Au plat pays, David Huyvaert, précédé de sa réputation, nous a accordé deux heures de son temps. Que ce soit en live ou en événementiel, nombreux sont les ingés son que David a accueillis du haut de ses 1m90 bien sympathiques. Sa spécialité ? Les défis techniques.
SLU : Lors de nos interviews, nous commençons toujours par la même question : quel chemin as-tu parcouru avant d’être ce que tu es aujourd’hui ?
David Huyvaert : La question est simple mais la réponse est plus complexe qu’il n’y paraît. Cependant, je vais essayer ! Je pense que le fil rouge de ma carrière se déroule autour de la société Arto. D’ailleurs pour l’anecdote, ma première prestation en tant que patcheur, c’était pour Arto. Je me suis retrouvé dans une camionnette avec Rudy Coclet (Axel Red, Arno …), Bruno Denis, et nous avons accueilli Nicolas Haber. Une sorte de dream team avant l’heure.
Attentif derrière sa Vi4, David est imperturbable durant une balance.
J’ai fait mes études à l’IAD, et à ma sortie j’ai rapidement postulé un peu partout pour constituer mon propre carnet d’adresses. J’ai acquis l’essentiel de mon expérience chez Philing Live qui est par la suite devenu BlueSquare.
Là, en quelques années, je suis passé de simple freelance à gestionnaire de parc son. BlueSquare s’est très vite spécialisé dans les tournées internationales, ce qui ne se faisait pas beaucoup à l’époque en Belgique et qui m’a beaucoup plu évidemment.
SLU : Tu as donc également été formé grâce à la vie de tourbus ? Par quel artiste as-tu commencé ?
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David Huyvaert : J’ai commencé par Patricia Kaas, en tant qu’assistant PA tech et j’ai enchaîné de 2003 à 2012 avec beaucoup de tournées de productions québécoises (Garou, Isabelle Boulay, Véronic DiCaire…) J’ai également suivi Franck Michaël pendant environ 3 ans.
Briefing pré concert devant une Midas H3000 entre Bernard Viellevoye (responsable son chez Arto), Jean-Luc Ongena, professeur à l’IAD et David Huyvaert.
SLU : Comment es-tu passé des productions québécoises à Franck Michaël ?
David Huyvaert : Comme toujours dans ce genre de situation, via un peu de chances et de disponibilités ! Mon ancien prof de l’IAD, Michel Lecloux m’a appelé et j’ai directement accepté sans même réfléchir. J’étais déjà honoré qu’il m’appelle, et puis connaissant le monsieur, je savais bien que ça allait être intéressant. Alors on peut avoir beaucoup d’à priori sur le chanteur mais j’ai pu faire beaucoup de dates, les kits étaient assez conséquents et on a rempli l’Olympia pendant 3 semaines complètes…
Ce n’était vraiment pas mal pour l’époque ! D’ailleurs Franck Michael s’était entouré des musiciens d’Elvis pour ces 3 semaines donc il y avait vraiment des légendes sur scène ! On avait deux consoles face. Une pour le band et une pour Franck Michaël. Un mix à 4 mains, à l’ancienne. Mixer comme ça à côté de son ancien professeur … c’est aussi agréable qu’intimidant, mais je suis content de l’avoir vécu !
SLU : Tu parles de beaucoup d’artistes francophones, tu n’as jamais tourné en dehors de la francophonie ?
Ce n’est pas parce qu’il ne parle que de tournée qu’il ne fait que cela. Ici David Huyvaert à la ferme du Biéreau, sur une installation fixe, plutôt « tranquille ».
David Huyvaert : Ce n’est pas parce qu’un artiste est francophone qu’il ne tourne qu’en France, en Belgique ou au Québec ! J’ai suivi Lara Fabian pendant quelques années et elle était vraiment appréciée de manière internationale, c’est avec elle que j’ai mixé en Russie au théâtre du Kremlin, en Azerbaïdjan, et on a même rempli le Carnegie Hall à New-York …
SLU : Un coup de cœur parmi tous ces artistes avec qui tu as travaillé ?
David Huyvaert : Sans trop hésiter je dirais Tina Arena. C’est une immense star en Australie, et elle a tourné en France et en Belgique suite à la sortie d’un album en français. J’étais mixeur FOH et c’était un réel plaisir, les arrangements étaient bien faits. C’est un vrai bonheur pour un mixeur de ne pas devoir triturer un EQ dans tous les sens pour obtenir quelque chose de potable.
Pour Tina, je n’avais qu’à mixer, pas à me battre. Techniquement la chanteuse est super compétente, elle ne met jamais une note à côté et c’est du coup très agréable de suivre le mix. Humainement, elle est adorable. Pour comprendre ça, le meilleur exemple que j’ai vécu avec elle, c’est un concert en Tunisie près de Carthage dans un amphithéâtre romain. On a eu toutes les « merdes » techniques du monde. Les Littlite de la console clignotaient à cause du manque de stabilité du courant c’est dire !
En plein milieu de show, le batteur me fait des grands signes car ses séquences se sont éteintes à cause d’une surtension, Arnaud Bailly, backliner à l’époque avait dû amener un SM58 filaire sur scène pour remplacer le HF car évidemment on avait perdu l’entièreté de la HF…Un vrai calvaire.
A la fin du concert, lorsque je débriefe cette Bérézina avec le mixeur retour (Jérôme Point) en m’attendant à recevoir un sacré savon de la part de Tina, elle arrive avec 2 verres, nous les tend et nous dit « Cela n’a pas dû être facile pour vous les gars, merci d’avoir tenu le coup jusqu’à la fin du concert ! ». Elle avait un respect du technicien que je n’ai que très rarement trouvé chez d’autres artistes.
SLU : De quoi avoir envie de la suivre plus longuement ?
David Huyvaert : Evidemment ! Malheureusement elle n’a sorti qu’un seul album en français et maintenant elle ne tourne plus qu’en Australie …
SLU : Beaucoup de sociétés de sonorisation te connaissent via la marque Adamson, d’où ça vient ?
David Huyvaert : Simplement parce que je travaille depuis août 2014 pour DV2 BELUX. DV2 existait déjà en France (revendeur de Digico, Adamson, Lab gruppen …) et, à l’époque, c’est Inytium qui revendait Adamson. Inytium a souhaité se spécialiser dans les installations fixes, et DV2 a décidé de créer DV2 BELUX et m’a demandé de gérer le support technique.
C’était une chance en or d’autant plus que DV2 n’est pas simplement un revendeur pour Adamson, leur relation est proche du partenariat, et je ne mens pas en disant que DV2 est réellement écouté pour le développement des boîtes d’Adamson. De mon côté, je suis bien entendu resté indépendant parce que d’une part, j’avais envie de continuer ma vie d’ingénieur du son en presta et, d’autre part, ça avait beaucoup de sens que le responsable du support technique Adamson continue à travailler avec les autres marques qui sont sur le marché.
SLU : Un avantage par rapport à la vente ?
David Huyvaert : Par rapport à la vente non car j’ai la chance de ne jamais parler argent avec les clients de DV2, je n’assure que la partie liée au support technique. Par contre c’est un réel avantage dans mon milieu : lundi je mixe sur du Nexo, mardi sur du d&b et, mercredi, sur de l’Adamson.
Il faut savoir que l’oreille humaine est très mal faite, elle s’habitue à ce qu’elle entend régulièrement. Si je ne mixais que sur de l’Adamson il me serait difficile d’être objectif sur les différents systèmes avec lesquels je travaille. J’ai la sensation que mon métier me permet de garder une référence neutre contrairement à pas mal de vendeurs.
SLU : Ta neutralité est donc un avantage lorsque tu vas chez un client ?
Etonnamment ce n’est pas un BlueprintAV que l’on voit mais bien un d&b R1.
David Huyvaert : Oui, j’en suis persuadé. Il y a quelque chose de vraiment drôle dans mon métier, les commentaires que je reçois lors d’une écoute Adamson sont souvent une courbe de transfert inversée du matériel que ce client a utilisé pendant quelques années. Si son système était baveux dans le bas medium, il va avoir tendance à dire que l’Adamson est peu présent dans cette même zone fréquentielle.
SLU : Difficile parfois ?
David Huyvaert : Très certainement, mais logique en même temps. Si tu invites un ami à manger chez toi et que cet ami a tendance à manger très épicé, il trouvera probablement ton plat assez fade. La même chose se passe avec l’oreille. C’est dans des démo avec certains clients que je me rends compte que notre oreille n’est clairement pas « flat » et que je me rappelle des raisons pour lesquelles je ne veux pas travailler uniquement sur des systèmes Adamson.
SLU : Alors pourquoi as-tu choisi de travailler avec Adamson ? Peut-on dire qu’il s’agit des meilleurs boîtes sur le marché à l’heure actuelle ?
David Huyvaert : La question est mal posée car ça s’est passé de la manière inverse. J’ai toujours aimé travailler sur de l’Adamson, et c’est Adamson qui m’a proposé de travailler avec eux. Par rapport à la qualité des enceintes Adamson, j’essaye aussi de rester objectif. Les technologies actuelles font que la plupart des grandes marques font des bons systèmes. Comparer L-Acoustics, d&b, Meyer et Adamson c’est un peu comme comparer Audi, Volkswagen, Mercedes et BMW…
Chacun à ses préférences mais, à n’en pas douter, les 4 fonctionnent très bien ! Je suis conscient que le gros défaut des systèmes Adamson c’est leur grande précision. Ça ne pardonne rien au mixage. Un peu comme en cuisine quand on utilise un couteau japonais… ça coupe tellement bien que ça peut couper l’assiette en deux ! C’est donc évidemment un outil à ne pas mettre entre toutes les mains.
Qui a dit que les techniciens n’étaient que des râleurs ? Voici un exemple de la bonne humeur apportée par le grand Dav sur prestation.
Pour aller un peu plus loin dans la question, selon moi il est impossible de dire « tel système est le meilleur système actuel ». Il y a tellement de paramètres à prendre en compte : l’audio, l’argent, la présence (ou l’absence !) du système dans les sociétés environnantes … D’un point de vue personnel j’ai vraiment l’avantage de parler en Volt et en dB là où d’autres parleront en Euros.
SLU : Penses-tu qu’il est opportun pour un prestataire de s’équiper en PA d’une seule marque ?
David Huyvaert : Malheureusement c’est ce qu’on voit la plupart du temps. Telle boîte bosse en Nexo, telle autre en JBL et telle autre en Adamson. Peu de sociétés ont compris l’intérêt d’avoir plusieurs gammes de PA. C’est d’ailleurs très drôle de comparer ça au milieu du light. Vous imaginez vraiment un concert uniquement en Robe ? ou en ClayPaky ? Ça serait un peu dommage. Pourtant en son si vous voyez un PA en L-Acoustics, la plupart du temps vous aurez des retours de la même marque. Je n’ai jamais réussi à déterminer la raison de ce type de prise de décisions.
SLU : Tu parles beaucoup de ta relation avec DV2. Ils sont revendeurs en Belgique de Adamson, Lab gruppen, MDC, Tannoy … Que feras-tu si la société décidait de revendre du matériel avec lequel tu n’apprécies pas de travailler ?
David Huyvaert : Avec DV2 Belux, nous sommes sur la même longueur d’onde, (rires) ça serait dommage qu’ils prennent ce genre de décision. Mais soyons honnêtes, je ne pense pas que ça pourrait arriver. Beaucoup de gens par exemple me parlent de Community, que DV2 Belux distribue depuis le 1er janvier 2018, en me disant que ce ne sont pas des systèmes comparables à de l’Adamson.
Les gens ont raison ! Mais je me retrouve à 100% dans la décision que DV2 a prise de revendre cette marque qui est à la pointe en termes d’installations fixes : stades, arènes, églises… Ils ont même développé un système pour les messages d’alertes dans les tunnels … J’imagine mal sonoriser un tunnel avec du E15 (rires)… Un autre exemple concret de l’utilité de cette marque : j’ai dû installer un système son dans les grottes de Han en Belgique pour un spectacle de Luc Petit … 100% d’humidité 365 jours par an. Impossible de mettre un HP en carton là-dedans. Community était la marque idéale pour cette situation.
SLU : Nous te croisons beaucoup sur des spectacles de Luc Petit, comment se déroule une prestation de ce type ?
David Huyvaert : J’adore travailler avec ce metteur en scène, car ce sont des jobs sur lesquels je travaille de A à Z. Un spectacle de Luc Petit se prépare en plusieurs étapes.
Premièrement il effectue une réunion avec l’équipe technique pour expliquer le concept : dans quel cadre s’inscrit l’évènement ? Avec quel contenu ? Ensuite, sur base de cette première réunion, je rédige une liste du matériel nécessaire. On effectue un appel d’offre et, enfin, je gère montage, répétitions et prestations. Bref un vrai défi de A à Z comme je les aime.
SLU : Lors du spectacle « Décrocher la lune » dont nous avons parlé récemment, nous avions vu un système complet en Dante, et pour les artistes, une distance de portée HF de plus de 100m … C’est toujours aussi complexe ?
David Huyvaert : Oui c’est toujours aussi complexe. Les prestations de Luc Petit sont toujours dans un endroit particulier, avec un contexte spécifique et on peut rarement arriver à la conclusion qu’on va mettre un line-array côté jardin et un autre côté cour… C’est souvent difficile. Pour « Décrocher la lune », en HF, nous avions travaillé avec RF transmission et PRG fournissait le reste de la partie « son, vidéo et lumière ». Cette complexité justifie que Luc apprécie de travailler en permanence avec le même ingénieur du son.
Un binôme metteur en scène/ingénieur du son c’est assez rare, mais dans un cadre aussi difficile que ses spectacles, c’est primordial de pouvoir travailler avec des techniciens avec lesquels tu es en toute confiance. Notre relation me semble donc bien pertinente. Ce qui est chouette c’est qu’on commence toujours avec une page blanche, ça veut dire qu’on ne peut jamais se reposer sur ses acquis et que chaque spectacle est techniquement fort différent. Personnellement ça me donne un challenge sur chaque show. C’est vraiment agréable et puis, on ne s’ennuie pas.
David ne se contente pas de donner des conseils à des jeunes ingénieur du son, il met la main à la pâte et explique ici le positionnement d’un micro Hi-Hat à un étudiant de l’IAD.
SLU : Avec l’expérience que tu as acquise ces dernières années, quels conseils donnerais-tu à un jeune ingénieur du son tout droit sorti des études ?
David Huyvaert : Pour moi, le meilleur conseil que je pourrais donner à des jeunes de ce genre, c’est de continuer à se former en permanence. Le métier est de plus en plus complexe et de plus en plus sectorisé. Mixer la face, les retours, faire le plan HF ou gérer l’intercom… ce sont des métiers différents à mon point de vue. Les outils qui existent dans nos différents secteurs sont devenus tellement complexes qu’il devient presque impossible d’être un vrai technicien polyvalent. Le seul moyen de se rapprocher de cette polyvalence c’est de continuer à se former, à se tenir au courant …
Pas de doutes, David Huyvaert est un ingé son qui aime les défis. Difficile, voire impossible pour nous de le ranger dans une case telle que mixeur FOH, spécialiste Adamson ou même PA tech, il aime trop la technique pour ça. Là où beaucoup de techniciens souffriraient, David prend du plaisir à relever de nouveaux challenges.
Ces nombreuses casquettes lui ont permis d’acquérir une expérience transversale dans les techniques du spectacle et ont fait de lui un choix naturel pour le support technique Adamson chez DV2 Belux. Sans langue de bois ni catalogues dans sa tool, David est un vrai géant de la technique et nous ne parlons pas ici de sa stature !