En retrouvant le plus gros vendeur d’albums francophone de l’année pour sa tournée à guichets fermés, l’éclairagiste Paul Chappet quitte son territoire de prédilection, les clubs, pour accompagner, sur une grosse tournée mondiale, le belge sautillant avec un design lumière taillé sur mesures.

Et comme les deux Paul (Stromae portant aussi ce joli patronyme) se connaissent depuis la première tournée de l’artiste déjà mise en lumière par le jeune éclairagiste, c’est en toute confiance et complicité qu’ils se partagent la scène du Zénith de Paris, l’un la remplissant d’une présence incroyable et l’autre l’habillant de beaux projecteurs bien dans leur époque, à l’image d’un show, complètement neuf et survolté.
C’est quelques heures avant le noir salle, et en backstage que nous avons pu rencontrer Paul Chappet et son équipe, dans une ambiance très chaleureuse et engagée. L’occasion d’en savoir un peu plus sur la mise en lumière de l’album Racine Carrée et de son interprète brillant s’il en est.

Du Trianon au Zénith, une aventure qui continue.
En éclairant déjà la précédente tournée qui révélera définitivement Stromae au grand public et en l’accompagnant déjà devant les scènes des clubs de France et de Navarre, Paul Chappet a développé une relation complice avec l’artiste, ses équipes et sa production.
Il était alors naturel qu’il signe le design lumière d’une nouvelle tournée des clubs initiée l’an dernier, qui a notamment emmené le duo au Trianon et évolue à présent sur une partie plus importante en Zénith, en festivals français, mais aussi européens et aux Etats Unis.
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De la même façon, il était inimaginable pour l’éclairagiste de ne pas s’entourer du prestataire lumière qui l’accompagne depuis ses débuts en clubs, Régie Lumière, pour équiper les plus gros plateaux.
Confiance, fidélité et travail, des valeurs communes au designer, à son artiste et ses prestataires techniques qui augurent d’une création imaginée en toute liberté.
Vidéo : Le plafond de MagicPanel côté miroir et les gobos des Mac Viper Profile offrent un tableau très bien construit.
SLU : Paul, as-tu eu carte blanche pour concevoir le design lumière de ce show ?
Paul Chappet : “Je parlerais plutôt de constante collaboration. Stromae est un artiste qui sait ce qu’il veut, mais avec qui je peux communiquer de façon très facile et intuitive car nous nous connaissons bien à présent. Cela fait en effet deux tournées que je l’accompagne, ça aide à se comprendre ! Donc je n’utiliserais pas le mot carte blanche, mais celui de liberté de choix et de propositions.
SLU : L’idée, commune donc, reposait sur quoi ?
Paul Chappet : L’élément clé était une scène épurée et libérée de tout obstacle ou projecteurs. Nous n’avons presque pas de ponts et peu de sol. On voulait un grand plateau avec le minimum de choses dessus, en latéral et en extérieur. Et grâce à Stromae il est loin d’être vide ! Nous étions à l’opposé d’une forme de “grosse variété”, ça n’est pas du tout péjoratif, mais ça n’était pas le propos ici, on ne voulait pas en rajouter.

Vidéo : Les lyres MagicPanel Ayrton utilisées en mapping, l’écran vidéo black invisible de fond de scène pour recevoir de la texture, et les racines carrées composées d’éléments led intégrés qui jouent les décorations lumineuses : Paul Chappet sait tirer profit des qualités de chacune des sources choisies dans son kit.
SLU : Il y a pourtant un grand écran vidéo en fond de scène.
Paul Chappet : Oui et nous avons choisi un écran black invisible justement pour rester dans cette sobriété désirée. Nous avons aussi des praticables sur scène et des totems en latéraux, avec un autre élément clé du concept : tout sur scène est asservi. Tout peut et va bouger pendant le spectacle, selon les tableaux, les racines carrées, éléments du décor, aussi. Ainsi on pourra avoir, selon nos souhaits, un plateau presque vide et épuré avec rideau devant la scène ou même devant l’écran, ou au contraire la présence des pratos et des matrices de MagicPanel (asservies aussi).
SLU : C’était aussi un choix de Stromae ?
Paul Chappet : Il aime se donner des défis, comme par exemple commencer le show avec un plateau nu, ou habiller tous les techniciens et musiciens en costumes. Avec les praticables qui bougent, les ombres chinoises, nous avons cherché dans beaucoup de directions. Pour avoir une scénographie sobre mais riche, on ne se sépare pas de choses importantes, comme la vidéo, les tulles pour la rétro projection, les asservis et les beaux projecteurs.
Le « petit kit » confortable de Paul.
Et en plus des 64 MagicPanel Ayrton organisés en matrices de 16 éléments, il n’est alors pas étonnant de croiser dans le kit de belles nouveautés.
Partis en tournée des clubs avec une liste réduite mais déjà efficace (incluant MagicPanel Ayrton, Mac Aura Martin, Alpha Wash et Spot Clay Paky, entre autres…), l’équipe lumière de Paul Chappet est aux petits soins au Zénith pour un kit, modeste (…selon les dires du designer !), de quelques 160 projecteurs à leds ou lampés, chacun choisi pour ses qualités spécifiques.


SLU : Parles nous de tes choix de projecteurs, on trouve pas mal de derniers nés à led sur le plateau comme les MagicPanel Ayrton ou les B-Eye K20 Clay Paky ?
Paul Chappet : Même si le plateau est dégagé au maximum nous avons quand même un pont de face et de contres, et des Wash au sol en contre et face aussi.
Les MagicPanel Ayrton sont organisés en matrices de 16 projecteurs, nous en avons 4, asservies et qui font partie intégrante du show.
Ils sont en plus habillés d’un film miroir sur leur face arrière pour des effets de réflexion de faisceaux.
Je les ai choisis aussi pour leur design, carré, qui allait bien avec le nom et le visuel de l’album et l’ambiance du concert, autour des racines carrées. (Racines d’ailleurs présentes sur scène en décor. Lumineuse aussi grâce aux panneaux de LED intégrés, elles font écho aux médias de l’écran vidéo et des totems).

Je voulais surtout un gros Wash au dessus, tout en bénéficiant du mapping et de la vidéo en réponse à celle diffusée dans l’écran géant invisible.
Depuis que je les ai vus en vidéo sur le site d’Ayrton, je rêvais de les essayer ! Et j’en suis très content !
Par exemple quand ils reprennent les médias de l’écran vidéo ou quand ils servent de Wash puissants et mobiles. Par contre, nous n’utilisons pas tant que ça la rotation infinie, qui peut vite faire «gyrophare».

SLU : Tu découvres les B-Eye sur ce design qui offre une place de choix aux lyres Clay Paky ?
Paul Chappet : Oui j’avais envie de les tester car je trouve que les Aleda sont des projecteurs cool au design intéressant. Les couleurs sont très jolies, l’effet graphique et de couronne rotative est sympa, et en bonus ils font tout ce que j’attends d’un Wash à leds.
J’ai aussi des Alpha Profile 1500 Clay Paky dont je suis très content et des Mac 2000 Wash Martin en latéral, qui sont vraiment incontournables à cet endroit et dans cette utilisation. Les Sharpy Beam sont une valeur sure évidente pour avoir du bâton tout comme les Mac Viper Profile Martin pour les faisceaux et gobos. Chaque machine est là pour ses qualités. On a même deux DLC pour des effets ponctuels très électros et puis encore de la led dans les décors mobiles et totems.
Vidéo : Vous reprendrez bien une douche de Wash? Magic Panel Ayrton en l’air en blanc chaud et B-Eye Clay Paky au sol en bleu profond.
La vidéo comme habillage.
SLU : Justement comment as-tu imaginé les deux racines carrées lumineuses qui évoluent sur scène ?

Paul Chappet : Ce sont mes amis de All Access Design qui ont équipé et réalisé les totems et les racines carrés avec des éléments led en pitch de 16 mm. L’idée était de reprendre les vidéos de l’écran de fond de scène sur ces éléments et en latéral.
Une anecdote intéressante avec les racines carrées est que l’artiste et l’équipe souhaitaient une impression de relief, donc un design en 3D et je leur ai expliqué qu’avec la lumière, en allumant de couleurs différentes les deux parties de la racine, l’illusion d’optique donnerait cet effet de profondeur.
Il m’a quand même fallu un mois pour convaincre Stromae qui ne me croyait pas !

SLU : Et cette vidéo, comment l’as-tu intégrée à ton design lumière ?

Paul Chappet : Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de la vidéo et de toutes ces sources. Je ne la subis pas. Je dose, je contrôle en permanence les niveaux, surtout celui de l’écran de fond de scène, pour que les rappels vidéos des totems et racines s’y accordent et pour que la lumière existe sur scène.
Tous ces éléments led sont aussi des projecteurs après tout ! C’est avant tout de l’habillage, l’important n’est pas de capter l’attention totalement mais plutôt d’accompagner le propos artistique sur scène. Pour cela le pitch de 6 mm de l’écran de fond invisible est idéal.
SLU : Les médias diffusés dans cet écran sont très présents, comment ont-ils été sélectionnés ?
Paul Chappet : Ils étaient majoritairement tous prêts et on a ajouté quelques textures et aplats.
Nous avons trois Catalyst pour gérer les médias et sources, un pour la vidéo pure, un pour le mapping (sur les MagicPanel notamment) et un en secours. Cependant une bonne partie de la vidéo est gérée en timecode au kick, le reste on le pilote via la console.
Video : Stromae n’a pas convié tous ses danseurs en chair et en os sur scène. Pas de problème, l’écran vidéo à led et des médias timecodés sont là pour y remédier !
SLU : Tu es derrière la console ?
Paul Chappet : Oui, je ne peux définitivement pas me passer de la restitution live du show et de la rythmique. Cette année nous avons deux GrandMA 2 MALighting en réseau, et nous avons encodé le show avec Cédric, que je ne connaissais pas, et nous nous sommes tout de suite bien entendus.
On se partage les tableaux mais sans préférence de machines ou autres. On a un gros réseau de data avec beaucoup d’univers DMX (une bonne trentaine) et de la fibre optique entre la régie et les blocs.” Et c’est justement quand il est derrière sa console qu’on sent le “confort” que le jeune designer peut ressentir sur cette tournée.

Un choix de mot tout relatif pour ce premier vrai gros design qu’il signe à nouveau aux lumières de Stromae, ou pour son équipe lumière qui monte et démonte pendant 3 heures chaque soir un kit pas si modeste que ça, puisque riche en variété de sources, projecteurs et éléments de vidéo et de décor.
Non, quand Paul Chappet parle de “confort”, il évoque une conception avec laquelle il se sent bien, des projecteurs qu’il a désirés et choisis en toute liberté grâce à une relation de confiance avec une production, Auguri, un artiste, Stromae, mais aussi un prestataire, partenaire engagé de l’aventure, Régie lumière, qui n’a pas hésité a acheter les jolies sources de rêves du designer.
Le résultat visuel est évidemment jouissif !
D’abord grâce à Stromae, artiste incroyable à la présence scénique rarement vue, puis à une scène du Zénith rendue démesurément grande avec un plateau dégagé de tout encombre technique et sans cesse en mouvements.
Vidéo : Jeux de perspectives avec la superposition d’un kabuki devant l’écran géant de fond de scène et une rétroprojection. Les ombres chinoises sont aussi une des multiples cartes jouées par Paul Chappet pour ce design lumière riche mais sobre grâce à une toile tendue devant la scène.
On ne s’ennuie pas une seule minute, tout bouge, les praticables s’allument, apparaissent et s’effacent, les tulles tombent ou se lèvent, jouant aux ombres chinoises avec un écran vidéo traité comme une source lumineuse à part entière, le frétillant belge court partout, ses techniciens encore plus et les MagicPanel s’élèvent au dessus de la scène dans une majesté indiscutable !
Il faut dire que ces 4 matrices de 16 lyres ne passent pas inaperçues, d’autant qu’elles sont motorisées et se permettent des positions très surprenantes et franchement belles, comme lors d’un tableau où elles se retrouvent à 45 degrés au dessus des racines carrées elles aussi penchées, tout en balayant de lourds bâtons de lumière bleue la salle. Ou encore un autre où elles s’éclairent elles-mêmes formant des masses lumineuses fixes cette fois-ci : plafond de lumière inédit.

Les faces avec miroirs sont un beau bonus, dont Paul n’abuse pas, comme d’ailleurs avec d’autres projecteurs pleins de ressources tels que les très surprenants Aleda B-Eye K20 Clay Paky, qui font vraiment des l’effets diversifiés et de la belle couleur à gogo. Présents dans la majorité des tableaux, ils existent vraiment.
C’est graphique, mais toujours approprié, parfois (très) électro, on est aussi là pour danser ! Et finalement, contre toute attente, les tableaux sans aucune vidéo, en lumière épurée, seront ceux qui nous auront le moins emballés, malgré des bonnes idées, comme l’utilisation des gobos des Mac Viper, moins originaux, mais toujours aussi puissants et remarquables.
Vidéo : Déchainements de couleurs et de faisceaux pour le premier tube de Stromae : “Alors on danse”.
On ressent nos deux Paulo très connectés, et une impression d’unité artistique et humaine se dégage du spectacle tout entier mené par un artiste chef de troupe, devant un public archi conquis dans une salle pleine à craquer, balayée par les bâtons des Sharpy Beam Clay Paky, qui ne sont décidément pas prêt de se démoder… Le designer lumière partage cet avis et brûle d’ailleurs d’impatience d’essayer leur grand frère Super Sharpy !
Pourquoi pas pour le retour de Stromae à Paris, sur la scène de Bercy cette fois-ci…. A suivre !
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