrateur.

Comme le montre la figure 8, la partie centrale de la répartition est conservée, mais les parties symétriques de part et d’autre de l’axe, correspondant à un nombre de réflexions identique s’ajoutent, et, du fait de leur symétrie, les variations se compensent et leur contribution est une valeur moyenne qui ne dépend pas de l’angle.
L’uniformité à la sortie du tube est donc uniquement déterminée par la distribution de la lumière qui se propage en trajet direct dans le tube, et elle dépend donc de cette distribution au niveau de la source. Quand la distribution de la luminosité de la source est large et relativement douce, l’homogénéisation fonctionne bien, surtout si le nombre de réflexions est élevé. En revanche, s’il y a d’importantes variations aux faibles angles (par rapport à l’axe optique), le résultat sera plus critique.


Conclusions

Cet épisode ferme notre série sur la vidéoprojection. Le tableau 1 regroupe une synthèse comparative des caractéristiques des différentes technologies de moteurs optiques, avec leurs avantages et inconvénients respectifs. Il y apparaît clairement qu’on peut considérer le LCD comme étant l’entrée de gamme et le DLP à trois matrices comme étant le summum, pratiquement incontournable lorsqu’il s’agit de gros spectacles itinérants, et pour la location/prestation.
Le DLP à une matrice peut constituer un compromis acceptable pour certaines applications comme les salles de conférence de taille moyenne, où un flux compris entre 10 000 et 20 000 lumens peut suffire. Quant au D-ILA/SXRD/LCoS, il reste cantonné dans des niches et semble constituer encore un marché en devenir, avec trop peu d’acteurs, une mauvaise réputation et un positionnement commercial pas forcément très clair, même si c’est la technologie préférée de la NHK, la seule capable de satisfaire simplement ses ambitions dans la très très haute définition (8K et au-delà). Il reste donc de nombreuses pages passionnantes à écrire dans l’avenir.

Tableau 1 : Synthèse des technologies des moteurs optiques de vidéoprojection
Notes : * Selon la technologie de la source lumineuse – ** Dépendant de la méthode de mesure

Glossaire contextuel

Pour en savoir plus : Phase space approach to the use of integrator rods and optical arrays in illumination systems – Denise Rausch, Alois Herkommer, Universität Stuttgart – Adv. Opt. Techn. Vol. 1 (2012) pp.69-78.

Et avec les épisodes précédents :

Crédits - Texte et illustrations JP Landragin

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